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  • Et si la France commençait à s’intéresser sérieusement à l’Italie ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la montée en puissance de l'Italie en Europe. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

     

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    Et si la France commençait à s’intéresser sérieusement à l’Italie ?

    La décomposition du Moyen Orient s’accroît et s’étend, on meurt toujours en Ukraine même si l’on commence enfin à parler de paix, l’Amérique gonfle ses prétentions et ses ambitions, la Chine poursuit discrètement ses prises de contrôle, l’Afrique retrouve ses démons et oublie le désespoir des populations, l’Europe, à force de se perdre dans le nombrilisme et l’autosatisfaction, s’étiole et s’efface, la France se délite et fait le spectacle… Essayons d’oublier un moment ce contexte préoccupant et intéressons-nous à un proche et beau pays.

    Les Français ont l’habitude de regarder l’Italie avec un mépris certain : pour eux, l’Italie, ce sont de belles, mais vieilles, pierres, un bel canto juste bon pour une promenade en gondole, et des pizzas bien pratiques pour rendre sages les enfants turbulents ; les Européens dignes de nous, ce sont les Allemands et les Britanniques car eux, au moins, sont sérieux. Ne serait-il pas temps d’abandonner ces niaiseries ?

    L’Italie est le 3ème pays de l’Union Européenne par la population [1], le 3ème aussi par le PIB [2]. Elle a demandé son admission à l’ONU dès 1947 [3], fut l’un des 12 pays qui ont fondé l’OTAN en 1949 et a, dès l’origine, participé à l’aventure européenne en étant l’un des 6 pays signataires du Traité de Rome de 1951 créant la CECA.

    Son positionnement géographique la place à proximité de plusieurs foyers de tension qui menacent l’Europe : le Proche-Orient, l’Afrique du Nord et les Balkans. Elle est autant que la France soucieuse à la fois d’entretenir des relations de confiance avec les pays concernés et de se prémunir contre leurs influences délétères.

    C’est aussi une puissance économique. Elle est désormais le 4ème exportateur mondial, devant le Japon. Ses capacités sont particulièrement reconnues dans les secteurs industriels de haute technologie, grâce à un outil industriel mêlant entreprises de stature mondiale [4] et un tissu extrêmement dense d’ETI œuvrant, soit directement, soit comme sous-traitants des grands groupes mondiaux (on estime ainsi que 20 % de la valeur d’une automobile allemande correspond à ses composants venant d’Italie [5]). Les qualités de cet outil industriel expliquent que l’Italie soit le 3ème pays d’excédent commercial de l’Union Européenne (la France étant le pays dont le déficit est le plus important) et qu’au cours de la dernière décennie, les exportations italiennes ont été les plus dynamiques du G7 [6].

    L’Italie tient également une place significative en matière de recherche fondamentale et dispose d’instruments de recherche particulièrement novateurs utilisés dans le cadre de coopérations mondiales [7].

    Enfin, l’instabilité gouvernementale qui a longtemps caractérisé l’Italie n’est plus de mise aujourd’hui. Giorgia Meloni est l’une des rares personnes au pouvoir en Europe à être sortie renforcée du scrutin européen, son gouvernement a déjà dépassé la durée moyenne des gouvernements italiens des cinquante dernières années, et la présidente du conseil reste, après plus de deux ans de pouvoir, la personne politique préférée des Italiens. Les dirigeants européens ne peuvent pas tous en dire autant.

    A l’heure ou la Grande-Bretagne renforce son ancrage anglo-saxon – tout en cherchant à palier certaines conséquences du Brexit – et où l’Allemagne fait face à la fois à une remise en cause de son modèle économique (perte de l’approvisionnement en gaz russe à bon marché et chute des exportations en Chine) et à une instabilité politique nouvelle, la France aurait intérêt à raffermir ses liens avec l’Italie. Celle-ci pourrait l’aider à équilibrer un dialogue franco-allemand qui évolue régulièrement, avec l’appui de la présidente de la Commission européenne, en faveur de nos voisins et à notre détriment. Deux dossiers récents illustrent ces possibilités de convergence : Giorgia Meloni a annoncé officiellement son souhait de recourir au nucléaire [8] pour son approvisionnement énergétique et l’Italie a rejoint la France et la Pologne dans leur opposition au traité du Mercosur, auquel l’Allemagne est favorable.

