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julien freund

  • Tour d'horizon... (258)

    Jean Baptiste Noé, Chantal Delsol, Markus C. Kerber, Michel Maffesoli, Julien Freund, marco tachi, giorgia meloni

    Au sommaire cette semaine :

    - sur Fondapol, Marco Tarchi, ancien animateur de la ND italienne, livre une analyse des idées défendues par le parti de Giorgia Meloni, Fratelli d'Italia...

    Fratelli d’Italia : héritage néofasciste, populisme et conservatisme

    Fratelli d'Italia_Giorgia Meloni.jpg

    - sur la chaîne de L'Institut des Libertés, Jean Baptiste Noé recevait la philosophe Chantal Delsol, l’économiste Markus C. Kerber et le sociologue Michel Maffesoli pour évoquer la philosophie politique de Julien Freund...

    Jean Baptiste Noé, Chantal Delsol, Markus C. Kerber, Michel Maffesoli, Julien Freund, marco tachi, giorgia meloni

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  • David Engels rencontre Antoine Dresse, le créateur d'Ego Non...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien de David Engels avec Antoine Dresse, créateur de la chaîne vidéo Ego Non et collaborateur de la revue Éléments.

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020). 

     

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    «Ne vous contentez pas de critiquer, créez!» Interview avec Antoine Dresse - créateur de la chaîne „Ego Non“

    David Engels : Cher Antoine, il y a quelques années, vous avez créé la chaîne « Ego non » qui jouit désormais d’une notoriété certaine en tant que source d’inspiration et d’éducation à la pensée conservatrice. Pouvez-vous rapidement nous présenter votre initiative ?

    Antoine Dresse: Je terminais mes études de philosophie quand l’idée est née de créer cette chaîne YouTube. Mon inspiration première m’est venue d’un regret de voir que certains concepts ou idées majeures de la pensée politique de droite n’étaient pas assez connus ni mobilisés. Cela m’avait d’abord frappé avec certains concepts novateurs de Guillaume Faye, tels que « l’archéofuturisme » (auquel j’ai consacré ma première vidéo), qui méritent, à mon sens, d’être plus largement diffusés et discutés.

    Dans chacune de mes vidéos, j’essaie donc d’exposer un concept ou une idée majeure d’un auteur, en essayant à chaque fois de le relier, d’une façon ou d’une autre, à une problématique politique contemporaine. Je ne prétends nullement à la neutralité, bien au contraire. Le choix des idées que je présente reflète naturellement une orientation politique, même si je ne partage pas forcément toutes les pensées de l’auteur dont je parle. Je poursuis donc un double but : Premièrement, susciter la curiosité intellectuelle des spectateurs en faisant découvrir certains auteurs ou certaines idées ; deuxièmement, offrir un nouvel angle pour repenser ou recentrer une problématique politique contemporaine.

    L’on critique en effet bien souvent les délires et les dérives de la pensée de gauche, progressiste et égalitaire. La critique est saine et même bien souvent salutaire, mais il me semble qu’il faut aussi pouvoir dépasser ces dérives par « le haut », si je puis dire. Face à la conception du monde propre des hommes de gauche, qui est totale, il faut savoir aussi offrir une conception du monde totale. Prenons un exemple précis : la gauche est égalitaire par essence. Devons-nous nous contenter de dénoncer les dérives de l’égalitarisme tout en conservant l’Égalité comme valeur intouchable ? Ou bien plutôt montrer que la beauté du monde et le développement de la personne humaine ne vont pas sans l’Inégalité ? C’est ce que j’ai essayé de faire avec ma vidéo sur la « philosophie de l’Inégalité » de Nicolas Berdiaev notamment.

    D’origine belge, vous vivez actuellement à Varsovie – un vécu qui m’est, comme le lecteur peut l’imaginer, assez familier. Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre parcours ?

    Mon parcours est assez « européen », si je puis dire ! J’ai grandi dans la ville de Liège, dans la région wallonne et francophone de Belgique. Reprenant une image de Joseph de Maistre, j’ai coutume de dire que j’ai découvert le monde antique sur les genoux de ma mère, à travers les grands récits de la mythologie grecque qu’elle me racontait durant ma petite enfance. La culture grecque n’est en effet pas anodine et a assurément imposé son empreinte sur moi, elle vous communique pour toujours, et à jamais, le sens d’une hiérarchie des valeurs face auxquelles les slogans modernes apparaissent comme ce qu’ils sont vraiment : des simulacres de valeurs.

    Passionné par la culture européenne, j’ai ensuite appris l’anglais, l’allemand et le russe quand j’étais adolescent. A l’âge de 18 ans, avant de commencer l’université, j’ai décidé de passer plusieurs mois en Allemagne et en Russie pour perfectionner la connaissance de ces langues d’une part et pour découvrir la mentalité de ces pays d’autre part. Cette expérience a sans nul doute contribué à consolider en moi un solide européanisme. A mon retour, j’ai commencé des études de philosophie en Belgique – ainsi qu’à Fribourg, en Suisse, pour une année. Même si je m’étais déjà intéressé à la pensée politique auparavant, c’est pendant ces années universitaires que je me suis véritablement formé intellectuellement de mon côté, en lisant tout ce que je pouvais trouver comme vieux livres dans les bouquineries de la capitale. Dans le cadre de mes études plus spécifiquement, je me suis concentré sur la philosophie médiévale et ai rédigé mon mémoire de fin d’études sur Jean Scot Érigène, un grand philosophe irlandais de la renaissance carolingienne.

