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Points de vue - Page 61

  • Vers la fin de la Fête des mères...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté publié dans le Figaro Vox et consacré au remplacement de la Fête des mères, dans certaines écoles, par la "fête des gens qu'on aime"...

    Québécois, Mathieu Bock-Côté est sociologue et chroniqueur et est déjà l'auteur de plusieurs essais comme Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016), Le nouveau régime (Boréal, 2017) ou L'empire du politiquement correct (Cerf, 2019).

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    Fête des mères ou fête des gens qu’on aime ?

    La presse nous apprenait cette semaine que, dans un nombre croissant d’écoles françaises, la Fête des mères est remplacée par une étrangement nommée « fête des gens qu’on aime ». La raison donnée est souvent la même : la Fête des mères serait discriminatoire à l’endroit des enfants issus de familles monoparentales ou homoparentales, ou, plus encore, pour ceux qui seraient victimes de maltraitance parentale. Pourquoi dès lors enfermer l’amour dans une figure exclusive à laquelle tous n’auraient pas accès ?

    Derrière ce pragmatisme sentimental revendiqué, se dévoile un tout autre mouvement, que nous avons pris l’habitude d’associer à la déconstruction. Il s’agit, au nom de la diversité, d’effacer tous les symboles culturels ou anthropologiques clairement marqués, pour les remplacer par des termes plus généraux, souvent flottants, et même insaisissables, jugés plus « inclusifs » et moins contraignants. C’est dans cet esprit qu’en 2019, en France, certains ont voulu, sans y parvenir cette fois, substituer à la référence au père et à la mère la référence aux parents 1 et 2. La modernité avancée culmine à la fois dans le mythe de l’indifférenciation des sexes et de l’interchangeabilité des fonctions.

    En fait, il ne s’agit plus seulement de s’en prendre à la mère, mais à la figure même de la femme. On le voit notamment avec la radicalisation de l’idéologie trans, qui vide le référent femme de toute dimension corporelle objective, pour permettre à tous ceux qui se « ressentent femme » de s’identifier légalement ainsi. C’est ce qu’on appelle l’autodétermination de genre. La novlangue diversitaire s’y met : on n’utilise plus le terme «femme », mais celui de « personne avec un utérus », ou encore, de «corps qui accouche ». Dans certains hôpitaux britanniques, on ne parle
    plus du vagin mais du « trou d’en avant » (sic) et les maternités sont renommées services périnataux. La femme est « décorporée », transformée en idée spectrale, pour que tous ceux qui le souhaitent puissent se l’approprier.

    Je ne peux m’empêcher de noter qu’il y a quelque malveillance à associer la sublime figure de la mère à un symbole d’exclusion. Cela dit, ce mouvement d’indifférenciation dépasse largement la seule question de l’identité sexuelle. On se souvient ainsi que la Commission européenne, il y a quelques mois à peine, avait proposé d’en finir avec la référence à Noël, jugée discriminatoire pour les populations non chrétiennes s’installant en Europe. Peut-être est-ce aussi pour cela qu’une partie de la classe politique sacrifie aisément la référence à la France pour se vouer exclusivement à la République, comme si la première était trop charnelle, à la différence de la seconde, qui serait déchargée d’un substrat identitaire trop particulier ?

    Le régime diversitaire aseptise la culture, il la désymbolise, comme s’il était pris d’une ivresse nihiliste. Rien ne doit lui résister. Il repose en quelque sorte sur une anthropologie de l’indifférencié, et, finalement, sur une forme de culte du néant, comme si l’homme, arrivé au terme de la déconstruction, pouvait retrouver sa liberté originelle, antérieure à toute formation culturelle, antérieure à toute incarnation aussi, comme s’il pouvait ainsi renaître en se donnant le rôle de démiurge, pour recommencer le monde à zéro, en lui prêtant la signification qu’il souhaite, sans être orienté par un héritage dont il se sera enfin débarrassé.

