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  • Le thriller a-t-il tué le polar ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Pierric Guittaut, cueilli sur son blog Fin de chasse et consacré au polar, comme genre littéraire, à son agonie et à sa possible renaissance... Chroniqueur à la revue Éléments, Pierric Guittaut est également l'auteur de trois excellents romans, Beyrouth-sur-Loire, Marshall Carpentel et La fille de la pluie (Gallimard, 2013).

     

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    Le thriller a-t-il tué le polar ?

    Macabre découverte en ce début de troisième millénaire : le roman policier classique agonise dans les rayons de vos bibliothèques. Déjà, tous les soupçons se portent sur son frère sulfureux, le thriller. Enquête et analyse au coeur des enjeux éditoriaux de la fiction populaire criminelle.

    Premier constat : le suspect brouille les pistes. La distinction entre polar et thriller pourrait passer pour jargonneuse. Une « querelle d'allemands » entre rejetons revanchards de l'impérialisme anglo-saxon, un simple débat esthétique, voire une évaluation du niveau de prostitution de son auteur dans un contexte marchand (où le thriller serait la simple version « commerciale » du polar, et son auteur un « social-traître » notoire).

    Les différences entre polar et thriller ne sont ni spécieuses, ni esthétiques et n’ont rien à voir avec son potentiel de rentabilité économique. Les deux genres n’ont pas les mêmes fonctions auprès du lecteur. Si leurs conceptions du désordre sont compatibles et complémentaires, elles ne sont pas similaires, et donc non concurrentielles.

    Le cas du polar

    Dans le roman policier, « l'Enigme » est un meurtre (ou une série de meurtres). C'est l'évènement qui perturbe l'ordre du monde. Cette atteinte n'est pas acceptable pour le lecteur, qui va attendre sa résolution, c'est-à-dire l'identification du ou des coupables. Pour cela, son protagoniste principal (policier, détective, journaliste ou simple quidam) applique une méthodologie immuable, une « procédure » inspirée de la démarche policière, basée sur une successions de rencontres et d'échanges verbaux et de collecte de données.


    Cette identification est participative : le lecteur essaye de désigner le coupable en même temps que l'enquêteur, voire avant celui-ci (le fameux : « ah, je le savais »), ce qui explique la popularité de ce type de roman, qu'on pourrait qualifier « d'interactif ». Si le récit conclut en désignant X comme « l'Ennemi » - d'après des observations concrètes, des témoignages recevables et des preuves matérielles - le lecteur adhère à cette conclusion puisqu'il y a lui même participé.

    La fonction du roman policier est de proposer au lecteur un exercice de désignation participative d'un ennemi commun. Désigner l'ennemi, soit le fondement de toute démarche politique. Cette fonction permet d'expliquer la dimension dite fallacieusement « sociale » du genre. Certains ont en effet eu tout intérêt à remplacer le politique par le « social », le terme n'étant qu'un mot creux approprié par la novlangue d'ingénierie humaine des dominants qui souhaitent conserver un visage humain. 

    Le thriller

    Dans ce genre littéraire, « l'Enigme » est souvent multiple. Si meurtre il y a, celui-ci n'est qu'un sous-ensemble inaugural. L'ordre des choses a été bousculé mais sa perturbation inacceptable n'a pas encore été commise. Elle arrive par la suite et le lecteur ne peut concevoir qu'elle puisse se produire tant elle est terrifiante : ce sont les fondations mêmes des rapports de force qui sont menacées. Le monde du  personnage est en péril face à « l'Enigme » protéiforme qui se concrétise alors dans une machination ourdie par un groupe d'ennemis, vite identifiés (soit par une désignation antérieure au récit via l'actualité - par exemple le terrorisme, soit par désignation rapide dans le récit  lorsque le héros met à jour un complot mené par des ennemis déjà connus : les gouvernements, les militaires, les lobbys pharmaceutiques ou industriels, etc.).