    A l’issue de mes études, j’ai décidé de combiner mon intérêt pour l’Europe centrale avec la professionnalisation de mon activité de vidéaste. Je me suis installé à Varsovie pour découvrir la Pologne et je me consacre pleinement à mes activités métapolitiques et culturelles. 

    Pour des conservateurs occidentaux, la Pologne et la Hongrie jouissent de la réputation d’être, en quelque sorte, des pays sanctuaires de la civilisation européenne, alors que celle-ci semble en plein déclin identitaire, culturelle, politique et même économique à l’Ouest. Après avoir vécu à Varsovie pendant quelques années, confirmeriez-vous cette impression, et comment voyez-vous le futur de la Pologne ?

    Pour être entièrement honnête, mon impression est partagée. Il va de soi que la Pologne – à l’instar d’autres pays d’Europe centrale – fait office de « bastion conservateur » dans l’Europe du xxie siècle ; que l’on songe à la lutte du gouvernement contre les mouvements LGBT ou contre l’avortement (quoi qu’on en pense par ailleurs !) pour s’en convaincre. La très faible immigration de peuplement extra-européenne confère aussi de facto à ces pays ce statut de « sanctuaires ». Pour autant, il ne faut pas se faire d’illusion sur l’état d’esprit qui règne dans une partie non négligeable de la population, en particulier dans la jeune génération. Les valeurs « progressistes » de l’Occident conservent encore largement leur prestige et leur force d’attraction, au point que l’on peut sincèrement s’interroger sur l’avenir du conservatisme en Pologne et sur la pérennité de ce sanctuaire.

    Attention, mon propos n’est absolument pas défaitiste ni fataliste, au sens où je sous-entendrais que le déclin de la Pologne et de l’Europe centrale soit inéluctable. L’histoire est ouverte et il serait présomptueux de ma part d’affirmer que la Pologne empruntera forcément le chemin de ses voisins occidentaux. Ma remarque vise plutôt un des travers qui affecte toute la droite européenne en général : elle n’a pas grand-chose à opposer. Sa posture consiste bien trop souvent à « conserver », au sens le plus superficiel du terme, des formes sociales qui sont déjà mortes ou mourantes. De même, on n’associe à la droite qu’une attitude négative : « Non à l’avortement », « non aux lobbies LGBT », « Non à l’islamisation », etc. Le « Non » peut être dit avec toute la force du monde, je doute qu’il n’ait jamais autant de puissance créatrice qu’un « Oui ». Or tant que la Pologne n’incarnera pas un modèle alternatif de société, elle sera toujours perçue comme une société libérale défaillante qu’il faut réparer ou amender.

    Quel critère guide le choix de vos sujets de podcasts ? Et quels thèmes sont particulièrement prisés par votre public ?

    Mon critère est celui de la pertinence et de la nécessité d’envisager certains sujets sous un autre angle, afin de pousser plus loin la réflexion. Quand je travaille sur une nouvelle vidéo, je me demande toujours si je ne vais pas simplement ressasser de vieilles idées convenues et s’il y a réellement une plus-value à la vidéo que je vais proposer au public. C’est pourquoi j’ai tenu à faire découvrir des auteurs dont on parle malheureusement assez peu dans le monde francophone, comme Giorgio Locchi par exemple, mais aussi Arnold Gehlen sur l’hypertrophie de la morale, Nicolas Danilesvki sur la civilisation russe ou encore Juan Donoso Cortés et sa critique du libéralisme. En règle générale, je remarque que les thèmes historiques (« Mahomet et Charlemagne » d’Henri Pirenne) et les thèmes purement politiques (« La distinction ami-ennemi » de Carl Schmitt) sont les plus prisés par mon public.  

    Le monde de la droite européenne est littéralement déchiré par le conflit ukraino-russe. Croyez-vous qu’il sera possible, du moins à moyen-terme, de recoller les bouts ?

    C’est une question hélas fort délicate, à propos de laquelle la nuance est souvent absente ! Je n’ai jamais caché ma sympathie pour la cause ukrainienne dans cette histoire, mais je souhaite naturellement que les partisans de l’un ou l’autre camp mettent leurs griefs de côté afin de mener à bien leur combat commun pour la civilisation européenne. Je crains toutefois que certaines fractures ne se muent inévitablement en divorce consommé. Si certaines personnes soutiennent la Russie en raison d’une méfiance compréhensible pour le camp atlantiste américain, une bonne partie des militants de droite la soutiennent par pur ressentiment : contre les « élites », contre le « système », contre l’Occident, etc. Comme si la Russie avait pour volonté de sauver les Européens d’eux-mêmes tel un Deus ex machina ! Non seulement c’est s’illusionner sur l’état réel de la Russie, mais c’est aussi perpétuer une erreur qui a cours depuis fort longtemps à Droite, et que Philippe Baillet nomme « l’Autre tiers-mondisme ». Je crains dès lors que le camp « de droite » ne se fracture de plus en plus entre deux tendances irréconciliables : l’une cherchant à sauver la civilisation européenne de l’intérieur, en luttant contre ses tares sans pour autant chercher à la détruire, et l’autre cherchant son salut dans une alliance avec l’extérieur (le monde « traditionnel » musulman, la Chine ou maintenant le Russie), dans l’espoir de détruire cet « Occident pourri ». Cette seconde position me semble être une erreur complète pour la simple raison qu’elle ne comprend pas l’essence du politique. Comme le disait Julien Freund, on n’a jamais « le même combat » qu’un autre ensemble politique.  