    L’être humain a toutefois besoin de vivre dans un monde structuré, et la déconstruction, qui arrive à son terme, exige une reconstruction inversée de l’ordre social et symbolique. Le point d’aboutissement de cette logique est déjà connu : on trouve aujourd’hui des femmes de naissance, s’identifiant désormais comme homme, sans avoir subi d’opération de changement de sexe et qui prétendent accoucher. En 2022, dans le monde occidental, il est désormais considéré comme possible qu’un homme soit « enceint » et qu’il accouche. Il serait même urgent de combler le « vide juridique » entourant leur statut. Plus encore, ceux qui contesteront cette possibilité seront comme il se doit suspectés de transphobie.

    On comprend ainsi la nature de ce vaste mouvement qui va de l’abolition de la Fête des mères à la reconnaissance de la possibilité pour un homme d’accoucher. L’abolition du monde symbolique qui était traditionnellement le nôtre conduit moins à l’extinction du sens qu’à son renversement. La marge devient la norme, et la norme la marge. On devine la réaction de certains : cet effacement de la Fête des mères est bête, mais ne faudrait-il pas se garder de surinterpréter sa signification ? Cette prudence est une forme sophistiquée d’aveuglement. Quand la figure de la mère est effacée, quand l’idée même de la femme est déconstruite, c’est bien le signe que la révolution culturelle écrase tout sur son passage. Encore faut-il savoir la nommer pour y résister.

    Mathieu Bock-Côté (Figaro Vox, 28 mai 2022)

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  • L'immonde autocratie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Tandonnet, cueilli sur son blog personnel et consacré à la pratique autocratique du pouvoir telle qu'elle s'est installée au sein de la Ve République depuis plusieurs années, pour atteindre son paroxysme avec Emmanuel Macron.

    Ancien haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, et désormais enseignant, Maxime Tandonnet a été conseiller à l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a donné un témoignage lucide et éclairant de cette expérience dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014). Il a également publié des biographies d'André Tardieu (Perrin, 2019) et de Georges Bidault (Perrin, 2022).

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    L'immonde autocratie

    Il est des circonstances exceptionnelles, dans l’histoire, où l’intuition d’un homme ou d’une femme bouleverse le cours du destin. Elles sont connues: la rencontre de Jeanne et du Dauphin, le 18 Brumaire qui met un terme au chaos révolutionnaire, ou l’Appel du 18 juin. Les héros n’ont d’ailleurs aucun intérêt à s’éterniser – ou s’institutionnaliser – car la durée leur est généralement défavorable et ternit la mémoire de leur exploit.

    Pour le reste, le bien d’une communauté nationale est toujours, toujours le fruit d’un dialogue entre plusieurs visions ou sagesses. Les grands Capétiens qui ont fait la France ne décidaient rien seuls. Les choix décisifs pour le pays s’effectuaient à l’issue d’interminables débats au Conseil du roi, entouré des plus grands esprits d’une époque. Toute bonne décision est le fruit d’une délibération prenant en compte un cadre historique, institutionnel, les mentalités dominantes, le respect des principes collectifs et des traditions nationales ou diplomatiques, la volonté de préserver l’unité.

    La République parlementaire avait de gigantesques défauts, notamment l’instabilité gouvernementale: encore que celle-ci était largement de surface et couvrait la permanence d’hommes d’Etat qui revenaient d’un ministère à l’autre. Avec ses faiblesses, elle se prêtait – mieux qu’aujourd’hui – à l’impératif de dialogue et de concertation d’où sont sorties de grandes politiques, par exemple le développement des libertés sous la IIIe République ou les conditions des Trente glorieuses sous la IVe.

    La France, au fil des décennies depuis l’instauration de la Ve République, a fait naufrage dans l’autocratie. Le processus est de long terme: l’actuel occupant de l’Elysée n’en est pas l’inventeur, même s’il en est le produit et désormais l’incarnation paroxystique. Cela signifie qu’elle remet son destin, non pas à la délibération d’une équipe consciente des nécessités de l’intérêt général, mais aux seuls soubresauts psychologiques d’un individu.

