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Points de vue - Page 254

  • Une police des citoyens plutôt qu'une police de l'Etat...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du groupe Plessis, cueilli sur FigaroVox et consacré à la nécessaire réforme de la politique de lutte contre l'insécurité. Le groupe Plessis rassemble des hauts-fonctionnaires attachés à l'autorité de l'Etat et à la souveraineté nationale...

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    Délinquance : Créer une police des citoyens plutôt qu'une police de l’État

    Chacun le reconnaît, les chiffres de la délinquance ne sont pas bons , même si la multiplication des patrouilles et gardes statiques liées à Vigipirate peut les infléchir provisoirement. Les cambriolages se maintiennent à un niveau très élevé, le trafic de stupéfiants prospère, la lutte contre l'immigration clandestine fait plus que piétiner, sans parler de la lutte contre le terrorisme dont on connaît les liens étroits avec le milieu délinquant.

    Au ministère de l'intérieur ou à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy avait relancé avec vigueur la lutte contre la criminalité. A mettre à son actif: le renforcement du combat contre les trafiquants de drogues, la création des sûretés départementales pour lutter contre les criminels trop organisés et mobiles pour les commissariats mais pas assez dangereux pour faire partie des cibles de la police judiciaire, la création des GIR (groupes d'intervention régionaux), etc… De son côté, la gauche a lancé les zones de sécurité prioritaires et parié sur l'efficacité mécanique d'une relance de la hausse des effectifs.

    Pour une stratégie intégrée de lutte contre la délinquance

    Malgré cette action et des efforts budgétaires considérables, et en dépit d'une légère baisse de la délinquance de proximité, d'ailleurs peut-être imputable à des «variations» statistiques plus ou moins volontaires, les résultats sont restés et demeurent très insuffisants. Certes, l'incurie de l'actuel gouvernement et les absurdités de la politique pénale du tandem Hollande-Taubira n'y sont sans doute pas pour rien, mais l'explication est un peu courte et…rassurante.

    Dans l'impuissance française à contenir la délinquance se cachent sans doute des causes structurelles que même la droite, généralement plus attentive à ces questions, n'a pas su totalement prendre en compte.

    Pour l'avenir, il faut examiner ce dossier dans sa globalité. En effet, la réussite en la matière est absolument conditionnée par la compréhension d'un fait essentiel: la lutte contre la délinquance est un processus qui fait intervenir de nombreux acteurs et de nombreuses procédures. Le maillon le plus faible de cette chaîne est celui qui détermine la force de l'ensemble.

    Le premier devoir des acteurs politiques est donc de toujours rappeler que la lutte contre la délinquance n'est pas la seule affaire des forces de l'ordre, mais doit se concevoir comme une longue chaîne d'actions et de partenariats efficaces. Chacun de ces maillons doit être examiné et mis, ou remis, en état d'obtenir des résultats satisfaisants et de travailler de manière coordonnée avec les autres maillons. Le premier maillon, la prévention, est essentiel. Étrangement, il ne suscite aucun intérêt de la gauche depuis 2012 et c'est un gouvernement de droite qui a porté et fait adopter l'une des lois les plus ambitieuses en la matière . Il reste néanmoins encore beaucoup à faire. Les derniers maillons sont l'action judiciaire et la politique pénitentiaire. Ils ont subi un véritable saccage depuis…2009. Nicolas Sarkozy lui-même a reconnu que certaines mesures de la loi pénitentiaire dite «loi Dati» de 2009 n'étaient pas bonnes, comme le principe d'aménagement pour les peines jusqu'à deux ans de prison. C'est bien le moins que l'on puisse dire. L'absurde réforme de la double peine par Nicolas Sarkozy, si elle n'a pas abouti à sa complète suppression, a néanmoins entraîné une chute du nombre d'interdictions du territoire français avec deux conséquences: l'engorgement des prisons et le maintien sur le territoire de délinquants d'habitude que les forces de l'ordre et les tribunaux accueillent régulièrement. Il faut bien avouer que, depuis l'arrivée de Christiane Taubira place Vendôme, les choses se sont dramatiquement aggravées. Il sera opportun d'y revenir ultérieurement. Mais nous voudrions ici nous concentrer sur le second maillon de la lutte contre la délinquance, l'action policière, qui est le plus évoqué et le plus sollicité, mais qui est aussi en grande difficulté.

    Brisons d'abord un tabou: il faut reconstruire une politique de performance des services de sécurité. Celle-ci a été balayée par la gauche au motif qu'il s'agissait d'un artifice, d'une coupable «politique du chiffre», inefficace, voire mensongère. Certes, l'appareil statistique de la police était honteusement inexact, pour ne pas dire manipulé depuis des décennies. Il devait impérativement être fiabilisé. Il reste fragile mais l'on peut mettre au crédit de l'actuel gouvernement la mise en place d'un service statistique digne de ce nom en matière de délinquance. Certes, l'appréciation de la performance des forces de l'ordre mérite une réflexion à nouveaux frais qui fasse sans doute une part à des évaluateurs extérieurs au ministère de l'intérieur. Mais, au moment où chacun s'accorde à faire valoir l'importance de l'évaluation des politiques publiques, renoncer à fixer des objectifs précis à l'action policière est un dramatique retour en arrière. Et un retour en arrière qui n'a fait que renforcer l'une des caractéristiques communes à toutes les polices du monde mais si prégnante en France: la très forte inertie de l'appareil policier, rivée sur le culte du précédent, solidifiée par le corporatisme, «justifiée» par la difficulté et la dangerosité du métier.

