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  • Les imposteurs de la philo...

    Les éditions Le Passeur ont publié voilà quelques mois un essai de Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau intitulé Les imposteurs de la philo, avec une préface de Michel Onfray. Professeurs agrégés de philosophie, Henri de Monvallier et Nicolas Rousseau traquent les impostures de la pensée contemporaine. Ils sont auteurs de Blanchot l'obscur ou la déraison littéraire (Autrement, 2015).

     

    Monvallier-Rousseau_Les imposteurs de la philo.jpg

    " Quel est le point commun entre Raphaël Glucksmann et Charles Pépin ? Entre Raphaël Enthoven, Vincent Cespedes et Geoffroy de Lagasnerie ? Ils sont omniprésents dans les médias, enchaînent couvertures de magazines, interviews radio et plateaux télés.

    On ne les critique quasiment jamais quand on les invite, parce qu’on ne les lit pas ou parce que ceux qui les lisent (ou les feuillettent) ne disposent ni de la culture ni de l’esprit critique nécessaire pour mettre en perspective leurs propos. Ils passent pour des analystes pertinents de l’actualité, capables de « donner du sens » aux événements et de nous aider à comprendre notre présent.

    Or, à lire de près ce qu’ils écrivent, on s’apercevrait pourtant que, derrière le vernis de leur discours, leurs idées sont creuses et indigentes, et ne font la plupart du temps que régurgiter l’air du temps quand elles ne tombent pas simplement dans le ridicule le plus achevé.

    Ils représentent ainsi une nouvelle génération d’imposteurs, ceux que Hugo, dans un néologisme fameux des Misérables, qualifiait de « filousophes » et que les auteurs, en reprenant précisément leurs livres et leurs textes, dénoncent ici sans concession. "

     
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  • Le port du masque et la domestication des masses par l’oligarchie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des Stratèges et consacré à la stratégie de mise sous contrôle de la société civile déployée par l'oigarchie. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

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    Maffesoli : le port du masque et la domestication des masses par l’oligarchie

    Un monde entièrement stérilisé, promouvoir une vie sans microbe, ce qui, bien entendu, induit la nécessité de se laver les mains le plus souvent possible, de développer les gestes barrière et la distanciation sociale, le tout selon l’injonction connue : « pour votre protection » voilà bien l’objectif de l’oligarchie au pouvoir !

    Répétées sur un ton macabre et ad nauseam, de telles recommandations et autres impératifs catégoriques de la même eau, soulignent bien ce qu’est, en vérité, la société de contrôle qui risque de s’imposer à tous et à tout un chacun. Qui risque, car à l’encontre de ce que croient les esprits chagrins, le pire n’est pas certain.

    Vers une société de contrôle

    Le danger cependant est bien réel. Les protagonistes de la domination médiatique s’emploient, de par le pouvoir qu’ils détiennent, à convaincre que les règles, préparant une telle aseptie de l’existence, généralisée, soient acceptées, voire intériorisées, ce qui rend bien difficile la rébellion contre le totalitarisme en train d’émerger.

    Ces tenants du pouvoir médiatique, perroquets de l’oligarchie politique, déversent, sans aucune vergogne un Niagara de vérités approximatives et divers lieux communs afin de justifier le port du masque, le confinement et autres préconisations vaines, qui semblables aux agents pathogènes d’une authentique pandémie tendent à contaminer, de proche en proche, une multiplicité de gogos trouvant dans la mascarade généralisée une manière de donner du sens à une vie en étant de plus en plus dépourvue.

    Songeons à cet égard à ce que Max Scheler (« Nature et formes de la sympathie ») nommait, fort simplement, les processus de la « contamination affective ». Plus proche de nous, Jean Baudrillard a longuement développé les puissants et inéluctables mécanismes de la « viralité ».

