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Entretiens - Page 90

  • Macron, le liquidateur...

    Le 24 septembre 2020, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Frédéric Rouvillois, pour évoquer son essai intitulé Liquidation - Emmanuel Macron et le saint-simonisme venant de paraître aux éditions du Cerf.

    Professeur de droit public à l’université Paris-Descartes, Frédéric Rouvillois est l'auteur de plusieurs ouvrages d'histoire des idées comme Histoire de la politesse (2006), Histoire du snobisme (2008),  tous deux disponibles en format de poche dans la collection Champs Flammarion, L’invention du progrès (CNRS éditions, 2010) et Être (ou ne pas être) républicain (Cerf, 2015). Il a également dirigé avec Olivier Dard et Christophe Boutin, le Dictionnaire du conservatisme (Cerf, 2017) et le Dictionnaire des populismes (Cerf, 2019). Enfin, il a publié récemment un roman, Les fidèles (Pierre-Guillaume de roux, 2020).

     

                                           

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  • L’urbanisme, de Romulus à Le Corbusier...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien du Cercle Henri Lagrange avec Pierre le Vigan, réalisé en septembre 2020 et consacré à l'urbanisme.

    Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Soudain la postmodernité (La Barque d'or, 2015) et dernièrement Achever le nihilisme (Sigest, 2019).

     

     

                                             

     

    Au sommaire :

    00:00:23 - Différences entre "maçonnerie", "architecture" et "urbanisme"

    00:06:11 - Qu'est qu'une "cité"?

    00:09:01 - Qu’est-ce que le "synœcisme" ?

    00:10:11- La "Cité idéale" de Platon

    00:11:52 - Aristote

    00:13:12 - Qu'est-ce que le "pomerium"

    00:14:39 - Les murailles

    00:17:38 - Les utopies urbanistiques de la Renaissances

    00:20:35 - Impact de la révolution industrielle sur la ville

    00:24:26 - Le Paris d'Hausmann

    00:30:12 - Les utopies urbanistiques du XIXeme siècle

    00:32:43 - Les mouvements "culturaliste", "progressiste" et "naturaliste"

    00:39:08 - Le Corbusier

    00:45:08 - Le "Plan Voisin"

    00:49:30 - Bauhaus et l’avant-garde soviétique

    00:56:51 - Les "grands ensembles" en France

    01:04:59 - Le regard d'un urbaniste sur la banlieue

    01:11:18 - la conception contemporaine de la rue

    01:15:15 - Les mouvements "modernes" et "post-modernes"

    01:20:33 - Le mode de contrôle contemporain de la ville

    01:22:32 - Qu'est ce que la "smart city"?

    01:23:32 - La ville de demain

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  • Covid-19 : quand la récession s’ajoute à la dépression...

    Dans l'émission Politique & Eco de TV Libertés du 14 septembre 2020, Pierre Bergerot recevait Jacques Sapir pour évoquer la crise économique qui monte. Économiste hétérodoxe et figure de la gauche souverainiste, Jacques  Sapir a publié de nombreux essais comme La fin de l'euro-libéralisme (Seuil, 2006), La démondialisation (Seuil, 2011) ou Souveraineté - Démocratie - Laïcité (Michalon, 2016).

     

                                           

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  • Demain, le Moyen Age ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Guillaume Travers à Rébellion à l'occasion de la publication de son essai Économie médiévale et société féodale (La Nouvelle Librairie, 2020). Professeur d'économie, Guillaume Travers est chroniqueur à la revue Éléments et a déjà publié Pourquoi tant d'inégalités ? (La Nouvelle Librairie, 2020), un petit essai de réfutation des thèses de l'économiste Thomas Piketty.

     

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    Entretien avec Guillaume Travers : « le Moyen Âge conserve une puissance d’évocation considérable »

    L’économie médiévale est le fruit de la féodalité. Quelles sont les aspects fondamentaux de ce système que l’on retrouve dans son système économie ?

