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  • Contre les gadgets de destruction massive !

    Nous reproduisons ici un point de vue de la revue Eléments, signé Aurélie Mouillard, sur le combat mené contre les « nécrotechnologies » par le groupe Pièces et Main d'Œuvre et les éditions de L'Échappée .

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    Contre les gadgets de destruction massive

     

    Comment la tentative d'emprise de l'être humain sur la nature a-t-elle abouti à une emprise de la science sur l'humain? C'est à cette question que cherchent à répondre les travaux du groupe Pièces et Main d'Œuvre (PMO), collectif grenoblois formé en 2003, qui a déjà publié sur son site de nombreux textes et tracts (désormais réunis en volumes), et qui les diffuse au gré de rassemblements et de happenings. Son dernier coup d'éclat, à la Cité des Sciences, avait notamment permis l'annulation des «débats publics et citoyens» sur les nanotechnologies. En choisissant comme angle d'attaque l'étude des innovations technologiques, sa critique du développement des sciences mortifères s'est approfondie avec les années, avec pour objectif de provoquer l' « élargissement de nos capacités de représentation » de la réalité transformée, ainsi devenue «réalité augmentée».

    La mise à l'index d'une nuisance isolée ne peut évidemment se faire sans en retracer la généalogie, sans remonter â la racine du problème ni établir ses imbrications dans le monde contemporain. Les nouveaux «gadgets de destruction massive», passés du ludique au domestique, sont autant de reflets de bouleversements sociaux, économiques, politiques ou géostratégiques. C'est par exemple le cas du téléphone mobile, dont la fabrication nécessite entre autres l'extraction du coltan dans les mines du Congo-Kinshasa par les anciennes puissances coloniales ... C'est aussi ce qu'expose Jean Ornon dans son excellent documentaire Alerte à Babylone, ainsi que dans Un siècle de progrès sans merci, ouvrage tiré de son film du même nom qui confirme qu'une science pure ne saurait rester indéfiniment étanche à toute application pratique. Les « nécrotechnologies » s'avèrent ainsi le produit d'une idéologie. Et ce, quels qu'en soient les bons ou mauvais usages promis par des insurgés « citoyens et solidaires », et autres militants de «Sauvons la recherche».

    Un almanach des abjections contemporaines pourrait répertorier les possibilités, rationnelles et totales, déjà concrétisées en matière de «gestion des flux »: vidéosurveillance, Vigipirate, biométrie, bracelets électroniques, cartes de crédit, d'identité, de travail, de circulation, de stationnement, de communication, jusqu'aux puces RFID sous-cutanées. Sans oublier la liberty card (sic), qui divertit les foules et les recadre d'autant, à l'instar de la novlangue.

    Les accusations et calomnies n'ont pas manqué pour décrédibiliser les groupes écologistes et anti-industriels auxquels PMO peut être rattaché. S'y trouvent régulièrement des dénonciations d'activités terroristes ou de complots menaçant l'ordre public. À regarder de plus près la gestion aberrante des ressources matérielles et humaines de ces dernières décennies, il est bien compréhensible que les «autorités compétentes» préfèrent se défausser sur leurs contestataires! Le texte de la conférence À la recherche du nouvel ennemi s'ouvre sur ce constat, en stigmatisant notamment les divagations d'un Jean-Christophe Rufin, et surtout en analysant les rapports entre le monde scientifique et les tenants des pouvoirs politico-industriels. Les formules sont parfois expéditives, mais percutantes. Ainsi, à destination des apologistes technophiIes: «Est appelé aujourd'hui progrès technique tout ce qui vise à l'éradication du genre humain».