    Ces contaminations, cette viralité sont utilisées pour maintenir voire consolider la dictature de l’argent, réduisant l’homme « animal politique » à l’animal économique. C’est cela que le système s’emploie à générer. Et ce pour durer encore un moment. Pour survivre. Et cela le pousse à mettre en place une réglementation de plus en plus minutieuse, de plus en plus stricte. Au nom toujours de la protection des populations. Big Brother, le Grand Frère, veille sur la santé de tous !

    Domestication de masses

    Le déterminisme économique de l’oligarchie au pouvoir la conduisant, paradoxalement, à susciter une crise économique de grande ampleur. Mais le paradoxe n’est qu’apparent, car l’objectif d’une telle crise, est, en réalité, de susciter une domestication stricte des masses. On en donnera pour exemple le sort cruel et peu médiatisé réservé à tous les métiers de « l’anormalité » : prostitution, travail au noir, échange de services voire mendicité : ceux-là ne mourront peut-être pas du virus, mais de faim et de misère. Car aucune des mesures prises par un État soudain très généreux ne leur est destinée. Seuls les participants au « contrat social » bénéficient de la protection sociale, fondée sur les réflexes de peur et de repli.

    Cette stratégie de la peur est on ne peut plus perverse. Perverse, car en son sens étymologique, per via  (par voie détournée) : par la crainte du chômage, de l’appauvrissement, des traites en cours à payer, le système poursuit inexorablement son objectif essentiel : mettre au pas un peuple toujours prompt à se rebeller. Assujettissement urgent, car on voit, un peu partout de par le monde, la « révolte des masses » (Ortega y Gasset) revenir à l’ordre du jour.

    La voix de l’instinct populaire devient de plus en plus tonitruante quand l’on pressent, plus ou moins confusément, que le fondement de toute démocratie authentique, à savoir la puissance du peuple, puissance instituante, n’est plus prise en compte par le pouvoir institué, c’est-à-dire par le pouvoir d’une élite en perdition.

    Comment l’oligarchie contre la rébellion des masses

    C’est pour contrer une telle rébellion instinctuelle que l’oligarchie utilise les habituels outils de la politique : tactique et stratégie. Tactique à court terme : mascarade généralisée, mise à distance de l’autre, imposition des précautions de divers ordres, interdiction des rassemblements et manifestations de rue. Stratégie sur le long terme : isolement de chaque individu, uniformisation galopante, infantilisation de plus en plus importante. Et ce, afin de conforter un pouvoir on ne peut plus abstrait. C’est toujours ainsi que celui-ci a procédé : diviser pour mieux régner.

    Abstraction du pouvoir, car ainsi que le savent les plus lucides observateurs sociaux, c’est le primum relationis, la relation essentielle qui constitue le vrai réel de l’humaine nature. Ainsi que l’indique Hannah Arendt, « c’est la présence des autres, voyant ce que nous voyons, entendant ce que nous entendons, qui nous assure de la réalité du monde », qui conforte notre propre réalité.

    Comment peut-on vivre une telle « réalité » en avançant masqué, en maintenant une barrière entre l’autre et moi, en refusant les câlins propres à cet « Ordo amoris » qu’est toute vie sociale ? Mais cette tactique et cette stratégie du pouvoir oligarchique s’emploient dans un monde apparemment non totalitaire à préparer à une réelle domination totalitaire. Et c’est bien un tel totalitarisme qui est l’objectif ultime et intime d’un État de plus en plus obèse.

    Puis-je rappeler ici la lucide analyse de Guy Debord dans ses « Commentaires sur la société du spectacle ». Il montrait que les deux formes du spectaculaire : concentrée (nazisme, stalinisme) et diffuse (libéralisme) aboutissaient immanquablement à un « spectaculaire intégré ». Celui du pouvoir médiatique, celui de la technocratie et des divers experts leur servant la soupe. Le tout, bien sûr, s’appuyant sur une Science tout à fait désincarnée, science n’étant plus qu’une industrie soit-disant scientifique. Ce qui donne une nouvelle Caste, celle des scientistes qui sont avant tout ce que l’on peut appeler « des savants de commerce » ou représentants de commerce, légitimant l’oligarchie en lui fournissant en bons commerciaux les arguments, les éléments de langage et divers poncifs servant à endormir le bon peuple.

