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raymond aron

  • Pourquoi les intellectuels se trompent...

    Les éditions de l'Observatoire ont récemment publié un essai de Samuel Fitoussi intitulé Pourquoi les intellectuels se trompent. Essayiste, entrepreneur et chroniqueur au Figaro, Samuel Fitoussi est déjà l’auteur de Woke Fiction (Le cherche midi, 2023).

     

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    " Certaines idées sont tellement absurdes que seuls les intellectuels peuvent y croire, disait George Orwell. Et il avait raison, soutient Samuel Fitoussi, car non seulement l’intelligence ne protège pas de l’erreur, mais elle peut y prédisposer !

    Dans un ouvrage stimulant, érudit et impertinent, l’auteur examine les mécanismes sociaux, culturels et cognitifs qui conduisent les intellectuels à l’aveuglement, parfois au détriment de la société qu’ils prétendent éclairer. L’idéologie empêche le cerveau de fonctionner correctement, la virtuosité argumentative est souvent mise au service de la mauvaise foi, et le conformisme, le désir d’approbation et les excès de certitudes détournent de la quête de vérité. Quant à l’Université, autrefois temple du savoir, elle risque de devenir un monde clos, autoréférentiel, où la réalité ne pénètre plus.

    Nourri à la pensée de George Orwell, Jean-François Revel, Thomas Sowell, Raymond Aron, ou Steven Pinker, s’appuyant sur une riche littérature scientifique et une foule d’exemples historiques, Samuel Fitoussi nous met en garde : il est toujours plus facile de déceler les égarements du passé – une fois l’histoire écrite – que les aveuglements collectifs du présent !…
Plus que jamais d’actualité. "

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  • Aux origines de l’antiracisme (2) : « L’idéologie française » de Bernard-Henri Lévy...

    Nous reproduisons ci-dessous la suite de l'exploration de Jean Montalte, cueillie sur le site de la revue Éléments, consacrée aux origines de de la "religion" antiraciste...

    Première partie : Origines et fins de l’idéologie antiraciste (1)

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    Aux origines de l’antiracisme (2) : « L’idéologie française » de Bernard-Henri Lévy

    Nous allons explorer, dans le cadre de notre enquête sur les origines de l’antiracisme, grâce à l’auteur de La Barbarie à visage humain, ce qu’il nomme le fascisme aux couleurs de la France. Tout un programme. L’auteur a l’amabilité de nous prévenir : « Je ne dirais pas que j’ai pris plaisir à cette descente aux abîmes de l’idéologie française. J’ai eu peine, parfois, à réprimer une nausée face à ce que j’y découvrais et aux vapeurs qu’il m’y fallait respirer. » Munissez-vous donc de vos sacs de vomi chers lecteurs, il y a de quoi gerber, je vous le confirme, dans cette « descente aux abîmes » que constitue l’enquête philosophique intitulée L’idéologie française. Je dis bien enquête philosophique puisque Bernard-Henri Lévy prend soin de  distinguer sa démarche de celle de l’historien, et il fait bien… « L’idéologie française était un livre, nous dit-il, non d’histoire mais de philosophie. C’était un livre qui, lorsqu’il disait « pétainisme », entendait une catégorie, non du temps, mais de la pensée. » 

    Ainsi, le « pétainisme » étant élevé à la dignité d’une catégorie métaphysique soustraite aux contraintes du temps et de l’espace, pourra désigner des phénomènes, des attitudes, des pensées, des discours, qui n’ont qu’un rapport très lointain avec le phénomène circonscrit historiquement de la Collaboration. Au fond, soyons un peu taquin, il y a de quoi voir dans cette méthode la mère de tous les amalgames ! Pourquoi, en effet, s’embêter avec des contraintes, étayer son propos en se basant sur des réalités vérifiables plutôt que divaguer lyriquement ? Aussi, il faudra bien se garder de confondre la thèse philosophique de Lévy avec les travaux historiques d’un Zeev Sternhell, par exemple, aussi contestables soient-ils par ailleurs et même si la thèse d’une origine française de l’idéologie fasciste semble les unir, pour ainsi dire naturellement, dans l’esprit des lecteurs. Leurs démarches respectives sont bien distinctes et nous aurons l’occasion de le vérifier. Sternhell tiendra, d’ailleurs, à se démarquer publiquement de Bernard-Henri Lévy – on ne mélange pas les torchons et les serviettes ! – : « Il convient de souligner ici la grande faiblesse de cet ouvrage de vulgarisation qu’est L’idéologie française de Bernard-Henri Lévy, qui ignore les impératifs de la recherche scientifique, ne craint pas le ridicule en disant qu’il existait une idéologie commune à tous les Français et qui serait proche du fascisme. »

    Cette méthodologie singulière, qui s’affranchit de la logique historique, scientifique, des faits et des documents, de la réalité, en somme, permet d’exécuter de belles cabrioles herméneutiques. Elle permet des affiliations rétroactives, des à peu près, des généralisations abusives. Elle permet – et c’est un des sommets de cette mise en application de cette méthode – de salir la mémoire et l’œuvre de Péguy, tué le 5 septembre 1914, c’est-à-dire tout au début de la première guerre mondiale, dans un livre qui traite du fascisme et du pétainisme, donc de phénomènes bien postérieurs à sa mort héroïque sur le champ d’honneur. Il s’agit là d’un exercice conceptuel qui exige une rare dextérité philosophique et, sans doute, une absence d’inhibition morale presque complète.

