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alain de benoist - Page 33

  • Quand la guerre au chromosome Y est déclarée...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque les délires du féminisme. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Dans la nouvelle guerre des sexes, l’homme est appelé à la rédemption en se défaisant de son identité… »

    Le féminisme d’autrefois luttait pour faire avancer les droits des femmes. L’actuel néoféminisme en vient maintenant à nier les notions mêmes de masculinité et de féminité. Comment expliquer ce glissement ?

    Il s’est produit en deux temps. Dans un premier temps, les féministes de tendance universaliste (celles qui conçoivent l’égalité comme synonyme de mêmeté) ont voulu montrer que les femmes étaient « des hommes comme les autres ». Il s’agissait, par exemple, de prouver qu’il n’y a pas de métier réservé par nature à l’un ou l’autre sexe, qu’il peut y avoir des femmes soldats, des femmes pilotes d’avion, etc. Pourquoi pas ? Mais évidemment, s’il n’y a plus de « métiers d’hommes », il n’y a plus que des métiers unisexes. Parallèlement, on a exigé la parité dans tous les domaines, en présupposant que les deux sexes ont, non seulement les mêmes capacités, mais aussi les mêmes appétences et les mêmes aspirations. Cette exigence s’est progressivement généralisée jusqu’à l’absurde – même s’il n’y a pas encore beaucoup d’éboueuses ou de sages-hommes ! Bien entendu, l’absence de parité n’est présentée comme choquante que là où elle s’exerce au bénéfice des hommes : que la magistrature soit féminisée à 66 % (plus de 86 % chez les 30-34 ans), le personnel de l’Éducation nationale à 68 % (82 % dans l’enseignement primaire) ne suscite pas la moindre protestation. Quand on regarde, aujourd’hui, un téléfilm policier, on a même du mal à imaginer qu’il y a aussi des hommes dans la police nationale !

    Les choses se sont aggravées avec la théorie du genre, qui nie que le sexe biologique soit un élément déterminant de la vie sexuelle, en fait une « construction sociale », et lui oppose la multiplicité des « genres ». L’idée générale est, ici, qu’à la naissance, tout le monde est plus ou moins transsexuel. Vous aurez noté l’importance du « trans » dans le discours LGBTQI+ : bien que les véritables transsexuels ne soient qu’une infime minorité, le recours à la vision « queer » du monde permet d’affirmer que tout est dans tout et inversement. Des enfants de quatre ou cinq ans se voient ainsi expliquer qu’ils peuvent choisir leur « genre » à leur gré.

    Les notions de masculinité et de féminité sont donc en effet niées, mais en même temps, sous l’influence du politiquement correct, on ne cesse de ressusciter le masculin pour le mettre en accusation. D’un côté, on affirme que le biologique ne détermine rien du tout, de l’autre que l’homme est par nature un violeur potentiel et que le patriarcat (la « culture du viol ») est en quelque sorte inscrit dans ses gènes. On conteste l’idée d’un « éternel féminin » mais on essentialise le mâle au motif qu’il n’a cessé, de tout temps, de se montrer agressif et « dominant ».

    On s’oriente alors vers une dévaluation générale de la masculinité ?

    Oui, on peut même dire que la guerre au chromosome Y est déclarée. Non seulement il faut traquer le « sexisme » jusque dans ses manifestations les plus anodines, puisqu’il y aurait continuité du « harcèlement » jusqu’au « féminicide », mais il faut tout faire pour que les hommes renoncent à leur virilité – ce qu’on appelle, désormais, la « masculinité toxique ». Hier, les femmes voulaient être « des hommes comme les autres », aujourd’hui, ce sont les hommes qui doivent apprendre à devenir « des femmes comme les autres ». La masculinité devient une condition pathologique. Nouveau mot d’ordre orwellien : l’homme est une femme (Dieu aussi, sans doute – lesbienne, de surcroît). Les hommes doivent donc se féminiser, cesser de « se comporter comme des hommes », ainsi qu’on le leur recommandait autrefois, laisser libre cours à leurs émotions (larmes et jérémiades sont recommandées), faire taire leur goût du risque et de l’aventure, se tourner vers les produits de beauté (le capitalisme et la société des pousseurs de Caddie™ y trouvent leur compte) et surtout – surtout – ne jamais considérer les femmes comme un objet de désir. Nouvelle version de la guerre des sexes, où l’ennemi est appelé à la rédemption en se défaisant de son identité.

