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sans-frontiérisme

  • L’écologie sert à tout, y compris au pire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à l'idéologie écologiste.

    Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Greta Thunberg au Forum économique mondial de Davos...

     

    L’idéologie écologique : l’écologie sert à tout, y compris au pire

    Une écolière suédoise, Greta Thunberg, est propulsée à la tribune de la COP22, mobilise des milliers d’écoliers et de lycéens et intime l’ordre aux gouvernements de sauver la planète. L’excellence de sa cause dispense quiconque d’interroger ; pourquoi, comment, par qui, avec quels financements, au service de quels intérêts ? J’attends qu’un journaliste pose les questions qui s’imposent sur son idéologie écologique.

    Les images-chocs se diffusent, la propagande s’agite, et des pressions s’exercent pour que l’ONU établisse un droit du réfugié climatique, analogue au droit du réfugié politique, ce qui consacrerait en réalité le droit illimité de tout individu à s’établir dans le pays de sa convenance. Voilà sur quoi débouche le couple monstrueux de l’écologisme et du globalisme. Qui ira apprécier la réalité du changement climatique, analyser ses causes, et valider ou refuser en conséquence la qualité de « réfugié climatique » à celles et ceux qui prétendront franchir les frontières parce que le soleil est trop chaud, ou la glace trop froide?

    L’argument du dérèglement climatique dérive peu à peu en refus de la géographie et du climat. Deux solutions ; la mise hors sol de l’humanité, par climatisation permanente, sortie des hommes de leur milieu naturel au profit de bulles artificielles créées, alimentées et protégées par l’industrie ; ou bien la mobilité géographique individuelle et sans condition, qui devrait précipiter quelques centaines de millions de ceux qui vivent sous les latitudes élevées comme autour des Tropiques ou de l’Équateur, vers ces eldorados que deviennent les pays à climat tempéré.

    Deux solutions à rebours de l’expérience millénaire des sociétés humaines, qui ont progressé en s’adaptant aux déterminations de la géographie, du climat, de la vie, et qui ont survécu en se différenciant les unes des autres. Deux solutions, qui parachèvent le projet moderne d’extraction de l’homme de la nature ; est homme qui en a fini avec la nature ; est homme qui n’a pas de nature ; est homme qui est son Dieu.

    Le changement climatique est une réalité qui se prête à de redoutables manipulations politiques. L’agenda mondialiste, bien mal en point depuis la crise de 2008 et le retour des peuples, a trouvé sa nouvelle formule ; en un mot comme en cent, pour sauver la planète, il faut en finir avec les Nations ! La leçon de l’Anthropocène, c’est que l’homme n’a plus à se soucier de faire l’histoire ; il doit faire nature — c’est-à-dire substituer aux arrangements entre nature et culture qui ont fait l’histoire, les produits de la technique, de la finance et de l’ingénierie du vivant !

    En avant pour une Banque du climat qui fait déjà saliver tous les prédateurs des hedge funds et des produits dérivés ! L’écologie assure le recyclage des vieilles utopies socialistes, progressistes et rationalistes, en les accommodant d’un libertarisme venu à point nommé ; au moment où les rêves sans frontiéristes tournent au cauchemar, au moment le bilan de la globalisation s’avère dramatique, l’écologie donne le change en désignant un seul et unique coupable aux maux de la terre, l’homme blanc colonisateur et marchand. Elle investit sans complexe le Camp du Bien ; Greta Thunberg fait pleurer le Parlement européen, l’émotion est de son côté, donc la raison et le Bien qu’elle transporte dans son cartable !

    Les enjeux politiques de la manipulation de l’écologie par ceux qui en font une nouvelle religion en assurant que notre salut est en jeu, en mobilisant la peur et en suscitant l’intolérance sont considérables. Parce que nos Nations sont en jeu, et notre capacité à décider nous-mêmes de nos choix, pas des experts, des juges ou des ONG. Parce que le monopole du Bien n’admet pas le débat, la confrontation des idées et des intérêts, le jeu démocratique en un mot ; face à lui, ne peut être que le Mal. Pas un adversaire qu’il faut surpasser, mais un ennemi qu’il faut détruire.

    La planète est en jeu ; qui peut ajouter un mot à qui détient la formule unique du salut ? L’amalgame entre sauver la planète, ouvrir les frontières et placer les Nations sous tutelle est constant, il ne relève pas du hasard. Enjeux considérables encore plus, parce que la religion écologique délégitime les expressions de la diversité des sociétés, des Nations et des peuples qu’étaient les politiques publiques, les systèmes juridiques et les modèles sociaux.

    Dans sa brutalité naïve et revendiquée, c’est un nouveau totalitarisme qui est en train de naître, celui du salut écologique, contre les États, les Nations et la liberté des peuples. Le projet de gouvernement mondial par les savants et les sachants, bien mal en point depuis que la globalisation a trahi les promesses d’amélioration générale des conditions de vie qui lui avait valu un consensus immérité, a trouvé un nouveau « Sésame ouvre toi » pour forcer les frontières, réduire les critiques au silence et museler les opposants.