    Lutter contre le « mensonge français »

    Dans la préface à la seconde édition de L’idéologie française, Bernard-Henri Lévy évoque « la nécessité d’ouvrir un nouveau front dans la juste lutte contre le mensonge français. » Quand on a le courage de ses idées, fût-il germanopratin sur les bords, on annonce la couleur. Et Lévy ne s’en prive pas. Nous lui savons tous gré d’une telle franchise. Franchise qui, tout de même, pâlit un peu, par contraste, lorsqu’il substitue à l’attitude guerrière, la pose victimaire : «  Et je publie donc ce livre […] qui va devenir, en quelques semaines, l’épicentre d’une tempête dont je n’avais, évidemment, rien pressenti et dont la violence, l’acharnement ad hominem, l’excès, me paraissent, avec le recul, très étranges. » Notre soldat d’une engeance particulière, celle des petits bichons, n’imaginait pas une seule seconde qu’il puisse y avoir des réactions vives à ses éructations anti-françaises diluviennes. C’est un cas de curiosité psychologique, sans doute, mais nous n’avons pas de divan assez large pour convier son ego à s’y allonger.

    Ce qui est très fort chez Lévy, et qui fera des émules, c’est de représenter le courant idéologique majoritaire, d’être du bon côté du manche, et de réussir à se faire passer pour le persécuté, avec cette rhétorique qui tient davantage du délire obsidional que de la démonstration philosophique : « L’attaque vient de la gauche et de la droite. Elle vient des cercles intellectuels, mais aussi politiques et journalistiques. J’ai l’impression, sur le moment, de voir se constituer une sorte de parti, aux frontières indécises mais assez vaste, puisqu’il va du Débat à Esprit, de l’Action Française, ou de ce qu’il en reste, au Parti communiste et aux réseaux personnalistes – un parti donc, ou un axe [ c’est nous qui soulignons pour les raisons que vous imaginez ] qui semble n’avoir d’autre objet que de discréditer ce livre-édit. » Donc une coalition AF-Coco-Personnaliste qui fond sur le discours anti-français d’un Bernard-Henri Lévy comme une hydre à mille têtes dans tout le pays. Si vous avez des témoins qui ont assisté à ces événements, prière de contacter la rédaction d’urgence et nous mettrons à jour les indices d’évaluation d’une paranoïa peu banale, avec prosternation subséquente devant l’idole injustement lapidée.

    Nous pouvons lire sur le site de Bernard-Henri Lévy Une autre idée du monde qu’il a participé, en 1984, à la fondation de l’association SOS Racisme. Il en porte visiblement les stigmates, dont cette volonté de rabaisser la France – « Il faut réduire le caquet du coq gaulois » dira-t-il -, de la salir et la peur panique d’une hypothétique mais très imminente – imminente depuis quarante ans, mais quand on aime on ne compte pas ! – montée du fascisme, qui a dû atteindre de tels sommets depuis le temps qu’il n’est décidément plus discernable que par satellite de pointe.

    Paul Yonnet, dans Voyage au centre du malais français, fait cette observation éclairante à cet égard : « Mais la relation de l’antiracisme à la suggestion de l’idée de mort ne se limite pas à cette magie de péché fondée sur des mécanismes de rétroaction historique menant au dégoût de soi et aux moyens d’y mettre fin. Il y a aussi une suggestion de l’idée de mort destinée aux antiracistes, à usage interne, destinée à majorer la racistophobie au travers de signaux laissant entendre l’imminence d’un envahissement de la société, non par les immigrés cette fois, mais par les Français racistes ». À S.O.S. Racisme, il est même suggéré beaucoup plus aux militants, comme l’inévitabilité de la défaite devant l’intarissable fécondité de la « bête immonde » qui monte, ou va monter (l’une des propriétés du racisme vu par les antiracistes est en effet qu’ « il monte»). Le slogan affiché par voie de presse dans l’Île-de-France pour annoncer le concert annuel de S.O.S. Racisme en 1991 était : « La fête, vite! » C’est la réponse que l’organisation a trouvée au fameux « Le Pen, vite! » vu partout dans l’Hexagone durant une décennie. À ce slogan d’attente des premiers jours qui suivraient la défaite du vieux monde de l’établissement républicain, selon les partisans du Front national, S.O.S. Racisme a répondu par un slogan d’attente des derniers jours. L’espérantisme lepéniste n’est détourné par un thème crépusculaire que pour y renvoyer, non pour le démentir: la dernière fête, peut-être, avant que le ciel ne nous tombe sur la tête.

    Poser l’évidence du fait raciste

    Observons bien d’ailleurs le sigle du mouvement: comme pour toutes les organisations de type S.O.S. (S.O.S. Plomberie ou autres), il s’applique à des équipes spécialisées dans l’intervention d’urgence – elles n’ont pour vocation ni le travail de fond ni la prévention une fois que l’événement a eu lieu. Le sigle a pour fonction, chaque fois qu’il est prononcé, de poser l’évidence du fait raciste, que les Français racistes frappent et frapperont encore. Subtilement, Léon Boutbien, membre de la commission de la Nationalité, a fait remarquer, lors de l’audition des leaders du mouvement, que ce combat antiraciste était mené « sous le signe d’une incantation presbytérienne, car en fait S.O.S., c’est  » Sauvez notre âme », c’était l’incantation presbytérienne des marins quand ils allaient mourir ».  « Sauvez nos âmes, le racisme est là comme la fatalité d’une mer déchaînée qui nous entraîne inexorablement vers l’abîme » : c’est l’incantation implicite mais très environnante – des antiracistes qui voudraient croire qu’eux-mêmes et faire croire que les Français vont en mourir. »

    Qui de mieux placé, alors, pour sauver notre âme que Bernard-Henri Lévy. Il est si christique, à un degré que seul saint François d’Assise a pu atteindre, qu’il fut même stigmatisé ! Lévy – oui oui ! – a prétendu que des stigmates sont apparus sur son corps, les stigmates du Christ tout bonnement, à l’exemple de Padre Pio, qui doit être flatté – de là où son âme nous surplombe — d’un lien confraternel si sublime. L’anecdote a été confiée au micro de Christophe Barbier pour L’Express le 8 février 2010. Barbier qui suggère à Bernard-Henri Lévy qu’un tel événement doit changer un homme, le rendre mystique, croyant à tout le moins, s’entend rétorquer pour toute réponse : « non ». Puis un développement verbeux, une logorrhée sur l’essence de l’homme qui réside non dans la chair, les muscles et autres propriétés secondaires, mais dans le signifiant. L’homme est fait de mots, et ces mains du philosophe qui saignent, ce sont des mots qui saignent. Voilà voilà ! Mais pour l’heure, les mots de notre philosophe ont surtout vocation à faire saigner la France, pour lui faire expier ses crimes, qui sont innombrables.