    Politiques, journalistes, experts, toujours entre-soi et constituant, pour reprendre une prémonitoire remarque de Guy de Maupassant, « une société délicate, une société d’élite, une société fine et maniérée qui, d’ordinaire, a des nausées devant le peuple qui peine et sent la fatigue » (La Vie errante). Nausée devant un peuple sentant mauvais et qu’il faut donc, de ce fait, tenir à distance. C’est bien cela l’essence du totalitarisme en train de s’élaborer. Non seulement maintenir la distance entre l’élite et le peuple, mais également imposer une distanciation entre les membres de ce dernier.

    Le totalitarisme doux du Big Brother étatiste

    Distanciation sociale, gestes barrière aidant, ayant pour seul objectif d’assurer la main mise sur un peuple toujours potentiellement dangereux. Il y a en effet, une étroite relation entre la violence totalitaire, celle de la technocratie et l’idéologie du service public, la bureaucratie. Celle-ci ne sert nullement le peuple, mais met le peuple à son service. Analysant le rapport tétanique existant entre technocratie et bureaucratie j’avais en son temps parlé d’un « totalitarisme doux » (La Violence totalitaire, 1979). J’aurais pu également dire « totalitarisme intégré ».

    Intégré par tous ces « imbéciles » hantant tels des zombies masqués les rues de nos villes. Imbéciles, stricto sensu, ceux qui marchent sans bâton (bacillus), ces bâtons que sont le discernement et le bon sens. Comment, étant masqué peut-on connaître ou reconnaître l’autre, c’est-à-dire, en son sens fort, naître avec (cum nascere) ou connaître (cum nocere) avec cet autre, ce qui est le b.a.-ba de tout être ensemble.

    La mascarade généralisée, la distanciation clamée à temps et à contretemps, voilà les armes principales du Big Brother étatiste, qui en aseptisant à outrance suscite un climat irrespirable, où à court terme, il ne sera plus possible de vivre. De vivre, tout simplement en syntonie avec la parentèle, les amis, les voisins, les proches et les lointains déterminant l’habitus, ces principes pratiques, qui selon St Thomas d’Aquin fondent toute vie sociale.

    Le totalitarisme si doux soit-il, au travers des injonctions dont il vient d’être question a la prétention (l’ambition ?) de dénier le mal, le dysfonctionnement ou même transhumanisme aidant l’idée de finitude et de mort.

    Mascarade et danse macabre

    Les principes pratiques de l’habitus, bien au contraire s’emploient à dénier la mort, mais à s’ajuster, à s’accommoder, tant bien que mal avec elle. Et pourquoi cela ? Tout simplement parce que cette accommodation, qui est une aptitude à s’adapter à ce qui est, est le fondement même de l’expérience ordinaire et du savoir incorporé qui en est issu. En bref la sagesse populaire, que les élites arrogantes nomment populisme, sait que la tâche de l’espèce humaine est d’apprendre à mourir. Tâche qui concerne tout à la fois l’être individuel et l’être collectif. Tâche qui fait la grandeur de l’humaine nature et qui, sur la longue durée, a été au fondement de toute création digne de ce nom.

    En écho à cette sagesse populaire, il convient de se souvenir que selon le philosophe, natalité et mortalité sont bien les conditions ultimes caractérisant l’existence humaine. Et c’est en déniant cette dernière que l’on atrophie singulièrement, « l’élan vital » qu’induit la première. Les grands moments culturels, ceux où la vie était célébrée intensément, se sont toujours élaborés « sub specie mortis ». C’est en sachant regarder en face cette mort inévitable qu’on est capable de vivre avec intensité la vie commune. Car, on ne le redira jamais assez, l’essence du Zoon politicon est la communicabilité.