    Ce n’est pas un secret de dire que Youtube, bien qu’intéressé avant tout par le gain commercial, n’est pas particulièrement en phase avec les contenus conservateurs, et nous pouvons constater la même chose pour la plupart des plateformes virtuelles monétisées. Comment voyez-vous l’avenir de votre chaîne dans un contexte devenant de plus en plus difficile pour la droite ?

    Il s’agit effectivement d’un équilibre précaire. Ayant moi-même été censuré de la plateforme Patreon pour « Hatespeech » un mois à peine après mon inscription, je suis bien placé pour mesurer la répression de nos idées sur internet. Pour y pallier, j’ai atteint pour le moment une relative autonomie en me dotant de mon propre site internet : www.ego-non.com .

    « Don’t criticise, but create » - telle est la devise de cette série d’interviews. Que conseilleriez-vous à des jeunes lecteurs voulant s’investir dans la lutte pour la survie de l’occident sans compter nécessairement être actifs dans un domaine politique qui éveille de plus en plus un certain dégoût ?

    Je leur donnerais ces cinq conseils au moins :

    1. Fonder une famille ou la consolider : d’un point de vue collectif comme individuel, cette tâche est capitale. Au niveau collectif, il faut impérativement inverser la tendance démographique que connaît l’Europe. Mais un tel raisonnement peut sembler très abstrait. Au niveau individuel, fonder une famille est aussi, et même en premier lieu, une façon de se réaliser comme personne. Si nous vivons pour léguer un héritage, comme je l’ai dit plus haut, il faut bien avoir des héritiers pour qui se battre. Beaucoup de gens, gagnés par le désespoir et le pessimisme, se demandent si cela vaut encore la peine d’agir. Ils ne se poseraient sûrement pas cette question s’ils avaient des enfants.

    2. Renouer avec la Beauté : un des traits de l’époque contemporaine qui me frappe le plus est le culte de la laideur. La laideur s’est infiltrée partout, dans l’architecture, dans la mode, dans l’art, dans la langue, dans la musique, etc. Or, notre combat est autant éthique qu’esthétique. Nous devons incarner une voie aussi rationnelle que belle ; le fond ne va pas sans la forme adéquate.

    3. Apprendre au moins une langue étrangère : en plus de l’utilité évidente que cela comporte, la connaissance des langues étrangères permet de s’évader mentalement et de relativiser les discours qu’on entend dans notre pays. De plus, s’il s’agit d’autres langues européennes, cela permet justement de nouer des liens de fraternité avec des Européens d’autres horizons.

    4. Se regrouper en communautés : face au déclin démographique que nous connaissons, il faut se préparer à vivre en minorité dans de larges portions de nos territoires et être, de ce fait, prêts à nous entraider. De plus, la société étant largement baignée d’idées de gauche insupportables au sens strict, la solitude et l’isolement peuvent rendre fous ceux qui partagent nos idées sans pouvoir les exprimer. Un dicton bien connu disait jadis : « Un chrétien seul est un chrétien en danger ». Or, cela s’applique également aujourd’hui à tous ceux qui ne pensent pas selon le moule conformiste de l’époque.

    5. Se réinsérer dans la longue mémoire européenne : contre les ethnomasochismes de tout poil, de gauche comme de droite, il s’agit de se réapproprier notre histoire, notre identité et notre culture. Les diverses mythologies indo-européennes, la philosophie classique, la religion chrétienne et la science occidentale sont constitutives de l’âme européenne et de sa grandeur. Les simplifications outrancières qui cherchent à faire l’impasse sur telle ou telle dimension de notre histoire sont l’effet d’une cécité intellectuelle qu’il faut dépasser.

    Antoine Dresse, propos recueillis par David Engels (deliberatio, 25 juin 2023)

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  • Georges Sorel, le révolutionnaire conservateur...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie viennent de publier un essai de Rodolphe Cart intitulé Georges Sorel - Le révolutionnaire conservateur. Rodolphe Cart est une des jeunes plumes de la rédaction de la revue Éléments.

     

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    " Georges Sorel (1847-1922) est à la fois connu et inconnu, cité mais guère lu, tour à tour enrôlé par les communistes et les fascistes. Théoricien du syndicalisme révolutionnaire, hostile au progressisme, adversaire résolu de la bourgeoisie, l’auteur des Réflexions sur la violence, son livre le plus fameux, est probablement « le plus grand théoricien politique français depuis la fin du XIXe siècle », au dire de Julien Freund. Aussi inclassable qu’iconoclaste, il n’entre dans aucune filiation académique. Sûrement était-il écrit, pour cette raison, que chaque nouvelle génération devait se réapproprier son héritage. C’est le cas de Rodolphe Cart qui signe un essai roboratif, biographique et politique, sur ce « révolutionnaire conservateur » qui a de quoi séduire ceux qui ne se retrouvent plus dans les vieux clivages et qui cherchent de nouveaux « mythes mobilisateurs ». "

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  • Réflexions sur la violence...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie viennent de rééditer le célèbre essai de Georges Sorel intitulé Réflexions sur la violence, avec une introduction de Pierre-André Taguieff et une postface de Julien Freund

    Né à Cherbourg en 1847 et mort en 1922, Georges Sorel fut l'un des principaux théoriciens du socialisme français et un partisan de l'autogestion et du syndicalisme révolutionnaire.

