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néo-conservateurs

  • Le retour en force des néoconservateurs américains…

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la politique moyen-orientale de Donald Trump... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Donald Trump, ou le retour en force des néoconservateurs américains… »

    Le monde entier semble critiquer le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, oubliant qu’il s’agissait de l’une des promesses de campagne de Donald Trump. Emmanuel Macron, après avoir tenté de faire changer d’avis le président américain, s’est vu renvoyer dans les cordes. Quelles conséquences ?

    La décision délirante de Donald Trump ne peut avoir que des effets désastreux, puisque à court terme, elle va renforcer en Iran la position des plus « durs », qui y voient déjà la confirmation qu’on ne peut jamais faire confiance aux Occidentaux, et qu’à moyen terme, elle peut tout simplement déclencher une nouvelle guerre. (Souvenons-nous qu’en 1941, le Japon avait été poussé à l’entrée en guerre à la suite de l’embargo maritime américain sur son pétrole et son acier.) Trump a, en revanche, été applaudi par Israël, pays qui possède plus de 200 têtes nucléaires braquées en permanence sur Téhéran et qui prétend lui interdire tout accès à l’arme nucléaire alors qu’il s’en est doté lui-même de manière illégale et n’a jamais autorisé le moindre contrôle international de ses propres installations.

    Cette décision, qui confirme que la politique étrangère des États-Unis est à nouveau passée sous le contrôle des néoconservateurs, est aussi et peut-être surtout une véritable déclaration de guerre aux pays européens qui se voient intimer l’ordre de violer à leur tour un accord multinational qu’ils ont mis des années à négocier, et que l’Iran a jusqu’ici scrupuleusement respecté, sous peine d’exposer leurs entreprises à d’énormes sanctions. Les Américains montrent ainsi le mépris dans lequel ils tiennent leurs partenaires au sein de l’Alliance atlantique.

    Du coup, c’est l’heure de vérité pour une Europe dont les entreprises ont déjà massivement investi là-bas : peut-elle et a-t-elle la volonté politique de tenir le coup face au diktat de la Maison-Blanche ? Tout cela profitera-t-il finalement à Pékin, qui est déjà le premier partenaire commercial de Téhéran ?

    L’Union européenne a fait savoir qu’elle envisageait quelques timides mesures de rétorsion et qu’elle allait demander aux États-Unis de bien vouloir autoriser quelques « exemptions ». La vérité est qu’elle n’en fera rien ou que cela ne débouchera sur rien : PSA et Total se sont d’ailleurs déjà couchés, preuve que ces entreprises ne se font aucune illusion sur les dirigeants de l’Union européenne. La seule réponse efficace serait, pour les Européens, d’annoncer solennellement que, désormais, ils ne reconnaissent plus l’extra-territorialité des lois intérieures américaines. Mais personne n’osera le faire. L’affaire est donc pliée d’avance.

    La Chine sera sans doute la première à profiter du retrait des entreprises européennes en Iran, ce qui ajoutera encore à sa spectaculaire montée en puissance. En parité de pouvoir d’achat, son PIB est d’ores et déjà supérieur à celui des USA, dont elle est aussi le premier créancier étranger (1.200 milliards, sur les 20.200 milliards de dettes fédérales). La Chine dispose à la fois de l’étendue, du nombre, de la puissance et d’une très active diaspora. Déjà en guerre économique et technologique avec les États-Unis, son alliance avec la Russie est plus solide qu’on ne le dit généralement. Son projet de nouvelle « route de la soie », dit projet OBOR (One Belt One Road), témoigne de sa volonté de se désenclaver de son environnement montagneux et de sa façade maritime limitée pour renouer avec sa tradition d’expansion commerciale vers l’Europe et l’Asie.

    Avec Trump, nous assistons au renforcement de l’axe Washington-Riyad-Tel Aviv, à savoir trois capitales n’ayant lutté que de loin contre l’État islamique – quand elle ne le finançait pas, pour ce qui concerne la deuxième. C’est un fait nouveau ?