    Les précieuses ridicules de l’écriture inclusive et les mères fouettardes du « girl power » exigent désormais des hommes qu’ils se rallient à l’« intersectionnalité » des luttes « décoloniales », qu’ils communient dans une vertueuse dévotion pour les « vainqueuses » du foot féminin, qu’ils militent pour l’« élargissement de la visibilité des sexualités alternatives » et se mobilisent contre la « précarité menstruelle », en attendant sans doute de se convertir à l’androgynat généralisé dans un monde transformé en gynécée régi par Big Mother, l’État thérapeutique prescripteur de conduites. Halte aux « cisgenres », place aux « non-binaires », aux « gender fluid » qui ont su s’extraire des stéréotypes de l’univers « hétérocentré » !

    Telle est la raison pour laquelle notre époque n’aime pas les héros, leur préférant les victimes. Voyez la façon dont, lors des cérémonies de la fin du centenaire de la Première Guerre mondiale, on s’est employé à « démilitariser » l’événement, en célébrant le « retour de la paix » pour ne pas avoir à parler de la victoire. Comme si les poilus voulaient seulement que les combats s’arrêtent sans se soucier de savoir qui finirait par gagner la guerre ! Certes, les classes populaires admirent spontanément l’héroïsme du colonel Beltrame ou celui des deux commandos marine tués au Mali, Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello. L’esprit du temps, lui, appelle plutôt à se reconnaître dans le travesti Bilal Hassani, « représentant de la France » à l’Eurovision et titulaire du « prix LGBTI » de l’année. Ce n’est pas tout à fait la même humanité.

    Vous parlez de dévaluation de l’héroïsme. Mais alors, comment expliquer au cinéma la vogue des « super-héros » ? Une forme de compensation ?

    Sans doute, mais là n’est pas l’essentiel. Il faut bien voir, en fait, que le super-héros n’est pas un héros à l’exponentielle, mais le contraire même du héros. Le héros est une figure tragique. C’est un homme qui a choisi d’avoir une vie glorieuse mais brève, plutôt qu’une vie confortable mais quelconque. Le héros est un homme qui sait qu’un jour ou l’autre, il devra donner sa vie. Rien de tel chez Iron Man, Superman, Spiderman et autres tristes productions de chez DC ou Marvel. Ce ne sont pas des héros parce qu’ils sont invincibles, qu’ils ne ressentent pas la moindre peur, qu’il n’y a rien de tragique en eux. Ce ne sont des surhommes que sous l’angle de la testostérone. Au sens propre, ce sont des « hommes augmentés », tels que se les représentent les tenants du « surhumanisme ». On est à mille lieues d’Achille ou de Siegfried.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 23 juin 2019)

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  • Le mythe du “couple franco-allemand”...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question des relations franco-allemandes. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Le “couple franco-allemand” est un mythe ! »

    Rien ne va plus, apparemment, entre Emmanuel Macron et Angela Merkel, qui reconnaissaient récemment que leurs « différences de mentalités » ont abouti à des « confrontations ». Le couple franco-allemand serait-il au bord du divorce ?

    Le « couple franco-allemand » est un mythe. Cette expression, née sous Giscard, n’est d’ailleurs presque jamais employée en Allemagne. Il ne faut pas se raconter d’histoires : que ce soit avec Mitterrand et Helmut Kohl, Chirac et Gerhard Schröder, Pompidou et Willy Brandt, et même avec le général de Gaulle et Konrad Adenauer, la convergence de vues entre la France et l’Allemagne n’a jamais été totale. L’idée d’un « couple » franco-allemand est seulement née de l’idée que les deux plus grands pays d’Europe ont, en principe, tout intérêt à s’associer. « N’oubliez jamais, disait le général de Gaulle, que pour la France, il n’y a pas d’alternative à l’amitié avec l’Allemagne. ». Si l’on s’étonne, aujourd’hui, d’un possible « divorce », c’est que les positions de Merkel et de Macron paraissaient très proches au lendemain de l’élection présidentielle de 2017. Depuis, le Président français a déchanté : les Allemands ne l’ont suivi pratiquement sur aucune de ses propositions. Angela Merkel est également déçue : elle pensait collaborer avec un chef d’État crédible, elle réalise qu’elle est tombée sur un « communicant » narcissique, instable et psychorigide.