    Il s'agit alors d'empêcher que leurs plans ne se réalisent, de contrer leur attaque - dont on découvre peu à peu l'ampleur et la dangerosité. C'est cette course contre la montre face aux plans de « l'Ennemi » qui va caractériser la procédure narrative du thriller. Le protagoniste va devoir réagir en deux temps : survivre à la menace dans un premier temps, avant de la contrer pour sauver « son » monde.

    La fonction du thriller est donc d'entretenir la peur de « l'Ennemi » en jouant sur les dimensions imminentes et paranoïaques de sa dangerosité. Cette fonction n'est ni moins politique, ni moins essentielle que celle du roman policier, comme l'ont démontré les « armes de destructions massives » de Saddam Hussein en Irak, les stocks d'armes chimiques de Bachar-El-Assad en Syrie ou la bombe atomique qu'on nous promet depuis plusieurs années aux mains de l'Iran.

    Cette distinction éclaire les raisons pour lesquelles le polar a connu un essor dans les années trente, puis un renouveau dans les années soixante-dix, phases d'intenses questionnements politiques où les choix étaient multiples ; et pourquoi le thriller est revenu en force depuis la fin des années quatre-vingt, où l'effondrement terminal du bloc soviétique a proclamé une fin temporaire de l'histoire politique pour entrer dans une phase de globalisation marchande. Une post-modernité où la peur est l'un des principaux ressorts de l'acte d'achat chez les classes populaires, et où la peur est donc devenue nécessaire aux dominants pour un bon fonctionnement de la société mondiale.  

    L’âge d’or du polar, avatar de la société bourgeoise

    Pour expliquer le lent déclin du roman policier en termes de ventes, certains ont tenté d'évoquer la lassitude du lectorat, explication vite démentie par le nombre ahurissant de séries policières qui existent aujourd'hui sur des dizaines de chaînes de télévision, ou la lente érosion de la lecture chez les classes populaires face à la dite télévision.

    Pourtant, le roman érotique Cinquante Nuances de Gray de E.L. James s'est vendu à plus de 40 millions d'exemplaires, le thriller ésotérique Da Vinci Code de Dan Brown s'est vendu à près de 90 millions d'exemplaires et le roman fantastique Harry Potter de J.K. Rowling à plus de 400 millions d'exemplaires. Ces trois romans sont des succès de « littérature populaire », preuves que les classes laborieuses ou moyennes lisent encore (et dans des proportions désormais globalisées).

    Le déclin du polar s'explique surtout par le changement d'époque. L'après-guerre est  une époque de confort matériel marquée par l'affrontement de deux blocs idéologiques antagonistes, où les jeunes lecteurs ressentent le besoin qu'on leur explique quel camp choisir, et leurs parents qu'on leur confirme qu'ils ont fait le bon choix. Dans un contexte de société bourgeoise où la famille est encore une valeur de référence, la désignation de « l'Ennemi » est primordial pour le confort intellectuel de tous.

    L'âge d'or du roman policier d'après-guerre, d'origine américaine, correspond à celui du maccarthysme, à un besoin des classes moyennes d'identifier les criminels et les dissidents pour qu'à chaque fin de roman on puisse restaurer l'ordre traditionnel. Une époque où les illustrateurs de collection poche, tels James Avati aux USA ou Michel Gourdon en France, créent des couvertures flamboyantes où se mêlent les délinquants juvéniles, les épouses infidèles, les strip-teaseuses, les mauvais garçons, et tous les archétypes possibles de la Tentation et de la Chute pour l'honnête homme d'alors. 

    L’impasse du polar français : le néo-polar

    A partir de la fin des années soixante, les jeunes auteurs français de roman policier sont presque tous issus du gauchisme politique. Cette génération intègre deux héritages : les « vieilles » Série Noire des années cinquante et  l'expérience de mai 68, ce qui lui permet de réaliser un hold-up idéologique en convaincant les lecteurs, les éditeurs et les attachés de presse que le roman policier est un genre forcément « social ». Ce glissement sémantique était nécessaire pour asseoir leur domination idéologique. Le terme « politique » laissait encore trop de champ libre aux potentiels empêcheurs de collectiviser en rond , il fallait un terme tout aussi parlant mais beaucoup plus réducteur, qui permette une association d'idée immédiate et obligatoire avec le marxisme, d'où la trouvaille du roman « d'intervention sociale » de Jean-Patrick Manchette. Il n'y croira pas très longtemps, mais ses adeptes en feront une véritable religion. Derrière l'agit' propagande, cette jeune génération gauchiste avait parfaitement compris que la fonction du roman policier était de désigner « l'Ennemi », et elle n'allait pas s'en priver. Inversant sans vergogne les codes du roman policier classique, elle a systématiquement mis en valeur les exclus, les marginaux, les délinquants, non plus pour servir d'épouvantails sur les couvertures, mais afin de mener « la révolte des masses contre l'ordre établi et l'oppression fasciste ».