    Mais, au-delà des chiffres, c'est l'ensemble de la stratégie et de l'organisation des forces de sécurité qu'il faut revoir. Et le socle d'une stratégie c'est le renseignement. Or, le renseignement criminel est dramatiquement fragile dans notre pays. En dehors des délinquants d'opportunité, les services de police et de gendarmerie sont désormais confrontés à des bandes mobiles et organisées, parfois à dimension internationale. C'est à leur éradication qu'il faut se consacrer. Face à ces groupes criminels et en dépit d'améliorations récentes, nos services de sécurité publique, dans les deux forces, sont beaucoup trop concentrés sur la réaction à l'événement. Il importe de leur redonner une réelle capacité d'anticipation sans quoi ils seront très souvent dépassés, découvrant en un lieu les forfaits d'équipes qui écumeront déjà d'autres cieux, à l'autre bout du territoire national. Il n'est pas d'autres moyens que de renforcer considérablement la fonction de renseignement criminel dans nos services. La police judiciaire commence, avec retard, à s'y impliquer avec le SIRASCO , mais cette dimension de l'action policière doit infuser dans tous les services. Ce qui suppose notamment de renforcer quantitativement et qualitativement les unités de renseignement territorial de la sécurité publique et de les orienter massivement, en lien avec la police judiciaire, vers le recueil de l'information sur les réseaux criminels. Cela impliquera de briser un autre tabou selon lequel seuls des policiers peuvent y travailler et obligera à faire appel à des compétences d'analyse reconnues de chercheurs et d'universitaires. A l'inverse, la police judiciaire doit s'investir résolument sur le terrain et coopérer davantage avec les services de sécurité publique et leurs unités d'investigations judiciaires, en particulier les sûretés urbaines et départementales. Cette évolution indispensable ne sera pas aisée car elle constitue un changement profond de sa culture professionnelle jusqu'à présent très orientée sur les «belles affaires». Bref, la coordination étroite entre services pour garantir la collecte, l'exploitation et la diffusion la plus efficace du renseignement est désormais un enjeu essentiel.

    Cette coordination ne peut elle-même aboutir qu'à la condition d'engager un profond mouvement de décloisonnement fonctionnel et territorial de la police. Cela signifie d'en finir avec une vision étroitement locale et, au mieux, départementale, qui n'est pas à l'échelle des réseaux criminels, mais aussi de rapprocher de manière très volontariste les différentes baronnies de la police, qui se perpétuent en directions générales, centrales, zonales voire départementales, de la sécurité publique, de la police judiciaire, de la police aux frontières, du renseignement, des CRS...sans compter la préfecture de police à Paris. Le temps est venu de moderniser la police par la création de directions régionales qui regrouperaient l'ensemble de ces services sur une aire géographique bien plus adaptée. Ces directions régionales seraient placées, comme les nouvelles régions de gendarmerie, sous l'autorité de préfets spécialisés, à l'image des inspecteurs généraux de l'administration en mission extraordinaire (IGAME) de l'après-guerre. Ces préfets de police régionaux seraient en relation directe avec le ministère de l'intérieur, les actuels préfets de région ayant bien trop de choses à faire pour s'impliquer autant que nécessaire dans les questions de sécurité, surtout dans le cadre des nouvelles régions. Les directions départementales de la sécurité publique devraient, quant à elles, s'intégrer à des directions départementales de la police nationale, au moins dans les départements les plus urbains, regroupant l'ensemble des services de police d'un même ressort administratif. En tout état de cause, il faudra bien, a minima, que les différentes directions centrales adoptent un mode d'organisation territoriale comparable qui permette de constituer de véritables états-majors régionaux efficaces contre le crime. Et c'est une faute politique que de ne pas avoir saisi l'occasion de la réforme territoriale pour mettre sur la table la question de l'organisation de la police.

    Faut-il aller jusqu'à la fusion des directions centrales de police concernées? Et transformer la direction générale de la police nationale (DGPN) en une véritable direction nationale intégrée, organisée non comme actuellement par tuyaux d'orgue, mais par fonctions (renseignement et anticipation, sécurité de proximité, ordre public et sécurisation, investigations judiciaires, police technique et scientifique…), à l'image de son homologue de la gendarmerie? Sans sous-estimer le caractère très ambitieux d'une telle réforme, qu'il faudra construire avec les plus motivés des personnels, elle est aujourd'hui indispensable si l'on veut moderniser notre police et assurer une meilleure utilisation de ses crédits.

    Au-delà de la police, il y aura ensuite lieu de renforcer la coordination avec la gendarmerie, les douanes et les services des impôts. Il ne suffit pas pour cela de proposer un décret , car ce décret existe déjà qui met à la disposition du ministre de l'intérieur, «en tant que de besoin», les services des douanes, des impôts, de la répression des fraudes! Au-delà des organigrammes et des textes juridiques, il faut désormais un commandement commun, un suivi et une évaluation unifiés des actions menées. Sans doute le temps est-il venu de prendre le dossier à bras le corps et de mettre en place un échelon national commun aux forces de sécurité, un secrétariat général à la sûreté nationale, apte à piloter et à évaluer les évolutions opérationnelles des uns et des autres. Pourquoi les nécessaires efforts de coordination opérationnelle consentis en matière de lutte contre le terrorisme ne seraient-ils pas utiles dans les autres domaines de la lutte contre la criminalité?

    En revanche, une évolution doit être impérativement écartée: la fusion police-gendarmerie. Les pouvoirs publics doivent pouvoir disposer de deux forces et, en particulier, d'une force militaire dont la disponibilité est statutaire, et qui offre des possibilités d'intervention graduées sur un large spectre, qui peut aller de la surveillance rurale à la lutte contre la guérilla urbaine.

    Mais le cœur d'une réforme durable et efficace se situe peut-être ailleurs. Les réorganisations sont une chose, leur mise en œuvre sur le long terme en est une autre. La police, comme la Justice, a besoin d'innovations, d'ouverture, de remise en cause régulière de ses pratiques qui sont, par nature, routinières et procédurières et qui s'inscrivent, de surcroît, dans un contexte particulièrement marqué par le corporatisme et le syndicalisme. Comment, du reste, prétendre restaurer l'autorité de l'Etat sans contenir l'influence de syndicats si courtisés qu'ils ont plus de poids que la hiérarchie policière?

    En d'autres termes, les réformes impulsées du haut risquent toujours d'être freinées, voire neutralisées, au moment de leur mise en application sur le terrain. Il n'y a guère qu'une solution pour sortir de cette impasse: instiller de l'autonomie et de la responsabilité dans le mode de fonctionnement de l'institution policière. Les grandes directions régionales de police dont les contours ont été ici esquissés à grands traits, devraient à la fois disposer de plus d'autonomie et être soumises à un régime de responsabilité sérieux.

    Autonomie: confions aux préfets spécialisés le soin de développer des stratégies adaptées à leurs territoires et fixons-leur des objectifs à atteindre, plutôt que de détailler à longueur d'instructions, de circulaires, de plans et de messages de commandement la façon d'agir des personnels.

