Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

alain de benoist - Page 30

  • Avec la surpopulation, c’est un monde invivable qui se dessine…

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question de la surpopulation. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

    Alain de Benoist 2.jpg

     

     

    Alain de Benoist : « Avec la surpopulation, c’est un monde invivable qui se dessine… »

    La population mondiale ne cesse d’augmenter. La procréation, par nature, peut être exponentielle, alors que les ressources terrestres ne le sont pas. C’est ce que disait déjà Malthus, dont certains pensent qu’il n’a jamais eu que le tort d’avoir raison trop tôt. Aujourd’hui, y a-t-il péril en la demeure ?

    Passé un certain seuil, toute augmentation en nombre entraîne un « saut qualitatif » qui se traduit par un changement de nature. Comme chacun le sait, la population mondiale augmente régulièrement, mais, surtout, elle augmente de plus en plus vite. Vers 1700, on comptait moins de 700 millions d’habitants sur Terre. En 1900, on en était à 1,6 milliard. Aujourd’hui, avec plus de 250.000 naissances par jour, on a dépassé les 7,7 milliards. Pour la fin du siècle, les estimations moyennes tournent autour de douze milliards, les estimations hautes autour de seize milliards. Bien entendu, on peut discuter à perte de vue sur le nombre de bipèdes qui peuvent vivre sur cette planète. La seule chose qui est sûre, c’est qu’il y a une limite : pas plus qu’il ne peut y avoir de croissance matérielle infinie dans un espace fini, la population ne peut s’accroître indéfiniment sur une étendue limitée. Malheureusement, nous sommes à une époque qui ne supporte pas les limites. Malthus (Essai sur le principe de population, 1803) ne se préoccupait que de l’épuisement des ressources. Aujourd’hui, c’est le nombre qui, à lui seul, pose problème : la quantité est plus que jamais le contraire de la qualité. Avec trois ou quatre milliards de bipèdes en moins, le monde se porterait beaucoup mieux !

    La surpopulation aggrave mécaniquement tous les problèmes, en les rendant peu à peu insolubles. Elle est belligène, car la pression démographique crée des conflits nouveaux. Elle accélère l’épuisement des réserves naturelles. Elle accroît la dépendance économique et la soumission aux fluctuations ravageuses des marchés mondiaux, elle favorise les migrations de masse en provenance des pays surpeuplés, elle aggrave les effets de la surconsommation, de l’épuisement des sols, de la pollution des nappes phréatiques, de l’accumulation des déchets. Il n’y a déjà plus de réserves de productivité en matière agricole, l’extension des terres agricoles est en train d’atteindre ses limites et les ressources halieutiques des océans s’épuisent également. Plus de 90 % de toute la biomasse produite annuellement dans le monde sont d’ores et déjà exploités.

    Il est révélateur que la plupart des écologistes autoproclamés se comportent comme si la démographie et l’environnement étaient des sujets séparés, alors qu’ils sont indissociablement liés. À quoi bon parler de préservation des écosystèmes et de sauvegarde de la diversité, à quoi bon s’inquiéter de la gestion des déchets et des effets de la combustion des énergies fossiles si la croissance démographique entraîne toujours plus de pollutions et de déchets et que l’espace laissé aux espèces sauvages est appelé à disparaître ? À quoi bon vouloir limiter les émissions de gaz à effet de serre si on ne limite pas aussi la population ? Dans trente ans, du fait de l’accroissement naturel et de l’exode rural, 68 % de la population mondiale vivra dans des villes, soit 2,5 milliards d’individus de plus que maintenant. Avec des bidonvilles de plus de vingt millions d’habitants et des mégapoles de plus de cent millions d’habitants, c’est un monde proprement invivable qui se dessine.

    La mondialisation aggrave apparemment la situation, mais elle révèle aussi des disparités considérables. Au-delà de la surpopulation, n’avons-nous pas également affaire à un problème de répartition ?