    Guillaume Travers : Trois éléments me semblent essentiels. Tout d’abord, le système féodal s’inscrit dans un monde essentiellement rural, marqué par un très fort attachement à la terre. Tout y est fortement territorialisé, ancré dans des communautés villageoises, des seigneuries, des provinces. Cela contraste fortement avec le monde antique, qui connaissait la grande ville, le commerce lointain. Le monde médiéval est celui qui communautés qui, dans une large mesure, sont autarciques. Le deuxième point est l’importance de l’idéal de vie communautaire : communautés villageoises dans le monde rural, et communautés de métiers en ville. Tout y est subordonné : rites, fêtes, l’organisation des travaux, etc. Chaque communauté a sa fierté, veut honorer ses saints aussi bien que les autres, etc. Enfin, un point fondamental est l’importance du serment : la hiérarchie sociale est fondée sur des relations d’allégeance mutuelle, qui n’ont rien d’unidirectionnel. Chacun a des devoirs envers les autres. La société est le produit de ces relations fondées sur l’honneur, la parole donnée, la coutume, etc.

    Le monde paysan est fortement marqué par l’aspect communautaire. Comment s’organise la propriété collective des biens communaux ?

    Le monde paysan, qui est évidemment majoritaire, a une très forte dimension communautaire. Les grands moments de la vie paysanne, à commencer par les récoltes, mettent en branle l’ensemble de la communauté. On ne laboure ni ne récolte seul dans son coin : chacun a besoin de tous. La communauté villageoise est donc une communauté de vie, mais aussi une communauté de travail. En outre, sur de nombreuses terres, le concept de propriété n’a pas de sens. Même si la terre est celle d’un seigneur, celui-ci ne peut pas la vendre, en faire ce qu’il veut. Il doit respecter les droits de villageois sur cette terre, pour y faire paître du bétail, y collecter du bois ou des fruits, etc. Ainsi, l’organisation de ces « champs communs » est régulée par un très grand nombre de droits issus des serments passés et de la coutume. Ce n’est ni une propriété privée, ni l’anarchie d’une propriété collective qui ne connaîtrait aucune limite. Sur ce point encore, le Moyen Âge nous apparaît comme un monde peu compréhensible si l’on s’en tient aux cadres mentaux modernes.

    Comment la notion de travail était-elle perçue par les européens du Moyen-Age ?

    Contrairement à l’Antiquité, qui perçoit négativement le travail (le tripalium, d’où vient le mot « travail », est un instrument de torture), celui-ci est central au Moyen Âge. Tout le monde ne travaille pas, bien évidemment : les nobles au moins en sont dispensés, car il se consacrent à la fonction militaire (le cas des religieux est plus complexe, car l’activité monastique valorise le travail manuel). Dans le tiers-état, les communautés sont essentiellement définies par leur métier. La communauté villageoise est avant tout la communauté des paysans, et les corporations du monde urbain sont des communautés de métiers. Cependant, la conception du travail dont témoigne cette organisation est toute différente de la conception moderne : le travail n’y est pas une marchandise, il n’a pas un prix de marché. Tout le but de l’organisation corporative est d’encadrer le travail, de fixer sa juste valeur indépendamment de l’offre et de la demande, de maintenir une grande exigence de qualité des biens produits, et de permettre à chacun de vivre dignement. Le travail a ainsi un but qualitatif. L’idée selon laquelle le travail serait un moyen de faire fortune, d’accumuler de la richesse, est un non-sens pour les esprits médiévaux : ces esprits visent la qualité, non la quantité. C’est l’essor du commerce, ainsi que l’a bien montré Werner Sombart, qui progressivement orientera l’esprit des hommes vers la seule quantité.

    Les productions et les échanges commerciaux étaient fixés par l’idée de « juste prix ». Qu’implique ce principe ?