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    " Les Réflexions sur la violence sont le plus connu et le plus méconnu des livres de Georges Sorel, penseur politique inconformiste et intempestif dont l’influence n’a cessé de s’exercer au cours du XXe siècle dans les milieux les plus divers, des traditionalistes contre-révolutionnaires aux révolutionnaires anarchistes ou communistes, en passant par les nationalistes de droite ou de gauche et les révolutionnaires-conservateurs. Philosophe de la violence, Sorel a tenté de penser l’impensable même : une violence créatrice et régénératrice, source de moralité, exercice de liberté. C’est pourquoi sa pensée, perçue comme scandaleuse et provocatrice, est restée une énigme et un objet de fascination, particulièrement à une époque où un pacifisme humanitariste et sentimental tient lieu à la fois de morale et de religion. Reconnaître une positivité à la violence en voyant en elle l’indispensable source d’énergie pour lutter contre la décadence, tel est le coeur de la philosophie politique sorélienne. Aux yeux de tous ceux qui furent à la recherche de « dépassements » du clivage droite-gauche, la pensée de Sorel a paru esquisser une troisième voie, pensée et repensée par chaque génération. Si, pour les contemporains de Sorel, sa pensée politique était associée à l’autonomie ouvrière et au syndicalisme révolutionnaire ou d’action directe, l’un de ses héritages contemporains pourrait être trouvé chez certains théoriciens de la démocratie directe. Esprit libre étranger à toutes les orthodoxies, Georges Sorel aura été l’un des plus influents penseurs politiques français depuis la fin du XIXe siècle. "

    Pierre-André Taguieff

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  • Dominique Venner est plus que jamais notre mythe mobilisateur !...

    Alors que Gérald Darmanin est parvenu à faire interdire, sans aucune base légale, la journée-hommage à Dominique Venner qui devait se tenir dimanche 21 mai 2023, dix ans après la mort de ce dernier, jour pour jour, salle Wagram, à Paris, nous reproduisons ci-dessous le texte qu'aurait dû prononcer François Bousquet à cette occasion et qui a été publié sur le site de la revue Éléments.

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    Dominique Venner est plus que jamais notre mythe mobilisateur

    Dix ans déjà, dix ans jour pour jour, que Dominique Venner a gagné le paradis des « immortels », les Champs-Élysées homériques, à un âge, 78 ans, où même les héros vieillissants de Plutarque se retirent des affaires publiques ou succombent aux faiblesses de l’âge ; pas lui. Il n’a pas baissé les bras, encore moins les armes. Au contraire il les a brandies, d’abord contre lui, mais plus encore pour briser le maléfice de notre « dormition », selon les termes du vocabulaire orphique qu’il chérissait, celui du monde enchanté des fées et des sortilèges qu’il s’agit de rompre pour retisser la trame défaite de notre tradition. À travers son sacrifice, il a voulu dépasser le déclin de l’Europe. Y est-il parvenu ? Assurément pas. Son geste ne nous a malheureusement pas délivrés de ce maléfice. Les uns diront qu’il est déjà trop tard pour cela ; les autres – nous, qui ne cédons au découragement que pour le surmonter – qu’il n’est jamais trop tard. On ne désespère jamais assez de ne pas assez espérer. S’il y a une œuvre qui nous le rappelle avec insistance, c’est celle de Georges Bernanos, qui dit du suicide : ce « noir abîme n’accueille que les prédestinés ». Prédestiné, Dominique Venner l’était ; noir aussi : sang noir, panache noir ; mais il n’y avait chez lui nul abîme. En se donnant la mort, c’est précisément le refus de l’abîme qui proteste en lui. Sa mort est un pari et même un pari pascalien : la mort n’est pas le terme de notre civilisation ; et quand bien même elle le serait, nous ne perdons rien à parier qu’elle ne le serait pas. Mais encore faut-il consolider ce pari par des exemples de tenue et de vertu, des gestes à admirer et à reproduire, des nouvelles vies parallèles à célébrer. Ainsi de celle de Dominique Venner. Sa mort a fait entrer son nom dans la mémoire collective, pas seulement la nôtre, celle de notre adversaire aussi : il est maintenant la propriété de tous, semblable à ces héros qui s’offraient jadis à la ferveur et à l’imitation des cœurs purs, dont il nous revient de dresser l’éloge, en ce jour singulièrement.

    Pourquoi célébrer nos morts ?

    Savez-vous d’ailleurs d’où viennent les éloges et les panégyriques des grands hommes, d’où sortira plus tard la forme biographique ? De l’oraison funèbre : la laudatio funebris des Romains. Ce sont eux – les Romains, et non les Grecs – qui ont inventé en Europe ce genre illustre entre tous. Il remonte aux temps embryonnaires de la République romaine. Les grandes familles en avaient pour chacun de leurs aînés prestigieux. Chacune d’entre elles conservait pieusement ces discours sur leurs défunts. Ainsi survivaient-ils et s’adressaient-ils aux vivants. Les Romains n’avaient pas peur de ce culte des morts, nous non plus. Pourquoi ? Parce que ce culte a des vertus à la fois généalogiques et civiques ; il est célébration de la durée, du « dur désir de durer », dont parle le poète, du dur désir de persévérer dans notre être, dans notre lignée de Français et d’Européens ; et nul plus que Dominique Venner ne nous y a exhortés. La persévérance dans son être, c’est le « conatus » des philosophes, en particulier Spinoza : l’effort continu, toujours recommencé, pour être et perdurer – le cœur même de notre combat.