    Responsabilité: organisons un dispositif sérieux d'évaluation des résultats des uns et des autres et redonnons aux citoyens une place dans ces structures qui sont censées les servir. Une première étape serait de réformer de fond en comble les méthodes d'inspection des forces de l'ordre en leur imposant le respect de certaines règles, et, au premier chef, l'indépendance des inspecteurs à l'égard de la hiérarchie policière. Comment croire un instant que l'inspection générale de la police nationale (IGPN) soit en capacité de porter une appréciation fiable sur la police alors qu'elle est directement soumise à son directeur général et peuplée de hiérarques des services? A-t-elle su éviter les abus illustrés par l'affaire Neyret? Ceux de la BAC de Marseille? Le scandale de l'Association nationale d'action sociale des personnels de la police nationale (ANAS)? Celui du Carlton de Lille, qui a mis en cause le chef de la Sûreté départementale et le directeur de la sécurité publique du Nord!? La manipulation des statistiques de la police? Faut-il supprimer l'IGPN? Peut-être pas, mais la contrôler plus étroitement, certainement!

    S'agissant de l'implication des citoyens, les Britanniques sont allés très loin, créant d'abord des autorités de police autonomes, puis confiant la responsabilité des entités locales de sécurité publique à des Police and crime commissioners élus par le peuple. Il n'est pas certain que notre pays soit mûr pour une telle évolution, qui vise à créer une police des citoyens plutôt qu'une police de l'Etat, mais pourquoi ne pas associer des comités de citoyens et/ou d'élus locaux à la définition des stratégies policières et au contrôle de leurs activités au niveau des directions régionales, mais aussi des circonscriptions de sécurité publique (les commissariats)?

    Il est temps, en effet, qu'en France les citoyens soient considérés comme des êtres majeurs et qu'une certaine forme de contrôle démocratique s'exerce localement sur l'autorité policière. Par ailleurs, la sécurité et la justice sont deux des rares secteurs où le simple citoyen est bien en peine de trouver des chiffres sur sa commune, son département, son commissariat ou le tribunal le plus proche… La règle en la matière est l'absence complète de transparence. Ici encore notre situation témoigne d'un réel retard par rapport aux Britanniques . En d'autres termes, il faut utiliser la vague de l'open data pour constituer des bases de données et des sites internet fiables à destination de nos compatriotes. Sans le regard critique des citoyens, les meilleures intentions de réforme risquent en effet de se perdre dans les sables.

    Groupe Plessis (Figaro Vox, 19 février 2016)

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  • Vers une Europe autoritaire et ghettoïsée?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Roland Hureaux, cueilli sur Causeur et consacré aux conséquences, déjà visibles, pour les Européens de l'invasion migratoire et de la menace du terrorisme islamique...

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    Vers une Europe autoritaire et ghettoïsée?

    Bienvenue dans le monde d’après

    La conjonction de vagues migratoires hors de contrôle, d’attentats terroristes de grande ampleur et d’une restriction des libertés (loi sur les écoutes, état d’urgence) allant jusqu’à une réforme de la Constitution qui va jusqu’à inquiéter le Conseil de l’Europe, pourrait bien dessiner les traits de l’Europe vers laquelle nous allons : ghettoïsée, conflictuelle et autoritaire.

    Les tenants de la société multiculturelle pensent que la diversité des communautés allogènes implantées dans les pays européens constituera un enrichissement pour le pays d’accueil par la multiplication des échanges et le croisement des cultures qu’elle suscitera, pouvant aller jusqu’au métissage. Cela est vrai, au moins en partie, quand les dites communautés ne sont qu’une petite minorité, trop réduite pour rester dans l’entre-soi et pour apparaître comme une menace. Chacun de ses membres a de fortes chances de rencontrer à l’école, sur les stades ou au travail des autochtones et de s’assimiler à leur  mode de vie. Les autochtones ne sentant pas leur primauté remis en cause, se montrent accueillants et ouverts aux échanges.

    Il n’en est plus de même quand les dites communautés se font nombreuses. Les nationaux ont moins envie d’échanger. Les immigrés ou fils d’immigrés ont moins de chances de les rencontrer notamment dans des classes devenues monocolores. En France, la reprise de la fécondité immigrée depuis quinze ans, laquelle s’était jusque-là plus ou moins normalisée, est un marqueur de la communautarisation, de pair avec la préférence des mâles pour des femmes qu’ils font venir du pays, plus dociles que leurs voisines de palier.

    Au terme : une société d’apartheid telle que l’Allemagne en montre l’exemple depuis longtemps. A Berlin, il n’y a pas d’Allemands dans les quartiers turcs et très peu de Turcs dans les quartiers allemands. Plus les populations immigrées seront importantes, plus la séparation sera grande.

    Des tensions prévisibles

    Les  relations de ces communautés seront, qu’on le veuille ou non, conflictuelles. Sans doute, le nombre de musulmans impliqués dans les actes terroristes est-il infime par rapport à leur nombre total : 1 sur 1 000 si on se réfère au fichier S, lui-même très extensif. Mais ces actes auront statistiquement et toutes choses égales par ailleurs deux fois plus de chances de se produire si la population allogène devient deux fois plus nombreuse. Ils contribuent et contribueront à durcir les relations intercommunautaires,  à entretenir la méfiance et l’hostilité dont les effets seront seulement tempérés par la  séparation des communautés. En outre, le terrorisme n’est pas la seule forme de l’agressivité réciproque des communautés : la délinquance ordinaire, les « incivilités » ou alors les réflexes d’autodéfense des autochtones y contribueront aussi.

    Malgré les exemples de pays comme le Liban, la Bosnie, le Sri Lanka qui montrent que des communautés religieuses  d’importance comparable1 ne peuvent coexister longtemps de manière pacifique, on peut penser que ce n’est pas ce genre de guerre ouverte qui menace immédiatement l’Europe. Mais, comme l’a montré Pierre Manent 2, la démocratie  ne peut prospérer que dans une communauté relativement homogène. On peut craindre que l’hétérogénéité au contraire lui soit fatale. C’est une loi historique que plus une société est hétérogène, plus il faut un pouvoir fort pour y maintenir la paix civile.