    L’idée de juste prix se comprend avant tout par contraste avec le « système des prix » moderne. Aujourd’hui, pour nous, le prix d’une chose est quelque chose d’impersonnel : c’est le résultat de la confrontation d’une offre et d’une demande. On regarde par exemple les prix des matières premières, ou des denrées alimentaires, monter et baisser sans y attribuer aucune valeur morale, aucune signification. Ces prix résultent de la pure confrontation de milliers d’intérêts privés sur le « marché » mondial. À l’inverse, le « juste prix » est un prix qui reflète une vision du bien commun. Par exemple, le prix d’un bien doit être suffisamment élevé pour rémunérer le travail d’un artisan, la qualité d’une œuvre. Mais il ne doit pas être trop élevé pour permettre à la communauté de vivre. Un autre exemple parlant est celui d’une pénurie alimentaire. Sur un marché libre, celui qui a un stock de grains peut l’écouler à prix d’or en exploitant la farine. La théorie du « juste prix » nous dit au contraire qu’il doit offrir son grain à prix raisonnables, précisément parce que c’est intérêt de la communauté qui est en jeu.

    Quelle était la place de l’argent et du crédit dans ce modèle économique ?

    Il faut distinguer deux choses, l’argent et le crédit. Concernant l’argent, la monnaie, sa place est marginale. Dans une large mesure, on peut dire que le Moyen Âge naît comme une réponse à la « famine monétaire » (Marc Bloch) qui suit l’effondrement de l’Empire romain et l’irruption de l’islam en Méditerranée. Si la monnaie n’est plus couramment disponible, alors il faut trouver d’autres modes d’échange. Ce sera le don et le contre-don, et ce seront aussi les serments. Par exemple, puisque la quantité de monnaie n’est pas suffisante pour payer des salaires, on recours à d’autres engagements : un seigneur laisse exploiter sa terre, mais exige en retour un paiement en nature (champart). Quant aux valeurs monétaires, elles n’inspirent pas du tout les hommes du Moyen Âge, qui ne se battent pas pour l’argent, mais pour d’autres valeurs, notamment sacrées.

    Concernant le crédit, cette question est souvent mal comprise. Des formes de crédit existent, et les mécanismes de don et de contre-don en sont une : si mon voisin a besoin de tel outil, je lui prête, et il viendra à mon secours dans le futur. Ces opérations de crédit quotidien sont créatrices d’obligations réciproques, sans cesse renouvelées. Elles sont le ciment de la communauté : on se doit aujourd’hui parce que l’on s’est déjà aidé hier, parce qu’il faut sans cesse rendre ce qu’on a reçu. C’est bien différent de l’usure qui, elle, est explicitement condamnée. L’usure est un excès, quelque chose qui brise l’existence communautaire : elle se produit lorsque j’exige trop, tout de suite, en exploitant les nécessités immédiates de mes voisins.

    Guildes et corporations organisent le monde des artisans urbains. Comment se forment et évoluent ses institutions ?

    La naissance des communautés de métiers coïncide avec celle des villes. Cependant, leur histoire primitive est assez mal connue, faute de sources. On ne connaît bien les corporations que plusieurs décennies après leur apparition. Ce qui est certain est la chose suivante : le Moyen Âge est un monde communautés. Durant le haut Moyen Âge, ces communautés sont presque essentiellement rurales. Avec l’essor du monde urbain, un nombre croissant d’artisans s’installent en ville. Les corporations se forment pour devenir leur communauté. Les corporations jouent évidemment un rôle économique (régulation des prix, limitation de la concurrence, etc.), mais ce sont aussi des communautés de vie. Elles garantissent des prestations sociales en cas d’accident, protègent non seulement l’artisan mais aussi sa famille, organisent des fêtes communautaires, honorent des saints propres, etc. Tout au long du Moyen Âge, ce fonctionnement semble satisfaisant, et le rôle structurant des corporations n’est pas remis en question. Ce n’est qu’assez tardivement qu’elles sont attaquées, essentiellement au XVIIIe siècle, et par ceux qui refusent toute vision communautaire de l’existence, au nom d’un individualisme abstrait. À ce moment-là, les choses n’ont plus grand-chose à voir avec ce qu’elles ont longtemps été. En effet, au XVIIe et au XVIIIe siècles principalement, l’interventionnisme royal va progressivement dénaturer le fonctionnement des corporations : alors qu’elles étaient un composant fonctionner de l’ordre social, leur statut a peu à peu évolué pour devenir un privilège royal qu’on achète.