    C’est évident. En 1950, avec 228 millions d’habitants, le continent africain représentait 9 % de la population mondiale. En 2017, avec 1,2 milliard d’habitants, il en représentait près de 17 %. À la fin du siècle, avec 4,2 milliards d’habitants (dont 89 % au sud du Sahara), il en représentera le tiers. Avec un taux de fécondité moyen de 4,6 enfants par femme, l’Afrique accroît sa population de 2,5 % par an, soit un doublement tous les vingt-huit ans. L’Europe, elle, ne représentait plus que 9,8 % de la population mondiale en 2017, et ce chiffre est encore appelé à baisser. Depuis la chute du mur de Berlin, l’Europe centrale et orientale a perdu 24 millions d’habitants. En France, on vient d’enregistrer la quatrième année consécutive de baisse des naissances : l’âge moyen à la maternité ne cesse de reculer et le solde naturel n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

    Le problème, ici, n’est toutefois pas d’abord le nombre, mais la détérioration de la pyramide des âges. Que l’Europe soit moins peuplée n’est pas un drame, loin de là ; ce qui est un drame, c’est qu’elle vieillit inexorablement. Cela dit, il n’est pas sérieux d’imaginer que les Européens peuvent se lancer dans une course à la concurrence démographique où ils feraient « mieux » que les 6,4 enfants par femme de la République démocratique du Congo ou les 7 enfants par femme du Niger !

    « Croissez et multipliez », lit-on dans la Genèse, adresse qui vaut tout autant pour les chrétiens que pour les musulmans et les juifs. Cet axiome religieux vous paraît-il toujours d’actualité ?

    À une époque où la plus grande partie du monde était inhabitée et où le premier impératif, pour les petites communautés existantes, était de s’étendre numériquement pour maximiser leurs chances de survie, le « croissez et multipliez » était parfaitement justifié. Le problème commence lorsqu’on ignore le contexte et qu’on soutient qu’un principe valable dans telles ou telles circonstances est à considérer comme un dogme valable en tous temps et en tous lieux. C’est la raison pour laquelle, dans nombre de milieux, la surpopulation est un sujet tabou : au nom de l’« accueil de la vie » et de la critique du « malthusianisme », on préfère se mettre un bandeau sur les yeux. Or, le laisser-faire nataliste est aujourd’hui irresponsable, et le « respect de la vie » ne saurait s’étendre à ceux qui ne sont pas encore conçus. Quelle est, alors, la solution ? Avec des mesures coercitives, la Chine est parvenue à freiner sa natalité, mais les « incitations » à ralentir la croissance démographique sont généralement des vœux pieux, surtout dans les pays où les enfants sont l’équivalent d’une assurance-vieillesse. L’émigration de masse vers d’autres planètes relève de la science-fiction. Que reste-t-il, alors ? Les épidémies, peut-être !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 25 janvier 2020)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Le modèle Macron, le peuple n’en veut pas !...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la fronde autour de la réforme des retraites. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

    Alain de Benoist 2.jpg

     

    Alain de Benoist : « Grève contre la réforme des retraites ? Le modèle Macron, le peuple n’en veut pas ! »

    En matière de retraites, Emmanuel Macron veut nous vendre un « régime universel » qui soulève une vive opposition, mais auquel on ne comprend pas grand-chose. Entre le « bonus » et le « malus », l’« âge pivot » et la « clause du grand-père », de quoi s’agit-il exactement ?

    Le dossier des retraites est en effet compliqué. Essayons donc d’aller à l’essentiel. Comme vous le savez, il faut déjà distinguer deux grandes catégories : le système par capitalisation, qui est d’essence individualiste (chacun pour soi), et l’actuel système par répartition, qui repose sur le principe de la solidarité des générations. Pour justifier la nécessité de réformer ce dernier, on invoque l’allongement de l’espérance de vie et la diminution régulière du nombre des actifs par rapport à celui des retraités. Concernant l’augmentation de l’espérance de vie, on oublie trois choses : d’abord que si la durée de vie augmente, la durée de vie en bonne santé n’augmente pas forcément au même rythme ; ensuite que, par définition, la durée de vie actuelle ne nous dit rien de ce que sera la durée de vie de la prochaine génération ; enfin que l’espérance de vie n’est pas la même pour tout le monde, puisqu’elle varie selon le sexe (les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais personne n’envisage de leur demander de travailler plus longtemps) et selon la classe sociale (l’espérance de vie d’un ouvrier est inférieure de six ans à celle d’un cadre). Quant à la diminution du nombre des actifs, on ne doit pas oublier non plus que la productivité d’un actif est aujourd’hui très supérieure à ce qu’elle était dans le passé, puisque l’on produit toujours plus de biens et de services avec toujours moins d’hommes.