    La priorité écologique est d’en finir avec la globalisation, la mobilité infinie, et cette fiction destructrice qu’est la suppression des distances. Le combat écologique commence par renouer les liens qui ont été rompus avec la terre, l’air et l’eau, avec les arbres, les plantes et les animaux, par accepter que nous sommes «  prisonniers de la géographie » comme du climat (selon le titre du livre de Tim Clark), par reconnaitre que l’homme est de la nature comme il est de la liberté, bien avant d’être de droit. Et il commence par mettre hors d’état de nuire ceux qui aiment tellement la planète qu’ils détestent leurs voisins, leurs chats, leurs ruches, ou les cloches du village.

    L’Union européenne doit s’interdire toute complaisance à l’égard de mouvements qui ont pour première cible l’indépendance énergétique, alimentaire, financière des Nations d’Europe, et pour premières victimes, des enfants manipulés par une propagande sans retenue. Elle doit dénoncer une idéologie écologique qui oublie de désigner la surcharge démographique comme facteur majeur de déstabilisation des rapports entre les hommes et leurs milieux – mais il faut bien qu’augmente le nombre de consommateurs pour que les dividendes bondissent !

    Il est urgent de mettre fin à des politiques de développement standardisées, jugées sur des critères occidentaux, inadaptées aux réalités de terrain, et dont le premier effet est de nourrir la vague migratoire ; le maintien au pays, la stabilisation des populations rurales sur leur territoire, la possibilité pour chacun de vivre et de travailler chez soi, dans son pays et près des siens, doivent devenir les critères de jugement de toute action de développement et d’aide économique. Et il est urgent de réaffirmer que la diversité des modèles, des organisations et des systèmes est l’insurpassable effet de la liberté politique, le premier patrimoine de l’humanité, et le plus sûr gage de notre survie.

    Hervé Juvin  (Site officiel d'Hervé Juvin, 10 juin 2019)

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  • «Front républicain»: l’imposture en marche !...

    Nous reproduisons ci-dessous ce point de vue d'Anne-Marie Le Pourhiet, cueilli sur Causeur et consacré à la véritable signification du choix entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron que vont devoir faire les Français pour le deuxième tour de l'élection présidentielle. Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit constitutionnel et de droit public à l’Université de Rennes I.

     

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    La présence, tout sauf anecdotique, de Jacques Attali parmi les invités d'Emmanuel Macron le dimanche 24 avril 2017, le soir du 1er tour de l'élection présidentielle, au restaurant La Rotonde...

     

    «Front républicain»: l’imposture en marche!

    De Macron ou Le Pen, l’antirépublicain n’est pas celui qu’on croit

    Jamais, de toute la Ve République, nous n’avons eu une candidature à l’élection présidentielle aussi parfaitement éloignée des valeurs républicaines que celle d’Emmanuel Macron.

    Sarko l’ambigu

    Nicolas Sarkozy a sans doute toujours cultivé une ambiguïté exaspérante sur la question du modèle républicain, girouettant en permanence au gré du vent et passant, parfois au sein d’un même discours, des belles envolées lamartiniennes d’Henri Guaino à la promotion des intérêts économiques mondialisés d’Alain Minc, en passant par quelques provocations clientélistes de nature à faire s’étrangler les républicains authentiques. Promotion de la discrimination « positive », de la laïcité « positive », éloge des curés réputés supérieurs aux instituteurs, envoi de Patrick Devedjian  et Roselyne Bachelot à l’inauguration du CRAN (Conseil représentatif des associations noires) pour y décréter l’avènement du droit à la différence et la fin du modèle républicain (et oui !), recherche active et nomination de  « préfets musulmans » et même d’un éphémère et controversé « commissaire à la diversité et à l’égalité des chances ». Nous avons eu le droit à tout et à son contraire, le summum de la versatilité ayant été atteint lorsque l’agité président demanda à une commission présidée par Simone Veil de réfléchir à l’inscription de la diversité, de la parité sexuelle, de la « dignité » (de qui ? de quoi ?) et de l’Europe (laquelle ?) dans le préambule de la Constitution. Ladite commission rendit heureusement et sagement un avis négatif sur ce calamiteux projet. Force est d’admettre cependant qu’en fin de mandat, et dans la perspective de la campagne de 2012, Nicolas Sarkozy sût de nouveau républicaniser son discours face à la gauche Terra Nova qui débarquait en grande parade multiculturelle, avec sa distribution bariolée de « droits » catégoriels « arc-en-ciel » sans limites ni frontières.

    En 2017, les primaires de la droite ont d’abord clairement opté, contre le multiculturel et très « accommodant » Juppé, pour le modèle républicain-conservateur de François Fillon s’appuyant solidement sur les deux « jambes » de l’identité française, incarnées par Bruno Retailleau et François Barouin, la rose et le réséda.

    Du bougisme de Macron

    À  gauche, les primaires ont contribué à clarifier les choses puisqu’Emmanuel Macron s’étant échappé dans un « ni-ni » obscur et Mélenchon s’étant envolé vers une synthèse boîteuse de Marx et Bourdieu, les militants socialistes ont clairement préféré un Hamon multiculturel à un Vals a priori plus républicain, du moins dans le discours.