    Certaines faiblesses de l’Italie, souvent invoquées, méritent d’être relativisées quand on les compare aux performances de la France. La croissance économique italienne est faible, 0,9 %, mais celle de la France n’est qu’à peine plus élevée : 1 %. Le chômage est significatif, mais moindre qu’en France (6,2% contre 7,5%). Le fort endettement public est très préoccupant (137% du PIB contre 112% en France) ; mais la dette italienne est prioritairement détenue par des Italiens (35%) alors que la dette française l’est par des étrangers (54%), ce qui accroît les risques de déstabilisation financière externe. De plus, l’endettement privé est beaucoup plus faible en Italie qu’en France : 95,3% du PIB contre 136,6%. Si le spread [9] italien est encore supérieur au français, il décroît alors que celui de la France augmente : le premier est passé, en un an, de 180 à 108 pb alors que le second a augmenté de 50 à 90 pb.

    Les vraies faiblesses de l’Italie sont ailleurs. Son taux de natalité est extrêmement faible (6,7 pour mille contre 10,6 pour mille en France), ce qui menace le dynamisme économique futur du pays. Son approvisionnement en énergie repose pour l’essentiel sur les importations, ce qui est à l’évidence un facteur de dépendance. L’économie informelle est importante et par définition hors de contrôle. Enfin, sa politique étrangère est ultra-atlantiste et l’influence des Etats-Unis sur la politique italienne est très forte, si bien qu’on peut s’interroger sur les véritables marges d’autonomie du pouvoir italien en la matière.

    Les deux pays ayant, dans de nombreux domaines, des intérêts communs, la France aurait tort de se priver de l’atout que serait, sur certains dossiers importants et en particulier au sein des instances de l’Union européenne, une convergence avec l’Italie. Un « accord du Quirinal » a bien été signé entre les deux pays en 2021 mais n’a guère eu de suites. Faisons le vivre !

     Certains, bien sûr, diront que Madame Meloni pense mal. On pourra leur répondre que le peuple italien est souverain pour penser ce qu’il veut et qu’il ne s’agit pas pour la France de discuter avec un parti, dont le pouvoir est transitoire, mais avec un pays, qui demeure quels que soient ses dirigeants. Ou qu’il ne faudrait pas jeter l’opprobre sur un dirigeant qui, contrairement à d’autres que l’on fréquente, n’a pas cherché à influencer ou déstabiliser une puissance étrangère, ni à faire assassiner un opposant. Et que Mme Meloni bénéficie, si l’on en croit les sondages, d’un appui populaire dont rêveraient tous ceux qui dirigent, ou aspirent à diriger, la France.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 16 décembre 2024)

     

    Notes :

    [1] Allemagne 84 millions d’habitants, France 68, Italie 59, Espagne 48.

    [2] Allemagne 4122 Md€, France 2803, Italie 2085, Espagne 1462.

    [3] Elle n’a été admise qu’en 1955, à la suite d’un long processus politique et administratif. Bien évidemment, elle ne dispose pas d’un siège permanent au Conseil de sécurité (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie).

    [4] Ces entreprises sont particulièrement actives dans les secteurs de l’aéronautique, notamment militaire (Leonardo, anciennement Finmeccanica), l’espace (c’est grâce à Avio que l’Europe a pu se doter, avec Vega, d’un lanceur spatial léger), les missiles (Leonardo est l’un des trois actionnaires du missilier MBDA), la construction navale (Fincantieri). Lorsque des coopérations internationales d’ampleur sont envisagées, ces grands groupes italiens ne se retrouvent pas toujours (de leur fait ou de celui de leurs partenaires) dans les équipes auxquelles la France participe : pour le programme d’avion de 6ème génération SCARF[4] l’Italie s’est alliée à la Grande-Bretagne et le Japon, qui rivaliseront avec l’Allemagne, l’Espagne et la France ; de même, pour le char du futur Leonardo, longtemps tenté par le programme franco-allemand confié à l’industriel binational KNDS, a finalement choisi de s’allier à l’autre grand industriel allemand Rheinmetall pour fabriquer un char concurrent. De même, le rapprochement entre Fincantieri et les Chantiers de l’Atlantique a fait long feu en 2021.

    [5] Aussi les sous-traitants italiens subissent-ils actuellement les conséquences des difficultés des constructeurs allemands.

    [6] Elles ont augmenté de 48%, contre 28% pour la France et 27% pour l’Allemagne.

    [7] En particulier le Laboratoire du Gran Salto pour les recherches sur les particules et VIRGO, près de Pise, pour les recherches sur les ondes gravitationnelles.

    [8] L’Italie pense en priorité aux petits réacteurs dits SMR (small modular reactor).

    [9] L’écart entre le taux d’intérêt des obligations publiques d’un pays avec celui de celles d’Allemagne est d’autant plus élevé que la confiance à l’égard des finances publiques du pays est faible. Il se mesure en points de base (pb), qui sont l’écart entre les taux intérêt (une différence de taux entre 3,10% et 3,20% induit un spread de 10 pb).

