Au sommaire cette semaine : la semaine Charlie Hebdo - quand quelques voix discordantes fissurent l'unanimisme de façade...
- Frédéric Lordon sur le Monde diplomatique
- Maurice Gendre sur Scriptoblog
Ce que dit "Je suis Charlie" du peuple français
- Alain de Benoist sur Boulevard Voltaire
« Charlie Hebdo, libéral-libertaire, était devenu l’un des organes de l’idéologie dominante »
- Rony Brauman dans Le Monde
Ce qu'il y a de non Charlie en moi
- Laurence Maugest sur Polémia
Mais heureusement, Closer, avec sa magnifique couverture, est là pour nous réchauffer le coeur : le "people" est Charlie !...
alain de benoist - Page 82
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Tour d'horizon... (81)
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Le Traité transatlantique et autres menaces...
Les éditions Pierre-Guillaume de Roux publient cette semaine un nouvel essai d'Alain de Benoist intitulé Le Traité transatlantique et autres menaces.
Philosophe et essayiste, directeur des revues Krisis et Nouvelle Ecole, Alain de Benoist a notamment publié Au-delà des droits de l'homme (Krisis, 2004), Demain la décroissance ! (E-dite, 2007), Mémoire vive (De Fallois, 2012) et Les démons du Bien (Pierre-Guillaume de Roux, 2013).
" C’est un niveau d’alerte sans précédent que le Traité transatlantique (TTIP) actuellement négocié à huis clos loin des citoyens comme des États, fera franchir à l’ensemble des pays d’Europe, s’il est ratifié. En faisant, plus que jamais, planer l’ombre d’une bérézina ultra-libérale sur la vision idyllique de l’immense zone de libre-échange qui doit permettre, entre les deux continents, une liberté de circulation totale des hommes, des capitaux, des services et des marchandises. Comment ignorer, en effet, que d’abord c’est la protection du consommateur mais aussi des entreprises d’Europe, étendue aux domaines environnemental, sanitaire, salarial, etc., qui volera en éclats, chassée du dispositif légal par des normes américaines nettement moins contraignantes ? À telle enseigne que les multinationales obtiendront désormais le droit de traîner en justice les États nationaux dont elles jugeraient la législation nuisible à leurs intérêts. Et si le prix du libéralisme à tout crin était la perte de la souveraineté nationale désormais soumise à la toute-puissance des marchés financiers ? Que représente exactement la mondialisation sinon le stade suprême de l’hégémonie du Capital ? Quant à la « gouvernance », prétendu modèle de management, ne donne-t-elle pas le moyen de diriger les États… en tenant le peuple à l’écart ?
Dans cet ouvrage très documenté, Alain de Benoist expose avec une remarquable clarté ces enjeux cruciaux et les dangers qu’ils annoncent. Avec, en guise de réponse, un seul mot d’ordre : pour faire face aux menaces, rebellez-vous ! "
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L'accord du plus fort...
Les éditions Max Milo viennent de publier TAFTA - L'accord du plus fort, un essai de Thomas Porcher et Frédéric Farah. Les deux auteurs sont professeurs d'économie. L'ouvrage est très court et constitue une première sensibilisation à la question. Pour aller plus loin, et c'est indispensable, les lecteurs pourront se tourner vers le nouvel essai d'Alain de Benoist intitulé Le traité transatlantique et autres menaces, qui parait le 15 janvier 2015 aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.
" Aujourd’hui à Bruxelles et aux États-Unis, se joue la signature d’un traité qui risque de changer radicalement la vie de centaines de millions de citoyens américains et européens.
Son nom, TAFTA. Son but, abaisser le plus possible les barrières du commerce – notamment les normes – entre nos deux continents pour faciliter les échanges.
Les négociations ont déjà commencé et portent sur des règlementations concernant l’ensemble de notre vie (alimentation, santé, droits sociaux,…). Pourtant, elles se font sans nous, sans nos élus, mais avec des représentants des multinationales.
Ce livre présente les enjeux de TAFTA et en identifie les risques potentiels, afin que les citoyens s’approprient ces questions et exigent un vrai débat démocratique. " -
Le livre, dernier refuge de l'homme libre ?...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la culture et de la transmission...