    Bernard-Henri Lévy s’est fixé un but digne du Bouddha avec L’idéologie française : l’éveil. Raison pour laquelle ce livre ne peut être lu qu’en position du lotus, sous peine de n’y rien comprendre. Rien moins que de déchirer le voile d’illusion qui encombre la vue et fait miroiter une « France imaginaire » dans laquelle nous serions « tous fils de Lumière, issus d’une Histoire fabuleuse, peuple de communards, de dreyfusards, de maquisards, – nos hérauts avantageux dans l’ordre de l’honneur. » Or nous savons désormais que tout cela est faux, une sinistre farce, une fable propre à égarer les fous. L’heure est grave, et c’est à Lévy qu’il incombe de remettre les pendules à l’heure : « Il est l’heure, enfin, de regarder la France en face. » Jusqu’alors nous la regardions de biais, les plus téméraires osèrent un regard de trois quarts, mais personne n’était allé plus loin dans cette franchise envers soi-même, dans ce respect scrupuleux des lois de l’optique – Ô mânes de Descartes qui honora cette science de son génie pourtant si français, avez-vous déserté nos faibles esprits ?

    Notre fringant auteur-prophète-éveillé-stigmatisé passe au peigne fin un certain nombre de thèmes qui sont comme les soubassements idéologiques du fascisme et du nazisme – pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? – à savoir : la Nation, la Terre, le Corps. En ce qui concerne la nation, on voit bien ce qu’elle fait là. La terre, elle, est incriminée pour cette raison toute simple : « La terre où il faut être né pour participer des valeurs de la race. La terre où il faut prendre racine pour appartenir au grand corps de la Nation. » Gaston Bachelard a pourtant consacré deux très beaux livres à la Terre, dans le cadre de sa philosophie de l’imagination matérielle : La Terre et les rêveries de la volonté et La Terre et les rêveries du repos, où il n’est pas tellement question d’appartenance raciale mais d’une « métaphysique de l’adhésion au monde ». Bernard-Henri Lévy serait-il de ceux qui, comme l’écrivait Jean-François Mattéi dans L’ordre du monde, « incapables de sentir en eux leurs propres racines, s’acharnent à arracher celles des autres » ?

    Mais le corps ? Suggérez-vous que le fascisme commence quand on entreprend une série de pompes pépère dans son salon ? L’auteur évoque, alors, à propos du corps une « identité compensatoire » – formule qui vaut ce qu’elle vaut c’est-à-dire pas grand-chose en définitive – et l’injonction à « faire corps, se faire corps, chanter haut et fort la gloire de Dieu le Corps. » Mais puisque notre auteur n’est pas particulièrement fatigué par l’effort entrepris, son corps étant par trop éthérique pour souffrir, il poursuit : « Relisez l’hymne de Drieu encore à Doriot « le bon athlète », qui « étreint » le « corps débilité » de « sa mère », la France, et « lui insuffle la santé dont il est plein ». » Vous avez compris : Le triomphe de la volonté, le paganisme charnel, le sauvetage herculéen de mémère patrie…

    Tous les français sont coupables !

    La thèse de L’idéologie française est très simple : les français, qu’ils soient communistes, anarchistes, pétainistes, monarchistes, personnalistes, chrétiens, athées, païens, rouges, bruns, rouges-bruns sont tous coupables, à tout le moins très suspects. Il est même question – c’est le titre d’un chapitre – de « pétainisme rouge » (sic). Et la formule gaullienne « une certaine idée de la France » se voit supplantée subtilement par « une certaine idée de la race ». Un président de la république offre une synthèse de choix : Mitterrand. Voici ce qu’en dit Lévy : « Nous avons eu un président de la République qui a pu revendiquer à la fois, et sans contradiction, son passé de pétainiste et de résistant : je l’ignorais à l’époque – mais quelle leçon ! Quelle improbable, mais implacable, illustration de ma thèse ! » Et oui, pétainiste, résistant, pas de différence, puisqu’ils ont en commun d’être français – crime des crimes – et par ce fait, comptables de l’ignominie du fascisme. La France n’est-elle pas, selon notre philosophe, « la patrie du national-socialisme » où la xénophobie est « considérée comme un des beaux-arts » ? Oui, ça ose tout…