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  • Un Frexit institutionnel ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la grave perte d'influence de la France au sein de la Commission européenne. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

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    Un Frexit institutionnel

    Les tentatives de séduction, les portes qui claquent et les accusations d’infidélité, dignes de Feydeau, qui ont caractérisé le choix du Premier Ministre puis la formation du gouvernement, ont éclipsé l’annonce de la composition de la nouvelle Commission européenne : celle-ci a été à peine évoquée dans la presse et est restée absente des déclarations des responsables politiques. Elle est pourtant riche d’enseignements sur l’influence que la France a désormais au sein de l’Union Européenne et vis-à-vis de la Commission.

    Quatre faits sont troublants.

    1/ Thierry Breton a eu l’élégance de déclarer qu’il n’était plus candidat, ce qui a arrangé tout le monde, mais en précisant qu’Ursula von der Leyen avait réclamé son départ ; il a ensuite affiné son propos en indiquant que celle-ci avait placé Emmanuel Macron devant un choix : « ou bien c’est Thierry Breton mais avec un plus petit portefeuille, ou bien c’est un autre, mais avec un plus gros portefeuille ». Une forme de chantage, donc. Le propos n’est pas ici de dire qui, d’Ursula von der Leyen ou de Thierry Breton, avait raison dans les différents débats qui les ont opposés ces derniers mois ; il est de remarquer que la présidente de la Commission s’est permise de récuser un candidat présenté par la France et que le président de la République s’est plié à cette étrange initiative. On peut en déduire que le rapport de forces entre ladite présidente et ledit président n’est pas en faveur de ce dernier, à qui pourtant elle doit son poste, et que le poste de président de la Commission a pris une stature nouvelle, qui le place au-dessus des chefs d’Etat, ces derniers fussent-ils d’un grand pays.

    2/ La « grosseur » du portefeuille alloué au commissaire français peut être discutée. Celui-ci est en charge de « la prospérité et la stratégie industrielle » : « vaste programme ! », pourrait-on s’exclamer, tant ces deux thèmes, et surtout le premier, sont vastes. Mais ils sont aussi bien vagues !  Cette imprécision autorise tous les débordements mais permet aussi une « cornérisation ». D’ailleurs, d’autres commissaires ont en charge « la transition » (climatique, peut-on supposer), « la souveraineté technologique », « l’économie et la productivité », « l’énergie », « la recherche et l’innovation », concepts qui sont beaucoup plus précis ; peut-on agir pour « la prospérité » et définir la stratégie industrielle de l’Union sans s’intéresser à ces domaines qui sont en d’autres mains ? L’action de « notre » commissaire sera donc conditionnée par celle de ses collègues compétents pour les mêmes problématiques.

    On pourrait se rassurer en notant que le commissaire français fait partie des quatre « vice- présidents exécutifs » de la Commission. Mais le titre est plus honorifique que fonctionnel (la précédente Commission comportait huit vice-présidents exécutifs, chiffre élevé qui amène à relativiser l’importance du rôle) car leurs titulaires ne bénéficient d’aucun pouvoir hiérarchique sur les commissaires « de base » ; il ne peut d’ailleurs pas en être autrement puisque les décisions de la Commission sont collectives et que, juridiquement, chaque commissaire dispose du même poids que les autres. En outre, les trois autres vice-présidents exécutifs sont les commissaires présentés par l’Espagne, la Finlande et la Roumanie : difficile d’en déduire que le titre reflète l’importance du pays au sein de l’UE.

    Le portefeuille confié au commissaire français est-il vraiment « un plus gros portefeuille » comme l’avait promis Ursula von der Leyen ?

    3/ Le choix de Stéphane Séjourné peut surprendre. Il ne s’agit pas ici de discuter des mérites et des limites d’une personne mais seulement de noter que le nouveau commissaire français n’a ni la personnalité, ni l’expérience longue et multiple de son prédécesseur. Il est peu probable qu’il ait rapidement le même poids que lui au sein des instances européennes.

    Les mauvais esprits pourraient penser qu’au moment où, en France, se met laborieusement en place une vraie-fausse cohabitation, son choix résulte avant tout de la volonté du président de la République d’avoir à Bruxelles un commissaire qui lui sera personnellement fidèle, de montrer que le choix du commissaire et les relations avec la Commission font partie du « domaine réservé » qu’il n’entend pas partager. Si cela était vrai, il faudrait en déduire que les vicissitudes de la politique intérieure ont le pas sur la défense des intérêts du pays au sein de la Commission.

    4/ Le choix des commissaires et la répartition des rôles entre eux ne sont pas toujours favorables aux intérêts français. Ainsi, les deux commissaires qui seront en première ligne sur les questions énergétiques sont de fervents adversaires du nucléaire : l’Espagnole Teresa Ribera Rodriguez,

    « vice-Présidente exécutive à la transition juste, propre et compétitive », et le Danois Dan Jorgenson, « commissaire à l’énergie et a au logement ». Il est étrange que, s’agissant d’un sujet aussi important et sensible, qui fait l’objet de fortes oppositions au sein de l’Union, la France n’ait pas pu éviter que les deux commissaires en charge de cette politique fassent l’un et l’autre partie du camp hostile aux orientations qu’elle défend.

    Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ce rapide examen :

    1/ Le poids de la France dans l’UE se réduit. L’époque où les pays fondateurs pilotaient le processus est bien fini, la France n’est plus qu’un pays comme un autre, l’élargissement a fait son œuvre. La Commission s’est émancipée et le « couple franco-allemand » n’est qu’un souvenir.

    2/ Le Commissaire français aura bien des difficultés à défendre, dans le cadre des orientations communautaires, nos intérêts nationaux. Il disposera de bien peu de leviers pour son action au sein des institutions communautaires.

    3/ Alors que chaque renouvellement de la Commission est toujours l’occasion, pour chaque pays, de pousser ses pions, les dirigeants français ont fait preuve d’une grande légèreté (naïveté ou impuissance ?). Ils n’ont pas cherché à, ou su, résister aux pressions de leurs homologues ou de la présidente de la Commission. C’est surprenant compte tenu de l’importance que tient l’Europe dans leurs discours.

    Tout se passe donc comme si la France se désengageait involontairement du pilotage des institutions européennes, Une sorte de Frexit institutionnel, en quelque sorte. Etonnant !

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 29 septembre 2024)

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  • La géopolitique, grande oubliée du récent épisode électoral...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à l'absence des questions géopolitiques dans les débats politiques des élections. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

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    La géopolitique, grande oubliée du récent épisode électoral

    Bien sûr on a parlé d’Europe : difficile de ne pas le faire quand on élit le Parlement européen.

    Mais on n’est guère allé au-delà de l’opposition facile entre une Europe-paradis et une Europe prison. On n’a guère discuté de la façon dont l’Europe peut stopper son affaiblissement économique et stratégique ; du rôle qu’une région dont le poids démographique diminue peut à l’avenir jouer dans le monde ; de ce que signifient pour les peuples extra-européens des « valeurs » que l’Europe revendique fièrement et voudrait universelles. Bref, on n’a guère débattu de ce que l’Europe veut faire d’une souveraineté qu’elle réclame sans relâche sans lui donner grand contenu.

    Bien sûr on a échangé des invectives à propos du caractère terroriste du Hamas, de la reconnaissance d’un Etat palestinien ou de la tragédie à Gaza. Mais on n’a guère discuté sérieusement des cheminements susceptibles de déboucher, sinon sur une paix durable au Moyen-Orient, du moins sur un apaisement salvateur en Palestine, et l’on ne s’est pas demandé ce que la France, au-delà de déclarations souvent grandiloquentes, pourrait faire concrètement pour y contribuer.

    La guerre en Ukraine n’a pas non plus suscité beaucoup de débats. On aurait pu s’attendre à ce que l’annonce par le Président Macron, fin février, de l’envoi officiel d’instructeurs français sur le sol ukrainien puis, plus récemment, l’autorisation donnée aux Ukrainiens d’utiliser des armes fournies par la France pour frapper le territoire russe, donnent lieu à des échanges nourris ; les frémissements de dialogue (ou d’esquisse de l’acceptation de l’éventualité d’un dialogue) constatés de la part des protagonistes et des pays qui leur sont proches et, à l’inverse, le souhait de certains membres de l’OTAN de faire en sorte que l’Ukraine soit traitée de facto comme un membre de l’organisation avant de l’être de jure, auraient aussi pu faire réfléchir à la façon dont la France doit se positionner.

    De même, n’aurait-il pas fallu, à quelques jours du 75ème anniversaire de la création de l’OTAN et à l’occasion du remplacement du secrétaire général de l’organisation, s’interroger sur l’avenir des relations transatlantiques ? N’aurait-il pas fallu débattre des évolutions possibles ou souhaitables compte tenu des déclarations du candidat Donald Trump ? Faut-il accepter que l’OTAN coordonne l’envoi des armes occidentales à l’Ukraine ? La France doit-elle continuer à se replier sur un Occident dominé par les Etats-Unis tout en voyant se renforcer un bloc de réprouvés (Chine, Russie, Iran…) dont le récent sommet du groupe de Shangaï et le déplacement du président Modi à Moscou montrent le pouvoir d’attraction sur le reste de la planète ?