    84 % des Français ont, aujourd’hui, une « bonne image » de l’Allemagne, mais ils n’ont jamais très bien compris comment pensent les Allemands. Les Allemands, de leur côté, adorent la France, mais la trouvent également éruptive, imprévisible, irréformable ; bref, pas très sérieuse. Enfin, la France et l’Allemagne ne se sont jamais fait la même idée de la construction européenne. Pour les Français, c’était un facteur de prestige et un instrument d’influence ; pour les Allemands, un vecteur de respectabilité lui permettant de solder définitivement son passé. Leurs intérêts, leurs objectifs et leurs orientations ne sont pas, non plus, les mêmes. Les Allemands, pour ne donner que cet exemple, n’ont jamais imaginé l’avenir de l’Europe autrement qu’en étroite alliance avec les Américains. Le nouveau traité franco-allemand signé en janvier dernier à Aix-la-Chapelle ne prévoit, à cet égard, rien qui puisse sérieusement réduire ces divergences.

    La France et l’Allemagne s’affrontent, d’ailleurs, maintenant sur la répartition de nombreux postes européens. Pour remplacer Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne, la chancelière, qui n’a pas apprécié de voir Macron prendre ses distances vis-à-vis du groupe PPE, s’en tient à la règle du « Spitzenkandidat » et soutient la candidature du Bavarois Manfred Weber, tandis que Macron souhaite voir confier le poste au Français Michel Barnier.

    Que ce soit au Parlement européen, à la Commission européenne ou à la Banque centrale européenne, l’Allemagne pèse aujourd’hui plus que la France. On parle aussi d’une « mutualisation » du siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU ? Vous êtes de ceux qui s’en inquiètent ?

    Même si le mur de Berlin n’est visiblement pas encore tombé dans toutes les têtes, il serait peut-être temps d’admettre que l’Allemagne ne sera jamais la principauté du Liechtenstein ! C’est vrai qu’elle est, aujourd’hui, grâce au dynamisme de ses Länder, la principale puissance économique et industrielle d’Europe, même si elle commence à s’essouffler et que les perspectives démographiques lui sont très défavorables. Mais si l’on trouve, en France, que l’Allemagne pèse trop lourd, que devraient dire les Danois ou les Islandais ? Les Allemands, de leur côté, ont le sentiment qu’ils sont la vache à lait de tous les nécessiteux européens, à commencer par les « pays du Club Med ». Ils aiment à citer le « modèle Arte » : sur la chaîne de télévision franco-allemande, ce sont les Français qui décident des programmes et c’est l’Allemagne qui paie ! Ce n’est, en fait, pas l’Allemagne qui est trop forte, mais ses partenaires qui sont trop faibles. Souvenez-vous de ce que disait Jean Mistler, en 1976 : « L’Europe serait presque parfaite si les Français restaient chaque jour une heure de moins au bistro et les Allemands une heure de plus au lit ! »

    Le Conseil de sécurité des Nations unies est clairement daté, puisqu’il réunit uniquement les grands pays vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale et ne reflète donc pas l’ordre du monde actuel. L’Allemagne y aurait parfaitement sa place, de même que deux ou trois autres pays. Paris et Berlin peuvent en avoir la « volonté commune » sans que cela signifie un siège commun. Un siège « partagé » entre la France et l’Allemagne n’aurait, en revanche, aucun sens.

    Les souverainistes, qui sont les premiers à s’émouvoir de la « domination allemande », n’ont jamais compris que l’Allemagne aurait bien moins de poids dans une véritable Europe fédérale que dans l’Europe des nations qu’ils appellent de leurs vœux. C’est précisément la raison pour laquelle l’Allemagne a rejeté toutes les propositions macroniennes visant à accélérer la fédéralisation (création d’un budget et d’un Parlement de la zone euro, etc.). L’Allemagne se satisfait très bien de l’Europe telle qu’elle est.

    Aujourd’hui, quelle marge de manœuvre pour Macron en Europe ?