    La résistance avait pourtant bénéficié d’un traitement de faveur et d’un regard indulgent, il est vrai au prix d’une interprétation frauduleuse du phénomène réel que recouvre ce terme. Paul Yonnet écrit à ce propos, toujours dans Voyage au centre du malaise français : « La Résistance n’intéresse les étudiants vaincus de 1968 et les post-soixante-huitards que dans la mesure où elle est résistance à la France, avons-nous écrit, résistance contre la France. Logiquement prend naissance le mythe – celui-là, pure affabulation – d’une Résistance antinationale, antipatriotique, fondée sur le refus de la « patrie pétainiste, concrète et charnelle à souhait, pétrie de sang et de mort, dont on peut fouler le sol, humer les odeurs familières, contempler les cimetières et entendre les angelus ». La Résistance serait motivée par une « pure idée gaullienne, abstraite et désincarnée », opposant « un nationalisme de l’Idée » à un « nationalisme de la terre », une  « France des nuées […], de papier […], sans odeur » à la France « du limon » qui est nécessairement celle du « vieux fonds fasciste » hexagonal. Bernard-Henri Lévy, qui concrétise en 1981, dans un essai-pamphlet, une décennie de révision historique menée par la génération de mai 1968, explique le défaut de résistance sous l’Occupation par un déficit d’abstraction et d’attachement « aux grands signifiants d’universalité». Trop d’amour de la patrie, des racines et des ancêtres, de la « nation substantielle » aurait empêché les Français de prendre les armes, et c’est en somme d’une révolte contre le sentiment patriotique qu’aurait dépendu la massification d’un comportement de résistance, qui ne s’est pas produit. Comme l’a écrit Pierre Nora, en examinant L’idéologie française, « le mépris a priori des faits est consubstantiel aux nécessités de la démonstration » que ce livre contient. L’engagement dans la Résistance ou la France libre a eu lieu en réaction à des événements concrets se produisant sur le sol de France et est entièrement subsumé par l’idée patriotique la plus traditionnelle : c’est France d’abord, organe des F.T.P.F. (Francs-Tireurs et Partisans français), l’organisation militaire d’un Front national, le Front national de lutte pour l’indépendance et la libération de la France; c’est Défense de la France, qui changera de titre, à la Libération, pour devenir France-Soir; «Ni traître ni boche » définira les motivations du ralliement aux organisations unies dans le Conseil national de la Résistance. Dans le genre nationaliste, de Gaulle était plutôt un ultra, souvent taxé pour cette raison de « maurrassien ». La Résistance aurait été surprise d’apprendre qu’elle incarnait une idée pure et abstraite contre une idée « substantielle » de la nation. Que cela plaise ou non, elle se voulait compétitive avec le pétainisme sur le même champ de valeurs patriotiques, celui de « la France éternelle», de «la France de toujours», de la France à longue mémoire. Voici d’ailleurs comment Raymond Aron, de Londres, le 15 juin 1941, voyait dans l’interrogation des « maîtres du passé», alors florissante dans l’Hexagone, le signe d’un salutaire « retour à la France», apte, selon lui, à fortifier les bases d’un esprit de résistance. Comme par hasard, Aron revendiquait Péguy, cible centrale de Lévy dans L’idéologie française (« Péguy le raciste », « Péguy le nigaud», créateur d’un « racisme sans racisme», etc.): « Nul signe plus frappant de la ferveur patriotique qui anime les Français que cette interrogation des maîtres. Les colonnes des journaux sont remplies d’articles sur Molière, sur Corneille, sur Racine, sur Montesquieu. On fait le compte de ce qui a résisté au désastre. Un poète entre tous paraît présent, vivant dans notre patrie meurtrie: Charles Péguy – tué d’une balle au front en septembre 1914, Péguy, fils du peuple, catholique et socialiste à la fois et avant tout Français. »

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  • Quand le monde des vieux partis est en train de disparaître...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque les résultats des dernières élections européennes... Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « le monde des vieux partis est en train de disparaître ! »

    Pour la première fois depuis longtemps, voire pour la première fois tout court, deux intellectuels, Raphaël Glucksmann et François-Xavier Bellamy, figuraient parmi les têtes de liste aux élections européennes. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

    Cela n’a apparemment pas porté bonheur aux partis qui s’étaient adressés à eux ! L’un et l’autre se trouvent en effet associés à un échec retentissant.

    L’essayiste bobo Raphaël Glucksmann, libéral de gauche, avait déjà coulé le Magazine littéraire, il n’obtient que 6,1 % des voix avec sa liste « Envie d’Europe », qui n’a visiblement pas fait envie à grand monde. Alors qu’il voulait « reconstruire la gauche », pieux souhait s’il en est, il s’est retrouvé comme un petit ours polaire sur une banquise en train de fondre, godillant comme il le pouvait entre les écologistes, les insoumis, l’« Europe des gens » de Ian Brossat et la « liste citoyenne » de Benoît Hamon, pour ne rien dire des « animalistes » qui, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, ne soutenaient pas la dame Loiseau. La « gauche » se retrouve éclatée comme jamais. C’est pathétique.

    Le cas des Républicains est encore pire. François-Xavier Bellamy, jeune philosophe de talent, n’a certes pas démérité, mais les résultats qu’il a obtenus (8,4 % des voix) sont une catastrophe comme on en a rarement vu. La droite bourgeoise, qui aurait pu être sensible à son côté bien élevé, a préféré rallier Macron, au point que le petit prince-philosophe a même été battu dans son fief versaillais. Quant aux classes populaires, qu’il n’avait évidemment rien pour séduire, elles lui ont visiblement préféré un candidat encore plus jeune que lui, Jordan Bardella, qui a grandi dans les cités « difficiles » de Drancy, et non dans les beaux quartiers.

    Bruno Retailleau a tenté d’expliquer l’échec en disant que Bellamy avait été une victime collatérale du duel Macron-Le Pen. Après quoi les dirigeants de LR ont répété leurs mantras habituels : on va « convoquer des états-généraux pour refonder la droite », on va « retrouver nos valeurs », on va « rassembler » Nadine Morano et Valérie Pécresse, et autres calembredaines. Bref, on va maintenir l’équivoque et continuer à tourner en rond. Ces gens-là sont incorrigibles : ils n’ont pas compris qu’ils vont connaître le sort du PS parce que le monde des vieux partis est en train de disparaître. Ils n’ont pas compris que, dans le monde actuel, on ne peut atteler au même cheval la droite et le centre, les conservateurs et les libéraux. C’est tout aussi pathétique.

    De façon plus générale, est-ce le rôle des intellectuels de chercher à faire une carrière politique ? Vous avez naguère écrit que les intellectuels et les politiques vivaient sur deux planètes différentes, les premiers ayant tendance à complexifier les choses, les seconds à les simplifier pour d’évidentes raisons électorales. Ces deux mondes ne sont pourtant pas totalement étanches…

    Il y a une différence bien connue entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. “Cela ne signifie pas”, disait Max Weber, “que l’éthique de conviction est identique à l’absence de responsabilité et l’éthique de la responsabilité à l’absence de conviction”. Il faut au contraire souhaiter que les hommes politiques aient des convictions fortes, et tenir compte aussi de ce qu’il est parfois nécessaire de théoriser la praxis. Mais il reste que la politique est l’art du possible (ou de rendre possible ce qui est nécessaire), tandis que la théorie cherche à dire le vrai sans toujours se soucier des conséquences.