    C’est surtout un éclaircissement des fronts. On a désormais, d’un côté, un axe Washington-Riyad-Tel Aviv (si le jeune prince saoudien n’est pas assassiné à court terme), de l’autre un axe Moscou-Damas-Téhéran. D’un côté les sunnites, de l’autre les chiites. Bien entendu, je simplifie. La Russie n’a pas l’intention d’affronter directement les Israéliens (avec plus d’un million d’individus, les Juifs d’origine russe constituent la première communauté juive en Israël), les intentions de la Turquie restent comme d’habitude labyrinthiques et, d’autre part, le maillon faible de l’axe n° 1 est de toute évidence l’Arabie saoudite. Mais géopolitiquement, cette confrontation a un sens. Dans de telles conditions, l’intérêt politique, stratégique et civilisationnel de la France et de l’Europe serait de toute évidence de se tourner vers l’Est, c’est-à-dire de rompre son allégeance aux États-Unis et de se solidariser de l’ensemble continental eurasiatique. Mais c’est, précisément, le moment que semble avoir choisi Emmanuel Macron pour multiplier les signes d’allégeance atlantiste – ce qui est dramatique.

    Le 4 octobre 2016, un mois avant l’élection de Donald Trump, le général Mark Milley, alors chef d’état-major de l’armée américaine, affirmait : « Une guerre future de haute intensité entre des États-nations de grande puissance est pratiquement certaine. Elle sera très hautement mortelle. » Et pour qu’on comprenne bien, il ajoutait : « Ne vous y trompez pas, l’armée américaine détruira n’importe quel ennemi, n’importe où, n’importe quand. » Nous voilà prévenus.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 14 juin 2018)

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  • Le fantôme de la diplomatie française (1)...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site du Point et consacré à la diplomatie française... ou à ce qu'il en reste ! Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre  (Nuvis, 2013).

     

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    Le fantôme de la diplomatie française (1)

    La diplomatie française est introuvable. Dans un contexte international marqué par une grande dangerosité et une forte imprévisibilité, la France est aphone. Elle produit un timide bruit de fond, mais n'invente plus les paroles ni les mélodies du monde. Les guerres dans lesquelles elle se jette imprudemment ne sont que les pointes émergées de frustrations géopolitiques ou culturelles de parties du monde qui refusent l'arasement ou l'indifférenciation. Paris veut ignorer cette réalité et préfère se rassurer dans un alignement naïf et sans contreparties sur les positions américaines... avec des années de retard toutefois. On "fait du George W. Bush" à contretemps alors que les Américains eux-mêmes semblent revenus des outrances vengeresses post 11 Septembre et renoncent à la guerre punitive. Nous faisons de la diplomatie américaine l'étalon de notre propre politique étrangère alors que nous ne sommes pas l'Amérique. Nous n'avons ni son histoire, ni sa géographie, ni sa pratique politique, ni surtout ses intérêts.

    Étonnamment plus royaliste que le roi, le Quai d'Orsay semble dominé par des crypto-néoconservateurs qui sentent la naphtaline et refusent de voir les inflexions géostratégiques considérables opérées par notre "grand allié". L'Amérique nous a pourtant volontiers laissé intervenir en Libye - et aujourd'hui agir au Sahel et en Centrafrique -, puis abandonnés en rase campagne dans nos habits de guerre face à Bachar el-Assad, oubliant la "ligne rouge" des armes chimiques syriennes qu'elle avait elle-même tracée. Humiliée par dix ans de fiascos irakien et afghan hors de prix, elle a fait ses choix. Recentrée massivement vers l'Asie-Pacifique, elle vante désormais en Europe les atouts d'un leadership from behind (qui peut être traduit par "Direction en soutien", NDLR), d'une - very - light footprint ("empreinte légère", NDLR), et recule devant les aléas de nouveaux engagements massifs au sol.