    Menaces sur les libertés

    On ne voit que trop comment un pouvoir socialiste qui proclame à tout-va son attachement aux valeurs républicaines, conforte chaque jour sa légitimité par une gesticulation sécuritaire qui entretient la psychose de l’attentat et habitue insensiblement les esprits à un régime d’exception. S’il est vrai que des failles dans le dispositif policier ont fait obstacle à ce que les attentats de Charlie et du Bataclan aient été détecté à temps, personne n’a considéré que ces failles provenaient de lacunes juridiques, seulement de dysfonctionnements des services. Il est probable que leur vigilance ayant été aiguisée par les événements, ils mettront un point d’honneur à mieux prévenir les attentats et donc à diminuer les risques que court la population. Il reste qu’avec l’état d’urgence, tout citoyen français peut craindre de voir au milieu de la nuit débarquer la police chez lui pour y effectuer une perquisition sans mandat judicaire. Il est aussi vrai que depuis la loi du 24 juillet 2015  sur le renseignement, des gens font attention au contenu de leurs courriels craignant qu’ils ne soient interceptés et utilisés contre eux. Ces moyens juridiques d’exception ont été notoirement utilisés contre des personnes, écologistes, identitaires ou autres, qui n’avaient rien à  voir avec les réseaux terroristes. Sans aucune nécessité, on veut réformer la Constitution alors même qu’une démocratie forte devrait garder ses lois fondamentales sauves quelles que soient les  circonstances3.

    S’il est vrai, comme on le dit, que les événements que nous avons vécus ne sont rien à côté de ceux qui nous attendent (il faut espérer le contraire !), alors les restrictions de libertés que nous aurons à connaître dans le futur seront encore plus considérables.

    Cela ne concerne pas que la France. Une fois l’euphorie de la politique d’accueil de Merkel passée, qui sait ce que nous réserve ce pays dont les oscillations extrêmes ont déjà ébranlé l’Europe ?

    Il est des gens, en France et en Europe, qui imaginent qu’une politique d’accueil large et généreuse rendra les gens meilleurs et la société plus prospère et démocratique, qu’elle fera progresser les droits de tous à commencer par ceux des migrants. Certains sont même prêts à faire émerger cette société vertueuse par la force d’une loi impitoyable au moindre écart de langage. Ils devraient être refroidis par les perspectives qui se dessinent. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire contemporaine que les bons sentiments amènent des catastrophes, c’est même plutôt là la règle que l’exception. Nos anticipations ne découlent de rien d’autre que d’une connaissance objective de la dynamique des sociétés de tous les temps et de l’extrapolation de ce qui se passe sur notre sol depuis quelques mois.

    Roland Hureaux (Causeur, 18 février 2016)

     

    1. Ce qui ne veut pas dire un poids démographique équivalent. Le nombre d’adeptes actifs de chaque groupe, ses appuis extérieurs, importent aussi.
    2. Pierre Manent , La Raison des nations : réflexions sur la démocratie en Europe. Gallimard, collection L’esprit de la cité, 2006.
    3. Ce qui fut le cas de la IIIe République en guerre de 1914 à 1918 ou des Etats-Unis jusqu’au 11 septembre 2001.
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  • La laïcité : une idéologie au service du Grand Remplacement ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré à la question de la laïcité...

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    La laïcité : une idéologie désormais au service du Grand Remplacement

    La laïcité serait, selon l’oligarchie, la réponse « républicaine » à l’islamisme et un levier du fameux « vivre-ensemble ».

    Mais c’est une totale duperie, qui ne sert qu’à déconstruire toujours plus notre civilisation.

    La déesse Raison

     La laïcité est une invention des Lumières, reprise ensuite, en partie, par la Révolution française ; en partie seulement parce les républicains ne sont pas tous hostiles à la religion, loin de là : beaucoup sont d’ailleurs déistes, à commencer par Robespierre. Même si, au-delà de la lutte contre les ordres de la société d’Ancien Régime, pour les intellectuels des Lumières, la religion correspond à un stade dépassé et obscurantiste du développement humain, appelé à se voir remplacé par celui de la Raison et de la Science. On célèbre alors la déesse Raison dans des églises reconverties à cet effet, ce qui est quand même une légère contradiction…

    Cependant la laïcité telle qu’on l’invoque aujourd’hui est assez différente car reformulée à la sauce libérale/libertaire. Elle ne correspond plus vraiment, en outre, à la doctrine élaborée et mise en œuvre sous la Troisième République, avec notamment la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

    Une laïcité de combat

    La laïcité de la Troisième République était avant tout de nature politique, en effet : elle visait à réduire l’influence sociale de l’Eglise catholique, considérée comme hostile au nouveau régime. En particulier dans l’enseignement : les républicains de la Troisième République voyaient loin et se sont servis de la séparation de l’Eglise et de l’Etat pour briser l’enseignement catholique. Le formatage des futurs électeurs sera désormais accompli par l’enseignement public obligatoire et laïc et aussi par la conscription.

    Il s’agissait donc d’une laïcité de combat pour enraciner le républicanisme dans la France rurale d’alors – en arrachant la population à ses déterminants religieux, comme aurait pu dire Vincent Peillon, ancien ministre de l’Education nationale. Ce qui fut fait en partie et déboucha sur un relatif consensus patriotique.

    La laïcité contemporaine : une idéologie inconsistante

    L’idéologie laïque contemporaine est de nature différente car elle exprime avant tout un individualisme d’origine libérale/libertaire, qui repose sur l’idée paradoxale que la religion pourrait et devrait rester une affaire privée – en contradiction, pourtant, avec l’étymologie même du mot puisque religion vient d’un verbe latin signifiant « relier » : la religion par principe a donc au contraire toujours une dimension communautaire. Ce qui explique aussi que la religiosité soit aussi ancienne que la socialisation humaine.

    L’idée que la religion doive être reléguée dans l’espace privé est au surplus totalement marginale à l’échelle de l’histoire et de l’humanité incarnée. Seuls les adeptes de la doxa libérale/libertaire y croient, c’est-à-dire une partie extrêmement marginale et au surplus déclinante de l’humanité.

    L’utopie de la religion privée

    Affirmer qu’une croyance religieuse relève de la simple opinion personnelle aurait d’ailleurs fait hausser les épaules de nos ancêtres et ils auraient assimilé cette attitude à une forme d’athéisme. Comme cela ferait rire les Indiens, les Japonais, les Africains ou les musulmans : tous considèrent au contraire leur religion comme une composante de leur identité culturelle et sociale. D’ailleurs dans la civilisation européenne traditionnelle, la fonction souveraine recoupait bien une dimension à la fois temporelle et spirituelle : ce qui signifie que la religion avait nécessairement « droit de cité ».