    À lire les productions de PMO, telles qu'elles sont disponibles sur son site ou dans la collection «Négatif » des éditions L'Échappée, on voit bien que la machine emballée, rendue autonome, a provoqué une fuite en avant qui ne peut s'achever que par l'emprise totale avant annihilation. Il est à cet égard révélateur que le dernier chapitre de Terreur et possession se concentre sur l'expansion des neurosciences, accusées d'aboutir à l' « avènement du pancraticon, de la société de contrainte par possession technologique » du cerveau! De tous ces symptômes de la démesure occidentale, on retient que «la vie n'est plus un don de Dieu, mais un matériau que l'on gère ». Le chapitre du livre de Ornon consacré à «La science comme ultime religion» aurait de ce point de vue mérité d'être approfondi davantage. Car, paradoxalement, il semble bien que l' « homme réduit en cendres» ne profite, in fine, à personne. Mais quels que soient ses défauts ou imperfections, la collection «Négatif» ne manque assurément pas de bonnes idées. On souhaiterait que les appels de PMO aux bonnes volontés ne restent pas qu'une formule, en dépit de vieilles méfiances difficilement blâmables. Mais ce serait oublier que, hors des «salons a1termondains», les «nouvelles convergences» ne se font bien souvent qu'au bord des précipices.

     

    Aurélie Mouillard (Eléments, juillet-septembre 2010)

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  • Que lire ?... Jean Mabire !

     Combattant, historien, militant et écrivain, Jean Mabire, avec sa plume, au travers de ses nombreux livres et articles, a été un éveilleur. Alain de Benoist, pour le compte de l'association des amis de Jean mabire, a utilisé ses talents de bibliographe pour recenser de manière quasi-exhaustive son oeuvre écrite. L'opuscule, publié aux éditions Heligoland, est préfacé par Dominique Venner. 

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    Réalisée pour le compte de l’Association des Amis de Jean Mabire, cette bibliographie magistrale est un véritable hommage rendu à Jean Mabire par Alain de Benoist. Rehaussée d’une préface de Dominique Venner, cet opuscule doit figurer dans toutes les bibliothèques des Amis de Jean Mabire.


    • Éditions d’Héligoland 2010, ISBN : 978-2-914874-68-7, 1 volume 148 x 210, 48 pages, 9 € (vente par correspondance : 13 € franco). À commander chez le diffuseur EDH, BP 2, 27 290 Pont-Authou.

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  • Des colonies à l'indépendance...

    Le premier numéro hors-série de La nouvelle revue d'histoire est en kiosque. Il est entièrement consacré à l'Afrique et à l'accession des colonies à l'indépendance. On y trouve des articles de l'africaniste Bernard Lugan, de Philippe Conrad, de Jean-Joël Brégeon et de Philippe d'Hugues, notamment.

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  • Les snipers de la semaine...

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    Cette semaine :

    - sur Causeur, Isabelle Marchandier flingue l'exposition photgraphique "La France de Raymon Depardon", qui se tient à la Bibliothèque Nationale de France ;

    La France est formidable. Sans les Français. 

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     - sur Les influences, Christophe Guilluy allume Rama Yade et Daniel Cohn-Bendit après leur prestation dans les Inrockuptibles.

    « Rama Yade, c'est la Cohn-Bendit des années 2010 » 

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    Bonne lecture !

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  • La France perd la mémoire...

    Initialement publié en 2006, La France perd la mémoire, essai de l'historien Jean-paul Rioux, vient d'être réédité en format poche dans la collection Tempus de chez Perrin. Nous reproduisons ici la recension qu'en avait fait la (défunte ?) revue Horizons stratégiques, publiée par le Centre d'analyse stratégique du gouvernement, sous la plume de Julien Winock.