    Surtout, Washington infléchit depuis déjà quelques années sa position vis-à-vis de l'Iran et cherche à hâter un rapprochement économique et politique devenu impérieux et réclamé par les lobbys d'affaires américains. Pendant ce temps, au lieu de nous demander pourquoi la terre entière favorise en sous-main la levée des sanctions contre Téhéran et y envoie ses hommes d'affaires et de réseaux par avions entiers "en avance de phase", nous invoquons la menace d'un Iran nucléaire et faisons pression pour que nos patrons restent l'arme au pied et arrivent bons derniers dans ce nouvel eldorado ! Nous continuons à mépriser ce grand État moderne, faisant mine de croire qu'il veut la bombe non pour sanctuariser son territoire, édifié par le sort du malheureux Irak, mais pour s'en servir contre Israël ou l'Occident !

    Coopération militaro-énergétique

    Pire, dans le conflit qui oppose sunnites et chiites, où nous devrions nous garder de prendre parti, ignorant le vaste mouvement à l'oeuvre en Irak, en Syrie et en Iran, de prise d'ascendant du chiisme, on prend fait et cause pour les sunnites (Saoudiens, Qataris, Syriens ou Libyens) ! On feint de les croire "modérés", alors que l'on sait pertinemment que l'Arabie saoudite a financé larga manu, dès les années 80, la déstabilisation de l'Afghanistan, des Balkans ou de la Tchétchénie par ses escouades de moudjahidine. Notre complaisance pour ces régimes au nom de la coopération militaro-énergétique ou en soutien de notre alliance stratégique avec Israël nous fourvoie. Elle nous éloigne d'une appréhension fine des conflits entre courants de l'islam et des alliances occultes objectives entre certains États. Nous n'osons même pas nommer notre véritable adversaire, le wahhabisme combattant qui diffuse un salafisme dévoyé, et préférons donner des leçons de démocratie à la Russie au lieu de rechercher son appui dans la lutte contre l'islamisme.

    Paris n'a donc pas vu le temps passer ni le monde changer. Notre diplomatie brouillonne et inconséquente semble vouloir oublier son seul geste audacieux, qui avait fait se lever dans le monde arabe un vent d'espoir et de confiance envers la France : le discours de Dominique de Villepin devant le Conseil de sécurité des Nations unies en février 2003. Mais nous n'avons pas su "transformer l'essai". À l'inverse, on fait dans l'allégeance béate aux Américains. Nous partons la fleur au fusil et en première ligne dans la coalition de bric et de broc réunie autour de Washington pour combattre la nouvelle incarnation du Mal : l'État islamique, alors même que notre "grand allié" nous prive de l'avantage de la surprise en prévenant l'adversaire de ses intentions. Le président américain avoue n'avoir "pas de stratégie claire" dans la région, puis confirme qu'il n'enverra pas de troupes au sol dans un tonitruant "No boots on the ground" ("pas de bottes sur le terrain", NDLR) !

    Cette déclaration d'impuissance ahurissante reflète la désorientation profonde des politiques occidentaux qui, non seulement se trompent d'ennemi, mais aussi de cibles ! Persuadés que leurs électeurs ne leur pardonneront pas des pertes humaines, nos politiques veulent les convaincre qu'ils seront défendus sans dommages et jouent avec l'idée de "faire la guerre" depuis les airs ou en misant sur les seules forces spéciales. À moins qu'ils n'aient conscience d'avoir déjà perdu la partie. Ce qui est faux. Nous pouvons l'emporter. Il faut juste rebattre les cartes et jouer nos vrais atouts.

    Caroline Galactéros ( Le Point, 8 novembre 2014) 

     

    Lire la deuxième partie de l'article :

    Le fantôme de la diplomatie française (2)

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  • La recherche d'un prétexte à tout prix...

    Nous reproduisons ci-dessous une excellente analyse d'Eric Dénécé, spécialiste des questions de renseignement et ancien analyste Secrétariat Général de la Défense Nationale, qui anime depuis quelques années les travaux du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Eric Dénécé a récemment publié La face cachée des « révolutions » arabes (Ellipses, 2012) et Les services de renseignement français sont-ils nuls ? (Ellipse, 2012).