    L’origine du capitalisme en Occident fait débat. Comment expliquer qu’il naisse et se développe en Europe à la fin du Moyen-Age ?

    La question est fort complexe, et j’y consacre d’ailleurs un second volume (Capitalisme moderne et société de marché) à paraître dans quelques jours chez le même éditeur. Pour faire simple, disons qu’il y a plusieurs forces. La première et la plus puissante est la philosophie individualiste, source du libéralisme, qui est portée par la classe bourgeoise montante. La source même de cette philosophie fait débat, et des influences religieuses (judaïsme, protestantisme) sont indéniables. Il y a ensuite la montée en puissance des Etats centralisés : ces Etats se construisent en partie contre les attachement plus locaux, contre les féodalités, les provinces, etc., qui étaient le cœur du monde médiéval. Il y a enfin un rôle de la technique, qui se manifeste un peu plus tard : au XIXe siècle, les chemins de fer permettent un décloisonnement des provinces sans précédent.

    Au 19ème et au 20ème siècle, de William Morris à Werner Sombart, des courants très différends vont idéaliser et réhabiliter l’apport communautaire médiéval. Quelle place conserve dans l’imaginaire européen ce « contre-modèle  » dans son opposition au capitalisme triomphant ?

    Il est absolument frappant que tout le XIXe siècle contribue à réhabiliter le monde médiéval : outre les deux noms que vous mentionnez, on pourrait aussi citer tout le courant romantique allemand, de nombreux auteurs catholiques, quantité de romans de chevalerie anglais. Les hommes de ce siècle ont sous les yeux le triomphe du capitalisme, qui est particulièrement violent au XIXe siècle : déracinement de l’ancienne population rurale, abandon des fêtes, des traditions populaires, destruction de la nature et enlaidissement du monde par les usines, etc. S’il est parfois idéalisé, le Moyen Âge conserve une puissance d’évocation considérable. Je crois qu’il en est toujours ainsi aujourd’hui. Le mélange de sacré et de chevaleresque, l’architecture de lourdes pierres, la légèreté des cathédrales, l’existence communautaire, sont autant d’images qui éveillent l’imaginaire de nombres de nos contemporains. Notons enfin que les historiens ont depuis longtemps fait litière de l’idée d’un « sombre » Moyen Âge : il faut pour cela rendre grâce à Marc Bloch, Georges Duby, Jacques le Goff, Régine Pernoud, et quelques autres.

    Pensez-vous que le « socialisme féodal » soit une source d’inspiration encore d’actualité ?

    Je pense que le modèle économique féodal peut nous inspirer. Tout d’abord, je pense que nous pourrions partiellement y revenir, qu’on le veuille ou non : les grandes villes sont de plus en plus invivables, il y a un vrai besoin de réenracinement, de circuits courts, etc. Je vois autour de moi des petites communautés en train de se reformer en milieu rural. Tout cela est évidemment le fait d’une minorité très consciente. Mais les circonstances pourraient accélérer la dynamique de manière imprévue. N’oublions pas que la fin de l’Empire romain a vu la population des villes s’effondrer (celle de Rome divisée par 20) : la civilisation urbaine n’est pas un acquis, et pourrait refluer un jour. Il nous faudra alors d’autres modèles.