    Les intellectuels peuvent parfaitement s’engager en politique, mais s’ils en font une carrière, ils ne pourront plus assumer leur rôle d’intellectuels. Ils devront participer à toutes sortes de magouilles auxquelles ils répugnent (ou devraient répugner). Ils devront s’abstenir d’exprimer trop fortement leurs opinions personnelles, et s’ils n’y consentent pas, on leur fera très vite comprendre, comme cela a été maintes fois le cas, que leur place est ailleurs.

    N’oublions pas en outre que nous ne sommes plus à l’époque où les intellectuels jouaient encore le rôle de grandes consciences morales ou de porte-parole des sans-voix. Aujourd’hui, il n’y a plus d’Émile Zola, de Jean-Paul Sartre, de Raymond Aron ni même de Michel Foucault. Il y a une multitude d’auteurs de talent, mais qui n’influencent pas vraiment le cours du temps. La figure de l’intellectuel a largement été détrônée au profit de l’« expert », quand ce n’est pas au profit de l’amuseur public ou de l’imposteur. Il faut donc revenir à l’essentiel. Le rôle d’un théoricien, c’est d’abord de produire une œuvre qui expose sa conception du monde, sa conception de l’homme et de la société. Le rôle d’un intellectuel, c’est d’analyser le monde actuel pour aider à comprendre le moment historique que l’on vit. Cela ne l’empêche évidemment pas de donner un avis ou de signer des pétitions !

    J’en conclus, avec un sourire, que vous n’accepteriez pas de figurer sur une liste électorale ?

    En effet, et pour au moins trois raisons. La première est que je ne suis pas un homme de puissance, mais un homme de connaissance. La seconde est que je ne suis pas un acteur, mais un observateur de la vie politique. La troisième, pour être franc, est que je trouve la politique au jour le jour extrêmement ennuyeuse et qu’elle ne vient pas, et de loin, au premier rang de mes centres d’intérêt.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 30 mai 2019)

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  • Mondialisation et prolifération de l'hostilité...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré aux changements de forme de la guerre provoqués par la mondialisation. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Pas d'idée de paix sans définition de la guerre

    Comment sait-on que l'on est en guerre ? Il y a quelques années, la question aurait été absurde. La guerre était l’affaire des États (ou de groupes armés qui voulaient s’emparer de l’État, donc du monopole de la violence légitime, et il était alors convenu de parler de «guerre civile»).

    - La guerre entraînait certains actes de langage : on la proclamait pour mobiliser son camp, au moins moralement, on la déclarait à l’autre, on l’exaltait par des discours, on la concluait par un écrit, tel un traité, on l’inscrivait dans les livres d’histoire ou sur des monuments. Le but était d’imposer le silence : silence des armes, silence du vaincu qui renoncerait à s’adresser à la postérité et à énoncer sa prétention politique

    - L’état de guerre – une période avec un début et une fin- supposait des codes spécifiques : elle était ou bien juste ou bien injuste au regard du droit des gens ; des professionnels, les militaires (et eux seuls), avaient en fonction des circonstances le droit de tuer ou pas Chacun savait s’il était combattant (éventuellement « sans uniforme ») ou civil. La distinction ennemi privé / ennemi public était indépassable (extros contre polemos en grec, hostis contre innimicus en latin, etc..)

    - La guerre se déroulait en un lieu connu : front, champs de bataille, zones occupées ou libérées. Un coup d’œil sur la carte montrait quelles troupes progressaient et lesquelles se repliaient.

    - La guerre s’accompagnait de destruction à commencer par un taux de mortalité anormal. : cette expérience du sacrifice revenait à chaque génération par cycles et apparaissait comme inhérente à la condition humaine. La belligérance, catégorie anthropologique fondamentale, stimulait les plus fortes passions de notre espèce.

    - Les belligérants savaient qu’ils participaient à un conflit armé collectif ayant des fins politiques. Ils continuaient à s’infliger des dommages ou à occuper leur territoire respectif, jusqu’à la victoire ou au compromis (traité). Victoire ou compromis devaient modifier un rapport de souveraineté ou de pouvoir et s’inscrire dans l’Histoire. Le vaincu reconnaissait sa défaite ou disparaissait comme acteur (massacré, par exemple).


    En termes de communication, de normes, de temps, d’espace, de forces, de conscience et de finalité, la distinction entre guerre et paix était aussi fondatrice qu’incontestable.
    Tout ce que nous venons de rappeler correspond à une vision « classique » européenne ; celle de penseurs aussi divers que Clausewitz, Hegel, Weber, Schmitt, Freud, Caillois, Bouthoul, Aron, … et qui paraît aujourd’hui si désuète.

    Les nouvelles violences

    Sans même parler de la guerre froide dont la principale caractéristique fut de ne pas éclater à partir de la seconde moitié du XX° siècle, apparurent des formes de conflits inédites, certaines virtuelles ou fantasmées :

    - Affrontements entre acteur étatique et combattants qui se considèrent comme armée de libération ou se réfèrent à une notion similaire. Reste à savoir à partir de quel degré d’organisation, permanence, visibilité (une « guerre clandestine » est-elle une vraie guerre ?), suivant quels critères politiques relatifs à la noblesse ou au sérieux de sa cause, un belligérant mène une vraie guerre de partisan. Sinon, il s’agit d’émeutes, d’incidents, de raids de groupes armés… relevant plus ou moins de la police et du maintien de l’ordre. Pour ne prendre qu’un exemple, dans les années 50, il n’y avait pas une guerre mais des « événements d’Algérie ». Quarante ans plus tard, l’État algérien se demandait s’il faisait la guerre aux maquis islamistes ou s’il s’agissait de maintien de l’ordre.