    Quel est l’antonyme de la laudatio funebris ? La damnatio memoriae (la « damnation de la mémoire ») ou l’abolitio nominis (la « suppression du nom »), autrement dit la « cancel culture » des Romains. Or, c’est cette damnatio memoriae qui nous menace aujourd’hui directement. La « cancel culture » est en train d’effacer notre nom de Français et d’Européens, de les « cancelliser », de les enfermer dans une malédiction – le maléfice – dont nous devons les délivrer. Tel est le sens de ce 21 mai. Brandir le nom de Dominique Venner comme une oriflamme. C’est notre mythe mobilisateur – à nous Français, à nous Européens –, puisque la figure de Dominique Venner est devenue « mythique », comme l’a entraperçu Alain de Benoist, vieux compagnon, dans son introduction au premier volume des « Carnets » posthumes de Dominique Venner.

    Le geste et la geste

    Dix ans déjà qu’il s’est donné la mort : geste fondateur, geste d’éveilleur, geste d’éclaireur. Mieux qu’un geste d’ailleurs : la geste, au sens des chansons de geste qui célébraient les exploits des preux contre les Sarazins, exploits qui remontaient au temps de Charles Martel et de Charlemagne. Depuis dix ans, c’est cette geste héroïque qui nous meut. Depuis dix ans, c’est la détonation de sa mort qui n’en finit pas de résonner en nous, comme si, à travers elle, la corne de chasse d’Artémis et de saint Hubert battait le rappel des troupes. Comme si à travers elle, l’olifant de Roland, depuis le défilé de Roncevaux, retentissait jusqu’à nous, pareil à un appel venu du tréfonds des âges qui ferait écho à la clameur de Léonidas aux Thermopyles, vieille de 2 500 ans, dans un autre défilé : « Passant, va dire à Sparte/ Que tu nous as trouvés, gisants/ Conformément à ses lois. » Déjà, l’Europe, l’Europe avant l’Europe, ne consentait pas à sa disparition.

    Gisant, Dominique Venner l’est, gisant mais vivant, tant sa mort fut un acte politique, métapolitique, spirituel, symbolique – total. Il l’a conçue comme un chef-d’œuvre, dans la perfection quasi liturgique de la règle des trois unités du théâtre classique : l’unité d’action, qui est l’unité de péril, celle de l’horizon menaçant de notre disparition en tant que peuple et civilisation ; l’unité de temps, ici dans un fascinant télescopage temporel ; l’unité de lieu, la cathédrale Notre-Dame de Paris, cœur battant de la France, chrétienne, mais aussi préchrétienne. Cette règle des trois unités, c’est ici l’unité même de notre civilisation.

    Dix ans déjà et tout fait toujours autant signe pour nous dans cette mort, parfois même comme un jeu de piste dont Dominique Venner aurait laissé la résolution à notre piété. Ceux d’entre vous qui connaissent bien Alain de Benoist savent combien il est attaché aux éphémérides. Eh bien, Alain de Benoist a remarqué que Dominique Venner s’est donné la mort un 21 mai, jour anniversaire de la naissance d’Albrecht Dürer, le 21 mai 1471. Premier signe. Second signe : c’est en 1513 que Dürer a gravé son fameux « Le Chevalier, la Mort et le Diable », soit 500 ans avant la mort de Dominique Venner, en 2013. Troisième signe : Dominique Venner a publié le 23 avril 2013, un mois avant sa mort, un texte magnifique et prémonitoire : « Salut à toi, rebelle Chevalier ! » Impossible de ne pas vous en lire un passage : « La Mort, elle, le Chevalier la connaît. Il sait bien qu’elle est au bout du chemin. Et alors ? Que peut-elle sur lui, malgré son sablier brandit pour rappeler l’écoulement inexorable de la vie ? Éternisé par l’estampe, le Chevalier vivra à tout jamais dans notre imaginaire au-delà du temps. » Quatrième signe : la couverture de son livre-testament, qui reproduit la célèbre gravure de Dürer ; et c’est ainsi qu’on imagine volontiers Dominique Venner se diriger vers la mort, avec un léger sourire en coin, comme le Chevalier en bronze de Dürer, indifférent au diable grimaçant, déterminé et impassible.

    L’audace paradoxale et provocante de cette mort

    Dix ans déjà que nous célébrons cette date. Néanmoins, ce n’est plus seulement un anniversaire, ni non plus un jour de deuil, mais un augure favorable [n’en déplaise à Gérard Darmanin, notre ministre de la Dissolution et de l’Interdiction], selon les vœux mêmes du mort, aube d’un nouveau cycle, aube d’une nouvelle aube. Car l’heure des inventaires et des bilans n’est pas venue, tant la route qui nous attend sera encore longue. Plutôt que de célébrer un nom, fût-il pour nous parmi les plus grands, il faut faire vibrer en nous la terrible leçon qu’il nous a livrée ce 21 mai 2013. Telle est l’audace paradoxale et provocante de cette mort. Il y a en elle quelque chose d’impérieux qui nous somme d’être encore plus agissants, encore plus exigeants. Émane d’elle une énergie décuplée, une force de propagation contagieuse, comme un invincible pouvoir de radiation. Elle doit être pour nous semblable à un mythe mobilisateur et à un mot de passe qui s’adressent aux Européens de sang. Dominique Venner a trempé le sien pour raffermir et retremper le nôtre. En mourant, il a allumé une flamme en chacun de nous, il nous a transmis le flambeau, il a déposé une étincelle qui doit mettre le feu à la plaine. Il ne nous laisse pas seulement un héritage, mais une promesse et un destin.