    Mélenchon, Hamon et Fillon désormais éliminés, il reste donc un face à face Macron/Le Pen dans lequel l’on essaye encore de nous faire croire que la République serait du côté du premier alors que c’est exactement l’inverse.

    Repentance coloniale allant jusqu’à accuser la République de Jules Ferry de « crime contre l’humanité », généralisation des discriminations positives, déni stupéfiant et répété de la culture française, négation de toute continuité, culte de l’évanescence, de la mobilité, éloge du mondialisme et du sans-frontièrisme, saupoudrage de « droits » distribués à toutes les communautés, et même un programme pour l’enseignement supérieur résumé à la « généralisation d’Erasmus », c’est-à-dire du bougisme jeuniste et du tourisme estudiantin inconsistants. Tout n’est que désaffiliation républicaine et brouillage des repères dans la bulle macroniste.

    Au-delà du racolage clientéliste et communautaire distillé au hasard d’une communication désordonnée, c’est la candidature elle-même qui rompt totalement avec la tradition républicaine. La vacuité et la contradiction des propositions sont clairement assumées et revendiquées par un personnage hors-sol qui se dispense d’autant plus volontiers de programme qu’il ignore ce qui sortira des urnes aux législatives et s’en moque d’ailleurs. Sa profession de foi du premier tour est éclairante. On n’y trouve que du bavardage creux sur les deux premières pages et un catalogue désinvolte de commercial paresseux dans la dernière.

    L’on se souvient qu’il y a quelques années, un fêtard parisien avait parié chez Castel, avec sa bande de noctambules, qu’il réussirait à épouser la célèbre et jolie héritière d’une principauté rocailleuse. Le séducteur parvînt à ses fins, condamnant plus tard la princesse humiliée à plaider à Rome le vice du consentement issu de ce jeu de mauvais garçon. Emmanuel Macron lui ressemble. Il a sans doute parié avec lui-même qu’un Bel Ami pourrait devenir chef de l’État en se payant les électeurs et en se moquant de la République.

    Marine Le Pen, une républicaine

    On peut assurément discuter de la personnalité de Marine Le Pen et de la qualité de son entourage, ainsi que du bien-fondé et de la faisabilité politique et juridique de plusieurs éléments de son programme. L’on peut même constater qu’elle se propose d’ajouter dans nos lois républicaines des règles qui s’y trouvent déjà et que son idée de garantir les crèches de Noël dans la Constitution est aussi ridicule que le service national obligatoire d’un mois proposé par son rival ! Mais ni l’organisation d’un référendum européen, ni la limitation importante de l’immigration, ni les  mesures accordant une priorité d’embauche aux nationaux (appliquées en Grande-Bretagne bien avant le Brexit) ne sont contraires aux valeurs républicaines. Il n’existe rien, dans la tradition et les principes républicains, qui impose le droit du sol, oblige à ouvrir les frontières sans limites, interdise les quotas d’immigration ou  impose l’égalité entre nationaux et étrangers. Le Conseil constitutionnel le rappelle : « Aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ».  Le droit d’asile est strictement réservé par la République à « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté » et l’article 5 de la Constitution affirme solennellement que le Président de la République est le « garant de l’indépendance nationale ». Le Conseil constitutionnel en a déduit en 1986 que les privatisations d’entreprise nationalisées devaient se faire dans le respect de ce principe.

    Que l’on discute donc, honnêtement et point par point, de la qualité, de l’opportunité, de la faisabilité et de l’efficacité respectives des propositions des deux protagonistes du deuxième tour, c’est un exigence démocratique. Mais que l’on arrête cette imposture consistant à prétendre opposer un prétendu front républicain à une candidate dont les préoccupations sont sûrement moins éloignées de la tradition républicaine que la personnalité et le  catalogue de son rival. Michel Onfray a eu bien raison d’observer, dans Le Figaro du 24 avril, la malhonnêteté intellectuelle et l’hypocrisie phénoménale de tous ceux qui crient à un loup qu’ils ont minutieusement fabriqué pour faire triompher au final l’ectoplasme postmoderne si peu républicain qu’ils appellent de leurs vœux.

    Anne-Marie Le Pourhiet (Causeur, 26 avril 2017)

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  • Limites protectrices...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue cueilli sur Idiocratie et consacré à la question éminemment politique des frontières...

     

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    Limites protectrices

    Au début de l'automne, quand fut annoncé le démantèlement du bidonville de Calais, cette jungle si éloignée des tropiques mais dotée d'un inimitable cachet post-moderne, il y eut, dans plusieurs villes de France, quelques défilés de militants soutenant la ligne des « no border ». A cette occasion, on put voir des manifestants brandir de grandes banderoles ornées du slogan « ouvrez les frontières ». Le surréalisme était dans la rue. Dans l'Europe de Schengen où les frontières sont béantes depuis des décennies, quoi de plus absurde, en effet, qu'une telle formule ! Elle n'en révèle pas moins l'inquiétude de toute une frange de l'opinion, ces dernières années, devant le retour des frontières dans le débat public.