    Macron a cru, un certain temps, à une alliance privilégiée avec les Anglais, mais le projet a avorté en raison du Brexit. Alors qu’il se présentait après son élection comme le sauveur de l’Europe, il s’y retrouve aujourd’hui de plus en plus isolé. Il s’est brouillé avec l’Italie, il s’est brouillé avec la Hongrie, il s’est brouillé avec la Pologne – et ni Trump ni Poutine ne sont disposés à l’aider. À l’heure actuelle, il ne peut guère compter que sur l’appui des Premiers ministres espagnol et portugais, pour ne rien dire du très démonétisé « Belgicain » Charles Michel. Quant à Angela Merkel, elle est maintenant sur le départ et l’on sait déjà que la nouvelle patronne de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, ne sera pas un partenaire facile pour le Président français.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 juin 2019)

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  • L'islamophobie ? Un terme piégé !...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question de l'islamophobie. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « L’islamophobie ? Un terme piégé ! »

    L’islamophobie, mot récent et assez flou, tend à envahir l’espace public. Il est même désormais dans le dictionnaire. Mais, au fond, qu’est-ce que cela veut dire ?

    Au sens propre, le terme fait allusion à la peur ou à la répulsion (phobos), mais l’idéologie dominante préfère le tirer vers la détestation et la haine. La peur étant contagieuse et la haine suscitant la haine, il manque évidemment un terme pour désigner l’effet de réciprocité. Cela dit, il y a bien entendu des gens qui haïssent par principe l’islam et tout ce qui s’y apparente, et leurs obsessions convulsives inondent tous les jours les réseaux sociaux. Mais, en réalité, vous le savez bien, la dénonciation contemporaine des « phobies » fait surtout partie d’une tactique désormais bien rodée consistant à faire usage d’un mot-repoussoir pour développer une rhétorique lacrymale, délégitimer radicalement certaines positions et placer en état de sidération ceux qui pourraient tenter de s’y rallier. Cela vaut pour l’islamophobie comme pour l’homophobie, la gynophobie, la judéophobie, la cathophobie, l’américanophobie, la transphobie, la grossophobie, et j’en passe (n’oublions pas la trypophobie, qui est la phobie des trous !).

    Dans le cas de la dénonciation de l’« islamophobie », il s’agit d’abord de faire apparaître toute critique, même modérée, de l’islam comme moralement insupportable, politiquement odieuse et pénalement répréhensible. Selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), les Français seraient ainsi « islamophobes » à 86 % concernant le port du voile intégral, mais seulement à 24 % concernant le jeûne du ramadan (on ne précise pas si l’« islamophobie » baisse encore, s’agissant des jolies Beurettes). Dans son livre récent, Islamophobie : intoxication idéologique, Philippe d’Iribarne montre parfaitement que l’usage de ce mot a deux objectifs : persuader les musulmans qu’ils font l’objet d’une discrimination omniprésente et sont donc des victimes (aujourd’hui, on passe tout aux victimes) et entretenir chez les Européens un sentiment de culpabilité qui les rende incapables de voir la réalité telle qu’elle est.

    Si l’on pense, par exemple, qu’il y a nécessairement un rapport entre l’islam et le djihadisme, puisque, jusqu’à plus informé, c’est d’Allah que les terroristes islamistes se réclament et non de Jupiter ou du bouddhisme zen, alors on est présumé faire un « amalgame » et appeler à la haine contre les musulmans, ce qui est ridicule. On se retrouve ainsi coincé entre ceux pour qui « ça n’a rien à voir » et ceux, pareillement aveugles, pour lesquels tout s’explique par les sourates du Coran. Ceux, dont je suis, qui estiment qu’aucune religion ne doit être statutairement mise à l’abri de la critique (ce qui vaut aussi pour des religions séculières comme la religion des droits de l’homme, la religion du progrès ou la religion du profit), se retrouvent sommés de choisir entre des slogans simplificateurs tout aussi inacceptables.

    L’appel de Christchurch, rassemblant chefs d’État et grands patrons du Web, a été lancé après le massacre de 51 musulmans commis le 15 mars dernier par le nommé Brenton Tarrant dans deux mosquées néo-zélandaises. Un exemple de détestation radicale de l’islam, inspiré des actes d’Anders Behring Breivik ?