    Maurice Barrès parle dans Les Déracinés de la vertu sociale d’un cadavre à propos des funérailles de Victor Hugo. Dominique Venner n’est certes pas un cadavre au sens que Barrès donne à ce mot, mais il nous faut cependant interroger les vertus sociales et politiques de sa mort. C’est cela que nous devons questionner. Lui-même nous a invités à le faire, à donner à son geste et à sa geste une interprétation divinatoire, à fouiller dans ses entrailles, avec l’espoir de mettre à nu son âme – et la nôtre par-là même.

    L’agonie de l’agonie

    Alors, quel est pour nous le sens irrésistible de sa mort ? D’abord, c’est une mort volontaire ; et dans mort volontaire, le mot le plus important est volontaire. C’est un acte de la volonté libre – la résolution d’une âme déterminée à mourir, qui a fait le choix de s’immoler elle-même sur la table des sacrifices. Ramené à son expression la plus élémentaire, un sacrifice fait intervenir deux acteurs, l’officiant, préposé au sacrifice, et la victime sacrificielle. Mais ici les deux acteurs n’en font qu’un : le sacrifié est aussi le sacrificateur. C’est-à-dire que Dominique Venner tue et qu’il est tué. Il se tue pour ne pas mourir, plus précisément encore : il se tue physiquement pour ne pas mourir spirituellement. Dit autrement, il se tue pour que nous lui survivions ; et si nous lui survivons, c’est qu’il n’est pas mort, qu’il vit dans nos cœurs comme une puissance vitale.

    Miracle de la coïncidence des opposés, Dominique Venner est à la fois en amont et en aval, avant nous et après nous. Il est mort et il n’a jamais été aussi vivant. Pour tout dire et le redire, sa mort n’est pas un suicide. Elle en est même l’exact contraire. Elle est symboliquement, métaphoriquement, prophétiquement, performativement, suicide du suicide de l’Europe, elle est mort de la mort, elle est agonie de l’agonie, elle est négation de la négation. Aussi paradoxal que cela soit, elle est affirmation et réaffirmation du pouvoir souverain de la vie. C’est la dialectique à l’œuvre en ce jour fatidique. Dominique Venner se sacrifie pour que les siens ne soient pas sacrifiés. C’est ce qu’il a consigné dans Un samouraï d’Occident quand il évoque la « valeur sacrificielle et fondatrice » de sa mort –sacrificielle et fondatrice. Elle n’est donc pas seulement conjuration et exhortation, elle est plus encore précognition. C’est du moins ainsi qu’elle se présente à nous. Nous sommes au cœur de ce phénomène que Hans Blumenberg, un des grands noms de la philosophie allemande au XXe siècle, appelle une « préfiguration ». Une « préfiguration » consiste à s’approprier une action passée glorieuse pour en faire un symbole agissant dans le présent et le futur. Comme réappropriation, elle confère de la légitimité à nos actions. De fait, la vie et la mort de Dominique Venner sont placées sous le signe de ces « préfigurations », c’est-à-dire qu’elles figurent à l’avance notre destin.

    De Machiavel à Dominique Venner

    Machiavel rêvait d’un événement qui, tous les dix ans, frappe de sidération les peuples et retrempe leur vertu. Parfois, il suffit d’un geste, de l’exemple d’un seul, parce qu’au-delà de ces dix ans, prévient-il, « les hommes changent d’habitudes et commencent à s’élever au-dessus des lois. S’il n’arrive pas un événement qui réveille la crainte du châtiment et qui rétablisse dans tous les cœurs l’épouvante qu’inspirait la loi, les coupables se multiplient au point qu’on ne peut désormais les punir sans danger. » Prescience de Machiavel : c’est très exactement ce qui nous arrive : aujourd’hui, « les coupables se multiplient au point qu’on ne peut désormais les punir sans danger ». La mort de Dominique Venner doit être pour nous cet exemple. Machiavel parle de « rénovation ». Faute de rénovation, les corps sociaux – la société donc – dépérissent, dit-il. Or, ils ne se rénovent qu’en revenant à leur « principe vital ».

    C’est la réponse de Machiavel, dans ses Discours sur la première décade de Tite-Live, à la question du « Que faire ? », qui n’a pas seulement hanté Lénine et les révolutionnaires russes, mais aussi Dominique Venner. Que faire pour endiguer notre déclin programmé – en un mot, l’inexorable processus de décadence (Patrick Buisson, Michel Onfray, Julien Freund), cette fatalité inscrite dans le politique, mais réversible chez Machiavel ? Que faire ? Restaurer notre principe vital ! Machiavel le martèle dans ses « Discours ». Il est littéralement obsédé par cette question, ni plus ni moins que Dominique Venner : comment prévenir ou guérir la corruption des institutions, des mœurs et des cœurs ? Machiavel en appelle à des moyens qu’il qualifie lui-même d’« extraordinaires » ou d’« étranges » – ce qu’est la mort de Dominique Venner à Notre-Dame de Paris –, mais il ne dit jamais explicitement lesquels sans au préalable en désamorcer la brutalité. Je cite encore ses « Discours » : il faut « faire renaître dans l’âme des citoyens cette terreur et cette épouvante qu’ils avaient inspirées pour [s’]emparer du [pouvoir] ». Comment ? En frappant les esprits de stupeur, seule façon de les sortir de leur torpeur. Sans ce type d’actions, ajoute Machiavel, les hommes s’enhardissent et se croient au-dessus des lois et des mœurs.