    Le régime « universel » de Macron ? Dès qu’on parle de rendre quelque chose « universel », il faut se méfier. Vouloir supprimer tous les régimes spéciaux est, par exemple, parfaitement stupide et, d’ailleurs, sans doute impossible à réaliser. Il y a des régimes spéciaux qui n’ont pas (ou plus) de raisons d’être, et il faut les supprimer, mais il n’y a aucune raison de toucher à ceux qui sont parfaitement justifiés.

    Pour faire baisser la part des retraites dans le PIB (aujourd’hui 13,8 %, mais la Commission européenne voudrait la ramener à moins de 12 %) et éviter le déficit qui s’annonce (qui est, en réalité, surtout dû à la non-compensation des exonérations de cotisations sociales par l’État et à la baisse de la masse salariale de la fonction publique), le gouvernement a choisi d’imposer le modèle de la retraite à points, que réclamaient en chœur le patronat et la Commission européenne, sans oublier Laurent Berger et Thomas Piketty. C’est le pire qui existe. Dans ce système, ce n’est plus le salaire de référence mais le nombre de points accumulés qui sert de base pour chiffrer la pension. Au lieu de travailler durant un certain nombre d’années pour obtenir une retraite complète, on cotise pour acheter un certain nombre de points, la valeur de service du point n’étant connue qu’au moment du départ en retraite. Par ailleurs, toute la carrière est prise en compte dans le calcul des retraites, et non plus seulement les quinze dernières années d’activité, ce qui pénalise les carrières morcelées, notamment celles des femmes.

    On assure que la valeur du point ne baissera pas, mais cette promesse n’a aucun sens dans la mesure même où cette valeur dépend de l’évolution de la conjoncture, laquelle est largement imprévisible. En cas de crise financière généralisée, la valeur du point diminuera automatiquement. Dans les faits, tous les pays qui ont adopté le système à points ont vu la situation des retraités se dégrader. En Suède, pays cité en exemple par Macron, le montant des retraites représente, aujourd’hui, 53,4 % du salaire de fin de carrière, contre 60 % il y a encore vingt ans, et le taux de pauvreté des plus de 65 ans a atteint, en 2018, 15,8 % (contre 7,3 % pour les Français). Ce taux de pauvreté des seniors atteint 18,7 % en Allemagne, et même 21,6 % au Royaume-Uni ! En France, l’adoption de ce système devrait entraîner, pour pratiquement toutes les catégories de population, à quelques rares exceptions près, une baisse moyenne de 20 % des pensions par rapport aux salaires des actifs, ce qui incitera bien entendu à travailler toujours plus longtemps (pour acquérir un plus grand nombre de points) ou à se tourner vers la capitalisation.

    Tel est, d’ailleurs, sans doute, l’objectif réel de la réforme : inciter les salariés à jouer leur retraite en Bourse et vendre le marché des retraités aux compagnies d’assurance, aux fonds de pension et aux marchés financiers. Le 10 mars 2016, parlant devant un parterre d’organisations patronales, François Fillon avait vendu la mèche : « Le système de retraite par points, en réalité, ça permet une chose qu’aucun homme politique n’avoue : ça permet de baisser chaque année la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions. »

    Hostile au système de la retraite à points, vous soutenez donc la grève ?

    Je la soutiens à fond, bien entendu. Non seulement je la soutiens, mais j’aimerais la voir déboucher sur une grève générale ! Mais, je dois l’avouer, ce qui me choque le plus, c’est l’attitude de ces petits-bourgeois droitards qui ne manquent pas une occasion d’entonner la ritournelle des méchants grévistes qui « prennent les usagers en otages » et veulent « ruiner le pays ». Ce sont les mêmes qui condamnaient aussi les gilets jaunes. Ces gens-là, qui s’imaginent que les travailleurs en grève se privent de deux mois de salaire pour le simple plaisir d’embêter le monde, n’ont toujours pas compris que la cause majeure de nos problèmes vient de ce que nous vivons dans un monde capitaliste, dans un système de marché et dans une société d’individus. Ils ont voté Fillon, qui voulait privatiser la Sécurité sociale (ou instaurer un système de santé à deux vitesses dont profiteraient les assureurs privés), ils voteront demain Macron parce qu’à la justice sociale, ils préféreront toujours le désordre établi. S’ils le pouvaient, ils supprimeraient le droit de grève et tout le modèle social français. Ce qu’ils veulent surtout éviter, ce sont les barricades et les violences de rue. S’il y a une révolution, j’espère qu’elle les emportera.