    La faute suprême est de penser que le parcours politique de ce dernier qui l’a porté à la fonction suprême est la garantie d’une intelligence supérieure qui lui servira de boussole pour guider le pays. Non, l’intelligence, celle qui permet de percevoir les enjeux historiques d’une époque et les décisions optimales qui s’en dégagent, n’a strictement aucun rapport. Sa réussite elle est plutôt le fruit d’une exceptionnelle mégalomanie et de la désinhibition, c’est-à-dire l’ambition maladive de s’asseoir sur le trône et l’absence de surmoi (ou de conscience) qui libère de tout scrupule à tuer le père, à trahir ses amis et à ériger le mensonge, les manipulations et l’hypocrisie en système de pouvoir.

    L’autocratie à la française est un mode de pouvoir qui substitue, comme critère essentiel des choix à accomplir, la vanité d’un individu au sens de l’intérêt général. Elle débouche sur des politiques qui exaltent l’apparence, la surface des choses, la mise en valeur de l’image du chef, au détriment de l’avenir collectif: d’où l’augmentation vertigineuse de la dette publique, l’effondrement scolaire ou industriel du pays, l’indifférence aux phénomènes de désintégration qui se manifestent par l’explosion des violences. L’autocrate ne s’intéresse pas (ou peu) au long terme, mais au coup d’éclat qui fait parler de lui, le montre en provocateur audacieux, le met en valeur, sublime sa personne, quel qu’en soit l’incohérence ou les effets délétères. Son objectif essentiel est la « trace » qu’il laissera.

    Ce mode d’exercice du pouvoir – l’autocratie – s’appuie sur le culte de la personnalité, l’exaltation médiatique et obsessionnelle d’un visage. Il favorise la courtisanerie, l’obséquiosité d’un cercle d’hommes et de femmes prêts à se prosterner pour bénéficier de la lumière qui en émane. Elle se fonde sur une logique de servitude volontaire, consiste à attiser, manipuler les émotions collectives, notamment la peur, pour les convertir en allégeance au sauveur ou protecteur national. Le mythe du sauveur – comme celui du « bouc émissaire »- est de toutes les formes de propagande, la plus fertile.

    La question centrale n’est pas la Constitution de 1958. Son application à la lettre (article 5, 20, 21), ne conduit pas forcément à l’autocratie. Elle tient plutôt à l’état de la société, son narcissisme croissant (« l’ère du vide » de Lipovetski 1983), sa dépolitisation et sa surmédiatisation, son déclin intellectuel qui la pousse à l’exaltation obtuse plutôt qu’à l’esprit critique, à un certaine certaine tradition française sensible au plumage du paon … Toujours est-il que de décennie en décennie, la sublimation d’un individu l’emporte sur les choix d’intérêt général et de long terme.

    Il ne fait (à mes yeux) aucun doute que ce mode de gouvernement fondé sur la vanité au détriment du bien commun contribue fortement au déclin de la France sur le long terme: désindustrialisation accélérée, effondrement scolaire, désœuvrement généralisé, ou chômage de masse, fragmentation de la société et violence, appauvrissement, explosion de la dette collective, désorganisation et déclin des grands services publics.

    Comment en sort-on? La meilleure solution est d’en sortir par la voie démocratique. Dans trois semaines, les Français ont une occasion inespérée de lancer un message puissant contre la dérive autocratique de leur système politique en refusant d’élire « une majorité présidentielle absolue ». En soi, cela ne réglera pas tous les problèmes évidemment. Mais le refus d’une majorité absolue marquerait un coup d’arrêt et le début d’une prise de conscience. Aucun risque d’aggraver l’impuissance publique: elle est déjà totale, masquée par une débauche d’exubérance narcissique.

    Cependant, rien ne permet de parier que cette prise de conscience est en voie de se produire. Il peut tout autant ne rien se passer du tout pendant de longues années, la poursuite d’un grand naufrage dans un monde d’exaltation vaniteuse, de mensonges et de courtisanerie, tandis que le déclin se poursuit inexorablement. Mais en l’absence de solution démocratique, un soulèvement populaire est tôt ou tard à redouter: il suffit parfois de peu de chose, une étincelle dans le baril de poudre.