    Le néo-polar ne fut donc qu'un mouvement littéraire révolutionnaire, sans approche esthétique particulière ou novatrice (si ce n'est un « comportementalisme » hideux emprunté aux auteurs américains et venu du journalisme), et qui fut avant tout un cache misère pour beaucoup d'auteurs médiocres, dénués de style ou de puissance d'évocation, et dont le but était d'écrire des tracts politiques via le biais de fictions criminelles où « l'Ennemi » est toujours le même.

    En l'espace de quelques années, le filon est épuisé et le genre finit par se caricaturer, avant de sombrer dans le totalitarisme. Il ne pouvait en être autrement : l'idéologie avait confisqué la fonction première du genre. Avec le néo-polar, le lecteur n'est plus « convaincu », il est sommé de « croire », sous peine d'être dénoncé comme « complice de l'Ennemi ». Le néo-polar cessa d'être populaire (les pauvres n'aimant bizarrement pas payer pour se faire insulter) pour devenir la propriété d'une classe aisée de fonctionnaires et d'universitaires, qui eurent alors beau jeu de fustiger la télévision pour tenter d'explication son abandon par les classes laborieuses.  
    Au maccarthysme littéraire du polar des années 50 à destination du père de famille, le néo-polar français répondit par une crise d'adolescence à destination du fils rebelle. En l'absence de nouvelle vision de la structure narrative ou de nouveaux ressorts de l'intrigue, le néo-polar se condamne à n'être qu'une transition, pour ne pas dire un effet de mode. La littérature étant un art, la vraie révolution ne pouvait se faire qu'en matière esthétique. Les auteurs de néo-polars ne l'ont jamais compris, aveuglés par l'idéologie, ou n'en ont jamais eu les moyens littéraires, le néo-polar ayant surtout créé des vocations chez des esprits militants et non chez des esprits créatifs.

    Le nouveau règne du thriller

    La fin des années quatre-vingt marque le début du règne sans partage du thriller, forme régénérée du « roman de suspense ». L'instant historique de sa réapparition n'est pas anodin. Lorsque sortent en 1990 puis en 1991 deux adaptations cinématographiques à succès de thrillers américains ( A la poursuite d'Octobre Rouge », d'après un roman de Tom Clancy de 1984, et le « Silence des Agneaux » d'après une oeuvre de Thomas Harris écrite en 1988), les spectateurs ne savent pas qu'ils viennent d'assister à une passation de pouvoir narratif au sein de la fiction populaire.

    Dans le premier, suspense classique sur fond militaro-politique, « l'Ennemi » est encore le bloc soviétique, c'est à dire un adversaire idéologique des américains. Dans le second, aux allures de polar mais devant tout au thriller, « l'Ennemi » est désormais une figure archétypale qui va s'imposer dans la majorité des fictions criminelles : celle du tueur en série. A l'aube de l'effondrement du communisme soviétique d'état, le Silence des Agneaux est un roman précurseur qui s'inscrit dans son époque charnière.

    C'est le roman de la post-modernité politique, où la Russie se rallie à l'idéologie de marché la plus mafieuse, où la Chine prépare son nouveau règne industriel ultra-libéral. Puisque la guerre froide est désormais obsolète, puisque règne partout l'idéologie de la marchandise, voici venue l'ère des adversaires indistincts et anonymes, psychopathes tuant au hasard selon des logiques incompréhensibles. Le nouvel « Ennemi » de la fiction populaire est à l'image de son époque : absurde  et hyperviolent.  Sans ennemi extérieur, la société est condamnée à se dévorer elle-même, d'où la figure du personnage anthropophage,  « Hannibal le cannibale », pour incarner ce symbolisme.