    C’est bien ce caractère relationnel que s’emploient à nier, à dénier les divers gestes barrières que l’oligarchie tente d’imposer. Ces injonctions de la bienpensance sont de véritables machines de guerre contre le peuple. Très précisément parce qu’elles induisent des manières de penser et d’agir totalement aseptisées conduisant immanquablement au délitement du lien social miné par l’hystérie et les fantasmes cause et effet d’une supposée pandémie.

    J’ai dit l’imbécillité de ceux qui avancent masqués. En se pliant à la mascarade généralisée, ceux qui trouvent leur place dans ce bal masqué ne font que rejouer la danse macabre d’antique mémoire. Dansez musette !

    Michel Maffesoli (Le Courrier des Stratèges, 7 juin 2020)

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  • Géopolitique de la datasphère...

    Hérodote, la revue de géographie et de géopolitique, dirigée par Béatrice Giblin, qui a succédé à Yves Lacoste, publie un nouveau numéro consacré à la géopolitique de la datasphère.

     

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    " La révolution numérique provoquée par l’adoption massive des technologies numériques et l’interconnexion mondiale des systèmes d’information et de communication connaît une accélération fulgurante depuis deux décennies. Elle bouleverse nos économies et nos modes de vie et ouvre de nouveaux horizons de développement encore largement inexplorés. Elle transforme également en profondeur l’environnement stratégique et la manière dont les grandes puissances se mesurent et s’affrontent désormais. La notion de datasphère, tout juste émergente, permet d’englober dans un même concept les enjeux stratégiques liés au cyberespace et, plus généralement, à la révolution numérique, pour mieux appréhender les défis présents et à venir de la dépendance croissante aux technologies et aux données numériques dans un monde de plus en plus gouverné par les algorithmes et l’intelligence artificielle. Ce numéro réunit – entre autres – un grand nombre d’auteurs issus de l’équipe Géopolitique de la datasphère (<geode.science>), un centre de recherche et de formation dédié à l’étude des enjeux géopolitiques et stratégiques de la révolution numérique, porté par l’équipe de l’Institut français de géopolitique de l’université Paris 8. "

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  • La souveraineté numérique européenne mérite une stratégie, pas des incantations...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Cyrille Dalmont cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question de la souveraineté numérique. Juriste, Cyrille Dalmont est chercheur associé au sein de l'Institut Thomas More.

     

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    La souveraineté numérique européenne mérite une stratégie, pas des incantations

    La crise sanitaire mondiale que nous traversons a mis en exergue les multiples failles générées par la mondialisation sans retenue de ces dernières années, tant au niveau de nos approvisionnements stratégiques, que de notre capacité à réagir en cas de crise majeure.

    En l’absence de tissu industriel et de sources d’approvisionnement nationales sécurisées, notre très grande fragilité est devenue patente aux yeux de tous dans les domaines sanitaires, de la défense ou de l’économie bien sûr. Mais ce qu’on a moins vu, dans le domaine de l’information et de la communication également. Cédric O, le secrétaire d’état au numérique l’a découvert in concreto avec le refus d’Apple d’autoriser l’utilisation du Bluetooth sur ses smartphones lorsque l’application StopCovid qui vient d’être déployée ce mardi, n’est pas en fonction. Cette énième péripétie autour de l’application de traçage numérique du gouvernement est révélatrice d’un enjeu considérable.

    Le débat sur la souveraineté française et européenne fait chaque jour l’objet de déclarations aussi incantatoires qu’inutiles au regard de la réalité des rapports de force mondiaux car la souveraineté ne se décrète pas, elle se fonde par une volonté politique forte qui s’impose à tous. Cela est vrai dans le domaine numérique peut être plus encore que tout autre. En effet, les États-Unis et la Chine font très largement la course en tête dans les domaines de l’Intelligence artificielle (IA), du numérique, de la robotique et de la domotique depuis plusieurs années grâce à une stratégie très clairement offensive et expansionniste.