    Maxime Tandonnet (Blog de Maxime Tandonnet, 25 mai 2022)

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  • Rester humble face au cours de la guerre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak, cueilli sur Geopragma et consacré aux évolutions possibles du conflit russo-ukrainien. Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et membre fondateur de Geopragma.

     

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    Rester humble face au cours de la guerre

    La guerre fait partie de ces objets que l’on nomme complexes, non au sens prosaïque de « compliqué », mais au sens technique de « ce qui ne peut être réduit à plus simple que lui-même ». Le seul moyen de savoir sur quelle face un dé tombera est… de lancer le dé. Il en va largement de même pour la guerre : en prédire le cours n’est pas chose aisée, même quand tout semble déjà écrit. En 2003, l’invasion américaine de l’Irak commence le 23 mars et se termine dès le 1er mai. « Mission accomplished », ose alors le président George W. Bush. Une victoire américaine n’était-elle pas inéluctable étant donné le rapport de force ? Et pourtant, ce n’est que le début de la guerre. Elle se termine piteusement en 2011 par le retrait des forces américaines. Le 9 juin 2014, la ville de Mossoul est conquise par l’Etat islamique : rétrospectivement, le doute n’est plus possible, l’aventure américaine en Irak s’est bien soldée par une défaite. Le cours de la guerre obéit au règne de l’indétermination contre lequel tous les raisonnements déterministes achoppent un jour ou l’autre brutalement. La prudence doit être de mise pour un chef d’Etat quand il se fixe des buts de guerre ou quand il choisit l’usage de la force, dans le cas où il ne verrait pas d’autre solution pour sortir d’une impasse politique. Ce n’est pas pour rien que Napoléon demandait à ses généraux s’ils avaient de la chance. Non que certains auraient été choyés par la fortune, mais la chance, ça se travaille : savoir agir dans l’indétermination et commencer par la reconnaître est une vertu.

    En Ukraine en 2022, les mêmes impairs ont été commis, des deux côtés. Qu’ils soient à Washington ou à Moscou, les « faucons » ont pour des raisons symétriques toujours surestimé la puissance de l’armée russe : les chars marqués de l’étoile rouge seraient à Kiev en quelques jours, pouvait-on entendre sur les plateaux télévisés, dans certaines chancelleries occidentales et probablement au Kremlin si on avait eu des oreilles jusque-là. Il n’en a rien été pourtant. Et il ne fait plus de doute aujourd’hui que l’Acte I de l’invasion russe de l’Ukraine a été un cuisant échec pour l’envahisseur. Ayant sous-estimé la volonté de se battre des Ukrainiens autant que leur solide préparation au combat organisée depuis 2014 par les Américains, les Russes ont connu dans la région de Kiev une déroute. Au-delà de leurs piètres qualités tactiques et opératiques, les Russes ont attaqué avec moins de 200.000 hommes un pays plus grand que la France sur trois fronts. C’était stratégiquement osé, voire présomptueux. Et l’évocation d’une guerre entre David contre Goliath était donc excessive quand on observe les principaux ordres de grandeur. L’avantage est certes du côté de Moscou, surtout en comptant les pièces d’artillerie, les avions et les blindés, mais les dernières estimations font état de 145.000 Ukrainiens au combat contre 160.000 Russes. On est bien dans le cadre d’un combat relativement symétrique, les Ukrainiens compensant en partie leurs faiblesses notamment par l’atout précieux du renseignement américain et aujourd’hui par la fourniture occidentale d’armes lourdes.

    Les rebondissements dans la guerre font que les opinions publiques oscillent déraisonnablement. Au commencement, la victoire russe apparaissait inéluctable. Puis le mythe de David contre Goliath a fait son œuvre : archaïque, corrompue, alcoolisée, désordonnée, démoralisée, décontenancée, désarmée, déshonorée, l’armée russe allait s’incliner face à une armée ukrainienne soudée, héroïque, agile, coordonnée, soutenue par ses alliés et portée par la providence. Vladimir Poutine allait voir son régime emporté par une défaite militaire prochaine. Et si cela ne suffisait pas, les sanctions feraient leur œuvre. Isolée et mise au ban de la communauté internationale, la Russie ne résisterait pas à cette tentation mortifère de restaurer l’Empire russe dans ses frontières historiques les plus étendues.