« Numérique : le livre, dernier refuge de l’homme libre ? »
Fleur Pellerin, ministre de la Culture, admettait récemment n’avoir pas eu le temps de lire un livre depuis deux ans. Vous, dont la bibliothèque compte près de 200.000 livres, est-ce que cela vous indigne ?
Je trouve qu’elle est plutôt à plaindre. Fleur Pellerin n’est pas une femme antipathique. Comme beaucoup de jeunes Asiatiques, elle a sûrement travaillé dur pour obtenir ses diplômes. Elle a passé un baccalauréat scientifique, elle est passée par l’ESSEC et par l’ENA, avant de devenir à vingt-six ans magistrate à la Cour des comptes, ce qui n’est pas rien. Elle a ensuite occupé des fonctions gouvernementales en étant successivement chargée de l’Économie numérique, du Commerce extérieur, puis du Tourisme. Le problème est que tout cela n’a rien à voir avec la culture, ce qui est un peu gênant quand on est titulaire d’un poste qui fut, en d’autres temps, occupé par André Malraux.
Bien entendu, un ministre de la Culture ne doit pas être nécessairement un écrivain. Mais si madame Pellerin n’a rien lu depuis deux ans (saluons au moins sa franchise !), c’est de toute évidence qu’elle n’a pas lu grand-chose avant non plus. J’ai du mal à l’imaginer plongée dans La Recherche, dans Les Cloches de Bâle ou dans Les Possédés, pour ne rien dire des Deux Étendards ou de La Fosse de Babel. Elle dit qu’elle « n’a pas eu le temps », ce qui prête à sourire. Les gens qui n’ont « pas le temps de lire » sont des gens qui n’en éprouvent pas le besoin. Quand on en a le besoin, on trouve toujours le temps. Fleur Pellerin ne dirait pas que depuis deux ans elle n’a pas eu le temps de manger ! Érasme, lui, confiait : « Quand j’ai un peu d’argent, je m’achète des livres et s’il m’en reste, j’achète de la nourriture et des vêtements. » . Je trouve que c’est une bonne façon de procéder.
De son côté, Natacha Polony n’en finit plus de rappeler que l’école sert d’abord et avant tout à lire, écrire et compter. Et que l’enseignement numérique n’est finalement que subsidiaire…Il est toujours bon de rappeler le b.a-ba, mais l’école, en principe, ne doit pas seulement servir à lire, écrire et compter. L’Éducation nationale est censée éduquer, ce qui n’est pas tout à fait la même chose qu’enseigner. Éduquer, c’est mettre en forme et c’est transmettre. Or, nos enseignants ne savent visiblement plus que transmettre ni comment transmettre. Dans Les Déshérités, François-Xavier Bellamy assure même qu’il leur est « interdit de transmettre ». Entre ceux qui veulent voir leurs enfants acquérir des connaissances « utiles pour avoir un métier », transformant ainsi l’école en antichambre du cabinet d’embauche, ceux qui veulent laisser s’épanouir la « créativité » de ceux qui en sont manifestement les plus dépourvus, et les élèves eux-mêmes qui trouvent que « ça ne sert à rien » d’apprendre quelque chose, puisque « maintenant on trouve tout sur Wikipédia », la ligne de crête n’est pas facile à suivre. D’ailleurs, question lancinante : qui éduquera les éducateurs ?
Dans L’Enseignement de l’ignorance, Jean-Claude Michéa affirme que l’oubli de l’histoire et des lettres classiques n’est nullement un « dysfonctionnement » de l’école, mais le but même qui lui est désormais assigné. Pour créer l’Homo œconomicus que le monde actuel place au centre de sa conception du monde, il faut que le futur consommateur soit rendu parfaitement malléable, et donc « libéré » de tout repère « archaïque ». L’oubli du passé répond aux exigences conjointes de la gauche libérale, de l’industrie des loisirs et du patronat. C’est pourquoi l’école actuelle fabrique des crétins à la chaîne, c’est-à-dire des incultes portés par la seule immédiateté de leurs désirs marchands. Or, la culture n’est pas un bagage qui permet de faire bonne figure à « Questions pour un champion », ni un élément décoratif conçu de façon bourgeoise comme la potiche qu’on place sur un dessus de cheminée, et moins encore une « industrie » dont l’avenir est dans le numérique, comme le croit Fleur Pellerin. La culture – je dis la culture, pas les « produits culturels » – est ce qui permet à l’homme d’acquérir une forme intérieure. Bernanos disait qu’« on ne comprend rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». C’est exactement cela.