    Sauf erreur de ma part, Breivik n’a jamais tué un seul musulman. Il s’en est pris à ceux de ses compatriotes qu’il jugeait favorables à l’immigration. Concernant l’exemple suivi par Brenton Tarrant, il vaudrait mieux chercher ailleurs.

    Le 25 février 1994, un extrémiste juif orthodoxe nommé Baruch Goldstein faisait irruption à Hébron, dans le tombeau des Patriarches, et y massacrait à l’aide d’un fusil d’assaut 29 musulmans palestiniens en prière, hommes, femmes et enfants, en blessant plus ou moins gravement 125 autres. Ce geste me paraît très comparable à celui de Tarrant. La différence est qu’aujourd’hui, le nom de Brenton Tarrant est honni dans le monde entier, tandis qu’en Israël, la tombe de Baruch Goldstein est devenue un lieu de pèlerinage pour un certain nombre de colons israéliens qui le considèrent comme un « héros ». Il y a eu un appel de Christchurch, il n’y a jamais eu d’appel de Hébron.

    Parler d’« islamophobie » plutôt que d’hostilité à l’islam ou de détestation des musulmans, cela change quoi ?

    Cela change tout. Chacun a ses dilections et ses détestations, rationnelles ou irrationnelles, sympathiques ou antipathiques, justifiées ou parfaitement injustifiées, et chacun devrait être libre de les exprimer, ce qui n’implique évidemment pas qu’on soit tenu de les partager. La phobie, considérée par Freud comme le symptôme d’une « hystérie d’angoisse » et fréquemment associée à la névrose, est un terme de psychologie clinique. Qualifier une détestation de « phobie » revient à médicaliser ce qui n’est, en définitive, qu’une opinion (qu’on peut elle-même juger détestable). La conséquence perverse est qu’il devient dès lors impossible d’en démontrer la fausseté : on ne réfute pas une maladie. Il en va de même chaque fois que l’on choisit, non plus de médicaliser, mais de criminaliser. Dès l’instant où l’on affirme que telle ou telle opinion n’est « pas une opinion mais un crime », on s’interdit du même coup de la réfuter, car on n’argumente pas avec le crime. Dans les deux cas, le débat est impossible et la liberté de l’esprit se retrouve bafouée.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 juin 2019)

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  • Portrait de Joseph de Maistre...

    Dans ce nouveau numéro de l'émission de TV Libertés, « Les idées à l’endroit », Alain de Benoist reçoit Rémi Soulié, essayiste, Axel Tisserand, historien des idées, et Luc-Olivier d'Algange, écrivain et poète. Ensemble, ils évoquent l'écrivain et penseur contre-révolutionnaire Joseph de Maistre.

     

     

                                        

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  • Quand le monde des vieux partis est en train de disparaître...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque les résultats des dernières élections européennes... Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « le monde des vieux partis est en train de disparaître ! »

    Pour la première fois depuis longtemps, voire pour la première fois tout court, deux intellectuels, Raphaël Glucksmann et François-Xavier Bellamy, figuraient parmi les têtes de liste aux élections européennes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

    Cela n’a apparemment pas porté bonheur aux partis qui s’étaient adressés à eux ! L’un et l’autre se trouvent en effet associés à un échec retentissant.

    L’essayiste bobo Raphaël Glucksmann, libéral de gauche, avait déjà coulé le Magazine littéraire, il n’obtient que 6,1 % des voix avec sa liste « Envie d’Europe », qui n’a visiblement pas fait envie à grand monde. Alors qu’il voulait « reconstruire la gauche », pieux souhait s’il en est, il s’est retrouvé comme un petit ours polaire sur une banquise en train de fondre, godillant comme il le pouvait entre les écologistes, les insoumis, l’« Europe des gens » de Ian Brossat et la « liste citoyenne » de Benoît Hamon, pour ne rien dire des « animalistes » qui, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, ne soutenaient pas la dame Loiseau. La « gauche » se retrouve éclatée comme jamais. C’est pathétique.