    De tout cela, il n’a rien été. Les sondages de l’institut Levada – classé comme agent de l’étranger à Moscou – révèlent que la population russe fait globalement bloc autour de Vladimir Poutine et de l’«opération militaire spéciale» – même si c’est pour partie peut-être plus par fatalisme que par enthousiasme. Soutenu par les achats occidentaux de gaz et de pétrole, le rouble s’est redressé, au point d’atteindre un niveau jamais atteint depuis 2015. Cela ne signifie évidemment pas que l’économie russe ne traversera pas une zone de profondes turbulences dans les prochains mois, mais force est de constater que le grand effondrement n’a pas encore eu lieu. De même, seule la communauté occidentale se détourne de Moscou : le reste du monde, qui représente bien plus de la moitié de la population mondiale, observe en spectateur une guerre qui ne le concerne pas. 

    Sur le terrain militaire, l’Acte II de la guerre en Ukraine, qui se déroule essentiellement dans le Donbass, tourne pour l’instant à l’avantage de Moscou : aidées par la puissance de feu de leur artillerie et par leur dominance – certes incomplète – dans les airs, les troupes russes ont percé en plusieurs points les fortifications ukrainiennes établies depuis 2014 et réduisent lentement mais sûrement les Ukrainiens dans des poches. La tenaille qui se forme au nord depuis Izium et au sud depuis Popasna place Kiev dans une situation inextricable : battre la retraite tant qu’il est encore temps ou recréer à Sieverodonetsk, à Lisichansk, à Lyman voire à Bakhmut des petits Marioupol. D’ici la fin de l’été, le même dilemme pourrait se présenter à Kramatorsk et à Sloviansk. Rien de tout cela n’est inéluctable : une contre-offensive ukrainienne – aujourd’hui arrêtée – par l’oblast de Kharkiv pourrait contraindre par le nord la manœuvre d’enveloppement russe si celle-ci voit ses lignes logistiques menacées. De même, l’on ne peut exclure non plus une contre-offensive sur le front du Sud à Kherson : si les Ukrainiens réalisaient une percée à travers la seule capitale régionale que contrôle Moscou, ils s’approcheraient de la Crimée et menaceraient le seul gain stratégique obtenu aujourd’hui par la Russie, à savoir la création d’un corridor terrestre entre la péninsule criméenne et les deux territoires séparatistes de Donetsk et Lougansk.

    Et si – et seulement si – Moscou parvenait d’ici la fin de l’été à ses fins dans le Donbass, quid de la suite ? Russes et Ukrainiens seront-ils prêts à une paix négociée qui aboutirait de facto à des gains russes équivalents à 120.000 km2 (en comptant les oblasts de Lougansk, de Donetsk, de Kherson, la moitié de celui de Zaporijjia, ainsi que l’ensemble de la Crimée) ? Cela représente quatre fois la taille de la Belgique, une fois et demi l’Autriche, trois fois le Danemark ou la moitié du Royaume-Uni. Ou est-ce que Vladimir Poutine disposera des forces pour consolider ses positions et se fixer de nouveaux objectifs militaires ? On peut en imaginer plusieurs : les Russes pourraient tenter de pousser plus à l’Ouest vers Odessa – en passant par Mikolaïv – de sorte à rejoindre la Transnistrie – territoire séparatiste prorusse de Moldavie, ce qui reviendrait à priver l’Ukraine de tout accès à la mer en recréant la Novorossia, province de l’Empire russe constituée au 19ème siècle des territoires conquis à l’Empire ottoman ? Et/ou chercheront-ils à remonter le long du Dniepr en attaquant les capitales régionales de Zaporijjia puis de Dniepro ? Ou tenteront-ils une nouvelle fois de prendre Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine par sa population ?