    Les gouvernements américains et chinois ne cachent d’ailleurs absolument pas leur volonté d’utiliser leurs champions du numérique pour assoir leur domination économique, militaire, géostratégique et leur souveraineté numérique quand l’Union européenne (UE) tente péniblement de mobiliser de modestes capitaux et de faire respecter son sacrosaint droit de la concurrence. Elle souhaite pourtant (au moins officiellement) devenir elle aussi un acteur majeur dans les domaines de l’IA et du numérique et avait d’ailleurs lancé le 19 février dernier, à grand renfort d’annonces, son Livre blanc sur l’intelligence artificielle, promouvant « une approche européenne axée sur l’excellence et la confiance ».

    Ce livre blanc est un parfait révélateur de l’incapacité originelle de l’UE à se considérer comme autre chose qu’une simple zone de libre-échange dans laquelle le citoyen européen n’est qu’un simple opérateur économique, sans âme ni conscience, consommateur final des produits technologiques issues de la collecte de ses données par des géants du numérique étrangers. On ne peut donc que craindre le pire après la censure inédite qu’a subi Donald Trump, quoiqu’on pense de lui, par l’entreprise privée Twitter le 29 mai dernier. Ne disposant d’aucune légitimité démocratique et ne reposant sur aucune décision judiciaire pour le faire, cet acte de censure accompli contre le président de la première puissance mondiale laisse imaginer ce que peuvent être les droits d’un citoyen européen lambda !

    Mais au-delà de ces constats, c’est le fondement « idéologique » même de la stratégie européenne qui est problématique. Quel est le grand projet de l’UE concernant des technologies qui, comme en leur temps la poudre à canon ou la fission de l’atome, peuvent nous conduire vers l’émerveillement ou la terreur ? Il est inexistant. Il y a l’annonce de la volonté d’attirer vingt milliards d’euros d’investissement par an au cours de la prochaine décennie, de favoriser les échanges et la coopération entre États, de créer un pôle de recherche, d’abonder un fonds pilote de cent millions d’euros en direction des PME et des start-up et … c’est tout.

    L’UE se contente d’un rôle de suiveur en tentant de (mal) reproduire des modèles économiques développés dans d’autres parties du monde, tout en refusant de devenir un véritable acteur majeur du numérique qui nécessiterai de mettre en place un « écosystème » européen indépendant alliant investissements, recherche, industrie, vecteurs de diffusion. Mais la mise en place de cet écosystème imposerait deux préalables majeurs et totalement contraires à l’ADN de l’UE telle qu’elle a été pensée depuis le traité de Maastricht.

    Le premier est que, pour atteindre l’objectif poursuivi, les États membres devraient, dans un premier temps au moins, financer des entreprises nationales (qui seront obligatoirement déficitaires) au mépris des règles du droit de la concurrence. Le second réside dans le fait que nos valeurs démocratiques communes, le respect des droits fondamentaux et les libertés publiques devraient primer sur la logique concurrentielle et la monétisation des traces numériques et des données personnelles – car, à force de renoncements, nous finiront par trouver des charmes à l’éthique de la « techno-dictature » que la Chine est en train de mettre en place. Les outils de traçage numérique créés dans plusieurs pays européens, dont la France, ces dernières semaines, sont à ce titre des jalons inquiétants.

    En l’absence d’une véritable stratégie d’ensemble (la crise sanitaire du Covid-19 que nous traversons en est un parfait révélateur), les États européens s’orientent donc de plus en plus vers un abandon de leur souveraineté au profit d’autres zones économiques (Etats-Unis et Chine avant tout). Ainsi l’Allemagne a-t-elle retenu les spécifications proposées par le binôme Apple-Google pour son outil de traçage numérique, nommé Corona-Warn-App, même si l’application en elle-même sera développé par SAP SE et Deutsche Telekom. Les grands projets novateurs du passé tels que la CECA, EURATOM ou Airbus sont désormais impossible à initier dans une Union européenne à peu près réduite à un grand marché sans guère de substance politique. Et dans le monde de titans qui prend forme sous nos yeux, cela ne peut conduire qu’à sa vassalisation militaire, économique, culturelle mais aussi numérique.