    Le ressort fondamental de l'identification conjointe du coupable entre lecteur et auteur s'efface pour laisser la place au seul suspense de l'ultime rebondissement. La démonstration rationnelle de la culpabilité est obsolète dans une société privée de toute possibilité de faire de la politique - puisqu'il n'y a plus qu'un modèle possible. Reste alors aux auteurs de fiction criminelle populaire la seule possibilité de jouer sur la peur de « l'Ennemi », qui est la fonction du thriller.

    C'est de ce changement majeur dans l'appréhension du monde que va venir la contamination progressive du roman policier par les codes du thriller, parce que ceux-ci sont désormais les seuls à parler et intéresser les lecteurs, ils sont les seuls à bien se vendre, et vont entraîner de fait les éditeurs à vouloir « thrilleriser » leurs fictions policières à grand renfort de tueurs en série, de rebondissements et d'hémoglobine, tous les ressorts de la mise en scène de la peur, et non outils de déduction rationnelle.

    En France, les mêmes qui n'admettent pas la fin du communisme d'état vont alors être ceux qui n'admettent pas le déclin du roman policier et du néo-polar. Face à la montée inexorable du thriller, ils ne pourront que se réfugier dans un élitisme pourtant aux antipodes de leurs soit disantes convictions (qu'on pourrait traduire par : « au peuple le thriller, à l'élite le Roman Noir »).

    Le thriller s'est imposé parce qu'il correspond au nouvel ordre mondial, au nihilisme grandissant. Le thriller, par sa fonction et ses ressorts « spectaculaires » est la littérature parfaite du « sentiment imminent de la catastrophe générale » qui s'est emparé de beaucoup de populations mondiales, pas dupes du règne du « divertissement/abrutissement ». 

    N'importe quel thriller correctement écrit dépeint désormais bien mieux le monde qui nous entoure et ses principaux enjeux que les sempiternelles enquêtes policières ou journalistique dont les modèles narratifs sont dépassés face à la dictature de l'image, de la mise en réseau, de la violence relationnelle, de la compétition permanente, de l'impérieuse nécessité du bruit. 

    Le pouls du polar bat-il encore ?

    Si nous poursuivons dans la voie d'un nihilisme croissant, celui-ci entraînera la dilution terminale du roman policier originel dans le thriller, le polar à l'ancienne se contentant d'une survivance sous perfusion via un marché de niche, en attendant peut-être la fin de la littérature elle-même dans l'indifférence et le bruit du spectacle permanent.
    Si nous estimons que le retour d'un questionnement politique, ou au moins la remise en cause du libéralisme comme modèle unique, est le prélude d'évènements qui annoncent une rupture et un monde nouveau, à l'image des années trente (le roman policier américain moderne a émergé de la crise de 1929, de l'exode rural massif, et a bénéficié de la seconde guerre mondiale pour s'imposer en Europe), il reste des raisons de croire encore à cette forme d'expression populaire. Un retour du politique, de la possibilité réaffirmée de faire des choix réels, réactiverait le besoin de désigner des ennemis propres (et non plus imposés par le marché), et donc un retour de la fonction première du roman policier.

    Quelles formes esthétiques prendrait alors ce roman policier de demain ? C'est tout l'intérêt des prochaines années qui sont devant nous.

    Pierric Guittaut (Fin de chasse, 30 juillet 2014)

     

     

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  • Jean Mabire, un conteur des guerres et de la mer...

    Les éditions Dualpha viennent de publier Entretien avec Jean Mabire, conteur des guerres et de la mer, un livre de Francis Bergeron. On doit déjà à la plume talentueuse de Francis Bergeron des biographies de  Béraud, Léon Daudet, Saint-Loup, Monfreid, Hergé, Bardèche ou Paul Chack, dans la collection Qui suis-je de chez Pardès.

