Les éditions Perrin viennent de publier Les Kamikazés 1944-1945 - Leur histoire, leurs ultimes écrits, un recueil de documents réunis par Christian Kessler.
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Les éditions Perrin viennent de publier Les Kamikazés 1944-1945 - Leur histoire, leurs ultimes écrits, un recueil de documents réunis par Christian Kessler.
Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la guerre à laquelle la France est confrontée...
« La paix est une chose fragile, et ne sera jamais l’état naturel d’une société… »
« Cette fois, c’est la guerre », titrait Le Parisien au lendemain des attentats du 13 novembre. « Nous sommes en guerre », a, lui aussi, déclaré Manuel Valls. C’est votre avis ?
Bien sûr. Mais pourquoi le dire si c’est évident ? Toute la question est là : nous sommes en guerre, mais beaucoup de Français ne le comprennent pas. Aux attentats du 13 novembre qui, à la différence de ceux de janvier dernier, ne visaient personne en particulier, mais tout le monde indistinctement, ils répondent en des termes convenus qui ressortissent principalement au registre humanitaire (« tristesse, horreur »), lacrymal (« ayons une pensée pour les victimes ») et maternel (« protégez-nous des méchants »). Ils observent des minutes de silence et allument des bougies comme ils le feraient à l’occasion d’une tuerie perpétrée par un fou dans une école, d’une catastrophe aérienne ou d’un tremblement de terre meurtrier. Ils proclament « même pas peur », quitte à détaler comme des lapins à la moindre fausse alerte. Peur, insécurité, psychose. En fin de compte, les attentats se ramènent à un déchaînement de violence incompréhensible dont sont responsables « ceux qui aiment la mort » et dont sont les victimes « ceux qui aiment la vie ». Ce vocabulaire, cette attitude, ces réactions ne sont pas ceux de gens qui ont compris ce qu’est la guerre. Les attentats ont frappé des hommes et des femmes qui n’avaient pas le sentiment d’être en guerre ou d’en vivre une.
Il n’est jusqu’au terme de « kamikazes » qu’on voit maintenant employé partout, alors qu’il est totalement inapproprié. Les pilotes kamikazes (« vent divin ») étaient des soldats japonais qui sacrifiaient leur vie en allant frapper des objectifs militaires, pas des fanatiques qui allaient se faire exploser pour tuer des civils !
Comment expliquer cette incompréhension ?
D’abord parce que cette guerre est d’un genre particulier, puisqu’elle combine guerre conventionnelle sur le terrain et terrorisme, et que l’ennemi se recrute en partie chez nous. Ensuite, parce qu’on n’a jamais vraiment expliqué aux Français pourquoi nous avons choisi de nous y engager. Devions-nous prendre part aux côtés des Américains au conflit qui, à l’heure actuelle, oppose les sunnites et les chiites ? Et pourquoi nous acharnons-nous à refuser toute collaboration avec la Syrie et l’Iran, qui combattent Daech les armes à la main, tout en continuant à faire la cour aux dictatures pétrolières du Golfe, qui soutiennent directement ou indirectement les djihadistes ? Un tel manque de clarté ne favorise pas la compréhension.
La vraie raison, cependant, est ailleurs. En dehors des guerres liées à la décolonisation (Indochine, Algérie), la France est en paix depuis 70 ans. Cela veut dire, non seulement que les jeunes générations n’ont jamais connu la guerre, mais – cas unique depuis des siècles – que leurs parents ne l’ont pas connue non plus. Dans l’imaginaire collectif de la majorité des Européens, la guerre, c’est fini. Ou plus exactement, c’est fini chez nous.
En dépit des événements qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie, et de ce qui se passe actuellement en Ukraine, ils ont le sentiment qu’en Europe, la guerre est devenue impossible. Ils s’imaginent que la construction européenne a créé un état de paix qui ne peut que durer (en réalité, c’est l’inverse : l’Europe n’a pas empêché la guerre, c’est la fin de la guerre qui a permis de créer l’Europe). Bien sûr, ils savent que l’armée française poursuit des « opérations » dans certains pays, comme le Mali, mais tout cela leur apparaît comme quelque chose qui ne les concerne pas, d’autant que les théâtres d’opérations sont lointains.
C’est aussi la raison pour laquelle ils parlent de « scènes d’apocalypse » pour désigner des attentats qui ont fait 130 morts. Quels mots emploieraient-ils pour désigner ces périodes de la Première Guerre mondiale où les combats faisaient plus de 20.000 morts par jour ? Il leur reste à apprendre que la paix est une chose fragile, et qu’elle ne sera jamais l’état naturel d’une société. Y compris en Europe.
Le vieux rêve de « faire disparaître la guerre » n’en reste pas moins présent dans les esprits… même s’il n’y a jamais eu autant de guerres dans le monde que depuis que la guerre a été officiellement abolie !