    Les nombreuses questions que pose la montée des tensions en Asie n’ont, elles non plus, pas été débattues. Comment faire face à l’influence grandissante et aux revendications croissantes d’une Chine dont il est, du point de vue économique, difficile de négliger le marché ? La France doit-elle se contenter d’être un simple observateur entre, d’une part une Chine renforçant ses liens avec la Russie ou l’Inde et grignotant îlots ou archipels, et, d’autre part, une alliance des pays anglo-saxons associés au Japon ? Le fait que l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie ait été « oublié » pendant la campagne électorale signifie-t-il que la France se désintéresse du Pacifique, ou n’a plus les moyens de s’y intéresser ?

    Enfin, n’aurait-il pas été logique de se demander comment la France, après avoir tant investi, financièrement et militairement, pour aider les pays africains, doit agir aujourd’hui face à la déliquescence ou l’autoritarisme de certains régimes et face à la prise de contrôle, militaire ou financière, du continent par la Russie et la Chine ? Les déboires qu’Orano rencontre au Niger sont-ils un cas isolé ?

    Les interrogations, les inquiétudes et les décisions à prendre, on le voit, sont nombreuses. Pourtant, la géopolitique a été quasiment absente des débats électoraux de ces dernières semaines. Comment l’expliquer ?

    Ecartons bien sûr l’hypothèse selon laquelle la politique étrangère ferait l’objet, comme cela a parfois pu être le cas dans le passé, d’un consensus national : il y a bien longtemps que ce n’est plus le cas.

    On peut aussi penser que les Français aimeraient pouvoir influer sur les choix mondiaux mais éprouvent un sentiment d’impuissance à l’égard des évolutions du monde et des décisions des pays proches ou lointains : il est malheureusement vrai que la France, à force d’additionner maladresses et erreurs stratégiques, joue un rôle de plus en plus limité dans le dialogue international.

    Reste l’hypothèse selon laquelle les Français ne sont pas conscients de ce que leur vie dépend étroitement de décisions prises, soit dans le cadre interétatique, soit à un niveau supranational. L’irréalisme des programmes économiques que les partis ont élaborés pour séduire les électeurs est une autre expression de cette erreur d’analyse ou de cette inconscience.

    A moins qu’il ne s’agisse d’un étrange sentiment de supériorité : la France, à qui l’on doit les Lumières et l’Idéal Révolutionnaire, personnifie la Raison, le Droit et le Bien, il lui suffit d’exprimer une opinion pour que la terre entière s’y rallie.

    Les désillusions succèdent toujours aux illusions ; reste à savoir si elles seront bénignes ou douloureuses.

    Tout cela, bien sûr, va changer dans quelques jours : la France va montrer à la planète entière sa capacité à organiser des JO « modernes, solidaires, engagés, responsables, inclusifs… » (mais pas très planet friendly). Reconnaissons toutefois que le message universel véhiculé par des compétitions sportives est un peu maigrichon par rapport à celui que portaient jadis les Lumières. Reconnaissons aussi qu’il serait plus enthousiasmant de former de futurs médaillés Fields que de fabriquer les médailles destinées à quelques athlètes méritants.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 15 juillet 2024)

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  • Ambition, gesticulation, consolation… ou négociation ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à l'ouverture des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

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    Ambition, gesticulation, consolation… ou négociation ?

    Lors du Conseil Européen des 14 et 15 décembre dernier, l’Union européenne a décidé d’ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Ukraine (et la Moldavie). V. Zelensky s’est empressé de saluer « une victoire pour l’Ukraine, pour toute l’Europe, une victoire qui motive, inspire et rend plus fort ».

    Vraiment ?

    On peut voir dans cette décision une grande ambition : l’ambition de renforcer l’Europe en lui permettant d’englober tous les pays pouvant être considérés, fut-ce parfois au prix d’un certain effort, comme des démocraties ; l’ambition de manifester sa détermination à se défendre solidairement contre les agressions extérieures ; l’ambition de montrer son unité (même s’il a fallu, pour ce faire, demander à la Hongrie de se livrer à une gymnastique étrange et juridiquement douteuse).

    Mais on peut aussi l’interpréter comme une simple gesticulation : tout compte fait, négocier n’engage pas à grand-chose car les pourparlers peuvent durer longtemps ; la Turquie, avec qui les négociations d’adhésion ont été ouvertes en décembre 2004, en sait quelque chose, de même que la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la Géorgie qui, bien que reconnus officiellement candidats, piaffent devant la porte. Ouvrir des négociations, cela permet de faire plaisir à bon compte.

    La décision peut ainsi n’être qu’un lot de consolation. Ce que le président Zelensky veut avant tout, ce qu’il réclame en multipliant les déplacements à Washington (trois en 2023) et dans les capitales européennes, c’est des armes et de l’argent. Or le Congrès des Etats-Unis s’est séparé en décembre sans voter l’enveloppe de 61 Md$ que Joe Biden réclamait pour Kiev et les Européens ne se sont pas mis d’accord pour débloquer l’aide de 50 Md€ convoitée par l’Ukraine. Les premiers, les Etats-Unis, considèrent que la stabilité du Moyen Orient recèle des enjeux bien plus importants pour leurs propres intérêts que la couleur du drapeau flottant sur le Donbass ; les seconds, les Européens, ont déjà puisé autant qu’ils le pouvaient dans leurs stocks d’armes et de munitions et n’ont ni les ressources financières, ni les capacités industrielles pour les reconstituer rapidement et continuer leurs générosités.