    Après des mois de contestation des gilets jaunes, Macron doit maintenant faire face à des syndicats d’autant plus revendicatifs qu’ils sont poussés par leur base. Qu’est-ce que cela nous dit de l’état actuel du pays ?

    Cela dit tout. Une grève de cinquante jours : du jamais-vu. Des gilets jaunes qui en sont à leur 62e semaine de revendications : du jamais-vu également. Les avocats jettent leur robe publiquement, les chefs de service hospitaliers démissionnent par centaines, les paysans se suicident, les policiers aussi, les pompiers sont dans la rue, tout comme les infirmières et les enseignants. Y a-t-il, aujourd’hui, une seule catégorie sociale qui ne bouillonne pas de fureur ou de désespoir ? Ce n’est pas un hasard si la majorité des Français soutient les grévistes, tout comme elle a soutenu (et continue de soutenir) les gilets jaunes, en dépit des gênes occasionnées par le mouvement. Sauf chez les actionnaires du CAC 40, premiers bénéficiaires de la financiarisation de l’économie (qui se sont vu verser, pour 2019, le montant record de 49,2 milliards d’euros de dividendes), le pouvoir d’achat stagne et la précarité s’étend partout. La part du travail dans la valeur ajoutée est passée, en Europe, de 68 %, en 1980, à 60 %, aujourd’hui. Emmanuel Macron, qui a été placé au poste qu’il occupe pour adapter la France aux exigences du capitalisme mondialisé et d’un libéralisme qui entend laminer les protections sociales et les services publics au nom de la concurrence mondiale et de l’ouverture des frontières, a tout fait pour dresser contre lui un corps social aujourd’hui en voie de « giletjaunisation ». Le choix du système de retraite dépend, en fait, du modèle social que l’on souhaite. Le modèle Macron, le peuple n’en veut pas.

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • 2020... Les nuées s'accumulent !...

    Nuées.jpg

    " Lorsque les habitants d'un pays ne se reconnaissent plus dans les populations qui les entourent, lorsqu'ils finissent par se sentir minoritaires et bientôt étrangers chez eux, lorsque le « nous » a perdu toute signification, c'est que la limite du tolérable a depuis longtemps été franchie. Il faut donc le dire nettement et calmement : la vocation du Tiers-monde n'est pas de venir se déverser en Europe, la vocation des peuples d'accueil n'est pas de s'adapter aux nouveaux venus, la vocations des pays européens n'est pas de devenir musulmans. "

    Alain de Benoist (Éléments n° 178, juin-juillet 2019)

     

    Soleil noir.png

     

    Bonne année 2020 à tous les lecteurs de Métapo infos !

    Lien permanent Catégories : Infos 0 commentaire Pin it!
  • Toutes les violences ne sont pas destructrices !...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question de la violence, notamment politique. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

    Alain de Benoist 2.jpg

     

    Alain de Benoist : « La violence peut être parfois condamnable, mais je ne la condamne pas par principe ! »

    Aujourd’hui, toute action politique peut se trouver disqualifiée, en termes médiatiques s’entend, dès lors qu’elle en vient à s’exprimer de façon violente, que cette violence soit réelle ou supposée. C’est donc l’effet qui se trouve condamné, et non point la cause. Angélisme ou cynisme ?

    Je dirais plutôt : « mécompréhension ». La condamnation sans nuances de la violence est le fait, d’une part, des pacifistes, qui se retrouvent du même coup condamnés à « faire la guerre à la guerre », position inconfortable, d’autre part, de l’éternel parti bourgeois, acquis aux idées libérales, qui s’imagine que la discussion, la négociation, le compromis, voire le « doux commerce », peuvent toujours permettre d’éviter l’affrontement. Les maîtres de l’idéologie dominante capitalisent sur cette condamnation inconditionnelle de la violence pour se prémunir contre les insurrections qu’ils redoutent. Mais une telle attitude est irréaliste. La violence est un caméléon. Non seulement elle est omniprésente et protéiforme, mais elle n’apparaît pas toujours comme telle. Elle est partout, même là où on ne la voit pas.