    Et puisqu’il n’y a guère d’espoir du côté de l’UE, une autre voie doit être explorée : celle d’une coopération interétatique forte, hors du cadre de l’UE, entre acteurs volontaires, qui accepteraient de mutualiser les ressources et les compétences nécessaires afin d’assurer leur indépendance et leur souveraineté numérique future. Il y a urgence à réfléchir en ce sens.

    Cyrille Dalmont (Figaro Vox, 4 juin 2020)

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  • La guerre : la penser et la faire...

    Les éditions Jean-Cyrille Godefroy viennent de publier un recueil de textes de Benoist Bihan intitulé La guerre : la penser et la faire et préfacé par Michel Goya. Historien militaire, Benoist Bihan a travaillé comme chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), au CNRS et au Centre d’analyse et de prévention des risques internationaux (CAPRI).

     

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    " Plus qu’aucun autre pays européen, la France fait usage de ses forces armées, engagées sans relâche dans des « opérations extérieures » au long cours dont il est parfois difficile de discerner la cohérence d’ensemble. En tête des institutions préférées des Français, qui voient en elles une valeur refuge dans une société désorientée, les Armées ont vu disparaître le climat d’antimilitarisme des années 1970. Mais l’opprobre n’a pas été remplacé par une meilleure compréhension de ce qui guide l’action de guerre.

    Or la remise en cause, violente, du cadre des relations entre les États, et désormais des structures mêmes de nos sociétés, nous impose de comprendre. Elle commande de penser la stratégie, et d’approcher ce que signifie être et agir en homme de guerre : pas seulement en militaire, mais bien en citoyen face aux périls menaçant sa Nation, en être humain face à l’inéluctable tragédie de la Politique.

    Un monde nouveau émerge, dans les fracas du terrorisme et de la guerre économique, au rythme de « crises » protéiformes. Pour nous, Français, ce monde neuf nous projette paradoxalement vers des horizons anciens, où se pose la question de la survie, et où la victoire est parfois le seul chemin vers la paix. Mais pour y parvenir, il nous faudra toutefois nous montrer capables à nouveau de penser, et de faire la guerre.

    C’est l’ambition de ce bréviaire : donner accès aux mots de la guerre, les rendre familiers au travers d’articles courts et enlevés. Avec une conviction : la guerre est chose trop sérieuse pour ne pas être entendue. "

     

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  • Le syndrome des « États défaillants », ou l’autodestruction de l’Occident...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Chaix, cueilli sur Deep News Media, dans lequel il évoque l'accélération du processus de déclin des Etats-Unis. Journaliste indépendant, Maxime Chaix a publié La guerre de l'ombre en Syrie (Erick Bonnier, 2019).

     

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    Le syndrome des « États défaillants », ou l’autodestruction de l’Occident

    Le 26 décembre 1991, « le Conseil des républiques du Soviet suprême de l’URSS déclare que (…) l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques en tant qu’État et sujet du Droit international cesse d’exister. » Ce jour-là, le Président George Bush déclara que, « dans ce monde interconnecté, nous ne réussirons qu’en continuant de mener le combat pour la liberté des peuples et pour un commerce libre et équitable. Une économie mondiale libre et fructueuse est essentielle à la prospérité de l’Amérique – ce qui signifie des emplois et la croissance économique ici-même, sur notre sol ». En ces termes, il affirmait que le peuple des États-Unis serait le premier bénéficiaire de la globalisation, tandis que leur nation s’imposait comme l’hyperpuissance mondiale incontestée.