    On sait à quel point le fantasme de l'ouverture tranquille a dominé l'Europe, depuis la chute communisme. Des habitudes de pensée se sont durablement établies. Une vision du monde benoîte, confortable, simplifiée. Des schémas et des sentiments. Or, voilà qu'apparaissent de fortes tendances en dehors de la voie à laquelle beaucoup s'étaient d'autant plus habitués qu'ils la croyaient définitive. Braves progressistes qui ne voient jamais la croisée des chemins, ni les bifurcations de l'Histoire ! Sous leurs yeux médusés, les peuples anglais et américains viennent d'exprimer leur souhait de voir, entre autres choses, revaloriser les frontières. Expressions de volonté politique qui semblent en outre appartenir à une vague de fond plus vaste puisque, selon l'analyste Jérôme Fourquet, deux tiers des opinions publiques européennes sont aujourd'hui favorables à une remise en cause des accords de Schengen, lesquels traduisent par excellence la volonté constante de nos dirigeants, depuis les années 80, de démanteler les frontières. Ceci malgré la propagande de masse qui n'a cessé d'accompagner toutes les décisions allant dans ce sens. Trente ans de prédication en faveur de la libre circulation en tous domaines pour en arriver là ! On comprend le désarroi des croyants les plus fidèles.

     

    Digue politique

    Enfermés dans la défense des droits individuels, ces adeptes de la foi transfrontiériste ne voient pas que, sous la question des frontières, se joue la survie du commun. De fait, une tendance se cristallise actuellement en Occident sur la question du respect des limites territoriales parce que ressurgit une vérité ancienne : de telles limites sont consubstantielles à l'existence de toute communauté politique et donc d'abord, point capital, à l'exercice de sa volonté propre. C'est en effet en vertu de cette volonté commune que les populations se rebiffent aujourd'hui contre les choix unilatéraux qu'on leur impose et qui touchent à leur être même. Quand s'affermit le souhait de ne plus subir, la lucidité revient et la frontière apparaît comme un enjeu déterminant, celui du pouvoir de la communauté souveraine face au pouvoir des oligarchies. On redécouvre alors que cette frontière constitue une ligne d'appui, une digue politique, pour faire face aussi bien aux menaces liberticides qui viennent d'en-haut (les oligarchies ne dominant que par la transgression) qu'à celles qui viennent d'en-bas, forces déferlant, dans un cas comme dans l'autre, sur le capital immatériel et matériel de la communauté, à la manière de fléaux. Devant la prédation des puissances d'argent et les masses humaines déracinées que celles-ci contribuent à mettre en mouvement sur le terrain, on comprend donc que l’on ne pourra opposer de barrage efficace que fondé sur le territoire.

     

    D'une limite à l'autre

    Dans les esprits, le désenfumage est donc à l'oeuvre, du Middle West américain aux vieilles nations d'Europe, et on commence à retrouver les liens fondamentaux entre territoire et volonté commune. Au regard de l'architecture civilisationnelle, il apparaît, de fait, que les limites dont une communauté politique donnée pourvoit un espace pour en faire un territoire renvoient directement aux limites englobantes de la communauté elle-même, à ses contours spécifiques, autrement dit au choix constitutif du groupe à partir duquel se définit qui en fait partie et qui n'en fait pas partie. Il est utile de le rappeler, ce rapport entre le bornage du sol commun et le bornage du groupe social est illustré notamment, avec la radicalité sereine propre aux Anciens, par le mythe de Romulus et Remus. La transgression du sillon fondateur est une menace pour l'existence de la communauté. Romulus tue donc Remus qui l'avait franchi par dérision et, ayant ainsi rendu sacrée cette limite, il devient le chef de la communauté. On ne saurait mieux faire entendre que celui qui est à même d'assurer le bien commun est celui qui défend avant tout la limite protectrice. Or, il s'agit bien là, non seulement de la limite territoriale mais aussi, et avant tout, de la limite anthropologique séparant les deux termes de la relation ami / ennemi, qui constitue la « distinction spécifique du politique » selon Carl Schmitt. De ce point de vue, il n’est guère étonnant que l'inaptitude toute contemporaine d’une part encore considérable de l’opinion à saisir ce qui est en jeu ici se traduise par de la méfiance devant la simple perspective d'une réhabilitation des frontières. Les sermons officiels ont fait des ravages durables chez les moins structurés. Chez ceux-là, on n'est pas prêt d'admettre que c'est la croyance infantile dans le « tous amis » qui empêche d'organiser des relations pacifique entre non-amis. 