    Une « victoire pour l’Ukraine, pour toute l’Europe », vraiment ?

    De toute façon personne ne sait ce qu’il faut entendre ou espérer par « victoire », un concept toujours invoqué mais jamais défini.

    L’important n’est peut-être pas là.

    L’important, c’est tout d’abord, à court terme, de savoir si la décision d’ouvrir les discussions d’adhésion à l’UE est de nature à enrayer la guerre, à éviter de nouvelles hécatombes et de nouvelles destructions et à convaincre les protagonistes d’échanger des paroles et non plus des obus. A cet égard le « déluge de feu et d’acier » qui, si l’on en croit la presse, s’abat depuis la fin décembre de part et d’autre de la ligne de front, et surtout en Ukraine, suffit à laisser penser que l’ouverture des négociations avec l’UE n’a pas plus d’effet que l’interdiction d’acheter des diamants russes, objet du dernier « paquet » de sanctions européennes. C’est que la Russie, sans le dire, a mis en place une véritable « économie de guerre » alors que les Européens préféraient le dire sans le faire. Qu’on le veuille ou non, et l’échec de la contre-offensive ukrainienne l’a montré, la Russie est aujourd’hui en position de force sur le terrain ; elle le sera peut-être demain aussi dans un nombre croissant de chancelleries et d’opinions publiques gagnées par la lassitude ou privilégiant d’autres conflits. Qui peut penser qu’ouvrir aujourd’hui les négociations d’adhésion de l’Ukraine, c’est à dire se priver sans contrepartie d’un élément important de négociation qui serait précieux dans le cadre d’un futur deal global, a des chances d’amener son ennemi à faire taire ses canons et à venir s’asseoir à la table des négociations ?

    L’important est aussi, à moyen terme, de savoir si cette décision d’ouvrir des discussions d’adhésion est de nature à favoriser un équilibre durable en Europe. Car il faudra bien qu’un jour les parties occidentale et orientale du continent européen s’acceptent l’une l’autre et apprennent à vivre ensemble. Un pays (ou un groupe de pays) qui connaît une paix durable est un pays qui a su trouver avec ses voisins un modus vivendi acceptable par tous : cela correspond rarement à ce que lui-même avait au départ souhaité. Aujourd’hui les deux parties du continent ne commercent plus entre elles, n’ont plus de relations culturelles, ne communiquent plus que par des invectives et des menaces. Sous les yeux d’un « Sud profond » indifférent, qui montre clairement son désintérêt, d’un côté le « monde occidental » cherche avant tout à raffermir ses liens et parler d’une seule voix, celle des Etats-Unis, de l’autre côté la Russie renforce ses liens avec Chine, Turquie, Iran, Corée du Nord, pays qu’il serait préférable d’éloigner, et non de rapprocher, de nos frontières. Dès lors, l’entrée de l’Ukraine dans l’UE favorise-t-elle l’établissement d’une paix durable ou éloigne-t-elle cette perspective ? Est-il judicieux d’accroître de près de 1600 km les frontières avec un pays considéré comme un ennemi menaçant ? En outre V. Poutine, s’il contrôle aujourd’hui solidement son pays, n’est pas éternel.

    La revue Foreign Affairs, dont il est peu probable que la rédaction ait été infiltrée par des hackers russes, a écrit en novembre que « l’Ukraine et l’Occident sont sur une trajectoire insoutenable, caractérisée par une inadéquation flagrante entre les fins et les moyens disponibles… Le temps est venu pour les Etats-Unis d’entamer des consultations…». Plutôt que de se rejeter mutuellement la responsabilité du conflit, plutôt que de répéter à l’envi la nécessité de « gagner la guerre », sans d’ailleurs savoir ce que cela signifie, plutôt que de conforter ceux qui, pour des raisons diverses, ont, dans les deux camps, intérêt à ce que la guerre continue longtemps, n’est-il pas nécessaire de chercher à ouvrir des négociations entre les belligérants et, sans doute, ceux qui les soutiennent ? Les dirigeants européens affirment que Vladimir Poutine n’en veut pas. Qui croira qu’engager la procédure d’adhésion de l’Ukraine à l’UE le fera changer d’avis ?

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 8 janvier)

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  • A quoi sert la France ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré aux causes de l'impuissance diplomatique de notre pays. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

     

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    A quoi sert la France ?