    En d’autres termes, une société où la religion ne serait qu’une inclination personnelle, sans aucune dimension sociale, n’existe tout simplement pas. Mais cette utopie fait partie de la doxa libérale/libertaire et constitue par conséquent un dogme auquel on est prié de croire de nos jours.

    Le caractère inopérant de cette idéologie apparaît pourtant clairement aujourd’hui face à l’islam, religion qui repose sur l’observation de commandements de nature sociale et qui pour cette raison ne peut se cantonner à l’espace individuel. Ce qui explique d’ailleurs la grande fragilité des régimes « musulmans laïcs » dans l’histoire, car ils reposent sur des principes incompatibles. Tous finissent par être balayés par une pratique plus orthodoxe de l’islam, sauf à se transformer en dictatures militaires pour tenter de retarder le processus.

    Une idéologie trompeuse

    A quoi sert donc l’invocation de la « laïcité » de nos jours ? A tromper les Français.

    D’abord, il y a tromperie sur le contenu du mot « laïcité ». Car dorénavant la laïcité n’est plus la séparation de l’Eglise et de l’Etat, comme en 1905, mais serait au contraire l’encouragement donné par les collectivités publiques à l’exercice des « cultes » : en clair, l’encouragement à la construction de mosquées, même si on les baptise pour la circonstance sous l’euphémisme de « centre culturel », au motif qu’il faudrait traiter toutes « les religions » de la même façon.

    Cette évolution sémantique traduit le fait que l’Etat et les collectivités publiques ne cessent de céder devant la poussée de l’islam.

    Les laïcs, un peu gênés quand même, ont d’ailleurs inventé un nouveau concept pour ce faire : la « laïcité positive », comme la discrimination du même nom ! La laïcité positive est en effet censée solutionner la quadrature du cercle laïc vis-à-vis de l’islam : comment faire croire que l’on reste « laïc » tout en cautionnant les manifestations extérieures et donc sociales de l’islam ? That is the question !

    Désinformer les Français

    L’invocation du mot laïcité sert donc à désinformer les Français : elle vise à faire croire que l’oligarchie serait, face à l’islam, dans le même esprit que celui du petit père Combes vis-à-vis des catholiques.

    Alors que nous sommes exactement dans une situation inverse.

    Les laïcs de la Troisième République voulaient contrer l’influence de l’Eglise catholique. Les oligarques « laïcs » veulent au contraire engranger les avantages électoraux – et financiers via les pétromonarchies – de leur soutien ostensible à l’islam !

    Le mot laïcité est donc devenu typiquement novlangue de nos jours : car il désigne l’inverse désormais de ce que l’on rangeait habituellement sous ce terme.

    Face à l’islam l’oligarchie prend le contrepied de la laïcité

    L’invocation de la « laïcité » ne sert donc pas du tout à cantonner l’islam dans l’espace privé.

    Une véritable attitude « laïque » devrait pourtant consister à limiter les manifestations publiques de l’islam qui finissent par s’imposer aux non-musulmans, comme on a réglementé dans le passé, pour cette raison, les sonneries de cloches des églises. Mais cela est considéré par l’oligarchie, qui lorgne sur le vote musulman, comme de… l’islamophobie d’extrême droite !

    Elle devrait aussi consister à imposer aux musulmans le respect d’un concordat national, comme on l’a fait dans le passé pour le catholicisme ou le judaïsme. Mais en réalité on fait tout le contraire puisqu’on n’impose aux musulmans aucune contrepartie aux facilités qu’on leur accorde de façon croissante.

    La laïcité à géométrie variable

    L’invocation de la « laïcité » ne sert finalement qu’un seul objectif : combattre l’identité française en s’efforçant de gommer toujours

    plus ce qui reste des racines chrétiennes des Européens en général et des Français en particulier.

    Que font en effet nos « laïcs » aujourd’hui ? S’opposent-ils aux prières dans les rues, aux repas hallal dans la restauration collective, aux

    exigences des musulmans dans les hôpitaux ou au port du voile dans les lieux publics ? Pas du tout : ils font campagne contre… les crèches de Noël dans les mairies ! ou ils veulent supprimer les fêtes chrétiennes du calendrier (*), comme ils ont commencé de le faire avec le travail dominical ; ou ils ne chassent que l’islamophobie, réelle ou prétendue, en délaissant la christianophobie.

    En d’autres termes les « laïcs » newlook masquent leur impuissance et leur lâcheté face à l’islamisation derrière une mauvaise foi ostensible, présentée comme une « valeur républicaine » : pour une commune, aider à la construction d’une mosquée c’est laïc. Par contre, installer une crèche chrétienne dans une mairie n’est pas laïc.

    La laïcité est donc, comme désormais la justice, à géométrie variable dans notre pays : dure avec les autochtones, tolérante avec les autres. Il faut dire que ces autres savent faire respecter leurs convictions et leurs croyances, à la différence des autochtones !

    La « laïcité » vient ainsi en soutien du discours sur le « vivre-ensemble » : les autochtones sont priés, et eux seuls, de mettre en sourdine leurs traditions, leurs croyances, leurs fêtes ou leur façon de vivre. Pour vivre avec les autres, c’est-à-dire en réalité comme les autres.

    Une façon de préparer leur future soumission. Ou bien leur révolte.

     Michel Geoffroy (Polémia, 18 février 2016)

     

    (*) « Je suis pour la suppression intégrale de toutes les fêtes chrétiennes en France », Pierre Bergé le 26 septembre 2013.

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  • La gauche et l'extase migratoire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alban Keetlebuters, doctorant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), cueilli sur le site de Marianne et consacré au discours sans-frontiériste de la gauche...

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    Emmanuelle Cosse, nouvelle ministre du Logement

     

    La gauche et l'extase migratoire

    De l’affaire Léonarda à l’actuel chaos migratoire, le discours sans-frontiériste selon lequel « il faut accueillir tous les migrants », comme le déclarait Emmanuelle Cosse le 3 septembre 2015, ressurgit à intervalle régulier dans le débat public. Abolir les frontières, encore et toujours. À ses yeux, la France aurait dorénavant pour mission et pour devoir de subvenir aux besoins des « migrants » du monde entier. Vaste programme.

    Suscitant la suspicion des uns et l’incompréhension des autres, l’immigration demeure l’un des principaux impensés de la gauche française. À l’ère de la « globalisation » et des « flux », la frontière est devenue pour beaucoup, et à tort, synonyme de conservatisme et de xénophobie. Esther Benbassa, sénatrice Europe Écologie Les Verts, n’avait-elle pas qualifiée de « rafle » la reconduite à la frontière de la jeune Léonarda ?