    À la violence ouverte, explosive, s’ajoute la violence structurelle, systémique et virale. La dérégulation libérale est une violence, le conditionnement publicitaire, la propagande de la pensée unique, l’esclavage du salariat, les aliénations dont le monde moderne est le lieu, la mondialisation elle-même, sont autant de formes de violence. La politique s’apparente elle aussi à la guerre dans la mesure où son critère essentiel est la distinction de l’ami et de l’ennemi. En politique, seul est souverain celui qui décide, et la décision est également une façon de mettre un terme aux parlotes et aux palabres.

    « Une planète définitivement pacifiée », écrit Carl Schmitt, « serait un monde sans politique. » Le droit lui-même ne peut être instauré et garanti que par un rapport de force. Quant aux révolutions, inutile de rappeler qu’elles n’ont jamais été des promenades de santé. Il n’y a tout simplement pas de vie en société sans la possibilité d’une violence.

    La violence, je la condamne personnellement souvent, je dirais même le plus souvent, surtout quand elle est gratuite, stupide et contre-productrice, mais je ne la condamnerai jamais par principe. Tout dépend des circonstances et du contexte. Dans les affaires humaines, il ne faut jamais se prononcer sur des abstractions, qu’il s’agisse de la violence (à quelle fin s’exerce-t-elle ? Par quels moyens ?), de l’immigration (qui immigre ?) ou de l’avortement (qui avorte ?). Toutes les violences ne sont pas destructrices. Elles peuvent aussi être fondatrices. Pendant la guerre, tous les mouvements de résistance ont fait usage de la violence. À l’époque de la décolonisation, tous les mouvements de libération en ont fait autant – et avec succès.

    Une formule canonique, attribuée à Max Weber, réserve à l’État le « monopole de la violence légitime ». Quand on voit l’état actuel des choses, ne peut-on pas dire que l’État a depuis longtemps perdu ce monopole ?

    Notons d’abord qu’on ne peut prétendre avoir le monopole de la violence légitime qu’aussi longtemps qu’on est soi-même légitime. La notion de légitimité est donc centrale, dans cette affaire. Un gouvernement, même régulièrement élu, peut perdre sa légitimité de bien des façons. Il n’est a priori légitime qu’à la condition de servir le bien commun en assurant la paix à l’extérieur et la concorde à l’intérieur. Face à une autorité devenue illégitime, à un État qui ne fait plus son travail, à des dirigeants qui ne se préoccupent plus que de leurs seuls intérêts, le contrat social est rompu et les citoyens doivent prendre leurs responsabilités car, comme l’observe Éric Werner (Légitimité de l’autodéfense), « il est bon en soi de se défendre ».

    Bien entendu, une déclaration d’illégitimité peut être tout à fait arbitraire et injustifiée, j’en suis bien conscient. Mais ce qu’il faut retenir est que, contrairement à ce que prétend le positivisme juridique, la légalité et la légitimité ne sont pas synonymes. D’où l’éternel combat d’Antigone contre Créon.

    Aujourd’hui, le « monopole » dont parlait Weber est effectivement partout battu en brèche. Nombre de guerres opposent désormais acteurs étatiques et non étatiques. Ce n’est pas nouveau : Clausewitz donnait déjà le nom de « petite guerre » à la guerre de partisans, à laquelle se rattache également le terrorisme. Violences sur la voie publique, violences sexuelles, violences conjugales, la violence brutale est partout : elle éclate dans la rue, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les transports. Dans certaines banlieues, elle est devenue un mode de vie. Cela signifie qu’aux yeux d’un nombre croissant d’individus, elle devient acceptable. Face à cette violence, les « appels à la raison » ne peuvent que tomber dans le vide. Seule la force peut briser la force.

    Quid de la violence que l’on a vue s’exprimer en marge du mouvement des gilets jaunes ?