Autrefois, il fut prétendu que la photo allait détrôner la peinture, que le cinéma allait tuer le théâtre, que la télévision allait achever le septième art, et que les vidéo-clubs ne feraient qu’une bouchée des salles de cinéma. À l’heure d’Internet et de la VOD, qui va tuer qui ?
Les nouveaux procédés techniques ne font pas forcément disparaître les précédents, mais ils les transforment. Lorsqu’il a perdu le monopole de l’image qui bouge au profit de la télévision, le cinéma a considérablement changé. Revoyez Ginger et Fred de Fellini ! De même, l’œil de l’Homo numericus qui balaie l’écran d’une tablette n’est pas l’œil qui découvre peu à peu une page imprimée. André Suarès écrivait en 1928 : « Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l’homme libre. Si l’homme tourne décidément à l’automate, s’il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d’un écran, ce termite finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront : il se laissera manier l’esprit par un système de visions parlantes […] Tout y sera, moins l’esprit. Cette loi est celle du troupeau. » Le plus grand risque pour l’homme d’aujourd’hui est d’adopter un comportement technomorphe qui étouffe peu à peu ce qu’il y a en lui de proprement humain. Là, ce n’est plus Ginger et Fred qu’il faut évoquer, mais Fahrenheit 451.
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 décembre 2014)
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Réduction ad hitlerum et point Godwin : armes de disqualification massive ?...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la reductio ad hitlerum, une arme qui commence sérieusement à s'user...
Réduction ad hitlerum et point Godwin : armes de disqualification massive ?
Dans les années 1970, Jacques Chirac était dessiné par Cabu en chemise noire dans Le Canard enchaîné, puis Jean-Marie Le Pen en chemise brune en une du Monde sous la plume de Plantu. Est-ce bien sérieux ?
Ce n’est pas sérieux, mais c’est révélateur. Il est aujourd’hui admis que le nazisme a été le mal absolu (une expression qui laisse d’ailleurs songeur, car on ne voit pas comment il pourrait y avoir quelque chose d’absolu dans les affaires humaines). Pour délégitimer, décrédibiliser, disqualifier, rendre infréquentable un adversaire, il est donc éminemment rentable de laisser entendre ou de prétendre qu’il a quelque chose à voir avec ce détestable régime totalitaire, disparu depuis près de soixante-dix ans, mais qui n’en incarne pas moins toujours le Diable. Rappelez-vous le slogan de mai 68 : « CRS = SS ». Depuis lors, tout ce que l’idéologie dominante voue aux gémonies a été assimilé à « Hitler », lequel a ainsi entamé une belle carrière posthume. On a jeté l’opprobre sur d’immenses écrivains en se focalisant sur un moment passé de leur existence. On a représenté Nasser, Saddam, Kadhafi, Bachar el-Assad et même Poutine comme de « nouveaux Hitler ». On a abusé du raisonnement pars pro toto : « Vous aimez les chiens ? Tiens, tiens, Hitler aussi les aimait beaucoup… » Au fil du temps, ce que Leo Strauss appelait la reductio ad hitlerum est ainsi devenue un procédé économique, car permettant d’éviter tout débat (dans la doxa actuelle, comme vous le savez, il n’y plus d’idées justes ou d’idées fausses, mais seulement des idées « bonnes » ou « mauvaises »), auquel recourent avec une belle régularité tous les esprits paresseux. La conversation est ainsi reconduite à un objet répulsif destiné à susciter l’horreur ou l’effroi, ce qui permet de mettre partout le signe « égal » et de créer des synonymes inexistants. D’où le fameux « point Godwin », ce point que l’on est censé marquer quand on est parvenu à nazifier l’adversaire, sans craindre, tant le procédé est usé, de se rendre soi-même ridicule.