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    Jeune retraité de l'Inspection générale de l'Éducation nationale, Jean-Pierre Rioux est l'un des meilleurs spécialistes de l'histoire culturelle du XXe siècle. Ses travaux ont renouvelé l'approche des temps forts du siècle dernier par une analyse approfondie des répercussions sociales et culturelles des mutations politiques. Dans cet essai percutant, empreint d'inquiétude et d'interrogation, il interroge le rapport que nous entretenons avec notre passé depuis une trentaine d'années. Entre le milieu des années 1970 et les années 2000, la France a vécu les « Trente Mémorieuses » qui ont « laissé prospérer une mémoire convulsive et virale ; elles ont médiocrement suivi ces Trente Glorieuses qui de 1945 à 1975 avaient, elles, installé la croissance et le mieux être sans se soucier de discordance des temps, sans regret, hiatus, ni latences, sans coups d'œil inutiles sur le rétroviseur  ». Le grand récit national a laissé place à une floraison de mémoires sur un mode d'abord bon enfant puis, pour certaines d'entre elles, revendicatif et dénonciateur. Or pour l'historien cet essor des mémoires est bien la conséquence d'une « démission de notre histoire  ».

     Transformée par trente années d'expansion économique et de bouleversements sociaux, la France du milieu des années 1970 s'est tournée vers son passé au moment où la modernité galopante en effaçait les traces à vive allure. Entre nostalgie, engouement pour le « rétro » et quête d'une authenticité perdue, les Français ont plébiscité nombre de témoignages, enquêtes et récits évoquant la vie de la campagne, la France des terroirs, le souvenir des métiers disparus... Certains succès tels Le Cheval d'orgueil de Pierre-Jakez Hélias, vendu à 2 millions d'exemplaires, relèvent du phénomène de société. Ce « culte des racines très sage » n'alimentait alors aucune revendication identitaire. Dans les années 1980, « la crise s'est mise à broyer et non plus seulement à exhumer les valeurs héritées que l'on tenait encore pour constitutives et patrimoniales  ». La mémoire ne fut alors d'aucun secours pour affronter la fragmentation de la société, la désertification des campagnes, la désindustrialisation et l'épuisement du modèle d'intégration républicain.

     Dans la foulée de l'année 1980 qui lui est consacré, le patrimoine devient un nouveau mode de fidélité au passé : à côté des monuments nationaux et des édifices publics les plus emblématiques, les innombrables constructions anciennes souvent modestes font l'objet d'un attachement et d'un souci de conservation insoupçonnés auparavant. Tout ou presque acquiert le qualificatif de patrimoine tandis que le devoir de mémoire se généralise à tout propos aussi bien dans le cas de l'ancien résistant que de la petite-fille de lavandière. Le succès du phénomène n'a donc rien de réjouissant selon J.-P. Rioux pour qui la notion de patrimoine « a implosé, minée par l'absence de hiérarchie des signes et des traces, dilapidée aux quatre coins de la conscience médiatique des choses par la monotonie de son exhibition  ». Il faut y voir plus une « ambition par défaut  » qu'un renouvellement des formes du sentiment national, un « témoin visible d'un passé devenu lui-même invisible » selon l'expression de Pierre Nora. La « mémoire patrimoine  » apparaît plus animée par des aspirations identitaires, des considérations esthétiques ou une frilosité à l'égard d'un avenir inquiétant que par un attachement à la mémoire-Nation.

     Le bicentenaire de la Révolution française a révélé selon Rioux le tiède attachement d'un peuple pour l'événement fondateur de sa modernité politique et sociale. Les Français ont apprécié les manifestations commémoratives mais plus dans «  une expectative amusée que réflexive  ». Les sondages révélaient que les grandes œuvres de la Révolution occupaient dans la mémoire nationale une moindre place que certains événements postérieurs (instauration du suffrage universel, loi Ferry...). En définitive la dimension festive de ce bicentenaire triomphait aux dépens de son sens politique et civique comme le démontrait le succès rencontré par le défilé du 14 juillet organisé par Jean-Paul Goude  : « Ce point d'orgue fut donc cosmopolite et parisien, individualiste et grégaire, sans rapport clair et net avec la gravité et la force morale et civique qu'on pouvait encore porter au crédit des droits qu'on célébrait ».