     

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    Intervention en Syrie : la recherche d'un prétexte à tout prix

    La coalition réunissant les Etats-Unis, le Royaume Uni, la France, la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar vient de franchir un nouveau pas dans sa volonté d'intervenir en Syrie afin de renverser le régime de Bachar El-Assad. Utilisant ses énormes moyens de communication, elle vient de lancer une vaste campagne d'intoxication de l'opinion internationale afin de la convaincre que Damas a utilisé l'arme chimique contre son peuple, commettant ainsi un véritable crime contre l'humanité et méritant  « d'être puni ».

    Aucune preuve sérieuse n'a été présentée à l'appui de ces affirmations. Au contraire, de nombreux éléments conduisent à penser que ce sont les rebelles qui ont utilisé ces armes. Ces mensonges médiatiques et politiques ne sont que des prétextes. Ils rappellent les tristes souvenirs du Kosovo (1999), d'Irak (2003) et de Libye (2010) et ont pour but de justifier une  intervention militaire afin de renverser un régime laïque, jugé hostile par les Etats-Unis  - car allié de l'Iran et ennemi d'Israël - et impie par les monarchies wahhabites d'Arabie saoudite et du Qatar. Il est particulièrement affligeant de voir la France participer à une telle mascarade.

    La falsification des faits

    Depuis deux ans, des informations très contradictoires et souvent fausses parviennent en Europe sur ce qui se passe actuellement en Syrie. Il est ainsi difficile de comprendre quelle est la situation exacte dans ce pays. Certes, le régime syrien n'est pas un modèle démocratique, mais tout est mis en œuvre par ses adversaires afin de noircir le tableau, dans le but d'assurer le soutien de l'opinion internationale à l'opposition extérieure et de justifier les mesures prises à son encontre, dans l'espoir d'accélérer sa chute.

    Cette falsification des faits dissimule systématiquement à l'opinion mondiale les éléments favorables au régime :

    - le soutien qu'une grande partie de la population syrienne - principalement les sunnites modérés et les minorités (chrétiens, druzes, chiites, kurdes) - continue d'apporter à Bachar El-Assad, car elle préfère de loin le régime actuel - parfois par défaut - au chaos et à l'instauration de l'islam radical ;

    - le fait que l'opposition intérieure, historique et démocratique, a clairement fait le choix d'une transition négociée et qu'elle est, de ce fait, ignorée par les pays occidentaux ;

    - la solidité militaire du régime : aucune défection majeure n'a été observée dans l'armée, les services de sécurité, l'administration et le corps diplomatique et Damas est toujours capable d'organiser des manœuvres militaires majeures ;

    - son large soutien international. L'alliance avec la Russie, la Chine, l'Iran et le Hezbollah libanais ne s'est pas fissurée et la majorité des Etats du monde s'est déclarée opposée à des frappes militaires, apportant son soutien total aux deux membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU - Russie et Chine - qui ont clairement indiqué qu'ils n'autoriseraient pas une action armée contre la Syrie. Rappelons également que le régime syrien n'a été à ce jour l'objet d'aucune condamnation internationale formelle et demeure à la tête d'un Etat membre à part entière de la communauté internationale ;

    - le refus délibéré des Occidentaux, de leurs alliés et de la rébellion de parvenir à une solution négociée. En effet, tout a été fait pour radicaliser les positions des ultras de Damas en posant comme préalable le départ sans condition du président Bachar.

    Au contraire, l'opposition extérieure, dont on cherche à nous faire croire qu'elle est LA solution, ne dispose d'aucune légitimité et demeure très éloignée des idéaux démocratiques qu'elle prétend promouvoir, en raison de ses options idéologiques très influencées par l'islam radical.