    Or, ses successeurs ont dramatiquement accéléré le processus de paupérisation de leurs concitoyens à travers leurs politiques libre-échangistes, qui ont dépecé l’appareil industriel des États-Unis au profit de l’Empire du Milieu. Comme l’a récemment observé le journaliste Aris Roussinos, « il y a quelques mois seulement, le fait de s’alarmer sur notre dépendance envers la Chine et sur la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement – donc d’en appeler au découplage vis-à-vis de cette nouvelle puissance hégémoniste –, était considéré (…) au mieux comme romantique, au pire comme xénophobe. Lorsque Trump [s’en est ému], l’autocrate chinois Xi Jinping fut ovationné à Davos, et salué comme le nouveau champion de l’ordre mondial libéral. Mais à présent, Larry Summers – le grand prêtre de la mondialisation et de la délocalisation vers la Chine –, nous met en garde contre la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement et l’urgence du découplage, sans toutefois rappeler sa longue et brillante carrière d’architecte de cette catastrophe. »

    Soulignant le discrédit de cet ordre mondial imposé par Washington, Aris Roussinos décrit la globalisation imposée depuis l’ère Clinton comme « un processus à travers lequel les économies occidentales avancées ont unilatéralement cédé leur capacités productives à la Chine – une puissance rivale qui montait en puissance. Au lieu de faire de même, comme l’anticipaient les calculs panglossiens des théoriciens néolibéraux, Pékin s’est livrée à un mercantilisme (…) impitoyable dans la poursuite de ses propres intérêts. Comme l’a récemment écrit (…) Michael Lind dans Tablet, “les politiciens qui, à l’instar de Clinton, défendent et imposent la mondialisation ont affirmé à l’opinion que le but de l’ALENA et de l’admission de Pékin à l’OMC était d’ouvrir les marchés du Mexique et de la Chine à “tous les biens américains fabriqués aux États-Unis, du maïs aux produits chimiques en passant par les ordinateurs”. Or, deux décennies plus tôt, les multinationales américaines et leurs lobbyistes savaient que ce raisonnement était fallacieux. Depuis le début, leur objectif était de transférer la confection de nombreux produits du territoire américain vers le Mexique ou la Chine, afin de profiter de la main-d’œuvre étrangère à bas coût et, dans certains cas, des subventions des gouvernements locaux et d’autres faveurs. »

    Cette destruction organisée des capacités productives aux États-Unis, et plus largement dans de nombreux pays occidentaux, date en réalité de l’ère Reagan. En effet, la dérégulation néolibérale amorcée par ce Président fut aggravée par ses successeurs, ce qui a fini par déstabiliser l’ensemble du système financier global. Selon l’économiste colombien Daniel Munevar, « cette tendance (…) a ensuite été poursuivie par l’administration de George Bush senior, approfondie par le gouvernement du démocrate [Bill] Clinton et portée à ses extrêmes par George W. Bush. La dérégulation du système financier a créé les conditions d’une expansion sans précédent du crédit privé, semant par là-même les germes de la crise financière actuelle et, par conséquent, de la récente explosion de la dette publique. » Comme l’a souligné le commissaire et spécialiste de la criminalité financière Jean-François Gayraud, « les lois de dérégulation ont mis en place une nouvelle architecture du monde autour [du triptyque] (…) “privatisations, rigueur budgétaire, libre-échange” ». Et comme l’a observé l’économiste Jean-Michel Quatrepoint, ce processus a eu des conséquences particulièrement néfastes en Occident (chômage de masse, désindustrialisation, explosion des inégalités, etc.). Faisant campagne contre la globalisation économique, Donald Trump a fini par remporter les élections en promettant de « restaurer la grandeur de l’Amérique ».

    Manifestement, les effets catastrophiques du confinement sur l’économie réelle américaine ont balayé ce projet. Aujourd’hui, les États-Unis apparaissent donc comme un État défaillant, qui accumule les vulnérabilités et qui renonce explicitement à son leadership global. Parmi ces faiblesses structurelles, l’on peut identifier :

    1) l’explosion du chômage, soit près de quarante millions de nouveaux demandeurs d’emploi depuis la mi-mars. En parallèle, on observe la déconnexion totale de Wall Street vis-à-vis de l’économie réelle, sachant que « le marché boursier a bondi de plus de 32% depuis le 23 mars, [alors que] l’économie américaine s’est effondrée » ;

    2) la menace correspondante d’une nouvelle pénurie de crédits (« credit crunch »), dans une économie américaine qui est massivement alimentée par l’endettement des ménages ;