    L'histoire de France a donc cessé, selon l'auteur, d'être ce pilier de notre identité collective. L'immense « capital symbolique et tutélaire [...] s'est délité et dissous sous nos yeux, sous l'effet de nos crises, nos doutes, nos impuissances, de notre difficulté à penser un avenir commun pensé dans un destin singulier ». La mémoire est entrée en compétition avec l'histoire pour réinterpréter notre passé. « Or, sans régulation par l'histoire, des mémoires parcellaires jouent, on le voit aujourd'hui avec la question coloniale et de l'esclavage, par défaut d'élan collectif, un rôle disproportionné dans l'écriture d'une partition nationale renégociée  ». Jusqu'aux années 1970, l'enseignement de l'histoire bénéficiait en France de plusieurs conditions qui en faisaient une discipline cardinale : l'importance qui lui était attribuée dans la formation de l'esprit et de la conscience nationale, les liens entre l'enseignement secondaire et la recherche universitaire et le couplage de l'histoire avec la géographie. L'histoire à l'école se heurte aujourd'hui aux «  nouveautés culturelles, générationnelles, sociales, internationales qui renouvellent et disloquent le sentiment d'appartenance, le goût d'agir ensemble, l'espoir de maîtriser un jour plus librement le cours des choses  ». Nous assistons selon J.-P. Rioux à une revanche du social sur le national. Les recommandations officielles entérinent cette évolution puisqu'il est désormais question à travers l'enseignement de l'histoire de « donner aux élèves une mémoire [...] aider à constituer ce patrimoine qui permet à chacun de trouver une identité  ».

    La place de notre histoire dans les cœurs et les consciences tenait également aux enjeux politico-idéologiques dont elle était investie. Depuis la Révolution, la « guerre des deux France » a opposé républicains et monarchistes, gauche et droite. Mais force est de constater aujourd'hui que « nous n'assistons plus à un affrontement aussi acharné ni aussi argumenté entre l'ordre et le mouvement, la gauche et la droite, les "gros" et les "petits", le Nord et le Sud, ou tout autre processus d'antagonisme binaire ». La disparition de cet antagonisme peut être vue comme le signe d'une maturité, celle d'un pays pacifié se reconnaissant enfin dans son régime politique et les grands principes régissant la société. Mais elle témoigne aussi d'un affaissement de la morale républicaine et d'une indifférence croissante pour la chose publique, y compris les grands enjeux. « Ainsi n'y eut-il ni débat ni affrontement en 1996 sur le passage à l'armée de métier et l'abandon du service national  ».

    Longtemps tabous ou au mieux noyées dans la globalité de la Seconde Guerre mondiale, la période de l'Occupation et la complicité du régime de Vichy dans la Shoah sont devenus l'angle quasi exclusif sous lequel la période est désormais envisagée. « La "victimisation" a rattrapé puis rélargi la nationalisation "franco-française" de l'enjeu. Les médias ont donné le meilleur écho à ce cours imprévu, les écoliers et leurs maîtres ont été invités à suivre massivement son mouvement sémantique et moral. » Ce devoir de mémoire a pris selon l'auteur « une densité sociale proportionnée aux hantises du présent autant qu'à la vivacité d'un passé qui ne "passe pas" ». Sans en contester la légitimité, l'historien nous met en garde contre son caractère obsessionnel qui en vient à rendre inopérante une recherche historique sereine fondée sur l'examen critique et raisonné des faits. À rebours d'une telle conception purement morale des faits, l'historien estime au contraire que « toute transmission utile et véridique passe d'abord par l'intelligence et la connaissance, et ensuite par la reconnaissance ».