    Il fut un temps où la voix de la France portait haut et fort dans la vie internationale, où ses dirigeants n’hésitaient pas à adopter des positions dérangeantes, où, loin de ne penser qu’au court terme, ils montraient les évolutions auxquelles il fallait se préparer, où ils acceptaient que les pays soient régis par des cultures différentes. Pensons à l’œuvre de décolonisation du Général de Gaulle, à sa volonté de voir la Russie derrière l’Union Soviétique, à son discours de Phnom Penh sur la guerre du Viêt-Nam, à sa reconnaissance de la Chine de Mao ; pensons à la réconciliation franco-allemande et au choix d’une Europe respectueuse des nations et organisée autour de pays dont les cultures et les structures économiques sont proches. Pensons aux déclarations de François Mitterrand lors de la « crise des missiles », à son affirmation selon laquelle les Palestiniens doivent disposer d’un Etat. Pensons au refus de Jacques Chirac de participer à la guerre d’Irak et au discours de Dominique de Villepin devant le conseil de sécurité de l’ONU. Pensons à la politique équilibrée menée avec constance au Moyen Orient pour préserver un dialogue entre les forces en présence.

    Le bilan est impressionnant.

    Mais, depuis trop longtemps déjà, les initiatives de la France sont moins glorieuses. Son intervention en Libye n’aura servi qu’à renforcer la présence des terroristes dans le Sahel et à faciliter l’action des passeurs s’enrichissant sur le dos des migrants. L’Accord de Paris sur le changement climatique obtenu lors de la COP 21 est désormais une référence incontournable dans les discours mais n’a guère ému les plus gros pollueurs de la planète.

    Cette fois, le bilan est bien maigre.

    Le résultat de cette évolution est qu’à présent la France ne joue plus qu’un rôle mineur dans le débat international. Elle est impuissante devant les conflits en cours : elle n’a plus aucune influence sur la guerre en Ukraine, elle n’a pu qu’assister en observatrice à la prise de contrôle du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan, elle n’a plus le poids nécessaire pour œuvrer en faveur d’un dialogue entre les parties-prenantes au conflit du Moyen Orient. Les Etats-Unis et la Chine ne lui accordent pas plus d’importance qu’à n’importe quel autre pays. Son éviction du Sahel montre qu’elle n’impressionne même plus les Etats africains avec lesquels elle a des liens anciens et pour qui elle a combattu. En Europe, la Commission semble davantage sensible aux intérêts allemands qu’aux siens.

    La France a longtemps précédé l’Histoire, aujourd’hui elle ne sait plus, au mieux, que l’accompagner, sans pouvoir influer sur le chemin qu’elle prend.

    Sur le plan diplomatique, la France ne sert donc plus à grand-chose.

    Les causes de cet effacement diplomatique sont nombreuses mais trois semblent avoir joué un rôle majeur :

    – L’incapacité à sortir du consensus diplomatique. La France recherche l’approbation de tous, n’ose plus avoir une voix discordante, considère qu’il faut adhérer aux idées en vigueur, veut être le bon élève de l’« Axe du Bien ». Elle considère que parvenir à un accord est un objectif en soi, quoi que cet accord contienne. Pourquoi, alors, les autres pays s’adresseraient-ils à elle plutôt qu’à d’autres ?

    – L’affaiblissement interne de la France. Celui qui, à l’étranger, entend parler de la France pense grèves, émeutes récurrentes, taux d’endettement excessif, taux de prélèvements obligatoires record, insécurité, saleté de Paris. Dès lors, quel pouvoir d’attraction la France peut-elle avoir, quelle légitimité a-t-elle pour conseiller les autres pays ?

    – L’élargissement continu de l’Union européenne et la volonté de doter la Commission de pouvoirs sans cesse accrus. La nature de la construction européenne a changé ; jusqu’alors il s’agissait de conjuguer les capacités de pays ayant des intérêts communs mais des personnalités et des atouts différents, dans le but d’élargir leur pouvoir d’influence ; désormais, il s’agit de chercher une position commune acceptable par des pays, de plus en plus nombreux, qui ont des cultures et des intérêts disparates : la seule solution dans ce cas est de rechercher le plus petit commun dénominateur, qui n’est généralement pas grand-chose. Pourtant, un message fort, porté par deux ou trois pays (voire un seul) déterminés et engagés n’aurait-il pas davantage d’influence qu’un message faible, porté par une myriade de pays plus ou moins concernés, plus ou moins convaincus ?

    L’énoncé de ces causes montre ce qu’il faudrait faire pour redresser la barre et retrouver davantage d’influence :

    – Ne pas être prisonnier de la bien-pensance, oser émettre des opinions dissonantes.

    – Redresser le pays, remettre de l’ordre dans ses finances et restaurer l’autorité.