    Guillaume Travers (Rébellion, 31 août 2020)

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  • Le déclin de l'Europe ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par David Engels à Dominicains.Tv, en décembre dernier à l'occasion de la publication en français de son essai Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels est déjà l'auteur d'un autre essai traduit en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et a dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

                                         

                                         

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  • Vers l'autodéfense ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Eric Werner au syndicat étudiant La Cocarde étudiante à l'occasion de la publication récente de son essai Légitimité de l'autodéfense (Xénia, 2019). Philosophe politique suisse, adepte d'une pensée claire et rigoureuse, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais essentiels comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) ou De l'extermination (Thaël, 1993 puis Xénia, 2013). Il vient de publier dernièrement Un air de guerre (Xénia, 2017). Contributeur régulier d'Antipresse, il publie également de courtes chroniques sur l'Avant-blog.

     

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    Vers l'autodéfense ?

    La Cocarde étudiante : Dans votre ouvrage, vous analysez l’effacement, dans nos sociétés occidentales, de la frontière entre la guerre et la paix, et le mélange des deux états. L’actualité française est marquée par une succession dramatique d’agressions et d’homicides ultra-violents, aux motifs dérisoires et dont les auteurs sont quasi-systématiquement étrangers, « migrants » ou d’origine étrangère. Le concept d’ « ensauvagement » vous semble-t-il opérant pour analyser et comprendre ce phénomène ?

    Eric Werner : Effectivement, la frontière entre la guerre et la paix tend à s’effacer, ce qui fait qu’on ne sait plus trop aujourd’hui par où elle passe. C’est très flou. Mais il faut aller plus loin encore. C’est la question même de savoir si l’on est en paix ou en guerre qui apparaît aujourd’hui dépassée. Elle l’est pour une raison simple, c’est que tout, aujourd’hui, est guerre. La guerre est devenue « hors limites » (pour reprendre le titre du livre de Qiao Liang et Wang Xiangsui). Il n’y a plus dès lors à se demander si l’on est en paix ou en guerre. Car a priori l’on est en guerre. C’est le cas en particulier au plan interne. Il y a différentes manières de qualifier l’état de choses actuel en France, mais on pourrait se demander si la référence à la paix civile est bien encore la plus appropriée.

    Entrons un peu maintenant dans les détails. Vous parlez d’ « agressions et d’homicides ultra-violents, aux motifs dérisoires ». Plus ils sont dérisoires, plus évidemment on est amené à se demander si la véritable motivation ne serait pas d’ordre politique. Sauf que cette motivation ne s’affiche pas toujours ouvertement. On peut en revanche se référer au contexte : djihad, indigénisme, surenchères post- ou décoloniales, iconoclasme, culture Woke, etc. Rappelons également la formule de Clausewitz : la guerre, poursuite de la politique par d’autres moyens. La criminalité en elle-même n’est pas la guerre. Elle ne le devient que lorsqu’elle devient un moyen de la politique. Mais alors, très clairement, le devient. On pourrait se demander si ce n’est pas aujourd’hui le cas.
    Autre point à considérer : on est en présence d’un phénomène évolutif. Pour l’instant encore, les agressions et les meurtres dont vous parlez (auxquels il faudrait ajouter les viols collectifs, les profanations d’églises et de cimetières, d’innombrables actes de vandalisme, probablement aussi un certain nombre d’incendies, etc.) relèvent de la micro-criminalité (ou encore d’une criminalité « moléculaire »). Autrement dit, ils restent dispersés dans le temps et dans l’espace, ne constituent donc pas encore un ensemble d’un seul tenant. Mais il est tout à fait concevable qu’ils le deviennent un jour, ne serait-ce qu’au travers de la contagion mimétique. Vous-même le relevez d’ailleurs, ils tendent aujourd’hui à se multiplier. C’est le cas en particulier dans les centre-villes, jusqu’ici relativement épargnés. Relevons au passage l’inexistence, ou quasi-inexistence, de la réponse policière, avec pour conséquence le développement d’un  sentiment d’impunité poussant les voyous et les criminels à se montrer toujours plus agressifs et entreprenants. Bref, on a de bonnes raisons de penser qu’à un moment donné, une « coagulation », se fera,  la micro-criminalité en question se transmuant alors en émeute (à l’échelle d’un quartier, d’abord, puis d’une ville). L’événement n’est pas complètement inédit. Rappelons pour mémoire les émeutes raciales de 2005 en région parisienne (avec des débordements jusqu’au cœur de la capitale). C’est une deuxième étape de l’évolution. Mais il peut y en avoir encore une troisième. Du niveau de l’émeute on peut ensuite passer à celui de l’insurrection. L’émeute s’étend dès lors à l’ensemble du territoire. C’est ce qui s’était passé, par exemple, en 1789. Rien ne dit que le processus actuel ira jusqu’à son terme, mais on ne saurait a priori en exclure la possibilité. Tout dépend de ce que décideront ou non de faire les victimes potentielles : se défendront-elles ou non ? En 1789, elles s’attendaient si peu à ce qui leur arriva qu’elles n’eurent pas le temps seulement de se poser la question. Et donc ne se défendirent pas. C’est bien montré par Taine dans Les Origines de la France contemporaine.