     

    Distinctions claires ou empire du flou

    Aussi, en dépit du malaise croissant et des attentats sur notre sol, le fantasme de la grande fusion des peuples continue pour l'instant de faire obstacle à une plus large compréhension de cette traditionnelle distinction que l'on peut désigner ainsi: ami/non-ami. Distinction qui relève de la sagesse ancestrale des nations et que Schmitt n'avait fait que rappeler avec ses formulations propres (ce point précis prenant place, chez lui, au sein d’une réflexion puissante et originale, on le sait), après la rupture que constitua, en 1919, l'irruption des principes de Wilson sur la scène internationale. L'Histoire le montre à l'envi, une telle distinction représente l'une des conditions essentielles pour éviter que les non-amis, ennemi potentiels, se transforment en ennemis réels. Ceci en reconnaissant d'abord les non-amis comme tels (phase décisive où la limite est reconnue et assumée), puis à ce titre, comme des partenaires plus ou moins proches. C’est ce que recouvre la notion d’ennemi dans cette perspective. Envisager le conflit permet de le neutraliser, sans se soumettre pour autant. Tel est le vieux sésame ouvrant le champ précieux des bonnes relations. Et tel est le cadre raisonnable de toute diplomatie. Comme l’énonce Julien Freund dans le sillage de Schmitt, « la non-reconnaissance de l’ennemi est un obstacle à la paix ». 

    En somme, contrairement aux illusions que défend l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, « Mémoire de paix pour temps de guerre », c’est la culture de la guerre qui constitue la véritable culture de la paix. Naturellement, il ne faut pas confondre cette classique culture de la guerre avec le bellicisme, comme le fait Villepin, étrange gaulliste, qui croit prendre le contre-pied du néo-conservatisme agressif de l’ère Bush en préconisant une diplomatie générale de l’apaisement. Pour cet apôtre de la conciliation abstraite, nul retour aux frontières ne s’impose. Il est vrai que lorsqu’on pense que les peuples n’ont pas de formes définies, on n’a pas de raison de songer aux limites précises de leurs territoires qui en sont pourtant la garantie cruciale. Là est le centre de la question. On promeut donc l’empire du flou, c'est-à-dire, en définitive, l'empire tout court, la logique favorable aux impérialismes.

    En effet, répondre aux dynamiques de domination de tous ordres, qu’elles soient le fait d’Etats, d’oligarchies financières ou d’une religion telle que l’Islam, par la politique impolitique de l’apaisement, selon la méthode tristement célèbre de Chamberlain, c’est tout simplement faire leur jeu. En l’occurrence, on semble avoir oublié en quoi consiste l’art d’obtenir l’équilibre le plus stable possible entre des forces. L’art politique, rien de moins.

    Sous ce rapport, il est intéressant de noter que pacifisme et impérialisme belliqueux constituent deux façons symétriques de ne pas reconnaître de non-amis, dont l’une se résume dans le « tous amis », l’autre dans le « tous ralliés à ma botte », deux manières de pratiquer abondamment la rhétorique de la paix (paix universelle irénique ou paix de soumission) et, de ce fait, deux types de rapports à la conflictualité qui se complètent souvent de la manière la plus tragique qui soit.

    Rappelons, pour finir, un évènement significatif qui eut lieu au XVIe siècle. Pendant la période troublée des guerres de religion, où certains critères d'appartenance à la communauté politique étaient devenus incertains, le jeune roi Charles IX, accompagné de la reine mère Catherine de Médicis, entreprit un long voyage dans le royaume, de 1564 à 1566. L'un des principaux buts de ce voyage était de visiter les frontières avec précision, en en suivant les sinuosités. Le roi effectua donc un « circuit », un « tour » (selon les expressions de l'époque) du sol français, réaffirmant ainsi de manière hautement symbolique les contours de la communauté politique, en crise, à travers les contours de son territoire.

    Des idiots (Idiocratie, 1er janvier 2017)

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  • Quand l'Union européenne discrédite l'Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'échec de l'Union européenne...

     

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    Alain de Benoist : Le plus grand reproche que l’on puisse faire à l’Union européenne, c’est d’avoir discrédité l’Europe !

    Que l’on soit europhile ou eurosceptique, un fait est patent : l’Europe va plus mal que jamais. Pourquoi ?

    Les signes s’accumulent en effet : crise de l’euro qui perdure, « non » des Danois au référendum du 3 décembre, vagues migratoires hors de contrôle, colère sociale, paysans au bord de la révolte, aggravation des perspectives financières, explosion des dettes publiques, montée des populismes et des mouvements « conservateurs » et eurosceptiques. S’y ajoute la possible sécession de la Grande-Bretagne, qui créerait évidemment un précédent. Jean-Claude Juncker l’a déjà avoué : l’année 2016 pourrait bien marquer le « début de la fin » de l’Union européenne. « Personne ne peut dire si l’Union européenne existera encore en l’état dans dix ans », a déclaré de son côté Martin Schulz, président du Parlement européen. « Nous risquons une dislocation », a renchéri Michel Barnier. « L’Europe, c’est fini », a conclu Michel Rocard. Cela donne le ton. L’Union européenne se défait sous nos yeux sous l’impact des événements.