    Tous ces scénarios de prospective nous projettent en réalité déjà à l’hiver 2022, voire en 2023. D’ici-là, quelle sera la situation énergétique en Europe ? À combien les prix à la pompe et les factures d’électricité et de gaz s’élèveront-ils ? Le sentiment pro-ukrainien des opinions publiques occidentales sera-t-il toujours aussi puissant ou s’émoussera-t-il ? L’unité politique des Etats occidentaux se maintiendra-t-elle ou des divisions surgiront-elles sur l’étendue des sanctions, que l’on entraperçoit déjà ? À combien le nombre de réfugiés ukrainiens en Europe se chiffrera-t-il ? Joe Biden remportera-t-il les « midterms » aux Etats-Unis ? Volodymyr Zelensky sera-t-il toujours auréolé, en Ukraine et en Occident, de la même couronne d’épine qui lui offre la gloire dans la douleur ? Et que diront les Russes si la guerre s’installe dans la longue durée ? Toutes ces questions se posent déjà, mais aucune réponse ne peut rationnellement être apportée aujourd’hui. C’est à travers cette myriade de questions, toutes intriquées, que se forme un brouillard d’incertitude et que se déploie la complexité d’une guerre dont le cours n’est pas prévisible. Ce serait pécher par orgueil que de répondre trop tôt à ces questions, mais les ignorer serait inconséquent. Par-delà les passions politiques, même vertueuses, rester humble face à la guerre est un moindre mal sans doute insuffisant, mais au moins nécessaire. 

    Alexis Feertchak (Geopragma, 24 mai 2022)

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  • Argumenter dans la bataille des idées !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo percutante réalisée par Thaïs d'Escufon et consacré à l'argumentation dans le combat des idées. Porte-parole talentueuse et courageuse du mouvement Génération identitaire, Thaïs d'Escufon développe désormais avec brio une activité de publiciste sur les réseaux sociaux.

     

                                          

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  • Guerre culturelle : gagner la bataille du milieu...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'Institut des libertés consacré à la guerre culturelle. L'Institut des libertés est dirigé par Charles et Emmanuelle Gave et compte parmi ses membres Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de la revue Conflits et Bruno Larebière, rédacteur en chef politique de L'Incorrect.

     

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    Guerre culturelle : gagner la bataille du milieu

    Les trois cents dernières années ont été le théâtre, en France et plus généralement en Europe et en occident, d’une lutte entre deux conceptions du monde, chacune déclinée en de multiples combinaisons, mais qui globalement peuvent se définir ainsi : ou bien « l’homme est né libre et partout il est dans les fers » (Rousseau) et, partant, il faut le rendre libre à nouveau ; ou bien, quoique perfectible, il est l’héritier d’une civilisation dont le droit naturel est l’épine dorsale, et dont il possède autant la jouissance qu’il lui est assujetti par des devoirs. En gros, la gauche et la droite.

    Dans cette guerre, et guerre à mort, c’est bien entendu le second camp auquel nous nous rallions, avec d’autant plus de décision qu’il est, au moins depuis soixante ans, le camp blessé, le camp vaincu. Momentanément, espérons-nous.

    Reste que la bataille promet d’être féroce, et qu’elle a déjà commencé, qu’elle est sans cesse recommencée. Quoique le communisme, qui maintint sous sa botte politique la moitié de l’Europe, et sous sa férule d’instituteur grincheux l’autre moitié, et qui était l’avant-garde de ce qui se nomme le progressisme ait été défait, l’hydre de gauche gigote encore avec force. Et même, débarrassée de cette tête sombre et violente qu’était le communisme, peut-être a-t-elle encore gagné en force, démultipliant ses attaques. Aujourd’hui, elle ne prétend plus guère combattre la marchandise et la domination du capital, dont elle s’accommode généralement fort bien ; mais elle prétend combattre d’autres inégalités, qu’elle a généralement inventées et qu’elle a persuadées au bon peuple, comme la domination de l’homme sur la femme, celle du blanc sur les autres « races », celle du couple normal sur les relations homosexuelles, transsexuelles, bisexuelles et on ne sait quoi d’autre, celle de l’humain sur l’animal, ou encore celle du maître sur l’élève. C’est à ça qu’il nous faut répondre, non seulement en résistant, mais surtout en contre-attaquant, et en la dépassant dans la proposition d’un monde enviable. Il faut donner envie, et c’est peut-être là que nous sommes le plus faible.