C’est l’avocat new-yorkais Mike Godwin qui en avait énoncé le principe, en 1990, en observant que plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant Hitler ou le nazisme devient certaine. Aujourd’hui, le délai s’est singulièrement raccourci : compte tenu de l’usure des mots, on monte tout de suite aux extrêmes. Éric Zemmour, Alain Finkielkraut ou Élisabeth Lévy ne sont eux-mêmes pas épargnés : il suffit de recourir à l’inusable antienne de la « haine de soi » pour les représenter en « Juifs antisémites ». Le même procédé s’étend aussi bien sûr aux courants idéologiques, comme en témoignent les grotesques appellations de « rouges-bruns », d’« islamofascisme » ou de « nazislamisme ». Voici deux ans, lorsque l’écrivain Richard Millet avait dû faire face à la meute des critiques, un journaliste hurluberlu n’avait même pas hésité à dire qu’il était « pire que Hitler » ! C’est quoi, « pire que Hitler » ? Plus noir que noir ?
Ce procès permanent en éternel « retour du nazisme », cette arlésienne de cafés du commerce ont-ils pour seule fonction de délégitimer ceux dont on se refuse à entendre les arguments ?
Ce peut être aussi, à l’inverse, une légitimation historique rétrospective. Durant la Seconde Guerre mondiale, les démocraties occidentales se sont alliées à un totalitarisme – le communisme soviétique stalinien – pour en abattre un autre – le totalitarisme hitlérien. Il est vital que l’opinion reste convaincue que c’était le bon choix. C’est pourquoi l’inflation de la mémoire du nazisme contraste en permanence avec la suramnésie du communisme. Si critiquable qu’il ait pu être, le communisme doit toujours apparaître comme « moins pire » que le nazisme. Mais la légitimation s’applique aussi aux temps présents, quand il s’agit de faire accepter leur sort à ceux qui pâtissent le plus de l’existence : il faut qu’il y ait un mal absolu pour que l’abjection de la société présente leur devienne acceptable. On ne vit pas dans le meilleur des mondes, mais au moins on échappe au pire !
Le problème est évidemment que, si le nazisme est partout, il n’est plus nulle part. Faire un incessant parallèle entre Hitler et Le Pen ne revient-il pas à banaliser le nazisme, alors que les mêmes accusent l’ancien président du Front national de faire de même ?
Il est en effet difficile d’assurer que le nazisme fut un mal absolu, dont le système concentrationnaire a représenté un degré d’inhumanité « unique », et en même temps de prétendre qu’il resurgit partout. Le procédé est en outre des plus pervers, car si le « nazisme », c’est aujourd’hui Marine Le Pen ou Zemmour, beaucoup de gens vont finir par se dire que le nazisme n’était finalement pas si mal que ça ! À cela s’ajoute encore le grotesque de la posture antifasciste à une époque où la résistance à ce fantôme vaut certificat de bien-pensance médiatique, sans faire courir aucun des risques réels que couraient les antifascistes réels au temps du fascisme réel. La banalisation, enfin, est aussi celle des mots. À force d’invoquer le loup, le loup ne fait plus peur à personne. La dévaluation du langage est comme celle de la monnaie : sa valeur d’usage finit par tomber à zéro. Les épithètes autrefois disqualifiantes font maintenant hausser les épaules. « Le nazisme revient » : tout le monde s’en fout. Passons à autre chose !
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 décembre 2014)
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Voyous à capuche et prédateurs financiers...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux liens étroit existant entre le capitalisme financier et la criminalité...
Plus dangereux que les voyous à capuche… les prédateurs financiers !
Alors qu’il se rendait à la Défense, notre collaborateur Xavier Raufer s’est un jour égaré du côté de Nanterre. Il demande alors son chemin à quelques voyous à capuche qui le reconnaissent aussitôt, puisque souvent vu à la télévision. Ils admettent le bien-fondé de son travail de criminologue, mais lui assurent que les vrais voyous sont là-bas, au sommet des tours de cette même Défense. Et Xavier Raufer d’avouer : « Le pire, c’est qu’ils ont raison… » Que vous inspire cette anecdote concernant la délinquance des « cols blancs » ?