    Faisant suite au débat sur l'Occupation, la question de la colonisation a récemment resurgi avec vigueur. J.-P. Rioux rappelle pourtant l'absence de vraie mémoire nationale de la guerre d'Algérie longtemps restée un «  fantôme, un tabou, une occultation avant que le pays consente à la nommer très tardivement une guerre, en 1999 [...] Le rappel de son souvenir a été tenu pour impossible et inutile parce qu'il a paru incompatible avec ce qui avait constitué la mémoire nationale. » Appelant de ses vœux le développement de la recherche historique sur l'esclavagisme et la colonisation, il estime légitime que d'aucuns se considèrent comme des victimes et invoquent un passé « fait de douleur et d'injustice » pour affirmer leur fierté collective mais « à condition, aussi bien que ce souvenir pourtant resté si horriblement singulier ne leur tienne pas lieu d'identité à jamais, ne les entretienne pas dans un perpétuel sentiment de malheur, d'exploitation et d'injustice ».

    Pourquoi notre mémoire commune est-elle devenue un Clemenceau, « un porte-gloire désarmé, un encombrant à recycler, une impureté immorale et assassine ? ». Aux yeux de l'historien, nous aurions changé de temporalité au point que le présent est devenu notre seul angle de vue : « le présent fait la loi ; l'accélération et l'émiettement de la temporalité dénient l'origine et la destination ». À l'origine de cette forme de dérèglement mental, Jean-Pierre Rioux incrimine tout particulièrement les médias et leur culte de l'instant, de l'immédiateté, de la vitesse et de l'émotion. Or selon lui, « le sens de l'intérêt général, le sentiment d'une appartenance collective, du goût même de la démocratie et de l'autorité s'apprennent, s'expérimentent, vivent de ruptures et de continuités. L'instantanéité les fragilise, un présent despotique les tétanise  ».

    Discrédité, notre passé ne plus être une source d'expérience et de sacré. Nous perdons du coup la possibilité de partager une croyance commune en notre pays et l'attachement à une forme de transmission à nos enfants.

    La multiplication des lois mémorielles aboutit à sanctuariser des « bouts d'histoire disjoints, des bribes de passé en charpie, pour apaiser des porteurs de mémoires  ». À ce titre, J.-P. Rioux incrimine sans ménagement le pouvoir politique qui a «  divorcé de l'autorité et de la durée pour s'ébattre dans la houle d'un présent en image et en abymes. Il n'a plus le souci premier d'une mémoire collective prête à commémorer, honorer, distinguer pour unir ; prête à mettre l'unité nationale sur pied de guerre et d'espérance ». La tyrannie du présent conduit par ailleurs à pratiquer en toute bonne conscience les anachronismes les plus grossiers : les faits du passé ne sont plus appréhendés en fonction de leur époque mais bien davantage selon nos conceptions présentes du bien et du mal.

    Face à cette perte de notre mémoire collective, Jean-Pierre Rioux en appelle en définitive à un « devoir d'intelligence ». L'homme contemporain se doit de renouer avec la grande règle de vie qu'est la concordance des temps : « Faute de se situer dans le passé et de se projeter dans l'avenir, une société est inintelligible, s'enferme dans son opacité, s'immobilise puis entre en convulsion, avant d'agoniser. Il lui faut aussi s'enchanter, se gorger de promesses et d'envies pour reverdir car, disait La Tour du Pin, "tous les pays qui n'ont plus de légende sont condamnés à mourir de froid" ». C'est également en réfléchissant davantage à notre époque que nous pourrons, selon lui, retrouver notre mémoire en soupesant de nouveau « l'héritage, la transmission et la promesse ».

     

     

    Julien Winock (Horizons stratégiques n°1, juillet 2006)

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  • La banlieue désintégrée

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    Nous reproduisons ici l'éditorial du dernier numéro d'Eléments, actuellement en kiosque, intitulé "La banlieue désintégrée" et signé Robert de Herte (alias Alain de Benoist).

    Nous vous rappelons qu'il est possible de commander ce numéro ou de s'abonner sur le site de revue.