    Il ne faut pas s’y tromper, la violence qui s’est révélée lors des manifestations des gilets jaunes a d’abord été la violence étatique. Les forces de police n’ont pas été chargées de maintenir l’ordre mais de faire de la répression. Elles l’ont fait avec une violence dont on n’avait pas vu l’équivalent depuis la guerre d’Algérie – et dont les pouvoirs publics n’ont jamais fait usage à l’encontre des racailles des banlieues. Bien des gilets jaunes ont subi de véritables blessures de guerre : mains arrachées, yeux crevés, visages défigurés. Au total, 2.200 blessés parmi les manifestants, dont plus de 200 blessures à la tête, sans oublier les procès devant les tribunaux, là encore beaucoup plus sévères qu’avec les voyous et les bandits : 1.800 condamnations, 1.300 comparutions immédiates, 300 incarcérations. À cela s’est ajoutée la violence provocatrice des Black Blocs qu’il était parfaitement possible d’enrayer, mais qu’on a objectivement encouragée pour discréditer le mouvement. Enfin, il y a eu des actes de violence de la part des gilets jaunes qui, eux, ont au moins servi à faire reculer le gouvernement. S’ils étaient allés plus loin, il aurait peut-être reculé plus encore. Ce n’est, en tout cas, pas moi qui vais pleurer sur l’incendie du Fouquet’s !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 4 décembre 2019)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Les idées à l'endroit sur Pierre Boutang...

    Dans ce nouveau numéro de l'émission de TV Libertés, « Les idées à l’endroit », Alain de Benoist, pour évoquer la haute figure de Pierre Boutang et son parcours philosophique, littéraire et spirituel, reçoit son biographe, Rémi Soulié, et son petit-fils, Emmanuel, ainsi que le philosophe d'origine libanaise Antoine Assaf.

     

                                 

    Lien permanent Catégories : Débats, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Un bloc populaire socialement dominé mais démocratiquement majoritaire...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il revient sur les observations de Jérôme Sainte-Marie concernant la polarisation de la vie politique française. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

    Alain de Benoist 2.jpg

     

    Alain de Benoist : « Socialement dominé, le bloc populaire est aujourd’hui démocratiquement majoritaire »

    Warren Buffett, le milliardaire américain qu’on sait, a un jour déclaré en substance : « Bien sûr que la lutte des classes existe, la preuve en est que c’est la mienne qui l’a gagnée ! » Cette notion de « lutte des classes » ne saurait évidemment tout expliquer, mais il n’en est pas moins vrai qu’elle a été longtemps évacuée du débat médiatique. Ne serait-il pas opportun de la remettre à l’honneur ?

    Il ne s’agit pas de la remettre à l’honneur, mais d’en faire le constat. Warren Buffett a au moins le mérite de la franchise, car habituellement, c’est quand la lutte des classes bat son plein qu’on en parle le moins. Plus on monte dans l’échelle sociale, plus l’on feint de croire à la possibilité de « réconcilier les classes sociales » : c’est la façon ordinaire qu’ont les riches et les puissants de tenter de désarmer ou d’invisibiliser les « classes dangereuses ». Mais chez Buffett, on voit bien aussi que l’arrogance naïve le dispute au mépris de classe. Je réponds donc à votre question : oui, la lutte des classes est sans doute ce qui caractérise le mieux la situation actuelle dans notre pays. Dans son dernier livre (Bloc contre bloc. La dynamisme du macronisme, Cerf), qu’il faut lire en parallèle avec les travaux de Christophe Guilluy, Jérôme Sainte-Marie, excellent observateur de la vie politique française, le souligne avec force : « La cohérence entre le vote de classe aux élections et la condition sociale des électeurs aura rarement été aussi évidente qu’aujourd’hui. »

    Les gilets jaunes ont à cet égard joué un rôle essentiel. En mobilisant des gens de condition plutôt modeste, qui avaient en commun d’être les perdants de la mondialisation, ils ont provoqué dans la classe dirigeante une peur panique, qui explique la façon dont Emmanuel Macron a entièrement changé de méthode, abandonnant sa posture jupitérienne pour se faire chattemite, sans pour autant abandonner sa vision managériale de la société ni se doter d’un véritable enracinement social. Je crois avoir déjà qualifié le mouvement des gilets jaunes de « répétition générale ». Je le pense plus que jamais. Ce vaste mouvement populaire de protestation contre la relégation culturelle et géographique, politique, économique et sociale, est prêt à resurgir et à s’amplifier. Les mouvements sociaux qui se multiplient un peu partout en sont l’augure.