    De plus, la rébellion syrienne est fragmentée entre :

    - une opposition politique extérieure groupée autour des Frères musulmans, essentiellement contrôlée par le Qatar et la Turquie ;

    - une « Armée syrienne libre » (ASL), composée d'officiers et d'hommes de troupe qui ont déserté vers la Turquie et qui se trouvent, pour la plupart, consignés dans des camps militaires faute d'avoir donné des gages d'islamisme suffisants au parti islamiste turc AKP. Son action militaire est insignifiante ;

    - des combattants étrangers, salafistes, qui constituent sa frange la plus active et la plus violente, financés et soutenus par les Occidentaux, la Turquie, le Qatar et l'Arabie saoudite.

    Ainsi, la Syrie connaît, depuis deux ans, une situation de guerre civile et des affrontements sans merci. Comme dans tous les conflits, les victimes collatérales des combats sont nombreuses, ainsi que les atrocités. Toutefois, les grands médias internationaux qui donnent le ton - qui appartiennent tous aux pays hostiles à la Syrie - cherchent à donner l'impression que les exactions, massacres et meurtres sont exclusivement le fait du régime et de son armée.

    Si certaines milices fidèles au régime ont commis des exactions, cela ne saurait en aucun cas dissimuler les innombrables crimes de guerre qui sont chaque jour, depuis deux, ans l'œuvre de la rébellion, et dont sont victimes la population syrienne fidèle au régime, les minorités religieuses et les forces de sécurité. Ce fait est systématique passé sous silence. Pire, les nombreux actes de barbarie des djihadistes soutenus par l'Occident, la Turquie et les monarchies wahhabites sont même souvent attribués au régime lui-même, pour le décrédibiliser davantage.

    L'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), principale source des médias sur les victimes de la « répression », est une structure totalement inféodée à la rébellion, crée par les Frères musulmans à Londres. Les informations qu'il diffuse relèvent de la pure propagande et n'ont donc aucune valeur ni objectivité. S'y référer est erroné et illustre l'ignorance crasse ou de la désinformation délibérée des médias.

    Enfin, face à ce Mainstream médiatique tentant de faire croire que le Bien est du côté de la rébellion et de ses alliés afin d'emporter l'adhésion de l'opinion, toute tentative de vouloir rétablir un minimum d'objectivité au sujet de ce conflit est immédiatement assimilée à la défense du régime.

    Les objectifs véritables d'une intervention en Syrie

    Dès lors, on est en droit de s'interroger sur les raisons réelles de cet acharnement contre Bachar Al-Assad et d'en rechercher les enjeux inavoués. Il en existe au moins trois :

    - casser l'alliance de la Syrie avec l'Iran ; le dossier iranien conditionne largement la gestion internationale de la crise syrienne. En effet, depuis trois décennies, Damas est l'allié de l'Iran, pays phare de « l'axe du mal » décrété par Washington, que les Américains cherchent à affaiblir par tous les moyens, tant en raison de son programme nucléaire, de son soutien au Hezbollah libanais, que de son influence régionale grandissante ;

    - rompre « l'axe chiite » qui relie Damas, Bagdad, Téhéran et le Hezbollah, qui est une source de profonde inquiétude pour les monarchies du Golfe qui sont, ne l'oublions pas, des régimes autocratiques et qui abritent d'importantes minorités chiites. Ainsi, Ryad et Doha ont désigné le régime iranien comme l'ennemi à abattre. Elles veulent la chute du régime syrien anti-wahhabite et pro-russe, afin de transformer la Syrie en base arrière pour reconquérir l'Irak - majoritairement chiite - et déstabiliser l'Iran. Elles cherchent aussi à liquider le Hezbollah libanais. En cela, leur agenda se confond avec celui de Washington ;

    - détruire les fondements de l'Etat-nation laïc syrien pour le remplacer par un régime islamiste. Cela signifie livrer Damas aux forces wahhabites et salafistes favorables aux pétromonarchies du Golfe, ce qui signifie l'éclatement du pays en plusieurs entités en guerre entre elles ou, pire, l'asservissement voire le massacre des minorités non sunnites.