Les « voyous à capuche » ne s’y trompent pas : ils savent où sont les « caïds ». N’a-t-on pas appris encore tout récemment que, grâce à des accords fiscaux secrets signés depuis 2002 par le Luxembourg, quelque 340 firmes transnationales (et non des moindres : Pepsi, Apple, FedEx, LVMH, AXA, la BNP, le Crédit agricole, la Banque populaire, etc.) ont pratiquement pu échapper à l’impôt, ce qui a fait perdre plusieurs dizaines de milliards d’euros de recettes fiscales aux États sur le territoire desquels elles réalisent leurs bénéfices ? Or, lesdits accords (« tax rulings ») ont été signés avec la bénédiction du nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui, en tant que Premier ministre du Luxembourg, a ainsi couvert de son autorité une vaste opération de spoliation « légale » des États. « Que dire d’une Europe qui prend le visage de M. Juncker, un homme qui, à la tête du gouvernement luxembourgeois, a organisé le pillage fiscal méthodique de tous les autres pays européens ? » a très justement déclaré Henri Guaino. Et que dire d’Emmanuel Macron qui, en visite à Bruxelles, a tenu à lui réaffirmer toute sa « confiance » ?
Mais ce n’est là que la pointe émergée de l’iceberg. On pourrait tout aussi bien évoquer la façon dont les banques d’affaires ont, après avoir reçu des milliers de milliards de dollars de la part des banques centrales pour faire face à la crise financière de 2008, détourné la plus grande partie de cette manne, théoriquement destinée à faire repartir l’économie réelle, pour l’investir dans des marchés jugés plus rentables et des spéculations douteuses.
Pourquoi en parle-t-on si peu ?
On en parle de temps à autre, mais cette délinquance là ne gêne personne, parce que personne ne la voit. Les requins de la finance ne pourrissent pas la vie des « honnêtes gens » dans la rue, ils ne sont responsables d’aucune « incivilité », ils ne tuent pas pour s’emparer d’un téléphone portable ou pour une cigarette refusée. Ils font simplement à grande échelle ce que les racailles font dans le style besogneux. Ce sont des industriels de la prédation, quand les autres ne sont que de petits artisans. En matière de fraude fiscale, Jérôme Cahuzac et Thomas Thévenoud ont également beaucoup fait parler d’eux, alors qu’à côté des multinationales, ils ne représentent même pas la moitié d’une virgule dans une note de bas de page.
Il semble qu’argent « sale » et argent « propre » coexistent de plus en plus, au point que les pandores ont le plus grand mal à s’y retrouver.
Voyez la banque HSBC (Hongkong and Shanghai Banking Corporation), qui vient d’être inculpée pour des faits de fraude fiscale aggravée, de blanchiment d’argent sale et même d’organisation criminelle, suite à une enquête ouverte en Belgique il y a plusieurs années. C’est en effet l’un des traits caractéristiques de la grande criminalité internationale que profits licites et illicites se mêlent désormais dans une vaste zone grise où les radars ne permettent même plus de piloter à vue.
Le grand public, qui ne réalise pas l’ampleur de cette criminalité transnationale (où la contrefaçon, pour ne citer qu’elle, est en passe de détrôner le trafic de drogue), ne sait pas non plus que la délinquance en col blanc échappe le plus souvent à toute sanction. Les chiffres dont on dispose donnent pourtant le vertige. D’après le FMI, sur un PIB mondial qui se montait en 2006 à 48.144 milliards de dollars (39.000 milliards d’euros), l’argent volé, détourné ou évadé n’a pas représenté moins de 1000 à 2.500 milliards de dollars (800 à 2.000 milliards d’euros). À eux seuls, les échanges internes des multinationales, dont les filiales s’activent pour échapper à l’impôt, représentent de 700 à 1000 milliards de dollars (560 à 800 milliards d’euros) par an. D’autres auteurs estiment que l’argent blanchi dans le monde représente 800 milliards de dollars (650 milliards d’euros) par an. L’économiste Gabriel Zucman évalue de son côté l’argent caché dans les paradis fiscaux à près de 8.000 milliards d’euros, ce qui représente pour les États une perte annuelle d’environ 130 milliards d’euros, dont 17 milliards pour la France. On est loin du casseur de banlieue, pour ne rien dire du Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica (1948) ! Nous sommes aujourd’hui à l’époque de la prédation généralisée.
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 23 novembre)