    Je réponds par là même à votre question sur l’ensauvagement. Cette terminologie est évidemment inadéquate. Les voyous et les criminels qui agressant aujourd’hui les personnes dans la rue et souvent les tuent, ne le font pas parce qu’ils seraient soi-disant retournés à l’état sauvage. Ils font la guerre, c’est tout. La guerre, que je sache, ne s’est jamais signalée par son caractère particulièrement humain ou civilisé.

    L’État ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation, ne serait-ce que dans le choix des mots de ses responsables (« incivilités ») ou dans l’absence de traitement des causes profondes de cette ultraviolence et de l’insécurité permanente. Peut-on dire qu’en France, le pacte social entre l’Etat et ses citoyens est rompu ? 

    L’Etat ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation, dites-vous. Il en a au contraire tout a fait pris la mesure, puisqu’il est lui-même à l’origine de cet état de choses, ne serait-ce qu’en l’ayant laissé se développer comme il l’a fait. Mais on pourrait aussi le soupçonner de l’avoir lui-même mis en place. En tout cas, il n’a rien fait pour en empêcher ou seulement même freiner la mise en place (par un meilleur contrôle des frontières, par exemple, ou encore en veillant à ce que les voyous et les criminels se voient appliquer les peines prévues par la loi : ce qui, on le sait, n’est jamais le cas). Sauf qu’il ne le qualifierait pas, quant à lui, de « grave ». Comme il lui est à tous égards hautement profitable, au moins le pense-t-il (c’est pour cette raison même qu’il l’a laissée se mettre en place), il le qualifierait plutôt de réjouissant.

    En revanche une question se pose : dans quelle mesure entend-t-il aller plus loin encore dans cette direction ? Dans mon Avant-guerre civile, je défendais l’idée suivant laquelle les dirigeants étaient prêts à aller jusqu’à l’extrême limite séparant l’avant-guerre civile de la guerre civile, mais pas au-delà. Ils ne voulaient pas basculer dans la guerre civile. C’est une thèse qu’on pouvait encore défendre en 1999 (date de la publication de la première édition de l’ouvrage), peut-être encore en 2015 (date de la deuxième édition). J’hésiterais peut-être à le faire en 2020. On a parfois le sentiment que les dirigeants actuels seraient désormais prêts à franchir la ligne de démarcation. Ce thème est développé avec brio par Laurent Obertone dans son roman d’anticipation, Guérilla. Obertone décrit une guerre civile hypothétique, avec en arrière-plan l’Etat qui tire les ficelles, et en fin de compte empoche la mise. Il s’agit là d’une œuvre de fiction, mais le décryptage qu’elle suggère de la stratégie actuelle de l’Etat, plus exactement encore des personnels qui, tout au sommet de l’Etat (ou dans ses profondeurs, comme on voudra), prennent les décisions dans un certain nombre de domaines retient l’attention. – Quant au pacte social entre l’Etat et ses citoyens, il n’y a, bien entendu, plus de pacte depuis longtemps, puisque depuis longtemps également l’Etat ne protège plus ses citoyens. Mais ce n’est pas seulement le cas en France : c’est le cas également  en nombre d’autres pays européens.

