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jean d'ormesson

  • Les funérailles de la France blanche...

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Richard Millet, cueillie sur son site personnel et dans laquelle il évoque les funérailles de Jean d'Ormesson et de Johnny Hallyday. On pouvait s'en douter, il n'a pas vraiment aimé...

    Auteur de La confession négative (Gallimard, 2009) et de Tuer (Léo Scheer, 2015), Richard Millet a publié cet automne aux éditions Léo Scheer un roman intitulé La nouvelle Dolorès.

     

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    Les funérailles de la France blanche

    Qu’on ne se leurre pas : enterrés en grandes pompes avec la bénédiction de l’État français, le comte d’Ormesson et le chanteur populaire Hallyday ont toujours été morts. Ils ne représentaient rien d’autre que la mort française, la France étant morte, on le sait, depuis un demi-siècle, Mai 1968 n’ayant rien été d’autre que l’ultime contrecoup de la débâcle de 1940, et l’immigration de masse l’accomplissement voulu par le capitalisme mondialisé.

    L’unanimité nationale, pompeuse, grotesque, hypocrite qui s’est constituée autour de ces deux personnages est donc la version française du nihilisme contemporain. Certains ont trouvé bon d’évoquer la mort de Cocteau, éclipsée par celle de Piaf, en 1963. Cocteau et Piaf sont encore perçus, à l’étranger, et à des degrés différents, comme des représentants de l’esprit français, lequel n’existe plus depuis longtemps. D’Ormesson et Hallyday sont, eux, inconnus hors de l’hexagone : ils ne sont que des parodies, le premier d’une littérature qui s’est réfugiée dans le simulacre, l’autocensure, la police de la pensée, la falsification, et dont le comte d’Ormesson était la version aimable ; le deuxième n’étant que l’« Elvis français », c’est-à-dire rien : l’ersatz local de cet instrument de domination planétaire qu’est la sous-culture yankee, et qui rappelle que la liberté n’est en vérité que jouissance de la condition d’esclave.

    Des « héros », d’Ormesson et Hallyday ? On a ceux qu’on peut, et les « icônes » sont bel et bien des effigies du Démon. Les hommes qu’on a enterrés avec la bénédiction du chef de l’État et de la clique médiatico-littéraire sont, j’y reviens, des symboles de la mort française : la bourgeoisie déculturée se regrette elle-même dans cet homme de lettres certes sympathique mais littérairement sans intérêt, quoiqu’il fût entré dans cette espace de symbolisation culturelle qu’est la Pléiade (comme, avant lui, ces vermicules littéraires que sont le dialoguiste Prévert et l’histrion Boris Vian), tandis que l’autre, « Johnny », non moins sympathique, est pleuré comme un « Dieu » par le « peuple » français, ou par ce qu’il en reste – nul immigré ni descendant d’immigré ne se trouvant à ses funérailles, de la même façon que ces mêmes post-Français ignorent l’existence du comte d’Ormesson, la France américanisée, aliénée, abrutie de rock, de moto, de cannabis et d’athéisme enterrant aussi, en sous-main, un des ultimes représentants de la « vieille France » – la bourgeoisie et le « peuple » devenus l’une et l’autre des zombis sur un territoire qui n’est plus qu’une dépendance de  l’Union européenne.

    Situé entre le royaume islamique de Belgique et celui, anciennement très catholique, d’Espagne, entre l’Allemagne toujours plus luthérienne et une Italie quasi mafieuse, la France est ravagée par la déchristianisation, l’inculture, la médiocrité, le communautarisme, le séparatisme provincial qui s’ajoute à sa provincialisation post-culturelle : elle n’entretient plus que sa propre caricature sous la forme d’écrivains et de chanteurs insignifiants, ou de produits dérivés tels que le très idéologique Louvre d’Abou Dhabi, qui n’est qu’un Disneyland post-culturel aux mains du pouvoir sunnite.

    Ce pays qui ne fait plus que commémorer et enterrer – mais qui a ignoré la mort d’Henri Dutilleux et à peine commenté celle de Pierre Boulez – bannit en revanche les esprits qui continuent à dénoncer le devenir parodique de la culture dans la redéfinition perverse de la « personne humaine », au sein d’un présent où s’agitent des collabos du néant : écrivains et journalistes aussi vulgaires que les « bikers » qui ont descendu les Champs-Elysées, cette prétendue « plus belle avenue du monde » où ils ont défilé, drapeaux américains sur la selle, sous l’œil ému des « Français » qui se croyaient à l’enterrement de Victor Hugo – le pouvoir culturel ayant délivré le message selon lequel culture est désormais passée de Hugo à d’Ormesson, comme de Piaf à Hallyday, avant d’« acter » que les chanteurs chantent maintenant directement en anglais, tandis que le marquis du Clézio, la parolière post-féminine Ernie et le chansonnier Ben Jelloon écrivent dans un sous-français automatiquement traduit « vers » l’anglais par une plateforme de traduction située au Bengladesh.