    Dans l’affaire des migrants, le pape François opposait récemment ceux qui veulent dresser des murs et ceux qui veulent établir des ponts. Il oubliait qu’entre les ponts et les murs, il y a les portes, lesquelles fonctionnent comme des écluses : on peut, selon les circonstances, les ouvrir ou les fermer. La mise en place de l’espace Schengen supposait que l’Union européenne assure le contrôle de ses frontières extérieures. Comme elle en a été incapable, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, le Danemark, l’Autriche, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Macédoine et même la Belgique viennent, les unes après les autres, de rétablir le contrôle de leurs frontières intérieures ou de limiter de manière drastique les entrées de « réfugiés » sur leur sol. Cela signifie que l’espace Schengen est déjà mort. Ne vouloir établir que des ponts, c’est se condamner, à terme, à ne plus dresser que des murs.

    Le début des années 1990 a vu la fin du consensus tacite des citoyens vis-à-vis du projet d’intégration communautaire. À l’heure actuelle, un tiers seulement des Européens déclarent faire confiance aux institutions européennes, soit qu’ils pâtissent de la crise (dans les pays du Sud), soit qu’ils craignent d’être touchés à leur tour (dans les pays du Nord). De l’Europe, on attendait l’indépendance, la sécurité, la paix et la prospérité. On a eu la vassalisation au sein de l’OTAN, la guerre dans les Balkans, la désindustrialisation, la crise agricole, la récession et l’austérité. D’où un sentiment de dépossession qui touche tous les peuples.

    Les souverainistes pourraient se réjouir de l’actuel retour en force des nations, mais ne s’agirait-il pas du retour des égoïsmes nationaux ?

    L’actuel retour aux frontières n’est qu’un repli temporaire qui ne correspond nullement à un retour en force de l’État-nation. Tous les centres de décision des pays européens restent aux mains d’instances internationales, ce qui revient à dire que leur souveraineté (politique, économique, militaire, financière, budgétaire) ne tient plus que par la peinture. Au surplus, il n’y a pas un reproche que l’on fait à l’Union européenne que l’on ne pourrait pas adresser tout aussi bien aux États-nations. Le déficit démocratique des institutions européennes, par exemple, n’est jamais qu’un exemple de la crise générale de la représentation qui affecte aujourd’hui tous les pays, parallèlement à une crise fondamentale de la décision que l’on retrouve à tous les niveaux.

    Était-ce inéluctable ?

    Le plus grand reproche que l’on puisse faire à l’Union européenne, c’est d’avoir discrédité l’Europe. L’Europe actuelle est, en effet, tout sauf une Europe fédérale, et c’est pourquoi elle est incapable de s’unir dans le respect de la multiplicité des « nous » nationaux, c’est-à-dire des existences collectives qui existent en son sein. Elle n’a jamais voulu se construire comme une puissance autonome, mais comme un vaste marché, un espace de libre-échange censé s’organiser selon le principe exclusif des droits de l’homme, sans attache collective ni allégeance à une chose commune. Elle s’est faite, dès l’origine, à partir de l’économie et du commerce au lieu de se faire à partir de la politique et de la culture. L’idée sous-jacente était que, par une sorte d’effet de cliquet, la citoyenneté économique entraînerait inéluctablement la citoyenneté politique. C’est le contraire qui s’est produit.

    Conformément aux diktats du « sans-frontiérisme » libéral, l’Europe a voulu s’unifier dans une perspective « universelle », en se référant à des notions abstraites sans aucun ancrage culturel ou historique pouvant faire sens pour les peuples. Loin de protéger les Européens de la mondialisation, l’Union européenne est ainsi devenue l’un de ses principaux vecteurs. Au lieu de chercher à faire émerger une volonté politique commune fondée sur la conscience d’un destin unique, elle a choisi de s’ouvrir au monde sans réaliser qu’on ne peut s’adapter aux circonstances extérieures sans posséder un principe intérieur. Loin de se situer dans la perspective d’un monde multipolaire, elle s’est mise au service d’une « religion de l’humanité », préfigurant ainsi un ordre cosmopolitique fondé sur l’universalisation de la démocratie libérale (un oxymore dont le sens exact est la soumission des procédures démocratiques au système du marché).

    Le drame est que plus les politiques que la Commission européenne met en œuvre échouent, plus elle s’obstine à persévérer dans la même voie, convaincue qu’elle est que tout va s’effondrer si l’on interrompt sa fuite en avant. On n’échappera donc pas à cette fuite en avant. Ni à l’effondrement.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 17 mars 2016)

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  • La gauche et l'extase migratoire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alban Keetlebuters, doctorant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), cueilli sur le site de Marianne et consacré au discours sans-frontiériste de la gauche...

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    Emmanuelle Cosse, nouvelle ministre du Logement

     

    La gauche et l'extase migratoire

    De l’affaire Léonarda à l’actuel chaos migratoire, le discours sans-frontiériste selon lequel « il faut accueillir tous les migrants », comme le déclarait Emmanuelle Cosse le 3 septembre 2015, ressurgit à intervalle régulier dans le débat public. Abolir les frontières, encore et toujours. À ses yeux, la France aurait dorénavant pour mission et pour devoir de subvenir aux besoins des « migrants » du monde entier. Vaste programme.