    - La question devient cruciale soit lorsqu’il y a pluralité d’acteurs armés, comme la prolifération des milices au Liban dans les années 80, soit quand la distinction entre politique et criminalité devient presque indiscernable. En Amérique latine ou dans des le « triangle d’or » proche de la Birmanie, bien subtil qui sait distinguer une bande armée de trafiquants de drogue d’une guérilla.

    - La distinction militaire/civil est remise en cause par la tendance à mobiliser des combattants sans uniforme, et la propension croissante des conflits à tuer bien davantage de civils que de militaires. Au moins d’un côté (voir le fantasme du « zéro mort »). Quand des milices massacrent des civils qui ne se défendent guère, comme au Darfour, faut-il continuer à parler de guerre ? Dans un tout autre genre : quand un membre d’une société militaire privée accomplit-il une mission de sécurité, est-il un assistant d’un « vrai » militaire et quand commence-t-il à « faire » la guerre ? Où passe la frontière entre terrorisme, guerre secrète, guerre du pauvre, guérilla ?

    - Inversement, le système international - pour ne pas dire l’Occident – a inventé des interventions armées inédites des représailles sanctions jusqu’aux interventions humanitaires. Elles doivent séparer des protagonistes ou protéger des populations. Le discours des puissances intervenantes souligne qu’elles mènent une guerre « altruiste » censées ne leur apporter aucun avantage. Elles disent lutter contre des criminels ou ennemis du genre humain, contre des dirigeants et non des peuples qu’elles sont au contraire venues sauver. De là le droit d’ingérence qui autorise le recours à la force armée pour empêcher des violences inacceptables. Les opérations militaires, que nous nommerions « de contrôle », se multiplient, pour maintenir la violence armée des pauvres et des archaïques (conflits ethniques par exemple) à un degré supportable .

    - Les situations intermédiaires -pas vraiment la paix, pas encore la guerre - se multiplient. Ainsi, en Afghanistan, la guerre contre les talibans est censée être finie, et pourtant les troupes de la coalition doivent utiliser des armes lourdes. Corollairement, des citoyens de pays industrialisés peuvent ignorer dans combien de conflits ou d’opérations de « maintien de la paix » sont engagés leurs troupes et ne pas ressentir l’état de belligérance. Pour reprendre le même cas, la perte de quelques soldats d’élite français en Afghanistan en 2007 a soulevé moins d’émotion que certains accidents de la route. Le sentiment de sécurité qu’éprouvaient la plupart des Européens (mais moins d’Américains depuis 2001), l’idée que la guerre est une vieillerie dont le droit, la démocratie et la prospérité nous ont délivrés, tout cela serait apparu proprement stupéfiant il y a quelques décennies.

    - Les stratèges ne cessent d’imaginer des formes de conflit où les armes prendrait une forme inédite ; ils intègrent dans leurs panoplies des outils informationnels au sens large qui agissent plus sur les esprits que sur les corps. Qu’il s’agisse de priver l’adversaire de ses moyens de communiquer, de le désorganiser ou de le désinformer, de percer tous ses secrets, de le sidérer psychologiquement, de rendre la force plus intelligente et mieux ciblée…, les spécialistes de la Revolution in Military Affairs et des diverses cyberwar et autres information warfare, n’ont jamais manqué d’imagination. Parallèlement, les notions de guerre de quatrième génération, de faible intensité, guerre continue ou celle, chère aux stratèges chinois, de guerre sans limite, reflètent les formes inédites du conflit technologiques, psychologiques, économiques, et devient de moins en moins évident que la guerre se pratique avec ces outils reconnaissables que sont les armes.

    - Parmi les catégories utilisées pour décrire les nouvelles formes de l’affrontement armé, celle de guerre asymétrique est particulièrement révélatrice. Elle porte sur les moyens employés (guerre du pauvre contre guerre du riche high tech et surarmé), sur la stratégie (attrition contre contrôle), mais elle porte aussi sur les objectifs. Pour le fort la règle est : annuler ou limiter l’action du faible. Pour le faible : durer, infliger une perte sur le terrain moral ou de l’opinion, démoraliser celui que l’on ne peut désarmer, lui rendre le prolongement du conflit insupportable. La guerre asymétrique repose plus sur l’utilisation de l’information que sur celle de la puissance et partant contredit toutes les conceptions classiques. Elle postule que la victoire stratégique n’est pas une addition de victoires tactiques ; elle déplace la question de la légitimité de la guerre (donc de la croyance qui la soutient) non pas en amont de la guerre mais comme son objectif même.

    Ces tensions et contradictions trouvent leur point culminant le jour où les États-Unis proclamèrent une « Guerre globale au terrorisme ». Elle appelle la notion complémentaire de « guerre préemptive » autorisant une intervention armée à l’étranger contre des groupes terroristes ou contre des tyrans susceptibles de les aider et/ou de posséder des armes de destruction massive.

    Guerre des absolus

    La plus grande puissance de tous les temps ( qui, a priori devrait avoir le moins à craindre) considère que l’état de guerre existe est susceptible de durer plus d’une génération. Et ce jusqu’à la disparition de tout acteur hostile (État Voyou, groupe terroriste), de toute intention hostile (le terrorisme, ceux qui haïssent la liberté, l’extrémisme violent, pour reprendre diverses formulation des dirigeants américains) et de tout instrument hostile (les Armes de Destruction Massive). Il est tentant d’en déduire qu’il s’agit d’une guerre perpétuelle pour une paix perpétuelle. On n’y nomme ni son adversaire, ni sa limite, ni les conditions de sa victoire. Faire du monde « un lieu plus sûr pour la démocratie » est un programme politique pour Sisyphe. Six ans de Guerre Globale au Terrorisme semblent indiquer que, loin d’éliminer les régimes hostiles, les groupes armés (y compris avec l’arme de l’attentat suicide) et les ADM (en Iran ou en Corée), elle semble les encourager.