    Le même soir, je suis descendu dans un des rares endroits où s’est réfugié le réel : le RER – ce réseau électif de la réalité. On y est confronté à l’abomination sociale, morale, ethnique, écologique. Cette nuit-là, à la station Gare-de-Lyon, je me tenais le plus loin possible des humanoïdes qui attendaient le train – tout près d’un haut chariot chargé de poubelles transparentes (car même les « sacs poubelles » doivent être transparents, voire « démocratiques »). J’en admirais le contenu comme on peut le faire d’une « pièce » d’art contemporain : gobelets, emballages de sucreries et de kebabs, journaux gratuits, paquets de cigarettes vides, gants perdus, mouchoirs en papier – mais pas de bébé mort). Le balayeur africain me regardait en souriant : « En Afrique, ces déchets vaudraient de l’or », m’a-t-il dit, en un français bien meilleur que celui de deux pouffes blanches dont j’avais fui jusqu’à la voix. « Oui, c’est le monde à l’envers ; ou c’est le nouvel ordre du monde », ai-je répondu avant qu’il n’aille chercher d’autres poubelles, me laissant devant ces déchets somme toute plus estimables que mes contemporains.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 10 décembre 2017)

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  • Feu sur la désinformation... (165)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias et dirigée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, avec le concours d'Hervé Grandchamp.

    Au sommaire :

    • 1 : Johnny-d’Ormesson collision d’hommages
      Johnny Hallyday meurt au lendemain de la mort de Jean d’Ormesson. Collision, embouteillage d’hommages pour les chaines d’info en continu. Deux messes françaises qui ont totalement occulté le reste de l’information.
    • 2 : Le Zapping d’I-Média
      Barack Obama encore et toujours une star. Alors que le président américain Donald Trump est toujours autant critiqué dans les médias, malgré ses dernières victoires politiques (immigration , réforme fiscale), l’ancien président américain reste le chouchou des médias. Voix enjouée, œil pétillant, le lancement de l’émission « l’œil de Salhia » sur BFM est digne d’une pop star : « Il était là ce week-end, en chair et en os, le 44ème président américain ».

    • 3 : Mélenchon et les médias : contre, tout contre
      Jean-Luc Mélenchon lance une pétition pour créer un « tribunal des médias ». Au lendemain de son passage dans l’émission politique de France 2, le président du mouvement La France Insoumise reproche à la presse de manipuler l’information ; pour lui, « Léa Salamé est une personne sans foi ni loi ». Un désamour qui relève d’abord de la stratégie politique.
    • 4 : Les tweets de la semaine
      Une vidéo sur l’immigration, postée sur le compte du ministère de l’intérieur polonais a subi une censure de Youtube. La plateforme de vidéo a déréférencé la vidéo : impossible de trouver la vidéo, ni dans les résultats de recherche, ni dans les vidéos suggérées.
    • 5 : France Télévisions : la normalisation continue
      France Télévisions dans la tourmente : coupes budgétaires, motion de défiance contre Delphine Ernotte, Les journalistes de France Télévisions sont en colère ; une colère ravivée par la dernière déclaration du président Macron : « l’audiovisuel public est la honte de la République ».

     

                                        

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  • Suffirait-il d'aller gifler Jean d'Ormesson pour arranger un peu la gueule de la littérature française ?...

    Les éditions Pierre-Guillaume de Roux publient cette semaine un pamphlet de Romaric Sangars intitulé Suffirait-il d'aller gifler Jean d'Ormesson pour arranger un peu la gueule de la littérature française ?... Journaliste et critique littéraire, Romaric Sangars anime avec Olivier Maulin le Cercle Cosaque.

     

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    "« Se montrent ici tous les signes du sacrilège : on brade l’excellence, on transige à tous les degrés, on laisse l’Everest aux touristes . Car qu’incarne Jean d’Ormesson ? Tout compte fait presque rien. Ce qu’il a produit n’est qu’un incessant bavardage dénué du moindre style mais glaviotant avec gourmandise une érudition de surface n’ayant d’autre effet que de se donner un air philosophe et charmant à l’heure du thé, entouré de trois vieilles filles du centre-droit, sans s’apercevoir, ravi de gloussements divers, qu’à l’extérieur : le monde s’écroule. Surtout, cette littérature-tapisserie dont les motifs se trouvent si mal à propos se tricote à partir des pelotes les plus tièdes. Dès qu’il est question de gouffre ou de points fondamentaux, Jean d’Ô s’éclipse, sceptique, avec un sourire poli, et s’en va prendre le thé ailleurs. S’il s’agissait d’insouciance... Mais dans les circonstances qui sont les nôtres, ça confinerait presque à la lâcheté. Et nous crevons de cette lâcheté. Aussi faudrait-il voir à éviter de continuer à épingler des médailles au revers de ceux qui s’y replient avec tant de fatuité . Quoi qu’il en soit, grevée de Jean d’Ormesson, il est évident que la souveraineté de La Pléiade, l’une des dernières institutions à témoigner de la haute vocation littéraire et normative française, se trouve sérieusement abaissée, et l’on ne peut attribuer complètement au hasard le fait que ce nouvel abaissement d’une souveraineté se trouve lié au descendant d’un régicide... »"

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  • Marc Lévy et Victor Hugo...