    Suscitant la suspicion des uns et l’incompréhension des autres, l’immigration demeure l’un des principaux impensés de la gauche française. À l’ère de la « globalisation » et des « flux », la frontière est devenue pour beaucoup, et à tort, synonyme de conservatisme et de xénophobie. Esther Benbassa, sénatrice Europe Écologie Les Verts, n’avait-elle pas qualifiée de « rafle » la reconduite à la frontière de la jeune Léonarda ?

    Il faut réentendre ces mots prononcés par Régis Debray sur France Culture, peu après la parution de son Éloge des frontières (Gallimard, 2006), à contre-courant du discours caricatural qu’une partie de la gauche et des écologistes ne cesse de ressasser : « La frontière n’est pas du tout la fermeture angoissante. La frontière est une marque de modestie : je ne suis pas partout chez moi. La frontière est ambiguë, comme le sacré. On a autant de raisons de la redouter que de l’aimer. Là où il n’y a pas de frontière, il y a la guerre. Voyez le conflit israélo-palestinien. Qu’est-ce que c’est ? Une absence de frontière. On n’arrive pas à trouver la bonne frontière reconnue de part et d’autre. Il y a aujourd’hui en France un état d’esprit où, quand vous parlez frontière, on vous répond souverainisme, identité, “ethnicisme. La frontière est un tamis. Il est bon qu’elle soit une passoire, mais une passoire qui contrôle, qui régule. Sinon c’est le tohu-bohu, et le tohu-bohu c’est le rapport de forces, c’est la loi de la jungle. Dans la jungle il n’y a pas de frontières, c’est pourquoi il n’y a pas de droit ».

    Saturés d’images sensationnalistes, misérabilistes et culpabilisantes, les Français sont priés de prendre position entre l’axe du Bien et du Mal, l’ouverture ou la fermeture, le « parti de l’Autre » pour reprendre l’expression d’Alain Finkielkraut ou l’égoïsme national. Il ne manque plus que Stéphane Hessel pour inviter les citoyens à l’indignation collective : Indignez-vous ! Les réactions à la photographie obscène du petit Aylan Kurdi, que la police turque a retrouvé mort sur une plage, furent à cet égard très instructives. Comme si les Européens en général, et les Français en particulier, étaient responsables de la mort tragique de cet enfant.

    Comme le soulignait déjà Pascal Bruckner dans Le sanglot de l’homme blanc (Seuil, 1983), « chaque jour, chaque année voit s’allonger un peu plus la liste des pêchés imputés à une communauté sur qui pèse l’ancestral soupçon de souiller les sources de la vie. La méchanceté est une sorte de malédiction anthropologique attachée aux peuples des pays tempérés : l’Occident serait cruel et allergique aux autres comme l’asthmatique aux poils de chat. Quoi que nous fassions, la faute prospère à notre place, l’inexpiable nous tient. » Quiconque prétend s’interroger sur ce déferlement migratoire dégage aussitôt un parfum de pétainisme et se voit qualifié de xénophobe. La question interdite reste sans réponse : une société minée par le chômage de masse et l’accroissement des inégalités sociales, en proie à une crise de l’intégration sans précédent, cible principale du djihadisme en Europe, et dont l’ascension du parti d’extrême droite dans le champ démocratique est aussi fulgurante peut-elle – doit-elle – accueillir ces migrants ?

    D’autre part, sur les épaules de quelle partie de la population leur accueil va-t-il peser ? Seront-ils accueillis dans les villes ethniquement, socialement et culturellement à la fois homogènes et privilégiées ? Ou bien seront-ils à terme, comme dans le dernier film de Jacques Audiard, Dheepan, largués dans les quartiers les plus défavorisés, ces zones de non droit détruites par la misère, la délinquance, le trafic de drogue et l’intégrisme ? Va-t-on intégrer dignement ces nouvelles populations, ou va-t-on multiplier les « jungles » à l’instar de celles de Calais et du métro La Chapelle, dans le XVIIIème arrondissement de Paris ?

    Au lieu de jouer le jeu du Medef, les indignés de service et autres pleureuses professionnelles feraient mieux de s’interroger sur les racines politiques de ce désastre migratoire, en particulier sur la politique d’ingérence qu’ils soutiennent sans faillir depuis des années.

    Alban Ketelbuters (Marianne, 15 février 2016)
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  • Apesanteur...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue d'Hervé Juvin, publié sur son blog, Regards sur le renversement du monde,  consacré à ces idéologues, inspirateurs des socialistes français, qui rêvent d'une démocratie sans peuple...