    Ce faisant, Machiavel met à nu le grand non-dit du politique, sa violence constitutive, accoucheuse de l’histoire selon Marx. Il y revient toujours. Notre hypersensibilité à la violence nous l’a fait oublier. Machiavel aurait vu dans cette hypersensibilité un signe de déchéance, sachant que cette déchéance était pour lui la grande loi de l’évolution – ou de l’involution – des régimes politiques. Alors, comment retarder, inverser, renverser cette inexorable dégénérescence du politique, ce carrousel crépusculaire ? En revenant en permanence à l’origine, au principe premier. C’est là un effort sisyphéen qui nous est demandé par Machiavel et, je le crois, par Dominique Venner : toujours recommencer, toujours revenir (c’est le plus dur dans une vie d’homme).

    Un Sisyphe nietzschéen

    Loin de moi l’envie de faire de Dominique Venner un disciple d’Albert Camus – l’Algérie les a d’emblée séparés. C’est du reste plus du côté de Renaud Camus que d’Albert qu’il faudrait chercher les traces d’un camusisme de Dominique Venner. Cela étant dit, la question que soulève Le Mythe de Sisyphe de Camus est celle qui nous occupe aujourd’hui : le suicide. « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. » Dominique Venner en livre une interprétation en tous points opposée à celle de Camus. Rien d’absurde chez lui. Au contraire même. Ce qui se joue, c’est le déroulement implacable du destin – et il est librement consenti. Il y aurait néanmoins une comparaison à faire entre L’Homme révolté, qui est la réponse de Camus à son « Sisyphe », et Le Cœur rebelle, quand bien même Dominique Venner n’allait certainement pas imaginer un Sisyphe heureux, mais un Sisyphe nietzschéen, pourquoi pas ?

    Alors comment revenir à ce principe vital ? Par un sacrifice, répond Dominique Venner. C’est à l’aune du sacrifice que se mesure l’homme. Le sacrifice est la mesure de l’homme. Car il ne faut pas se méprendre sur le sens de son geste, ni sur la cible qu’il visait : c’est nous qu’il a ajustés ce jour-là, c’est nous qu’il a tenu en joue, nous qu’il a visés, nous qu’il a sommé d’agir. Si sa mort n’a pas de vertus agissantes, c’est que nous sommes morts. Si elle n’a pas de propriétés et de vertus mobilisatrices, c’est qu’elle n’est pas mort de la mort.

    Ce à quoi nous devons œuvrer, c’est à rendre cette mort encore plus éloquente, encore plus exemplaire, encore plus évocatrice, encore plus mobilisatrice. Voilà notre mission. Convenez cependant que Dominique Venner nous a facilité la tâche : il y a peu de vies aussi héroïques et sacrificielles que celle-là, une vie à la Plutarque. Cherchez bien, il n’y a pour ainsi dire plus de vie telle que la sienne parmi nos contemporains. À charge pour nous de lui conférer les vertus spécifiques et les propriétés agissantes du mythe, comme l’a soufflé Alain de Benoist.

    À quoi servent les mythes politiques ?

    C’est évidemment le mythe dans sa dimension politique qui nous intéresse ici. On pourra débattre indéfiniment sur la nature des mythes politiques comme des religions séculières. Sont-ce encore des mythes et des religions ? Faisons le pari du oui. Un mythe politique ne se décrète pas. En revanche, il nous appartient de l’identifier et de l’instrumentaliser. Les seuls régimes à y avoir recouru au XXe siècle sont les systèmes totalitaires : le mythe de la race et du sang d’un côté, le mythe du messianisme prolétarien de l’autre. Ils occupent toute la place au XXe siècle, quand bien même il en reste une pour un mythe qui leur est antérieur et qui fut le nôtre plus de deux millénaires durant : celui de la terre et des morts.

    Si nous voulons vraiment comprendre ce qu’est un mythe politique, autant se tourner vers Thomas Mann et vers son Docteur Faustus dont la rédaction remonte à la Seconde Guerre mondiale. À l’âge des masses, y est-il écrit dans une perspective critique, « les mythes populaires, ou plutôt, adaptés aux foules, [deviennent] désormais les véhicules des mouvements politiques : les fictions, les chimères, les fables. Elles n’[ont] pas besoin d’avoir le moindre rapport avec la vérité, la raison, la science, pour être créatrices, conditionner la vie et l’histoire, et ainsi s’avérer réalités dynamiques. » Thomas Mann dit encore du mythe politique que c’est une « foi formant la communauté ».

    Il y a un autre homme qui a réfléchi au mythe politique dans des termes voisins, mais positifs. Thomas Mann l’avait d’ailleurs lu attentivement : c’est Georges Sorel, l’auteur des Réflexions sur la violence. Le mythe sorélien est un mythe mobilisateur. Il repose sur un usage volontaire, volontariste, quasiment auto-réalisateur d’une trame historique. Il a une valeur motrice. C’est un principe actif, une « réalité dynamique » (Thomas Mann recopie ici Sorel). Il fournit une « image » de bataille, une image-force inflammable. Il suffit d’y mettre le feu. L’adhésion au mythe nous place « au-dessus du découragement », poursuit Sorel. C’est le levier de l’action. Sa force agissante est contagieuse. Il dessine un paysage mental propice à l’action collective. En tant que tel, c’est une construction qui transforme ce qu’elle touche en énergie cinétique, en mouvement. Il a un effet multiplicateur, mobilisateur, accélérateur. C’est un multiplicateur de puissance. Bref, c’est tout ce que le nom de Dominique Venner doit être pour nous. Étonnants d’ailleurs, les points communs entre les deux hommes. Même idéal ascétique, même culte des Anciens, mêmes valeurs morales, même éthique guerrière, même héroïsme.