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    La banlieue désintégrée

    Dans les années 1950, Robert Lamoureux chantait: «Banlieues, banlieues, paradis des gens heureux». C'était la banlieue «populaire», proche du faubourg, chantée par Jacques Prévert et René Fallet, photographiée par Édouard Boubat et Robert Doisneau. Celle des réseaux d'entraide et de solidarité entre «gens de peu». Un demi-siècle plus tard, la banlieue tend à devenir synonyme d'enfer pour une population de sans-espoir, faite d'otages et de témoins impuissants. C'est qu'entre-temps les banlieues ont été transformées en décharges où l'on a rejeté, expulsé à la périphérie, tout ce que l'on ne voue lait pas voir - déchets urbains et « hommes en trop» - dans des grandes villes transformées en dortoirs pour cadres supérieurs et néo-petits-bourgeois «branchés». Autant dire un centre de tri de l'humanité par le capitalisme tardif.

    Aujourd'hui, du fait de l'immigration, le problème des banlieues se ramène pour la droite à un problème ethnique, pour la gauche à un problème social. La vérité est que les deux aspects sont indissociables, mais surtout que le phénomène des banlieues va bien au-delà. C'est dire qu'on ne peut l'appréhender en s'en tenant, d'un côté à la « culture de l'excuse», de l'autre aux fantasmes sur 1'«islamisation». Il ne faut en effet pas confondre les communautés au sens sociologique et au sens politique. Les banlieues ne se composent pas tant de «communautés» organisées que d'un caravansérail de populations différentes artificiellement juxtaposées. Celles-ci ne se divisent pas non plus de façon manichéenne entre discriminants et discriminés, possédants et dépossédés. Tout ne s'y résume pas à un problème de surveillance et de contrôle, à la façon dont on surveillait les «classes dangereuses» à l'époque où l'habitat constituait une forme de discipline sociale.

    Nous l'avons déjà dit ici même, les «jeunes des cités» ne remettent nullement en question le système qui les exclut. Ils cherchent moins la reconnaissance qu'un raccourci vers l'argent, qu'un branchement plus direct sur les réseaux du profit. Quoi qu'aient pu en dire certains sociologues, rien de moins contestataire que la violence des banlieues - violence brute, manifestation de mauvaise humeur convulsive qui ne s'assortit ni d'un discours politique ni de l'ombre d'une revendication. Ce n'est pas une révolte du «rien» au sens de: «Nous ne sommes rien, soyons tout! », c'est une révolte pour rien, et qui ne débouche sur rien. Les bandes de crapules qui règnent par le trafic, la violence et la terreur sur les populations des quartiers «sensibles» sont plutôt la dernière incarnation en date de ce que Marx appelait le lumpenprolétariat. «Le lumpenprolétariat, disait Engels, cette lie d'individus corrompus de toutes les classes, qui a son quartier général dans les grandes villes, est le pire de tous les alliés possibles». Les « racailles» n'aiment pas le populo, mais le pognon. Leur modèle, ce n'est pas l'islam ou la révolution. Ce n'est pas Lénine ou Mahomet. C'est Al Capone et Bernard Madoff. (Délinquance pour délinquance, il faut d'ailleurs rappeler que celle des grands prédateurs financiers en col blanc fait chaque jour plus de dégâts que celle de toutes les racailles» de banlieues réunies) . A une époque où l'économie criminelle est devenue un sous-produit de l'économie globale, leur seule ambition est de recycler à la base, de façon brutale, des pratiques qui règnent déjà au sommet. De devenir les «golden boys des bas-fonds» (Jean-Claude Michéa).