     

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    Jean Mabire fut un journaliste et un écrivain, mais aussi un soldat et un militant. En 1995, Francis Bergeron a réalisé une interview fleuve de l’auteur de la fameuse trilogie sur l’histoire des SS français, auteur également de livres cultes pour toute une génération : Commando de chasse, Drieu parmi nous, Les Paras perdus. Le texte de cette rencontre était resté inédit pendant près de 20 ans.

    Pourtant cet entretien constitue l’amorce passionnante d’une autobiographie, un retour en arrière, qui éclaire toute l’œuvre de celui que Didier Patte, président du Mouvement normand, et beaucoup de ses amis appelaient affectueusement Mait’Jean ; il nous aide à comprendre ce que celui-ci nous a apporté. C’est le « chantre de tous les braves », comme l’explique l’historien Éric Lefèvre, et coauteur de certains de ses livres : « Il voulait célébrer la grande aventure, les prouesses guerrières, sous n’importe quel drapeau. »

    Jean Mabire est aussi le chantre des aventures maritimes. Et, sur les pas de La Varende, un passionné de sa Normandie.

    « Nous ne changerons pas le monde, il ne faut pas se faire d’illusion, mais le monde ne nous changera pas. »

    Auteur de plus d’une centaine de livres, dont certains eurent un énorme succès de vente, et de milliers d’articles, préfaces et participations à des ouvrages collectifs, Jean Mabire restera enfin comme l’une des figures majeures du politiquement incorrect des années 60 à l’an 2000.

    Ses essais et ses ouvrages d’histoire contemporaine sont d’ores et déjà recherchés, collectionnés, réédités, gages de la pérennité d’une vision historique,  de l’influence de celui qui fut et restera un conteur et un trans­metteur de premier plan, mais aussi et peut-être d’abord un maître à vivre.

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  • Que devient le Front national ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une excellente analyse de Jean-Louis de Morcourt, cueillie sur Nouvelles de France et consacrée à la transformation du Front national...

     

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    Que devient le Front national ?

    Depuis que Marine Le Pen a succédé à son père à la présidence du Front National, ce parti a été affecté par des changements de fond. Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, force est de constater que ces évolutions obéissent à une logique cohérente.

    La fin du nationalisme folklorique

    « Marine Le Pen a compris ce qu’est la politique : un moyen d’accéder au pouvoir, pas une façon de ‘témoigner’ ou de rassembler une ‘famille’. Je porte à son crédit d’être restée sourde aux piaillements des excités de tout poil, des anciens combattants des guerres perdues, des revenants de ceci ou de cela, des nostalgiques des régimes d’avant-hier et des époques révolues », déclare le philosophe Alain de Benoist. Il est maintenant entendu qu’a contrario de son père se contentant du rôle de porte-parole d’une France traditionnelle ayant une fâcheuse tendance à fonctionner comme une réserve indienne, Marine Le Pen désire accéder au pouvoir et est prête à s’en donner les moyens. Il est d’ailleurs à noter que malgré son opposition idéologique avec Nicolas Sarkozy, la démarche de la candidate frontiste de faire intégrer à son parti une culture du résultat est très proche de celle conduite au sein de l’UMP par l’ancien président.

    Une constante dans l’histoire des mouvements classés à la droite de la droite est que selon un processus darwinien logique, ils finissent toujours par être dominés par ceux qui d’une part savent ce qu’ils veulent, d’autre part sont prêts à payer et à faire payer le prix pour l’obtenir sans être limités par des inhibitions mal placées. Ce processus a notamment été à l’œuvre au début du siècle dernier au sein du courant royaliste, les partisans d’une restauration à l’identique de l’ancien régime étant supplantés par les « royalistes positifs » de l’Action Française. Comme illustré par le politologue Patrick Buisson dans son livre 1940-1945 Années érotiques, c’est également ce processus qui s’est produit au sein du régime de Vichy, les tenants de « l’ordre moral » étant peu à peu supplantés par ceux de « l’ordre viril ». Il s’est plus tard répété au sein de l’Organisation Armée Secrète, comme le montre le journaliste Robert Buchard, voyant le général catholique Raoul Salan menant un combat « pour l’honneur » céder la place à l’ex-leader étudiant Jean-Jacques Susini. Cela se vérifie enfin aujourd’hui au sein du Front National, au sein duquel la vieille garde d’anciens combattants axée sur les valeurs cède la place à un aréopage ayant fait sienne la tautologie du spin-doctor britannique Alastair Campbell : « Sans le pouvoir, on ne peut rien faire ».