Surtout dans l’esprit des pacifistes qui veulent « faire la guerre à la guerre », sans même s’apercevoir du caractère contradictoire de ce slogan. Mais le pacifisme n’est pas la paix, c’est même le contraire. Lorsqu’en 1795, Emmanuel Kant publie son Projet de paix perpétuelle, qui s’inscrit dans le sillage de l’abbé de Saint-Pierre (Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, 1712-1713), il se contente de faire de la « paix perpétuelle » une exigence de la raison pratique : « La raison moralement pratique énonce en nous son veto irrévocable : il ne doit pas y avoir de guerre. » On voit par là qu’il s’agit d’un vœu pieux, car s’il était possible de réaliser en pratique ce qui ne peut relever que du domaine de la raison pure, la distinction entre l’empirique et le métaphysique n’aurait plus de raison d’être. Le projet kantien postule en réalité la domination du droit par la métaphysique et la morale, et l’affirmation de la souveraineté de la métaphysique sur la pratique.
La paix ne se conçoit pas sans la guerre, et le contraire est également vrai. La guerre restera toujours une possibilité, parce qu’on ne pourra jamais faire disparaître ce qui la provoque, à savoir la diversité virtuellement antagoniste des aspirations et des valeurs, des intérêts et des projets. L’abolition de l’État-nation n’y changerait rien : au sein d’un « État mondial », les guerres étrangères seraient seulement remplacées par des guerres civiles. On ne fait pas disparaître un ennemi en se déclarant « pour la paix », mais en se montrant plus fort que lui.
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 18 novembre 2015)
« Je me suis levé à 6 heures ce matin pour respirer l’air pur de la montagne. Et tout ce que je ferai aujourd’hui le sera pour la dernière fois. » Tsuka Akio, avant de s’envoler pour une mission kamikaze au large d’Okinawa, le 28 avril 1945.
Les éditions Flammarion viennent de publier Kamikazes, une étude historique signée par Constance Sereni et Pierre Souyri. Les deux auteurs sont universitaires et spécialistes de la culture japonaise. On doit notamment à Pierre Souyri Une Histoire du Japon médiéval (Tempus, 2013).
Kamikazes, ou la chronique d’une mort ordonnée
Automne 1944. Le sort du Japon en guerre semble désormais scellé face à la déferlante militaire américaine. Le pays résiste encore mais il faudrait maintenant un vrai miracle pour vaincre l’Amérique. Dépourvu d’armes miracle, l’état-major nippon met alors sur pied des unités spéciales d’attaque.
Des pilotes choisis et entraînés pour aller se jeter contre des cibles militaires américaines. Des pilotes baptisés kamikazes (vent divin) transformés en bombes humaines. Dans la propagande japonaise, ces hommes, volontaires pour mourir pour la gloire du Japon, sont présentés «comme la réincarnation des samouraïs qui perdaient la vie par fidélité, tels des pétales de cerisier qui se dispersent au vent.»
Mais la réalité était-elle conforme à la légende, véhiculée par les écrits et le cinéma? Une question qui sert de fil rouge à ce document historique publié chez Flammarion et rédigé par Constance Sereni et Pierre-François Souyri, deux enseignants spécialistes de la culture japonaise. Deux auteurs qui retracent l’historique de cette arme désespérée, bien loin de l’image d’Epinal du pilote obéissant, fier de donner sa vie. Comme ils le rappellent, la mission des kamikazes est unique dans l’histoire militaire, car dépourvue de cet élément présent dans les missions les plus dangereuses : l’espoir, même ténu, de revenir vivant.
«Ce n’était pas une mission avec une chance sur dix d’en revenir. C’était une mission zéro sur dix.»Bien documenté, l’essai n’est pas un livre de guerre. Il constitue plutôt un ouvrage qui voyage entre histoire et sociologie. Il retrace en bref toute la campagne du Pacifique, certes, mais pour expliquer la folle motivation des créateurs de cette arme. On s’attarde davantage sur le gros chapitre lié à l’endoctrinement de ces pilotes qui ne furent pas tous, loin de là, des soldats fanatisés.
Des pilotes qui furent entraînés, endoctrinés en sept jours. Ni plus, ni moins. Peu formés, ils vont souvent manquer leurs cibles par erreur de pilotage ou par confusion des objectifs. Les navires de transport alliés seront souvent confondus avec des navires militaires. Déjà fortement diminuée par le «grand tir aux pigeons des Mariannes», une bataille disputée en août 1944 et dans laquelle le Japon a perdu le tiers de ses porte-avions, l’aviation japonaise va ponctionner plusieurs milliers de pilotes supplémentaires pour les utiliser comme kamikazes, lors de missions sans retour. Prévue comme une solution temporaire, cette arme du pauvre sera utilisée jusqu’en août 1945. Soit 10 mois de sacrifices.