     

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    Apesanteur

     

     

    Un article du tonitruant et controversé Marc Steyn ( The National Post, 25 août 2011), « The post-american Président », éclaire l’étrange sentiment d’apesanteur ressenti à la lecture de maintes contributions au débat socialiste, dans les échanges avec quelques-uns de ceux qui parlent et qui comptent, un sentiment que la lecture du dernier livre de Pierre Rosanvallon ( abondamment présenté par Libération, samedi 27 août ) a renouvelé et approfondi. Avec des talents variables et des convictions respectables, les uns et les autres cherchent à construire leur projet de société. L’un poursuit son travail sur la démocratie, travail novateur puisqu’il suppose, si on l’a bien lu, que l’élection au suffrage universel ne soit plus qu’un accessoire dans un dispositif dont, on respire, les sachants et les bien pensants auraient la maitrise, sans doute pour protéger le peuple de lui-même. D’autres, ou bien le même, se propagent sur l’égalité, ses conditions fiscales, sociales, morales, et j’en passe. D’autres encore traitent de l’homme nouveau, l’homme du XXIè siècle, l’homme sans frontières, sans origine, sans foi et sans sexe, dont il convient que l’Etat lui assure le bonheur, au prix de quelques renoncements accessoires d’ailleurs peu mentionnés, et dont la rigoureuse censure des opinions et du débat est sans doute le préalable.

    Voilà où Mark Steyn pointe un doigt qui porte. Au-delà des polémiques américano-américaines sur les conditions réelles d’acquisition de la nationalité américaine par Barack Obama, le fait est qu’un Président des Etats-Unis d’Amérique choisit de commencer son discours de Berlin par «  People of the world ». Le fait est que, dans son discours du Caire, c’est en dirigeant d’une entité planétaire qu’il choisit de se placer au-dessus des religions, des Nations, pour délivrer un message promptement étouffé par la réalité des intérêts et des engagements américains, dont les débats sur la création d’un Etat palestinien vont vite rappeler la nature. Et le fait est que le talent, l’ambition peut-être, les capacités certainement, des braves candidats à la candidature socialiste, comme de leurs donneurs à penser, ne sauraient s’arrêter à la France et aux Français ; même l’Europe et les Européens les mettent à l’étroit, eux qui oeuvrent dans l’idéal, dans le projet et dans le modèle. De tout ce qui pourrait caractériser la France, de tout ce qui pourrait suggérer qu’il y a peut-être des réalisations, une consistance, une singularité, qui valent d’être défendues, promues, affirmées ; de tout ce qui suggérerait que les Français, dans leur histoire et sur leur terre, et même dans leur frontière et dans leur identité, ont des intérêts qui leur sont propres, sont légitimes à débattre et à faire appliquer leurs choix, plus légitimes encore à vouloir défendre ce moyen suprême de la liberté collective qui s’appelle souveraineté du peuple, pas un mot, pas une trace. Dans l’empyrée  des idées vagues, M. P. Rosanvallon traque l’idéal de la démocratie sans hommes – sans hommes de leur terre, de leur sang, et des leurs. C’est que l’idéologie du sans-frontiérisme, du libre-échangisme et du métissage ravage les consciences molles et les propriétaires du bien. C’est que l’égalité est humaine, ce qui évite de s’interroger sur les conditions concrètes des mutualisations et organisations sociales qui reposent d’abord sur la clôture – et, oui, la discrimination entre ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas. C’est que tout ce qui se nomme particularité nationale, singularité historique, unité culturelle ou politique, est nécessairement haïssable qui en appelle nécessairement à la circonscription géographique de la frontière, humaine de l’identité. C’est qu’il faudrait pour en sortir reconnaître que tous les hommes ne seront pas Américains comme  les autres, ou bien que tous les hommes ne seront pas, ne peuvent pas et d’ailleurs ne veulent pas être des Français comme les autres.

    Ici sans doute, l’analyse doit se préciser et le jugement s’aiguiser. Dans les discours de Barack Obama, l’oreille de Mark Steyn pourrait entendre une toute autre musique, celle dont son patron, le tycoon Conrad Black ( longuement emprisonné pour abus de confiance et présentation de comptes falsifiés), s’est outrageusement fait l’écho ; l’Amérique doit être le monde, et tout ce qui est bon pour l’Amérique est bon pour le monde, et tout ce qui résiste aux intérêts américains incarne le Mal et doit être détruit. Cette vision impériale, et plus encore missionnaire, pour ne pas dire intégriste, vit sans doute ses derniers moments, et il faut s’en réjouir ; le non-interventionniste Ron Paul fait sortir les Républicains de leur vertige de la canonnière, et il y réussit bien. On ne suppose pas que les dirigeants socialistes français aient la même ambition, eux dont un Lionel Jospin, ancien Premier ministre, se fait gloire d’avoir été le bon exécutant de ses maitres américains, en privatisant, en gérant, en sans-frontiérisant et en démantelant ce qui restait des frontières commerciales…  On frémira seulement devant cette alternative ; ou bien, devant le peuple de France qui s’éloigne d’eux, ils rêvent de dissoudre le peuple et de se passer de l’élection ; ou bien ils préparent leur participation au directoire planétaire d’un monde unifié, un monde où les mots de peuple, de Nation et de France n’auraient plus cours, le monde de M. Pierre Rosanvallon, le monde de la fin de la France, des peuples et des Nations.

    Faut-il ajouter que tout cela fait le meilleur garant de la réélection de M. Nicolas Sarkozy ?

    Hervé Juvin (Regards sur le renversement du monde, 2 septembre 2011)

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