    Il faut réentendre ces mots prononcés par Régis Debray sur France Culture, peu après la parution de son Éloge des frontières (Gallimard, 2006), à contre-courant du discours caricatural qu’une partie de la gauche et des écologistes ne cesse de ressasser : « La frontière n’est pas du tout la fermeture angoissante. La frontière est une marque de modestie : je ne suis pas partout chez moi. La frontière est ambiguë, comme le sacré. On a autant de raisons de la redouter que de l’aimer. Là où il n’y a pas de frontière, il y a la guerre. Voyez le conflit israélo-palestinien. Qu’est-ce que c’est ? Une absence de frontière. On n’arrive pas à trouver la bonne frontière reconnue de part et d’autre. Il y a aujourd’hui en France un état d’esprit où, quand vous parlez frontière, on vous répond souverainisme, identité, “ethnicisme. La frontière est un tamis. Il est bon qu’elle soit une passoire, mais une passoire qui contrôle, qui régule. Sinon c’est le tohu-bohu, et le tohu-bohu c’est le rapport de forces, c’est la loi de la jungle. Dans la jungle il n’y a pas de frontières, c’est pourquoi il n’y a pas de droit ».

    Saturés d’images sensationnalistes, misérabilistes et culpabilisantes, les Français sont priés de prendre position entre l’axe du Bien et du Mal, l’ouverture ou la fermeture, le « parti de l’Autre » pour reprendre l’expression d’Alain Finkielkraut ou l’égoïsme national. Il ne manque plus que Stéphane Hessel pour inviter les citoyens à l’indignation collective : Indignez-vous ! Les réactions à la photographie obscène du petit Aylan Kurdi, que la police turque a retrouvé mort sur une plage, furent à cet égard très instructives. Comme si les Européens en général, et les Français en particulier, étaient responsables de la mort tragique de cet enfant.

    Comme le soulignait déjà Pascal Bruckner dans Le sanglot de l’homme blanc (Seuil, 1983), « chaque jour, chaque année voit s’allonger un peu plus la liste des pêchés imputés à une communauté sur qui pèse l’ancestral soupçon de souiller les sources de la vie. La méchanceté est une sorte de malédiction anthropologique attachée aux peuples des pays tempérés : l’Occident serait cruel et allergique aux autres comme l’asthmatique aux poils de chat. Quoi que nous fassions, la faute prospère à notre place, l’inexpiable nous tient. » Quiconque prétend s’interroger sur ce déferlement migratoire dégage aussitôt un parfum de pétainisme et se voit qualifié de xénophobe. La question interdite reste sans réponse : une société minée par le chômage de masse et l’accroissement des inégalités sociales, en proie à une crise de l’intégration sans précédent, cible principale du djihadisme en Europe, et dont l’ascension du parti d’extrême droite dans le champ démocratique est aussi fulgurante peut-elle – doit-elle – accueillir ces migrants ?

    D’autre part, sur les épaules de quelle partie de la population leur accueil va-t-il peser ? Seront-ils accueillis dans les villes ethniquement, socialement et culturellement à la fois homogènes et privilégiées ? Ou bien seront-ils à terme, comme dans le dernier film de Jacques Audiard, Dheepan, largués dans les quartiers les plus défavorisés, ces zones de non droit détruites par la misère, la délinquance, le trafic de drogue et l’intégrisme ? Va-t-on intégrer dignement ces nouvelles populations, ou va-t-on multiplier les « jungles » à l’instar de celles de Calais et du métro La Chapelle, dans le XVIIIème arrondissement de Paris ?

    Au lieu de jouer le jeu du Medef, les indignés de service et autres pleureuses professionnelles feraient mieux de s’interroger sur les racines politiques de ce désastre migratoire, en particulier sur la politique d’ingérence qu’ils soutiennent sans faillir depuis des années.

    Alban Ketelbuters (Marianne, 15 février 2016)
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  • Donald Trump et la politique étrangère...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse de Caroline Galactéros, cueillie sur le site du Point et consacré aux positions de Donald Trump en politique étrangère. Des positions qui sont tout sauf absurdes et qui font trembler l'establishment de Washington et le lobby militaro-industriel. L'analyse de l'auteur rejoint par bien des points celle d'un observateur avisé comme Philippe Grasset sur son site De Defensa...

     

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    La politique étrangère vue par Donald Trump

    Vue d'Europe, notamment de Paris, la victoire éventuelle du tonitruant Donald Trump à la primaire républicaine en vue de la présidentielle américaine est présentée comme une catastrophe. Rustique, emporté, machiste assumé, briseur des tabous de la political correctness si prisée des élites sur les deux rives de l'Atlantique, il passe pour un éléphant dans un magasin de porcelaine qui fracasserait sans réfléchir les potiches-mantras d'une Amérique « gendarme du monde » répandant par le feu, le sang et le dollar la démocratie et surtout le marché sur la partie encore arriérée de notre planète. Le milliardaire-outsider a ligué contre lui « l'establishment » démocrate mais aussi républicain, notamment les néoconservateurs qui, derrière leurs concurrents Ted Cruz ou Marc Rubio, ne décolèrent pas de le voir surfer sur le désaveu de l'électorat pour les politiciens-patriciens, aussi démagogues mais plus déconnectés encore de la réalité américaine. C'est un animal politique qui détruit les codes de pensée et de parole et les understatements calibrés de la compétition présidentielle. Il parle à l'Amérique profonde, la choque et la rafraîchit tout à la fois.

    Nul ne peut encore dire s'il va l'emporter ou s'effondrer. Sa nette victoire dans le New Hampshire doit lui donner des ailes. Malgré la camarilla médiatique lancée contre lui, un fait notable doit retenir l'attention : Trump a une vision des relations internationales tout à fait originale et, osons le dire, novatrice. En ce domaine, son abandon pourrait être une mauvaise nouvelle pour la paix du monde. Car il se démarque sensiblement de l'interventionnisme propre à tous les autres candidats, à l'exception de Bernie Sanders. Ceux-ci, ignorant les fiascos stratégiques irakien, afghan ou libyen, persistent à voir dans l'aventurisme militaire et l'entretien d'un savant chaos – notamment moyen-oriental – des martingales pour restaurer la puissance et l'influence américaines en chute libre depuis 2003. Chacun d'eux propose un alliage d'impérialisme classique dont seules les proportions de soft et de hard power diffèrent.