    Une évolution idéologique, sociologique et structurelle cohérente

    Comme relevé par le think tank socialiste Terra Nova, en dehors de la fameuse « dédiabolisation » de son parti, la principale innovation apportée par Marine Le Pen consiste en la définition d’une offre politique cohérente. Tout en conservant l’axe souveraino-identitaire historiquement défendu par le parti, Marine Le Pen tourne par contre le dos à la doctrine économique libérale du FN historique en promouvant un programme de protection sociale, tout en réduisant son engagement sur l’axe moral. Cette mutation idéologique vise autant à acter qu’à encourager la mutation sociologique de la base électorale du FN, passant selon le mot du philosophe Alain de Benoist  « de l’incarnation de la droite de la droite à l’incarnation du peuple de France ». Prenant acte de la forte rétraction de la sociologie catholique traditionaliste ayant constitué à l’origine les gros bataillons du parti, ainsi que de l’impasse sociologique du « national-libéralisme » théorisé par le Club de l’Horloge, Marine Le Pen l’oriente à présent vers un programme de défense globale des classes populaires précarisées. Le calcul est simple : pour assurer le succès institutionnel de l’axe souveraino-identitaire, il est nécessaire de sacrifier les axes moraux et libéraux peu rentables voir contre-productifs au plan électoral.

    Cette évolution sociologique n’est du reste pas seulement motivée par des considérations de quantité électorale, mais également de qualité militante. « Face au remplacement de population, je ne crois pas du tout à une réaction des élites bourgeoises, le voudraient-elles que leur conformisme timoré les en empêcherait. La réaction viendra des petits cols blancs déracinés », prophétisait l’historien Bernard Lugan interviewé par le futur président du Front National de la Jeunesse Julien Rochedy. Si l’on postule que l’objectif premier est la défense de l’axe souveraino-identitaire, alors les meilleurs militants pour le défendre seront ceux pour qui il constitue un impératif vital, par opposition à ceux pour qui il n’est qu’une préoccupation secondaire comparée au fait de pouvoir « monter sa boîte ». Ceci explique par ailleurs la non-participation de Marine Le Pen aux manifestations contre la loi Taubira, parfaitement logique si l’on tient compte du fait que son cœur électoral ne peut littéralement pas se payer le luxe de s’intéresser à ce qui se passe dans le Marais.

    Différencier les combats électoraux et idéologiques

    Une erreur classique commise par nombre de nos sympathisants est de confondre le combat idéologico-spirituel et le combat électoral. Le premier vise à diffuser des idées dans l’opinion publique et auprès des décideurs, le second vise à gagner des élections, deux démarches qui n’obéissent pas à la même logique. Une erreur d’analyse fondamentale commise par de nombreuses personnes est d’avoir cru que le mouvement d’opposition à la loi Taubira était le signe d’un retour au premier plan de la morale individuelle dans le débat public. Or, les manifestants ayants pris part au mouvement de l’an dernier ne seraient pour la plupart jamais descendus dans la rue en l’absence des provocations gratuites de nos adversaires, en particulier d’une Christiane Taubira glosant à l’infini sur le changement de civilisation, comme le reconnait le politologue socialiste Gaël Brustier. Les manifestants du printemps 2013 ne se sont pas tant battus contre le mariage homosexuel que pour la défense de notre civilisation, ce qui ne s’inscrit pas dans la même logique.