    Ces objectifs non avoués n'ont pas été jusqu'ici atteints et ne le seront pas tant qu'existera le soutien sino-russe et tant que l'axe Damas-Téhéran ne se disloquera pas.

    Le faux prétexte des armes chimiques

    Face à la résistance de l'Etat syrien et de ses soutiens, la coalition américano-wahhabite a décidé d'employer les grands moyens afin de faire basculer l'opinion et de justifier une intervention militaire : accuser Damas de recourir aux armes chimiques contre sa propre population.

    Une première tentative a été entreprise en avril dernier. Malheureusement, l'enquête des inspecteurs de l'ONU a révélé que l'usage d'armes chimiques était le fait de la rébellion. Ce rapport n'allant pas dans le sens que souhaitait la coalition américano-wahhabite, il a été immédiatement enterré. Seul le courage de Carla del Ponte a permis de révéler le pot aux roses. Notons cependant que les « médias qui donnent le ton » se sont empressés de ne pas lui accorder l'accès à leur antenne et que cette enquête a été largement passée sous silence.

    Les événements du 21 août dernier semblent clairement relever de la même logique. Une nouvelle fois, de nombreux éléments conduisent à penser qu'il s'agit d'un montage total, d'une nouvelle campagne de grande envergure pour déstabiliser le régime :

    - le bombardement a eu lieu dans la banlieue de Damas, à quelques kilomètres du palais présidentiel. Or, nous savons tous que les gaz sont volatils et auraient pu atteindre celui-ci. L'armée syrienne n'aurait jamais fait cela sauf à vouloir liquider son président !

    - les vecteurs utilisés, présentés par la presse, ne ressemblent à aucun missile en service dans l'armée syrienne, ni même à aucun modèle connu. Cela pourrait confirmer leur origine artisanale, donc terroriste ;

    - de plus, des inspecteurs de l'ONU étaient alors présents à Damas et disposaient des moyens d'enquête adéquats pour confondre immédiatement le régime ;

    - les vidéos présentées ne prouvent rien, certaines sont même de grossières mises en scène ;

    - enfin, le régime, qui reconquiert peu à peu les zones tenues par la rébellion, savait pertinemment que l'emploi d'armes chimiques était une « ligne rouge » à ne pas franchir, car cela déclencherait immédiatement une intervention militaire occidentale. Dès lors, pourquoi aurait-il pris in tel risque ?

    Aucune preuve sérieuse n'a été présentée à l'appui la « culpabilité » de l'armée syrienne. Au contraire, tout conduit à penser que ce sont les rebelles qui ont utilisé ces armes, car contrairement à ce qui est avancé par la note déclassifiée publiée par le gouvernement français, les capacités chimiques des terroristes sont avérées :

    - en Irak (d'où proviennent une partie des djihadistes de la rébellion syrienne), les autorités ont démantelé début juin 2013 une cellule d'Al-Qaida qui préparait des armes chimiques. Trois laboratoires ont été trouvés à Bagdad et dans ses environs avec des produits précurseurs et des modes opératoires de fabrication de gaz sarin et moutarde ;

    - en Syrie, le Front Al-Nosra est suspecté avoir lancé des attaques au chlore en mars 2013 qui auraient causé la mort de 26 Syriens dont 16 militaires ;

    - pour sa part, Al-Qaida a procédé en 2007 une douzaine d'attaques du même type à Bagdad et dans les provinces d'Anbar et de Diyala, ce qui a causé la mort de 32 Irakiens et en a blessé 600 autres. En 2002, des vidéos montrant des expérimentations d'armes chimiques sur des chiens ont été trouvées dans le camp de Darunta, près de la ville de Jalalabad, en Afghanistan.

    Les errements de la politique étrangère française

    A l'occasion cet imbroglio politico-médiatique dans lequel ses intérêts stratégiques ne sont pas en jeu, le gouvernement français mène une politique incompréhensible pour nos concitoyens comme pour l'étranger.