    Avec la vague d’attaques djihadistes que la France a subie depuis 2015, souvent conduites de manière tout à fait « artisanale » (attaques au couteau), l’idée d’une reprise en main de sa défense par le citoyen lui-même a gagné du terrain dans les esprits. Le citoyen, ou un regroupement de citoyens, est-il l’échelon le plus efficace aujourd’hui pour assurer la protection du peuple français ?

    Le plus efficace, je ne sais pas. De toutes les manières, il n’y en a pas d’autre. A partir du moment où l’Etat n’assure plus la protection du citoyen, ce dernier récupère ipso facto son droit naturel à l’autodéfense. Il n’y a pas de décision particulière à prendre à ce sujet, cela se fait automatiquement. Soit l’Etat fait ce qu’il lui revient de faire (c’est le pacte social qui le lui impose), et donc protège le citoyen, soit il ne le fait pas, en quel cas le citoyen récupère son droit à l’autodéfense. Maintenant, il peut aussi ne pas l’utiliser. Mais ce n’est pas parce qu’il ne l’utilise pas qu’il ne l’a pas récupéré. La question que vous posez doit donc être reformulée. On peut ne pas vouloir se défendre, c’est tout à fait possible. Mais qu’est-il préférable : se défendre ou ne pas se défendre ? Personnellement je réponds : se défendre, et cela pour au moins deux raisons : 1) L’agresseur préférerait le contraire, que je ne me défende pas. Je ferai donc ce qu’il n’a pas envie que je fasse : je me défendrai. 2) L’expérience historique montre qu’on a bien davantage de chances de rester entier et vivant en se défendant qu’en ne se défendant pas. On le voit en particulier durant les périodes de révolution et de guerre civile. Les gens qui ne se défendent pas sont à peu près sûrs de mourir. Ceux, en revanche, qui se défendent ont une petite chance au moins de s’en tirer.

    Après, il y a manière et manière de se défendre. On décide en fonction de chaque situation. Dans mon livre sur l’autodéfense, j’insiste en particulier sur le fait qu’en choisissant de se défendre plutôt que de ne pas le faire, on ne se confronte pas seulement à l’agresseur mais à l’Etat, qui directement ou non protège l’agresseur. Théoriquement l’Etat reconnaît le droit à la légitime défense, mais cette reconnaissance, justement, n’est que théorique : en fait, il ne le reconnaît pas. Il ne laisse même rien passer dans ce domaine. Il faut donc faire très attention à ce qu’on fait (et dit). Je n’affirme pas qu’il ne faut rien faire. Mais il faut être prudent, discret, plutôt en retrait (je pense en particulier ici à l’Internet). Le problème a souvent été abordé dans le cinéma américain. Je pense en particulier au film de Peter Hyams, La nuit des juges, sorti dans les années 80.  – Un mot enfin sur la « protection du peuple français ». Je crois que si vous réussissez à vous protéger vous-mêmes (vous-même en tant qu’individu, éventuellement groupe d’individus), c’est déjà beaucoup.

    La notion de citoyen-soldat, ou l’idée de confier à l’individu les moyens de sa défense, restent néanmoins particulièrement mal perçues en Europe, très vite associées à l’image de « milices » sans foi ni loi ou conduisant nécessairement à des « carnages » de tireurs fous à la sauce états-unienne. Comment expliquez-vous cette diabolisation de l’autodéfense et du port d’arme ?