    Cette erreur d’analyse est parfaitement illustrée par l’échec de la liste Force Vie impulsée par Christine Boutin lors des élections européennes de mai dernier, à la suite d’une campagne mêlant posture antisystème peu crédible de la part de l’ancienne ministre chiraquienne et niaiseries catéchistes sur le « paganisme » supposé du FN. Les 0,78% des voix obtenus par cette liste émanant d’un Parti Chrétien Démocrate purement identifié comme défenseur des valeurs morales auront fait pâle figure face aux 25% d’un FN faisant le plein des participants aux manifestations du printemps 2013 malgré l’absence de sa présidente. Ce résultat devrait faire réfléchir ceux qui ont analysé le succès des Manifs pour tous comme l’expression d’un désir d’une société de béatitude intégrale fleurant bon la Bibliothèque rose, et qui ont une fâcheuse tendance à confondre politique et rassemblement de boys scouts.

    Conclusion : d’un parti de témoignage à un parti politique

    « Constituée d’hommes bien nés qui ne veulent pas se donner le ridicule de mourir pour une idée, la vraie droite n’est pas sérieuse, » énonce Jean Raspail dans la préface de son Camp des saints. Ceux qui dénoncent le fait que le FN devienne soi-disant un parti de gauche déplorent en réalité le fait qu’il devienne un parti sérieux. Le prix à payer pour qu’il soit en capacité d’accéder au pouvoir est de passer par pertes et profits les états d’âme de ceux dont la connaissance encyclopédique de l’histoire de France ou de la Bible, voir la truculence de bon vivant, n’a souvent d’égal que l’inefficacité politique.

    Jean-Louis de Morcourt (Nouvelles de France, 13 septembre 2014)

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  • Tour d'horizon... (72)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Causeur, Slobodan Despot nous livre un beau texte sur l'incompréhension dont les Occidentaux font preuve à l'égard de la Russie...

    Misère de l'occidentalisme

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    - sur Investig'action, Marc Vandepitte rappelle qu'avec l'Etat islamique en Irak et au Levant, les Occidentaux sont confrontés à un ennemi qu'ils ont eux-mêmes créé.

    Le flirt des Occidentaux avec les djihadistes tourne mal

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  • Non à la VIème République...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 11 septembre 2014 et consacrée à l'agitation médiatique autour de la nécessité d'une VIème République... Ou quand les médiacrates veulent nous faire croire que la crise profonde que traverse notre pays est le fait de nos institutions, alors qu'elle est principalement due aux oligarques qui nous gouvernent.

     


    Éric Zemmour : "Non à la VIème République !" par rtl-fr

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  • En liberté surveillée...

    Les éditions des Bouquins de Synthèse nationale viennent de publier un essai de Georges Feltin-Tracol intitulé En liberté surveillée - Réquisitoire contre un système liberticide. Animateur du site de réflexion non-conformiste Europe Maxima, d'inspiration européiste et solidariste, Georges Feltin-Tracol a déjà publié quatre ouvrages : Bardèche et l'Europe (Bouquins de Synthèse nationale, 2013),  Réflexions à l'Est (Alexipharmaque, 2012), L'Esprit européen entre mémoire locale et volonté continentale (Heligoland, 2011) et Orientations rebelles (Heligoland, 2009).

     

     

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    " En matière de liberté d’expression, la France donne facilement des leçons aux autres. Mais est-elle la mieux placée pour cela ?

    Spectacles de Dieudonné interdits, livres édités par Soral ou d’autres caviardés, manifestations violemment dispersées, mouvements patriotiques dissouts… c’est tout le système français, mais aussi occidental, que met en cause Georges Feltin-Tracol.

    Étayé par de nombreux exemples pris dans la presse officielle, il démontre que loin de demeurer le « pays des hommes libres », la France est devenue, suite au sécuritarisme développé par l’UMP sous Sarkozy et appliqué avec zèle par Valls et par Hollande, un Hexagone surveillé où comportements et pensées sont scrutés en permanence.

    Aujourd’hui, il est préférable d’être un délinquant de droit commun plutôt qu’un opposant politique convaincu au mondialisme.

    En sept chapitres d’observations accablantes et parfois terrifiantes, Georges Feltin-Tracol examine l’incroyable et lente évaporation des libertés publiques avant d’esquisser quelques réponses révolutionnaires, populaires et identitaires.

    Mais, faites attention, le simple fait de lire ce livre risque de vous rendre suspect aux yeux du Pouvoir… "

     

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