Avec quel bilan ? Côté japonais, on estime les pertes à plus de 3.800 pilotes tués, pour 60 navires américains coulés et 6.830 soldats alliés tués. Des chiffres toujours imprécis aujourd’hui.
Mais force est de constater que cette tactique, absente de la philosophie occidentale, a provoqué une sacrée psychose à bord des navires américains.
Quand la DCA échouait à abattre le kamikaze, il ne restait plus que le miracle pour sauver sa peau. Si les marins américains considéraient les Japonais comme des tueurs et des imbéciles, les analystes de l’US Navy avaient un avis bien différent. «L’avion suicide était de loin l’arme la plus efficace inventée par les Japonais contre les vaisseaux de surface. Alors qu’ils n’ont été utilisés que sur une période de 10 mois, les avions suicide ont été responsables de 48,1% de tous les dégâts infligés à des navires de guerre américains, et de 21,3% des bâtiments coulés pendant la guerre» soulignent-ils.
Créée pour retarder la fin de la guerre, cette «détermination suicidaire des Japonais» a, au contraire, précipité la fin du conflit avec l’usage du feu nucléaire, les 6 et 9 août 1945. À noter, enfin, le cahier photographique qui permet de mettre un visage sur ces kamikazes, parfois très jeunes. Comme ce pilote, âgé d’à peine 17 ans et envoyé à la mort, sans regret. Comme bien d’autres, et dont on peut lire les dernières lettres en guise d’épilogue à ce document qui ouvre un large pan sur la culture japonaise. Dans laquelle domine notamment la culture de la mort et la notion de sacrifice. «Comment imaginer, explique le duo d’auteurs, que, lancés dans leur machine folle, certains d’entre eux devaient hurler en appelant leur mère, ou tout simplement fermer les yeux lors du dernier instant avant le choc. Ce furent des victimes du système autant que des héros, qui sont morts, le corps broyé dans leurs machines.»Kamikaze. Un terme toujours d’actualité mais galvaudé par les médias. Comme l’explique une petite parenthèse qui remet fort justement les pendules à l’heure. Dans les attentats au Moyen-Orient ou ailleurs, les journalistes baptisent, à tort, les terroristes de kamikazes car ils se suicident dans leur action. Un usage erroné du terme qui énerve les Japonais, qui parlent plutôt de jibaku (ceux qui se font exploser). Les kamikazes, à l’inverse des terroristes, n’ont quant à eux jamais attaqué de cibles civiles, sans défenses. Ils ont, par ailleurs, obéi à un ordre en temps de guerre. Une précision bien nécessaire pour saluer la mémoire de ces pilotes envoyés à la mort dans leurs cercueils volants. «Il est difficile d’imaginer pire gâchis d’une jeunesse sacrifiée.»
Philippe Degouy (L'Echo, 19 février 2015)
Vous pouvez découvrir ci-dessous une vidéo, esthétiquement superbe, intitulée Vent divin...
Les éditions Flammarion rééditent dans leur collection de poche Champs l'essai de Stéphane Giocanti, initialement paru en 2009 et intitulé Une histoire politique de la littérature. Professeur de français, Stéphane Giocanti s'est déjà signalé par la publication d'une copieuse biographie du fondateur de l'Action française, Charles Maurras : le chaos et l'ordre (Flammarion, 2006) ainsi que par celle d'un roman, Kamikaze d'été (Edition du Rocher, 2008).
"François Ier fut roi de France et poète. Le cardinal de Richelieu institua quarante immortels pour fixer sa patrie sur un Olympe littéraire. Avant d'être empereur, Napoléon rêva d'être écrivain. Le romancier Malraux fit un inoubliable ministre de la Culture, pour la gloire d'un général publié lui-même dans la bibliothèque de la Pléiade... Nulle part ailleurs qu'en France politique et littérature ne forment un couple aussi singulier. Et les écrivains, font-ils bon ménage avec la politique ? C'est la question posée par ce livre irrévérencieux, qui invite le lecteur à découvrir des consanguinités surprenantes entre auteurs d'hier ou d'aujourd'hui, de droite ou de gauche, pour le meilleur et pour le pire. Car le peuple indiscipliné des écrivains regorge de courtisans et de guerriers, d'idéologues et de prudents, de sceptiques et de pamphlétaires, de vaillants et de lâches, de prophètes et de mystiques, sans oublier ceux que Stéphane Giocanti appelle joliment les plantés et les maudits : ceux qui se sont fourvoyés dans le ridicule ou le tragique. Une promenade inédite dans l'histoire littéraire, de Victor Hugo à Richard Millet."