    – Ne pas accepter le dévoiement de la construction européenne, refuser que la Commission s’arroge des attributions que les textes ne lui reconnaissent pas (voir l’Ukraine ou le Moyen Orient), mieux défendre les intérêts du pays quand ils sont en jeu (voir les aberrations de la politique énergétique).

    On peut toujours rêver.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 22 octobre 2023)

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  • Cette France « que le Monde entier nous envie »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la dégradation de la situation politique de la France. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

     

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    Cette France « que le Monde entier nous envie »

    Un pays où le système politique est bloqué ; où les autorités légales prétendent gouverner alors qu’elles ne disposent d’une majorité, ni au Parlement, ni dans l’opinion publique, mais où nulle majorité alternative n’existe ; où les succès et les échecs d’une politique se mesurent au nombre de manifestants, de voitures calcinées et de tonnes d’ordures s’amassant dans les rues.

    Un pays dont l’économie se fragilise continûment ; où l’ampleur des déficits publics place le pays dans la dépendance de créanciers étrangers et met en péril le niveau de vie des générations futures ; où l’on dit vouloir combattre la désindustrialisation après avoir empilé les décisions dégradant la compétitivité des entreprises ; où l’on découvre les vertus de l’énergie nucléaire après avoir tout fait et tout accepté pour devoir s’en passer ; où l’on promeut les véhicules électriques sans s’être assuré de disposer des batteries permettant de les faire fonctionner ni des matériaux permettant de fabriquer des batteries ; où l’on préfère investir dans le luxe plutôt que dans les technologies de souveraineté.

    Un pays où les services publics ont de plus en plus de difficulté à assurer leur mission ; où le système éducatif est bien incapable d’enseigner, d’instruire ou d’éduquer et préfère promouvoir le wokisme ; où certains magistrats sont davantage soucieux d’exprimer leurs engagements politiques que de respecter la loi et où les peines ne sont pas toujours appliquées ; où l’efficacité du service de santé repose sur la bonne volonté de personnels qui se disent harassés. Un pays qui ne sait plus très bien qui il est ; où plus grand monde ne connaît son histoire ni celle des autres ; où tous se proclament démocrates mais où chacun donne à ce concept le contenu qui l’arrange ; où le sens de l’intérêt général est remplacé par le droit de chacun à voir ses envies ou ses intérêts particuliers repris à son compte par la société dans son ensemble ; Telle est aujourd’hui la France.

    Mon propos n’est pas d’accabler une force politique ou d’en vanter une autre, d’autant que toutes portent une part de responsabilité dans la situation actuelle. Il est de m’interroger sur la capacité d’un tel pays à avoir désormais un rôle significatif sur le plan international.

    Quand le Président de la République doit, pour se rendre au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, passer par des chemins détournés pour éviter la presse ; quand le ministre iranien des Affaires étrangères, heureux de retourner les critiques qui lui sont faites, se permet de dire au Président de la République qu’il devrait « écouter la voix de (son) peuple et éviter de faire usage de violence à son égard » ; quand les autorités françaises doivent demander au nouveau souverain britannique, qui avait choisi la France pour effectuer son premier voyage officiel à l’étranger, d’annuler son déplacement ; quand le président de la République éprouve le besoin d’être accompagné par la présidente de la Commission européenne pour exprimer en Chine les positions européennes ; quand on additionne tous ces faits qui sont des anecdotes, mais des anecdotes malheureusement significatives, on se dit que cette capacité est bien amoindrie.

    Comment, dès lors, s’étonner que la voix de la France porte de moins en moins ? Qu’en Europe les intérêts allemands priment souvent sur ceux de la France ? Que les relations avec les Etats-Unis soient passées de la coopération entre alliés à un alignement pur et simple malgré le resserrement continu du contrôle que ces derniers exercent sur l’Europe ? Que pour l’Ukraine la France n’ait pas réussi à engager un dialogue entre les protagonistes ? Qu’en Afrique les pays francophones préfèrent nouer des liens avec le Commonwealth plutôt que développer ceux qui existent avec la France ? Que la France ne joue aucun rôle dans la redéfinition des alliances au Moyen-Orient ? La liste n’est pas exhaustive.      

    Pourtant les dirigeants français passent leur temps à donner des leçons au monde. La France est-elle désormais le pays le mieux placé pour proclamer les principes qu’elle veut faire adopter partout, pour montrer leur excellence et les bienfaits qu’ils apportent aux populations ? Est-elle encore crédible ?

    « La France, combien de divisions ? » Un grand nombre, assurément. Mais ces divisions ne sont pas celles, militaires, qui imposent le respect, ce sont celles qui opposent les individus les uns aux autres, affaiblissent le corps social et mettent en péril la communauté nationale.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 27 mars 2023)

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