    Donald, lui, s'insurge contre cette dispendieuse et contre-productive tendance américaine à se mêler de tout. Il se soucie comme d'une guigne du « regime change » et de la « responsabilité de protéger ». Il ne croit pas dans l'expansion souhaitable des droits de l'homme qu'il assimile à « un prêchi-prêcha » dangereux et ruineux. C'est un homme d'affaires, qui aime le statu quo et trouve aux régimes autoritaires des vertus, notamment en matière de lutte contre l'islamisme. Il recherche des marchandages globaux et équilibrés avec des interlocuteurs à poigne qui peuvent partager son langage, celui du pur intérêt national. La multipolarité du monde est pour lui une évidence. Il faut s'en accommoder et baser les relations internationales sur des convergences d'intérêt pragmatiques. Ce realpoliticien ne voit dans le messianisme américain qu'une « danseuse » hors de prix trop sujette aux entorses. Son mercantilisme profond rime avec un protectionnisme et un isolationnisme mesurés, l'intervention américaine ne pouvant se concevoir que contre gains sonnants et trébuchants ou réciprocité protectrice.

    Vision contre-intuitive

    Dans l'atmosphère actuelle où le moralisme entêté sert de cache-misère au cynisme producteur d'ultra-violence et au chaos sécuritaire, cette vision du monde paraît contre-intuitive. Aussi passe-t-il pour un populiste naïf et va-t-en-guerre, alors qu'il a mieux compris que d'autres les conditions d'un apaisement de la conflictualité mondiale, et l'ordre des priorités souhaitable pour un Occident en déroute : acceptation de la multipolarité du monde, lucidité, réciprocité, recherche de compromis équilibrés, non-ingérence dans les affaires des États, respect de la légalité internationale. On peut trouver quelques inconséquences ou naïvetés dans cette profession de foi décoiffante. Par exemple, la posture de Barack Obama lui semble infiniment trop conciliante envers l'Iran, mais aussi envers le Japon, les Philippines, le Mexique ou même l'Europe, qui « profiteraient » indûment de la protection américaine sans bourse délier. C'est évidemment un peu court et même partiellement faux.

    La politique américaine de bases militaires permanentes dans les zones d'influence déterminées en Asie et en Europe, initiée après la Seconde Guerre mondiale, reste moins dispendieuse que des corps expéditionnaires projetés à grands frais au coup par coup. Surtout, elle a rapporté gros en termes de puissance et d'influence économique et culturelle. Elle correspond aussi à une emprise stratégique et militaire. La conditionnalité de ce « parapluie sécuritaire » américain ne se mesure pas qu'en argent, même si les achats d'armements en sont une contrepartie majeure – comme viennent encore de le démontrer les Polonais en annonçant l'achat probable d'hélicoptères de combat Black Hawk et AW 149 au détriment des Caracal d'Airbus –, et il faut se souvenir que le Japon financera près des deux tiers de la guerre du Golfe de 1990. Le marchandage réside surtout dans la limitation de la souveraineté de facto admise par ces affidés qui ont accepté un contrôle géopolitique étroit de Washington. L'Otan est le véhicule institutionnel et opérationnel de cette dépendance consentie qui a tué dans l'œuf le projet d'une « Europe-puissance », celui d'une défense européenne autonome, y compris au plan industriel, et ruiné jusqu'à la simple ébauche d'un rapprochement politique et stratégique avec la Russie, puisque les anciens satellites de Moscou ont tous été « accueillis » dans l'Otan et dans l'UE.

    Pour Trump, ce sur-engagement des États-Unis dans le monde ne les a pas vraiment servis. L'ingratitude de leurs alliés, le déclenchement d'hostilités ouvertes entre civilisations concurrentes doivent conduire Washington à « réduire la voilure » de cet impérialisme à contre-emploi. On peut parier que le complexe militaro-industriel fera tout pour qu'il échoue...

    Donald Trump porte donc des lunettes neuves pour voir le monde tel qu'il est et ne va pas. C'est ce qu'on lui reproche. À ses yeux, mieux vaut les régimes autoritaires que le chaos, et une diplomatie fondée, non sur la confiance ou l'amitié feinte, mais sur le respect et des convergences équilibrées d'intérêts bien compris. Comme en affaires, il faut se parler, beaucoup, souvent, pour bien se comprendre et nouer des partenariats vigilants mutuellement fructueux. Et en matière de négociations, rien de tel que des personnalités fortes plutôt que des leaders fuyants et ondoyants. Trump ne voit pas l'autorité ni le charisme comme des handicaps, mais comme des vertus pour guider et composer. La Russie est à ses yeux un État puissant, tenu par un pouvoir autoritaire légitime qu'il faut arrêter d'ostraciser et aider plutôt à « faire le job » en Syrie et en Irak contre Daech et les autres islamistes, soutenus et armés par l'Amérique à contre-emploi, car ils sont tous hors de contrôle.

    Dans sa conception très darwinienne de la puissance, les empires vont et viennent. Ils doivent impérativement s'adapter pour survivre. La définition claire du périmètre (restreint) de « l'intérêt national », la réciprocité comme base cardinale d'échange, la négociation musclée comme mode d'action sont les pierres angulaires de cette pensée plus stratégique que tactique, délibérément affranchie de toute idéologie et a-dogmatique. Elle puise ses racines au XIXe siècle, dans le mercantilisme d'un Robert Taft, sénateur opposé au libre-échangisme de Truman, à la politique de containment de l'Union soviétique et à la création de l'OTAN, jugée over-reactive, et aussi chez Charles Lindbergh qui a dirigé le courant isolationniste America First Movement.

    Une pensée inconfortable

    Notre turbulent candidat considère que la Chine, dont la politique monétaire déstabilise à dessein l'Amérique, est l'ennemi véritable. Il faut cesser d'encourager sa démocratisation, car on lui facilite la vie… De là à effectuer, comme il le propose, un repli stratégique de l'Asie, à rebours du shift towards Asia amorcé sous George Bush junior et consolidé sensiblement sous Obama, il y a certes une marge d'appréciation… Là encore, cette conception « trumpienne » est partiellement naïve : les encouragements occidentaux à l'ouverture de la société et du régime chinois visent à déstabiliser ce dernier, non à l'aider. Tout l'enjeu pour le pouvoir de Pékin est de maîtriser la tension grandissante entre, d'une part, les impératifs d'une modernisation économique et sociale, du développement de son marché intérieur, de la gestion des aspirations populaires et de l'ouverture au monde et, d'autre part, le maintien d'un contrôle politique étroit de cette population immense.