    La dialectique du pessimisme et de l’optimisme

    Le mythe, c’est la révélation tautologique de ce que nous sommes, de notre destin. Il n’explique pas, il est l’explication. Il ne se démontre pas, il se contente d’être là. Toute la difficulté d’analyse provient de là. Il se confond avec ce qu’il énonce. Expliquer le mythe, c’est concéder qu’on en a perdu le sens. Ce faisant, on s’interdit tout recours au mythe. Ce n’est plus qu’une langue morte, un objet archéologique livré à la curiosité des chercheurs, qu’il appartient à des époques révolues, qu’il a fait son temps. Je ne le crois pas. La religion peut disparaître (ce qui reste à prouver), pas le religieux. Le mythe peut disparaître (ce qui reste à prouver), pas le mythique.

    Le mythe a la propriété de se réactiver, de se réactualiser en permanence. La preuve : nous sommes là. La question qui reste en suspens : sommes-nous avant ou après la bataille décisive ? Jean Raspail pensait que la bataille avait déjà eu lieu, que nous l’avions perdue. Dominique Venner, lui, pensait que la grande bataille de notre temps est devant nous. Quel que soit le génie de Raspail par ailleurs, il faut refuser de toutes nos forces la perspective qu’il nous présente en guise de punition. Il ne faut pas céder au dé-couragement, faute de braves. À nous de les susciter par notre enthousiasme, par notre détermination, par notre exemplarité. « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté », disait en substance Antonio Gramsci, une devise qu’il tenait de Romain Rolland, lequel l’avait empruntée à Nietzsche.

    L’histoire est ouverte

    Jamais les choix n’ont été si clairs, les dangers si menaçants, les réponses aussi urgentes. L’Europe fait face au plus grand défi de son histoire, comme dit Renaud Camus, celui de sa survie en tant qu’unité de civilisation. Dans la tempête qui vient, Dominique Venner est un phare, une vigie, une sentinelle. Son geste nous place en face de nos responsabilités d’Européens. Ou nous renaissons, ou nous sombrons dans les eaux du Léthé. Quels engagements sommes-nous disposés à prendre ? Quels efforts à accomplir ? Quelle part de nous-mêmes à offrir ? Quels chantiers de fondation ou de refondation à enclencher ? Voilà ce que nous dit la mort de Dominique Venner. Elle nous oblige et nous lie pareil à un serment.

    Qu’avons-nous fait en dix ans ? Beaucoup ! Que reste-t-il à faire ? Tout ! Prendre des initiatives au lieu d’endurer celle de nos adversaires. Lancer des mots d’ordre au lieu de les subir. Ouvrir des fronts au lieu de combler des brèches. Oui, tout reste encore à faire.

    Dominique Venner en appelait à un sursaut spirituel, culturel, poétique de l’Europe, pénétré qu’il était du sentiment de la vie, une vie marquée par le refus du désespoir, des fatalités et des écoles du déclin. Il se gardait, sur sa gauche, du providentialisme hégélien et de sa fin de l’histoire, et, sur sa droite, du déclinisme inéluctable d’Oswald Spengler et de Paul Valéry. Tout n’est pas fini, tout peut recommencer, nul déclin n’est irréversible, toute décadence est provisoire. C’est l’action de la volonté des hommes qui commande l’histoire, nul fatalisme. L’histoire est toujours ouverte, la messe n’est jamais complètement dite, les dés jamais complètement jetés. Tout bien pesé, il n’y a pas de loi de la décrépitude, l’imprévu est la règle. Ce que nous ne voulons pas voir, en hommes prisonniers de l’instant, le nez collé sur les événements. Aucun recul. Là où il faudrait être aigle, nous sommes taupe. Or, et on en conviendra facilement, la myopie n’est pas la meilleure façon d’aborder l’histoire. « L’histoire n’évolue pas comme le cours d’un fleuve, professait-il, mais comme le mouvement invisible d’une marée scandée de ressacs. Nous voyons les ressacs, pas la marée. » Guettons la marée ! Hâtons-en la venue ! Faisons en sorte que l’imprévu dans l’histoire, ce soit nous qui en allumions la mèche ! Alors Dominique Venner ne sera pas mort en vain.

    François Bousquet (Site de la revue Éléments, 21 mai 2023)

     

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  • Julien Freund et Oswald Spengler...

    Nous signalons aux lecteurs intéressés par la pensée et les écrits de Julien Freund et d'Oswald Spengler la parution de deux revues.

    La Revue des deux Mondes, dans son numéro du mois de mai 2023, à côté d'un dossier sur Nietzsche en France, publie pour la première fois le texte d’une conférence qu’a donnée en 1976 Julien Freund après le vote le 10 novembre 1975 d’une résolution des Nations unies assimilant le racisme au sionisme.

     

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    Par ailleurs, dans la nouvelle trimestrielle revue Huis clos, Max Goldminc publie les traductions inédites d'un article de Thomas Mann sur Spengler et de plusieurs pages des Carnets  de ce dernier.

    À ce jour, la revue est disponible uniquement dans 4 librairies parisiennes : L’extrême contemporain (75003), Les Éditions de la Différence (75006), L’Harmattan (75005), et à L’odeur du Book (75018).

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