    On peut schématiquement imaginer trois fronts culturels sur lesquels lutter : la sous-culture, avec ses codes jeunes et adolescents ; la culture de l’honnête homme ; et la haute culture. Malgré les apparences, la droite a depuis quelques années remporté de nombreuses victoires dans le champ de la première et de la dernière. La sous-culture, aujourd’hui largement envahie de codes internets, est largement occupée par ce que les Américains nomment « l’alt-right » dont les forums ou l’art du même touchent une grande partie de la jeunesse. La haute culture, elle, est pour prendre un exemple français incarnée par un Michel Houellebecq, dont les romans atteignent des sommets de vente, quoiqu’ils soient fondés sur une critique féroce de la modernité. Hélas, les gens les achètent certainement, les lisent peut-être, mais n’en gardent guère.

    La culture du milieu est, elle, entièrement tenue par le camp de la gauche, en témoignent les productions de Netflix. Elle est la plus puissante, la plus largement diffusée logiquement, et pourtant la droite, par paresse, par incapacité ou parce que la forteresse est difficilement prenable, n’y pénètre pas. C’est ici précisément qu’il faut concentrer notre feu.

    C’est cette frange de population, qui a en France de 25 à 60 ans, qui est urbaine et plutôt éduquée, qu’il faut toucher. C’est celle qui a auparavant subi l’existentialisme sartrien, le rock américain, « fait Mai 68 », bien écouté ses gentils professeurs de gauche à l’école, lu les cent meilleurs livres de Télérama, et cru qu’Obama sauverait le monde.

    Sans appartenir à l’élite, ce ventre mou de nos pays se sent cependant assez loin du peuple pour le mépriser. N’ayant jamais réfléchi plus loin que les bons sentiments, il est persuadé d’appartenir naturellement au camp du bien. Il croit à l’Union européenne pacificatrice et à la nécessité des « migrations ».

    C’est lui qu’il s’agit de toucher, et pour cela (presque) tous les moyens sont bons. Il s’agit de lui donner envie d’aimer conserver ce qu’il a reçu. Il s’agit de lui montrer où se trouvent l’intelligence et le beau. C’est une longue marche qui commence.

    Institut des Libertés (Institut des libertés, 18 mai 2022)

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  • Bienvenue au 21e siècle !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Olivier de Maison Rouge cueilli sur le Journal de l'économie et consacré à la vassalisation et à l'impuissance de l'Europe qui ont été mises en lumière à l'occasion du conflit russo-ukrainien.

    Avocat, Olivier de Maison Rouge est spécialiste des questions juridiques liées à l'intelligence économique et au secret des affaires. Il a publié deux ouvrages sur le sujet, Penser la guerre économique (VA éditions, 2018) et, récemment, Survivre à la guerre économique (VA éditions, 2020).

     

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    Bienvenue au 21e siècle !

    On la croyait bannie, renvoyée dans les limbes de l’Histoire ; nous ne devions connaître que la paix. Et pourtant la guerre s’est à nouveau installée sur notre vieux continent.
     
    Précisément, jamais auparavant l’Europe n’avait connu, sur un temps aussi long, une période de paix. On croyait d’ailleurs vivre un temps de paix universelle, de calme éternel, de repos immémorial, sans combat ni ennemi.
     
    Pour ce faire, on avait mis la guerre hors la loi. « Plus jamais ça », était-il écrit. C’était peut-être oublier une peu vite la croisade engagée par les Américains avec le concours de l’OTAN déjà, sans mandat de l’ONU, contre les populations serbes qui ont plié sous un tapis de bombes.
     