    Peut-on pour autant accuser d'irréalisme un homme qui reconnaît sans ambages que « l'Irak a été un désastre et (que) Daech est né de ce désastre » ? On ne peut en tout cas lui dénier un solide pragmatisme et une certaine créativité conceptuelle, certes intellectuellement inconfortable comparée au discours d'une Hillary Clinton incapable de penser out of the box, qui voit encore en l'Amérique « la Nation indispensable » à qui revient naturellement le devoir d'imposer la vision d'un monde divisé entre good et bad guys et tenante de l'hégémonie libérale d'une pax americana dont tant d'États ne veulent plus. Si Hillary Clinton arrivait au pouvoir, on peut parier qu'elle conforterait une ligne impérialiste, donc interventionniste classique, camouflée sous les traditionnels oripeaux moralisateurs qui ont pourtant laissé le roi nu depuis septembre 2001.

    Une chance pour l'Europe

    Le plus intéressant dans cette « doctrine Trump » tient finalement en deux points, sur lesquels les Européens pourraient utilement méditer :

    - une inclination forte pour un désengagement américain de l'Otan en Europe, qui ouvrirait une fenêtre inespérée pour relancer la politique européenne de défense et de sécurité, et pousser l'UE à se penser de nouveau comme un acteur de l'histoire, alliée, mais non alignée systématiquement sur les desiderata de Washington.

    - dans le prolongement du projet gaullien d'une Europe européenne « de l'Atlantique à l'Oural », François Mitterrand avait échafaudé, dans la foulée de la réunification allemande qu'il n'avait pas vu venir, le projet d'une véritable Confédération européenne, sans l'Amérique, qui englobait la Russie autour d'une Pax Europa, "afin que l'Europe reprenne sa vraie place dans le monde après son autodestruction des deux dernières guerres mondiales ». Mikhail Gorbatchev y avait trouvé l'écho à son propre projet de « Maison commune », convergence scellée, le 29 octobre 1990, par le Traité franco-soviétique d'entente et de coopération. C'était sans compter sur la doctrine Baker. Dès décembre 1989, les Américains feront pression sur les Allemands afin qu'ils encouragent l'approfondissement de la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, future OSCE) dont les USA font partie... À partir du début de l'année 1991, Washington finance larga manu les pays d'Europe centrale et orientale et les monte contre le projet de Confédération européenne, au prétexte qu'il viserait à les exclure de la CEE (future UE). L'élargissement parallèle de l'Otan et de la CEE (présenté comme son pendant « naturel ») aux anciennes républiques-satellites ensevelira méthodiquement l'ambitieuse perspective franco-russe qui réunifiait enfin les deux parties du continent européen... et lui aurait conféré un poids stratégique considérable.

    Une autre lecture du Choc des civilisations

    Last but not least, Donald Trump serait-il le premier à bien lire Samuel Huntington et son Clash of Civilizations paru en 1996, mais déjà ébauché dans Foreign Affairs dès 1993 ? La lecture hâtive de l'ouvrage du politologue américain a conduit à une interprétation partiale et dangereuse de sa pensée. Pour Huntington en effet, nous sommes bien passés d'un monde bipolaire - basé sur l'opposition entre le monde occidental démocratique et « plus riche », et le monde communiste « plus pauvre » - à un monde multipolaire. Mais c'est à tort que l'on voie dans sa théorie l'origine de la politique néoconservatrice de Georges W. Bush et de sa guerre contre « l'axe du Mal ».

    En réalité, l'analyse de Georges W. Bush (ou plutôt de son entourage) recouvre pour partie seulement les postulats de Huntington sur l'existence de différentes civilisations et sur les difficultés de coexistence entre elles. Le néo-conservatisme interventionniste développé à partir de la première guerre du Golfe (1990) va à l'inverse des conséquences stratégiques que Samule Huntington tire de son constat anthropologique initial très clivant (notamment à l'endroit du monde musulman). Il condamne en effet fermement l'interventionnisme, le Regime change et le Nation building, y voyant des utopies dangereuses qui ne feront qu'exacerber la violence entre les différentes civilisations. Visionnaire, il encourage une forme d'isolationnisme pour les USA qui ne doivent plus être dans un rapport de force pure avec les autres États, mais inventer un nouveau rapport de négociation avec les États champions et hérauts des différentes civilisations afin d'organiser au mieux leur coexistence. Ce message de paix et de bon sens ne vous rappelle-t-il pas quelqu'un ?

    Entourage

    S'il n'a pas (encore) d'équipe constituée en matière de politique étrangère, Donald Trump s'appuie sur les conseils de son chef de campagne, Sam Clovis, ancien colonel de l'US Air Force et sur le général Michael Flynn, ancien patron de la Defense Intelligence Agency (Agence américaine du renseignement militaire). Le général Flynn est connu pour sa critique explosive, à partir de son départ de la DIA en 2014, de la décision américaine de ne pas stopper l'émergence de l'État islamique en Irak et au Levant, mais au contraire de soutenir la formation de groupes djihadistes naissants comme forces d'opposition en Syrie (salafistes, Frères musulmans et Al-Qaïda en Irak notamment). Une nébuleuse connue aujourd'hui sous le nom… de Daech.

    Trump n'est donc pas si désinformé ou ignorant qu'on le dit. Il devrait désormais songer à s'adjoindre aussi les services de Henry Kissinger, le vieux maître du réalisme stratégique, qui semble redécouvrir avec une ferveur salutaire les vertus d'un partenariat stratégique équilibré avec Moscou au bénéfice du monde entier.

    Caroline Galactéros (Le Point, 11 février 2016)

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  • Hervé Juvin et la crise des migrants...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous le point de vue très clair d'Hervé Juvin sur la crise des migrants, exprimé à l'occasion de son passage le 25 janvier 2016 sur la chaîne Public Sénat et cueilli par Fdesouche.

    Économiste de formation, Hervé Juvin a publié plusieurs essais particulièrement marquants ces dernières années comme Le renversement du monde (Gallimard, 2010), La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013) ou Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé (Pierre-Guillaume de Roux, 2015).

     

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