    Le cas des Républicains est encore pire. François-Xavier Bellamy, jeune philosophe de talent, n’a certes pas démérité, mais les résultats qu’il a obtenus (8,4 % des voix) sont une catastrophe comme on en a rarement vu. La droite bourgeoise, qui aurait pu être sensible à son côté bien élevé, a préféré rallier Macron, au point que le petit prince-philosophe a même été battu dans son fief versaillais. Quant aux classes populaires, qu’il n’avait évidemment rien pour séduire, elles lui ont visiblement préféré un candidat encore plus jeune que lui, Jordan Bardella, qui a grandi dans les cités « difficiles » de Drancy, et non dans les beaux quartiers.

    Bruno Retailleau a tenté d’expliquer l’échec en disant que Bellamy avait été une victime collatérale du duel Macron-Le Pen. Après quoi les dirigeants de LR ont répété leurs mantras habituels : on va « convoquer des états-généraux pour refonder la droite », on va « retrouver nos valeurs », on va « rassembler » Nadine Morano et Valérie Pécresse, et autres calembredaines. Bref, on va maintenir l’équivoque et continuer à tourner en rond. Ces gens-là sont incorrigibles : ils n’ont pas compris qu’ils vont connaître le sort du PS parce que le monde des vieux partis est en train de disparaître. Ils n’ont pas compris que, dans le monde actuel, on ne peut atteler au même cheval la droite et le centre, les conservateurs et les libéraux. C’est tout aussi pathétique.

    De façon plus générale, est-ce le rôle des intellectuels de chercher à faire une carrière politique ? Vous avez naguère écrit que les intellectuels et les politiques vivaient sur deux planètes différentes, les premiers ayant tendance à complexifier les choses, les seconds à les simplifier pour d’évidentes raisons électorales. Ces deux mondes ne sont pourtant pas totalement étanches…

    Il y a une différence bien connue entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. “Cela ne signifie pas”, disait Max Weber, “que l’éthique de conviction est identique à l’absence de responsabilité et l’éthique de la responsabilité à l’absence de conviction”. Il faut au contraire souhaiter que les hommes politiques aient des convictions fortes, et tenir compte aussi de ce qu’il est parfois nécessaire de théoriser la praxis. Mais il reste que la politique est l’art du possible (ou de rendre possible ce qui est nécessaire), tandis que la théorie cherche à dire le vrai sans toujours se soucier des conséquences.

    Les intellectuels peuvent parfaitement s’engager en politique, mais s’ils en font une carrière, ils ne pourront plus assumer leur rôle d’intellectuels. Ils devront participer à toutes sortes de magouilles auxquelles ils répugnent (ou devraient répugner). Ils devront s’abstenir d’exprimer trop fortement leurs opinions personnelles, et s’ils n’y consentent pas, on leur fera très vite comprendre, comme cela a été maintes fois le cas, que leur place est ailleurs.

    N’oublions pas en outre que nous ne sommes plus à l’époque où les intellectuels jouaient encore le rôle de grandes consciences morales ou de porte-parole des sans-voix. Aujourd’hui, il n’y a plus d’Émile Zola, de Jean-Paul Sartre, de Raymond Aron ni même de Michel Foucault. Il y a une multitude d’auteurs de talent, mais qui n’influencent pas vraiment le cours du temps. La figure de l’intellectuel a largement été détrônée au profit de l’« expert », quand ce n’est pas au profit de l’amuseur public ou de l’imposteur. Il faut donc revenir à l’essentiel. Le rôle d’un théoricien, c’est d’abord de produire une œuvre qui expose sa conception du monde, sa conception de l’homme et de la société. Le rôle d’un intellectuel, c’est d’analyser le monde actuel pour aider à comprendre le moment historique que l’on vit. Cela ne l’empêche évidemment pas de donner un avis ou de signer des pétitions !

    J’en conclus, avec un sourire, que vous n’accepteriez pas de figurer sur une liste électorale ?

    En effet, et pour au moins trois raisons. La première est que je ne suis pas un homme de puissance, mais un homme de connaissance. La seconde est que je ne suis pas un acteur, mais un observateur de la vie politique. La troisième, pour être franc, est que je trouve la politique au jour le jour extrêmement ennuyeuse et qu’elle ne vient pas, et de loin, au premier rang de mes centres d’intérêt.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 30 mai 2019)

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