    En réalité, cette « pax americana », comme on pourrait la nommer [1], fut achetée au prix d’une guerre économique. Comme l’avait précédemment théorisé Montesquieu, le commerce devait adoucir les mœurs et éloigner toute pensée belliqueuse. Cette paix désarmée fut un autre désastre, d’ordre industriel et commercial.
     
    Jamais l’Europe n’avait connu une puissance aussi réduite, un rayonnement aussi atténué.
    Elle traverse manifestement une mutation conduisant à son effacement progressif ou davantage encore une forme de « Dormition ».
     
    Des « trente glorieuses », l’Europe a basculé dans les « trente piteuses », s’ouvrant à une concurrence globale effrénée, anéantissant ses savoir-faire, ses innovations et plus généralement sa substance même. Elle connaît depuis lors une lutte sans ennemi identifié ou tout bonnement nommé, créant cependant son cortège de morts économiques, de chômeurs, de laissés pour compte, de ruines et jachères industrielles et commerciales.
     
    Ayant rejoint le « camp de l’Occident » depuis la guerre froide, l’Europe s’est rendue coupable d’une cécité volontairement à sciemment ignoré ce nouvel affrontement qu’elle n’a pas envisagé. Elle avait pourtant acheté la paix au prix fort, inféodée à un empire, auprès duquel elle pensait avoir trouvé la protection nécessaire. En s’attachant à une superpuissance suzeraine, laquelle constitue un bloc géopolitique cardinal, l’Europe s’est économiquement et politiquement soumise par un lien de vassalisation ; or, l’absence de conflit sur son territoire s’est révélée être une anomalie historique.
     
    Ce d’autant que l’Europe n’a pas tant été exempte de luttes armées, conduites en son nom ou pour le compte de son grand allié hors de son territoire. Car si la paix intérieure a un coût, elle conduit à la guerre extérieure à laquelle elle n’a cependant pas échappé. C’est toujours ainsi que les empires se défendent : en semant le chaos au-delà de leurs frontières, par l’utilisation de forces d’appoint pour ne pas s’exposer inutilement.
     
    Ainsi donc, après l’effondrement du bloc de l’Est, loin de conduire les grandes destinées de ce monde, l’Europe n’a jamais été autant au cœur des affrontements, des rivalités, des compétitions toutes hybrides et intégrales : la guerre économique totale.
     
    Ce faisant, pour l’Europe, la guerre a changé de nature, prenant le masque trompeur d’une paix armée. Sans être un substitut à la guerre conventionnelle ou armée, la guerre économique est une autre forme de lutte. L’une n’exclut pas forcément l’autre.
     
    Aussi malheureux soit-il, la guerre reste et demeure la grande histoire des hommes.
     
    Ce sont malheureusement ces grandes batailles, le fracas des armes et les douloureux affrontements qui créent les dates charnières de l’Histoire. 2022 nous fait rentrer de plain-pied dans le 21e siècle, à l’instar de 1914 qui fut le préambule du 20e siècle et qui tardait à s’achever.
     
    Ce 20e siècle fut celui du suicide européen (1914-1918 et 1939-1945) et l’apogée de deux puissances rivales : États-Unis d’Amérique et Russie.
     
    Cette dernière agresse désormais l’Europe à ses frontières et reçoit le soutien de nombreux pays, Asiatiques en particulier. Les 30 dernières années qui se sont écoulées depuis la chute du mur de Berlin ont montré que le vieux système occidental avait fait du surplace durant tout ce temps, freinant artificiellement l’émergence du bloc asiatique.
     
    Cette grande fracture désormais inscrite dans les plaines fertiles de l’Ukraine est un acte fondateur de ce nouveau siècle, où l’Europe se trouve instrumentalisée par son suzerain qui tente vainement de préserver sa sphère d’influence, tandis que s’affirme un nouvel épicentre. Depuis 500 ans, l’Europe est pour la première fois au ban d’un monde, jadis très eurocentré.
     
    L’Europe sera-t-elle absente de l’histoire du futur ?
     
    Olivier de Maison Rouge (Le Journal de l'économie, 11 mai 2022)
     
    Note :
    [1] Comme il a existé une « Pax romana » après la conquête de la Gaule 
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