    Depuis Karl Marx, la notion de « classe ouvrière » a beaucoup évolué : l’artisan, le petit patron, l’auto-entrepreneur, les classes moyennes en voie de déclassement forment désormais une sorte de nouveau prolétariat.

    Dissipons tout de suite une équivoque : Marx n’est pas l’inventeur de la « lutte des classes » ! L’expression n’a même cessé d’être employée avant lui, notamment par Tocqueville et Guizot. La lutte des classes n’a jamais cessé, sinon qu’il y a des moments où les classes dominées sont plus conscientes de leur existence en tant que classe (c’est la classe « pour soi », par opposition à la classe « en soi ») qu’à d’autres moments. En revanche, il y a une différence, et elle est énorme : autrefois, c’étaient les classes dominantes qui s’affirmaient (formellement) conservatrices, alors qu’aujourd’hui, c’est dans les classes populaires que le désir d’enracinement et de valeurs partagées, l’attachement à la communauté nationale et le goût des traditions sont le plus répandus. Dans le passé, la guerre des classes a pu se confondre avec le clivage horizontal gauche-droite, mais ce n’est plus le cas. Tout véritable clivage de classe est un clivage vertical : le bas contre le haut, le peuple patriote contre les élites qui se sont déterritorialisées au même rythme que la machinerie du capital. Sans oublier que la gauche a « perdu le peuple » !

    Le résultat, c’est l’actuel clivage politique français : Emmanuel Macron assure la jonction entre bourgeoisie de droite et de gauche, tandis que Marine Le Pen semble en faire autant pour tous les laissés-pour-compte de la mondialisation. Y gagne-t-on en clarté ?

    Dans son livre, Jérôme Sainte-Marie montre à la perfection qu’au-delà de l’« archipélisation » dénoncée par Jérôme Fourquet, un vaste mouvement de polarisation est désormais à l’œuvre dans la société française (ce qui rejoint les observations de Patrick Buisson). Un « bloc populaire » est en train de se former face au « bloc bourgeois » créé par Macron – et c’est paradoxalement Macron qui a favorisé ce processus de radicalisation des différences sociales, car le regroupement des libéraux de droite et de gauche a eu pour effet, d’abord de déconnecter les conservateurs (tenants de la souveraineté nationale) et les libéraux (tenants de l’ouverture globale), ensuite d’éliminer les grands partis de gouvernement traditionnels. Mélenchon s’étant disqualifié depuis qu’il a renoncé au populisme pour revenir dans le giron de la « gauche morale », c’est le Rassemblement national qui en bénéficie. Le « plafond de verre » censé limiter la montée du vote RN a commencé à se désagréger et 63 % de ceux qui ont voté pour La France insoumise, aux dernières élections européennes, se disent maintenant prêts à voter pour Marine Le Pen au second tour d’une présidentielle qui l’opposerait de nouveau à Macron, contre 39 % seulement de ceux qui ont voté pour François-Xavier Bellamy. C’est un tournant de première grandeur.

    Le bloc élitaire et bourgeois d’Emmanuel Macron regroupe les très riches du CAC 40, les bobos, le personnel des grands médias et les cadres supérieurs enthousiastes de la mondialisation pour qui tout ce qui est « national » est dépassé. S’y ajoutent des retraités instinctivement portés à rejoindre le parti de l’ordre, sans voir que cet ordre n’est qu’un désordre établi qui ne les protégera pas de la montée du chaos. Cela ne fait, au total, qu’un Français sur trois. Socialement dominé, le bloc populaire est aujourd’hui démocratiquement majoritaire. Cette double polarisation explique aussi pourquoi l’« union des droites » est un mythe qui, dans le meilleur de cas, ne peut se réaliser qu’au niveau local : à terme, entre Macron et Le Pen, il n’y aura plus rien. C’est la raison pour laquelle, concernant la présidentielle de 2022, rien n’est joué. D’autant qu’on sait maintenant que la fabrique des présidentiables ne passe plus par les partis.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 30 novembre 2019)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!