    Symétriquement, la guerre comme jihad défensif voire offensif (Daech voulait rien moins qu’étendre le califat à la planète) telle que la prônent les groupes islamistes n’est pas moins surprenante : elle est licite aux yeux de ses acteurs (elle est commandée par Dieu et constitue une obligation). Non seulement elle ne connaît pas de limites dans son extension territoriale ni dans le choix de ses victimes (pratiquement n’importe qui sauf un jihadiste est « éligible »). Il n’est pas certain qu’elle vise à une victoire (sauf à supposer la conversion de l’humanité entière à la variante salafiste du sunnisme). Au contraire,le jihad trouve sa propre justification non dans la réalisation de fins politiques, mais en lui-même, comme occasion de sanctification par le martyre ou comme compensation mimétique (ben Laden parle même de « talion ») des souffrances et humiliations subies par l’Oumma.

    Et dans les deux cas, la dimension symbolique du conflit prédomine. D’un côté montrer la résolution des États Unis et démentir qu’ils soient un « tigre en papier ». De l’autre, infliger une humiliation à l’Occident orgueilleux et idolâtre. Et, si l’on remonte plus haut, ce sont deux guerres de conversion : il s’agit de faire disparaître une croyance qui offense le droit universel dans le premier cas (la haine de la liberté des terroristes), qui contredit loi divine dans le second (la haine de Dieu des juifs, des croisés et des apostats).

    Chacun est libre de penser que « guerre » n’est qu’une catégorie juridico-philosophique particulièrement héritée de la pensée classique voire une très longue parenthèse historique (pour certains commençant au néolithique) et dont ni l’universalité, ni la perpétuité ne sont démontrées. Ou peut aussi la considérer comme degré dans les violences que les hommes s’infligent sans trop se soucier des catégories.

    Notre propos n’est pas une quelconque forme de nostalgie envers les bonnes guerres d’autrefois qui se faisait au moins dans l’ordre et la discipline et que nous n’avons pas connues. Simplement il faudra apprendre à vivre avec ce paradoxe : mondialisation et affaiblissement du principe de souveraineté politique, autrefois considéré comme belligène, n’impliquent pas la fin de l’hostilité mais sa prolifération et sa privatisation.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 22 mars 2019)

     

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  • Donald Trump, sauveur de l’Europe… malgré lui ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Denis Bachelot, cueilli sur Polémia et consacré à l'effet paradoxal que pourrait avoir la politique étrangère de Donald Trump sur l'Europe... Journaliste; Denis Bachelot est l'auteur d'un essai intitulé L'islam, le sexe et nous (Buchet-Chastel, 2009).

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    Donald Trump, sauveur de l’Europe… malgré lui ?

    Il faut bien comprendre, en effet, que l’enjeu international est l’élément le plus déterminant du conflit politique en cours au sein des univers du pouvoir outre-atlantique. Il renvoie aux choix les plus clivants de Donald Trump. Sur le plan extérieur, celui-ci, au même titre que ses prédécesseurs, veut maintenir et affirmer le leadership mondial des Etats-Unis, mais en rompant avec la logique mondialiste d’un multilatéralisme post nationale. Pour lui, la puissance américaine, qui doit rester économiquement et militairement archi-dominante, n’a pas vocation à être la garante d’un ordre mondial qui dépasse et soumet les nations, mais doit assurer sa suprématie dans une approche de nation à nation qui rejette les grandes organisations multinationales ; d’où son aversion  pour l’ONU et l’Europe de Bruxelles et sa vigoureuse remise en question de l’OTAN. C’est dans cette logique que Trump souhaite redéfinir les rapports entre les Etats-Unis et la Russie. Il prend acte du fait national russe, de son retour sur le devant de la scène internationale, et souhaite l’appréhender comme un rapport de force objectif à négocier, et non comme une croisade messianique du bien (progressisme libéral)  contre le mal (national identitaire).

    Cette remise en question de la vision mondialiste qui conduit les politiques occidentales depuis trois décennies, est une mutation idéologique au sein du capitalisme américain qui bouscule la puissance d’un capitalisme financier globalisé qui s’impose aux nations  et à leurs agents économiques. Elle s’accompagne d’une volonté de réhabilitation des frontières et de maîtrise des flux migratoires.  Elle impacte directement l’avenir de l’Europe.

    Une chance pour l’Europe ?

    Trump n’est certainement pas un ami de l’Europe dont il méprise visiblement la pusillanimité et la dépendance intéressée à l’égard de la puissance américaine. Toutefois, ses attaques répétées contre Bruxelles, ses initiatives agressives au plan des relations commerciales et son désir de faire payer les européens pour assurer leur protection, pourraient constituer une chance historique pour les peuples du vieux continent de reprendre leur destin en main, et d’échapper enfin à la dilution mondialiste de l’idéologie bruxelloise. La guerre juridique que les Etats-Unis mènent depuis des années contre les intérêts économiques européens à coup de milliards de dollars d’amendes  prononcées par leurs tribunaux, a fini par lever le voile sur le cynisme de leurs méthodes de domination économique. Le droit américain, imposé au reste du monde, couplé à l’arme fatale du dollar, forment ensemble un outil de suprématie impériale qu’il n’est plus possible de feindre d’ignorer.

    La soumission européenne semble toucher ses limites et les incessantes menaces concernant les liens commerciaux avec l’Iran suscitent désormais des velléités de résistance  alors que les pays de l’Union tentent de mettre sur pied des mécanismes d’échange permettant de contourner les sanctions imposées par Washington. Le très lisse Bruno Le Maire, n’hésite plus à déclarer que l’Europe doit se doter d’outils financiers totalement indépendants de l’emprise américaine. L’enjeu est de taille ; il en va de l’avenir du dollar et de sa suprématie mondiale, alors que d’importants pays comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil et, désormais la Turquie, se tournent vers  une « dédollarisation » de leurs échanges commerciaux. Après l’ère de la domination par la communication souriante et élégante d’un Obama, la brutalité primaire d’un Trump a quelque chose de bénéfique. Elle pourrait susciter un choc salutaire pour une Europe sans repère qui n’a d’autre issue, pour survivre dans un monde hostile et dangereux,  que de revenir à ses fondamentaux civilisationnels à partir de ses peuples qui se reconnaissent encore dans leurs nations pluriséculaires.