    Les «jeunes des banlieues», dont on dénonce partout le refus ou l'incapacité de s'intégrer dans la société, sont de ce point de vue parfaitement intégrés au système qui domine cette même société. Présenter la délinquance des jeunes comme le résultat mécanique de la misère et du chômage, c'est s'épargner de voir ce qui, dans la logique même du système d'accumulation du capital légitime en profondeur leur attitude: des valeurs exclusivement tournées vers le profit et la réussite matérielle, le spectacle de l'argent facile, dont l'exemple vient d'en haut. C'est du même coup masquer la violence inhérente aux rapports sociaux propres au système capitaliste – le retour d'un capitalisme sauvage, auquel répond logiquement la nouvelle sauvagerie sociale. La désintégration des banlieues résume à elle seule la décomposition du monde occidental. Elles sont le symptôme d'une dé-liaison sociale, d'une dissociation généralisée. L'échec de 1'« intégration» ne résulte pas seulement de l'absence de volonté de s'intégrer, mais aussi de la disparition de tout modèle expliquant pourquoi il faudrait s'intégrer. Et d'ailleurs, s'intégrer à quoi? Un pays, une société, un système de valeurs, un supermarché? «Une société elle-même en voie de désintégration n'a aucune chance de pouvoir intégrer ses immigrés, écrivait Jean Baudrillard, puisqu'ils sont à la fois le résultat et l'analyseur sauvage de cette désintégration». Les immigrés souffrent d'une crise d'identité dans une société qui ne sait plus elle-même qui elle est, d'où elle vient ni où elle va. On s'étonne qu'ils méprisent le pays où ils vivent, mais ce pays est incapable de donner de lui-même une définition. On veut que les «jeunes» aiment une France qui, non seulement ne les aime pas, mais ne s'aime plus.

    A une époque où plus de 50 % de la population mondiale vit désormais dans les villes, et plus du tiers des citadins dans des bidonvilles, il n'est par ailleurs pas exagéré de parler de «banlieuisation» du monde. Partout, en effet, sont à l'œuvre les mêmes tendances d'urbanisme antisocial qui ont abouti aux banlieues actuelles.

    La« banlieue» d'aujourd'hui ne se comprend que si l'on est conscient de la profonde mutation qui, à l'époque de la modernité tardive, a affecté la ville. La grande métropole a cessé d'être une entité spatiale bien déterminée, un lieu différencié, pour devenir une «agglomération», une zone dont les métastases («unités d'habitation», «grands ensembles» et «infrastructures») s'étendent à l'infini en proliférant de manière anarchique dans des périphéries qui glissent lentement dans le néant. Henri Lefebvre parlait d'un nécessaire «droit à la ville ». Mais la grande ville n'est plus un lieu. Elle est un espace qui se déploie grâce à la destruction du site et à la suppression du lieu. Elle est dé-mesure et il-limitation. Elle est pure extension, c'est-à-dire dé-localisation au sens propre. C'est en ce sens qu'elle réalise l'idéal de l'urbanisme comme technique historiquement associée à l'invention de la perspective, c'est-à-dire à la géométrisation intégrale de l'espace, et du rationalisme fonctionnel, c'est-à-dire de l'hygiénisme appliqué à l'architecture, qui aboutit au déploiement de l'espace systématisé.

    Comme l'écrit Jean Vioulac, l'urbanisation «n'est plus l'installation de l'homme dans le site de la ville, c'est-à-dire dans un centre, un pôle à partir duquel le monde puisse se déployer et faire sens. La banlieue se définit par l'absence de pôle, elle est un espace urbain qui a rompu les amarres avec son, ancien centre sans pour autant se reconstituer elle-même à partir d'un centre. La ban-lieue est bannie de tout lieu, elle est le bannissement même du lieu [ ... ] Elle est l' ápolis redoutée par Sophocle». La banlieue est devenue un non-lieu. On y vit (ou on y survit), mais on n'y habite plus. Le drame est que la société actuelle, qui s'en désole, dénonce des maux (urbanisme sauvage et immigration incontrôlée) dont elle est la cause et déplore les conséquences d'une situation qu'elle a elle-même créée.

    Robert de Herte (Eléments n°137, octobre-décembre 2010)

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