    Qu’y a-t-il là de si surprenant ? Vous attendriez-vous peut-être à ce que l’Etat et les médias à sa solde les enjolivent ou en fassent l’apologie ? Si l’Etat leur était favorable, cela se saurait. Il leur est en réalité totalement hostile. C’est peut-être même la chose du monde à laquelle il est le plus hostile. Cela étant, puisque vous évoquez les Etats-Unis, il faut aussi rappeler que la situation en la matière est profondément différente des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis le droit de porter des armes est considéré comme un droit fondamental (2ème amendement de la constitution), en certains Etats, même, comme un devoir. Les citoyens ont le devoir d’être armés et de se défendre quand ils sont attaqués. C’est l’inverse exactement en Europe. On vous recommande avec la plus grande fermeté de ne pas vous défendre. C’est un très lourd handicap pour les Européens. Les Européens partent de beaucoup plus bas dans ce domaine que les Américains.

    Sous les effets conjugués de la mondialisation libérale, de la perte de souveraineté au bénéfice d’instances supranationales, et de l’immigration massive, la cité « France » est de plus en plus une chimère, et le beau mot de « citoyen » a été dépossédé de son sens. Vous expliquez dans votre essai que la sentence « je réplique donc je suis » peut redonner à la citoyenneté et à la loi (nomos) leurs lettres de noblesse, comment ?

    D’une manière générale, la guerre civile a pour effet de redistribuer les cartes, de remettre les compteurs à  zéro. Elle offre ainsi l’occasion d’une refondation. C’est ce qu’explique Giorgio Agamben dans son essai sur la stasis, autrement dit la guerre civile (La guerre civile : Pour une théorie politique de la stasis, Editions Points, 2015). La stasis, écrit-il, « est un paradigme politique coessentiel à la cité ». On est dans un cycle mort-résurrection. La cité meurt avec la stasis, mais la stasis est en même temps ce qui la fait renaître de ses cendres. Elle renaît évidemment autre. Ce n’est plus la même cité qu’auparavant. Mais renaît. Concrètement, on sort de l’état de nature pour en revenir à l’état civil. Un nouveau pacte social est conclu entre de nouveaux citoyens (en l’espèce, citoyens-soldats). On pourrait aussi se référer à Machiavel. Dans Un air de guerre (Xenia, 2016), j’explique que, pour Machiavel, c’est la guerre elle-même qui rend apte à la guerre. On n’a donc pas besoin d’être apte à la guerre pour la faire. La guerre elle-même nous y éduque. Or l’aptitude à la guerre n’est pas sans lien avec un certain nombre de vertus proprement civiques: courage, empathie, dévouement au bien commun, etc. Il est vrai qu’au point de départ, il y a une décision personnelle : se défendre et donc répliquer, plutôt que rester passif et ne pas répliquer. Le choix de se défendre précède la guerre qui rend apte à la guerre.

    Diriez-vous qu’aujourd’hui l’Etat, tel qu’il est et agit, représente le principal obstacle à la bonne vie et la protection du citoyen ?

    On peut le dire comme ça. On pourrait aussi dire que l’Etat est aujourd’hui l’ennemi prioritaire. Ce n’est bien entendu pas le seul ennemi : il y en quantité d’autres. Mais c’est l’ennemi prioritaire. Si on ne l’écarte pas en priorité, on n’écartera pas non plus les autres, ne serait-ce que parce qu’il est leur allié et les protège. Ce n’est pas être anarchiste que de le dire. Personnellement je ne suis pas anarchiste. Je reconnais tout à fait l’utilité de l’Etat, et à certains égards, même, sa nécessité. On a tout à fait besoin de lui, par exemple, pour résister à une invasion étrangère. Mais je ne suis pas non plus un inconditionnel de l’Etat. L’Etat n’est pas a priori mon ami. Il ne l’est que s’il se conduit en conformité avec le pacte social, qui lui fait obligation de protéger le citoyen. Autrement non, il ne l’est pas. Il l’est encore moins quand il m’agresse, comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui. Il est alors mon ennemi, et que cela lui plaise ou non je prends toutes les mesures que j’estime utiles et nécessaires pour me protéger contre lui.

    Eric Werner (La Cocarde étudiante, septembre 2020)

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