    3) l’effondrement de l’industrie locale du pétrole et du gaz de schiste, sachant qu’une vague de faillites est anticipée par les experts du Financial Times. Soulignons au passage que « les quatre plus grands établissements [bancaires] de l’Hexagone ont accordé 24 milliards de dollars de financement aux entreprises du secteur en Amérique du Nord » ;

    4) les risques liés à l’endettement massif des étudiants des universités américaines, qui est de l’ordre de 1 600 milliards de dollars. Bien que certains analystes tentent de nous rassurer sur cette épineuse question, il s’avère que « la crise du Covid-19 pourrait conduire des millions d’Américains à lutter désespérément pour rembourser leurs dettes universitaires » ;

    5) l’endettement gargantuesque des municipalités américaines, qui atteint les 3 900 milliards de dollars. Selon « les analystes d’UBS Global Wealth Management, le marché des obligations municipales de 3 900 milliards de dollars se dirige vers la plus grande tempête financière que l’on ait jamais observée. L’effondrement économique fulgurant des États-Unis frappe presque chaque secteur du marché, qui s’étend bien au-delà des États et des villes qui ont le pouvoir d’augmenter les impôts » ;

    6) la situation sécuritaire épouvantable, sur le plan intérieur, qui pousse Donald Trump a la surenchère face à des émeutes dont on peine à comprendre les ressorts, mais que l’on ne peut résumer à une insurrection dont les motifs se limiteraient à la dénonciation du racisme et des violences policières.

    En effet, comme l’a théorisé l’universitaire Peter Turchin, « les causes des rébellions et des révolutions sont à bien des égards similaires aux processus qui provoquent des tremblements de terre ou des incendies de forêt. Dans les révolutions et les tremblements de terre, il est utile de distinguer les “pressions” (conditions structurelles, qui s’accumulent lentement) des “déclencheurs” (événements spontanés de libération, qui précèdent immédiatement une éruption sociale ou géologique). Les déclencheurs spécifiques de bouleversements politiques sont difficiles, voire impossibles à prévoir avec précision. Chaque année, la police tue des centaines d’Américains : noirs et blancs, hommes et femmes, adultes et enfants, criminels et citoyens respectueux des lois. Les policiers américains ont déjà tué 400 personnes au cours des cinq premiers mois de l’année 2020. Pourquoi est-ce le meurtre de George Floyd qui a déclenché cette vague de protestations ? Contrairement aux déclencheurs, les pressions structurelles s’accumulent lentement, de manière plus prévisible, et se prêtent à l’analyse et à la prospective. En outre, de nombreux événements déclencheurs eux-mêmes sont finalement causés par des pressions sociales refoulées qui cherchent un débouché – en d’autres termes, par des facteurs structurels. Mes lecteurs connaissent les principales pressions structurelles qui sapent la résilience sociale : la paupérisation massive, les conflits intra-élites et la perte de confiance dans les institutions de l’État. »

    Ce chercheur ajoute qu’il est « certain que les ressorts structurels profonds de l’instabilité continuent de fonctionner sans relâche. Pire encore, la pandémie de Covid-19 a exacerbé plusieurs de ces facteurs d’instabilité. En d’autres termes, même après que l’actuelle vague d’indignation causée par le meurtre de George Floyd s’estompera, d’autres déclencheurs continueront d’engendrer de nouveaux incendies, du moins tant que les forces structurelles qui continuent de saper la stabilité des nos sociétés leur fourniront du carburant à outrance. » En 2010, Peter Turchin avait anticipé que « la paupérisation massive, les conflits intra-élites et la perte de confiance dans les institutions de l’État » engendreraient une décennie d’instabilité aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie. À son grand regret, il ne s’est pas trompé. Par conséquent, si l’on considère que les États-Unis sont un État défaillant, il est clair que nos démocraties européennes sont loin d’être à l’abri d’un tel déclin dans le contexte actuel.

    Maxime Chaix (Deep-News.media, 3 juin 2020)

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