    Depuis deux ans, la France, par le biais de ses services spéciaux, - comme d'ailleurs les Américains, les Britanniques et les Turcs - entraîne les rebelles syriens et leur fournit une assistance logistique et technique, laissant l'Arabie saoudite et le Qatar les approvisionner en armes et en munitions.

    Ainsi, la situation syrienne place la France devant ses contradictions. Nous luttons contre les djihadistes au Mali, après les avoir aidés à prendre le pouvoir à Tripoli - en raison de l'intervention inconsidérée de l'OTAN en Libye, en 2011, dans laquelle Paris a joué un rôle clé - et continuons de les soutenir en Syrie, en dépit du bon sens. Certes le régime de Bachar Al-Assad n'est pas un modèle de démocratie et il servait clairement les intérêts de la minorité alaouite, mais il est infiniment plus « libéral » que les monarchies wahhabites : la Syrie est un Etat laïque où la liberté religieuse existe et où le statut de la femme est respecté. De plus, il convient de rappeler que Damas a participé activement à la lutte contre Al-Qaïda depuis 2002. Pourtant, nous continuons d'être alliés à l'Arabie saoudite et au Qatar, deux Etats parmi les plus réactionnaires du monde arabo-musulman, qui, après avoir engendré et appuyé Ben Laden, soutiennent les groupes salafistes partout dans le monde, y compris dans nos banlieues. Certes, notre soutien aux agendas saoudien et qatari se nourrit sans nul doute de l'espoir de quelques contrats d'armement ou pétroliers, ou de prêts financiers pour résoudre une crise que nos gouvernants semblent incapables de juguler.

    Une question mérite donc d'être posée : la France a-t-elle encore une politique étrangère ou fait-elle celle du Qatar, de l'Arabie saoudite et des Etats-Unis ? Depuis la présidence de Nicolas Sarkozy la France aligne ses positions internationales sur celles des Etats-Unis et a perdu, de ce fait, l'énorme capital de sympathie que la politique du général de Gaulle - non ingérence dans les affaires intérieures des Etats et défense du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes - lui avait constitué.

    Si les élections de mai 2012 ont amené un nouveau président, la politique étrangère n'a pas changé. En fait, nous observons depuis plusieurs années la conversion progressive d'une partie des élites françaises  - de droite comme de gauche - aux thèses néoconservatrices américaines : supériorité de l'Occident, néocolonialisme, ordre moral, apologie de l'emploi de la force ...

    Surtout, un fait nouveau doit être mis en lumière : la tentative maladroite des plus hautes autorités de l'Etat de manipuler la production des services de renseignement afin d'influer sur l'opinion publique et de provoquer un vote favorable des parlementaires. Ce type de manœuvre avait été conduit par Washington et Londres afin de justifier l'invasion de l'Irak en 2003, avant d'être dénoncé. Onze ans plus tard, le gouvernement recourt au même artifice grossier et éculé pour justifier ses choix diplomatiques et militaires. Compte tenu de la faiblesse des arguments présentés dans la note gouvernementale - qui n'est pas, rappelons-le, une note des services -, celle-ci ne sera d'aucune influence sur la presse et l'opinion. En revanche, par sa présentation, elle contribue à décrédibiliser le travail des services de renseignement, manipulés à leur insu dans cette affaire.

    Le mépris des politiques français à l'égard des services est connu. Est-ce un hasard si cette affaire survient alors que l'actuel ministre des Affaires étrangères est celui-là même qui, en 1985, alors qu'il était chef du gouvernement, a fort élégamment « ouvert le parapluie », clamant son absence de responsabilité à l'occasion de l'affaire du Rainbow Warrior ?

    Une chose au moins est sûre : une remise à plat de notre position à l'égard de la Syrie et de notre politique étrangère s'impose, car « errare humanum est, perseverare diabolicum ».

    Eric Dénécé (Centre français de recherche sur le renseignement, 6 septembre 2013)

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