     

    Puissance et souveraineté

    Les européistes les plus convaincus sont pris à contre-pied face au retournement en cours de la politique américaine, alors que leur capacité de domination provenait largement de leur alignement docile sur la puissance des Etats-Unis; cette dernière, désormais, n’est plus leur meilleure alliée. Sur quelle force peuvent-ils  s’appuyer pour pérenniser leur système de pouvoir alors que les peuples  de l’Union se détournent inexorablement de l’attraction bruxelloise ? Le désir de réhabiliter les souverainetés et les  identités des nations au sein d’une Europe unie face à des dangers communs, tend à s’imposer comme l’horizon naturel des peuples européens. Une évolution qui s’inscrirait dans le cadre d’une Europe réconciliée avec elle-même et prête à assumer les défis de la puissance souveraine. Avoir un président des Etats-Unis qui ouvertement appelle à lutter contre l’immigration clandestine et non désirée est un élément capital qui devrait changer l’enjeu migratoire en Europe. Le fantasme mondialiste d’abolition des frontières a perdu son soutien le plus puissant.

    La recomposition du monde autour de quelques grands pôles géographiques structurés autour de nations puissantes représente le défi historique de la veille Europe. La technostructure de l’Union européenne, fondée sur la primauté formaliste du droit, de la libre concurrence et d’un humanisme  à prétention universaliste, est incapable de répondre aux défis du siècle qui se construit sous nos yeux. Elle a tout simplement oublié l’enjeu de la puissance comme le rappelle inlassablement l’économiste Christian Saint-Etienne. En 2003, déjà,  ce dernier écrivait  un ouvrage, préfacé par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine,  dont le titre La Puissance ou la mort : L’Europe face à l’empire américain (Seuil),  lançait un  cri d’alarme prémonitoire : « Si l’Europe, avertissait Christian Saint Etienne, ne fait pas le choix de la puissance, dans les quinze ans qui viennent elle ne sera plus qu’une proie pour les puissances nationalistes ». Nous y voilà ; et nous sommes bien aujourd’hui placés au pied du mur : «  La puissance ou  la mort » !

    L’Europe actuelle est un ventre mou où, sous le voile de l’union, usé jusqu’à la trame, s’affrontent les égoïsmes les plus sordides et irresponsables. Elle doit se reconstruire sur des bases nouvelles, revitalisées par la volonté des peuples. Le nouvel isolationnisme américain, si la ligne politique de Trump finissait par triompher (ce qui n’est pas encore acquis, en dépit de l’importante victoire symbolique de la nomination du juge  Kavanaugh  à la Cour suprême), doit représenter une chance pour l’Europe !

    Un enjeu de souveraineté que l’institution européenne n’a jamais été capable d’assumer et que son suzerain d’outre atlantique finirait par lui imposer ! Une ruse supplémentaire de l’histoire qui ne doit plus nous étonner. En 1973, déjà, le grand Raymond Aron s’interrogeait sur la dépendance de l’Europe face aux Etats-Unis : « Il m’arrive, écrivait-il alors, de penser que les diplomates américains en suivant les conseils néo-isolationnistes  rendraient le même service à l’Europe politique qu’ils ont rendu à l’Europe économique, il  y a un quart de siècle ».  Les européens, poursuivait-il, s’ils étaient confrontés à la perspective du départ du dernier GI, « trouveraient-ils en eux-mêmes, avec la conscience du danger, le courage et l’initiative nécessaires pour surmonter leur condition d’Etats protégés ? » (1). Nous étions à cette époque en pleine guerre froide. Près de cinquante plus tard, la politique nationaliste de Trump, basée sur le principe « America first »,  nous contraint à affronter la même question existentielle : « Etre ou ne plus être »…

    Denis Bachelot
    25/10/2018

    (1) Raymond Aron, République impériale, les Etats-Unis dans le monde 1947-1972, Calman-Levy

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  • Carl Philipp Gottlieb von Clausewitz...

    Les éditions Perrin viennent de publier une biographie de Clausewitz, auteur de De la guerre, signée par Bruno Colson. Belge, professeur à l’université de Namur, Bruno Colson, est un spécialiste de l'histoire militaire et de la stratégie, auteur de nombreux ouvrages, dont récemment  Leipzig - La bataille des nations 16-19 octobre 1813 (Perrin, 2013).

     

    Clausewitz.jpg

    " Carl von Clausewitz (1780-1831) appartient à la catégorie des illustres inconnus dont l'œuvre a masqué la vie. C'est en effet grâce à Vom Kriege (De la guerre), publié quelques années après sa mort, qu'il acquiert une célébrité qui va défier le temps. Cet immense traité reste considéré comme le plus important jamais consacré aux questions militaires et stratégiques, inspirant les plus grands généraux, mais également des intellectuels comme Guy Debord, Raymond Aron ou René Girard.
    Or, Clausewitz a été aussi un officier supérieur de premier ordre et un acteur influent des guerres napoléoniennes. Témoin de la " grande catastrophe " de 1806, il devient l'un des artisans de la réforme de l'armée prussienne des années 1808-1811, puis participe à la campagne de Russie dans l'armée du tsar, la Prusse étant alors alliée de Napoléon, ce qui lui vaut une disgrâce durable à sa cour. On le retrouve dans les états-majors et sur les principaux champs de bataille jusqu'à Ligny et Waterloo où ses décisions prirent une portée considérable. Général, penseur, conseiller à l'occasion frondeur, mari aimant et ami exemplaire, il consacra les dernières années de sa vie à rédiger les récits de ses principales campagnes et à écrire son chef-d'œuvre. Avec l'exigence et le talent qui le caractérisent, Bruno Colson est parti pendant plusieurs années à sa découverte, exhumant notamment de nombreuses archives inédites pour restituer l'homme dans ses multiples facettes. "

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