    Nous reproduisons ci-dessous la dernière chronique de Richard Millet, cueillie sur son site et consacrée à la dégénérescence des goûts culturels des Français. Cruel et réjouissant...

    Auteur de nombreux romans, récits et essais, Richard Millet vient de publier récemment le Dictionnaire amoureux de la Méditerranée (Plon, 2015) et Solitude du témoin - Chronique de la guerre en cours (Léo Scheer, 2015).

     

     

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    Henri Dutilleux

     

    Marc Levy et Victor Hugo

    Eclairant, le sondage réalisé pour Le Figaro sur les goûts littéraires des Français : d’après cette consultation para-démocratique (un sondage ayant valeur de journal quasi-officiel), il ressort que les écrivains préférés des Français sont, pour les vivants, Marc Levy, Jean d’Ormesson, Guillaume Musso, Max Gallo et Amélie Nothomb. Pour les morts : Victor Hugo, Marcel Pagnol, Jules Verne…

    Si ce sondage est reçu sans sourciller par le monde littéraire comme par les honnêtes gens, c’est que la cause est entendue : la « littérature française » est une grande famille sympa et tolérante, qui ne saurait exclure personne ni stigmatiser aucun de ses membres, appartinssent-ils à la sous-littérature, comme c’est le cas de quatre des cinq premiers écrivains vivants – d’Ormesson étant un cas à part, un écrivain sans importance, qui représente une littérature bourgeoise depuis longtemps disparue, et justement aimé pour cela : le Paul Bourget de notre temps, le corpus ormessionnien pouvant se ranger sous ce générique : Mon dernier pet sera pour vous, le comte d’Ormesson étant d’ailleurs appelé à bientôt péter dans la soie de la Pléiade, c’est-à-dire plus haut que son cul.

    Dans ce « peloton de tête », on s’étonnera de ne trouver ni Das Klezio ni Modiano, pourtant nobélisés, non plus qu’aucun représentant de la « diversité » ethnique ou sexuelle – la femme Nothomb sauvant l’honneur de l’ex-« beau sexe » devenu le sexe fort et puissamment représenté dans la production romanesque. Sans doute est-on allé au plus lisible, les « Français » ayant donné là leurs « coups de cœur », encore que Levy et  Musso soient l’exemple même de l’illisibilité contemporaine.

    La même confusion vaut pour la liste des morts, qui mêle trois degrés de l’échelle littéraire. Gageons que, de Hugo, on ne connaît plus que des résumés des Misérables, peut-être Ruy Blas revu par Oury et de Funès, et quelques poèmes. Jules Verne est, lui, aussi un véritable écrivain, sans doute inclassable. Quant à Pagnol, c’est un bon cinéaste.

    Nous touchons donc le fond : la faute en incombe non seulement à la presse dite littéraire qui s’emploie à mettre sur le même plan tous les « auteurs » afin de les faire accéder au statut d’écrivains, mais aussi à l’Education nationale qui, non contente de ne plus fournir d’échelle historique aux élèves, réduit leur jugement esthétique à la binarité « j’aime/j’aime pas », laquelle interdit évidemment toute évaluation critique qui puisse être vécue comme stigmatisante.

    Il en va de ce sondage comme des « personnalités préférées » des Français : on en a honte – et l’un des effets de cette honte est d’empêcher qu’on se sente encore français. Comment être, en effet, le concitoyen de Marc Levy et de Yannick Noah ? Imaginons un étranger lisant le résultat de ces sondages : il constatera que la France n’existe plus ; et il aura raison. Autant être maltais, chypriote ou australien.

    Dans le même temps, de bons musulmans afghans tuaient à coups de pied une femme accusée d’avoir profané le coran, de bons sunnites abattaient 142 mauvais chiites dans des mosquées de Sanaa, et la mémoire d’Henri Dutilleux, un des plus grands compositeurs du XX° siècle, était de nouveau offensée par le pouvoir socialiste, qui a décidément du mal avec lui : l’auteur de Métaboles et de Timbre Espace Mouvement (titres élitistes, discriminatoires !) avait eu le mauvais goût de mourir, en 2013, le même jour que le chansonnier Georges Moustaki, ce qui explique qu’il n’y ait eu, à ses obsèques, pas même un sous-secrétaire d’Etat. J’ignore par ailleurs si le pouvoir moustakiste a dépêché quelqu’un aux obsèques de Demis Roussos… Le cas Dutilleux n’est cependant pas réglé : un certain Christophe Girard, commissaire politique de la mairie de Paris, vient d’empêcher qu’on appose une plaque commémorative sur la maison habitée par le compositeur, dans l’île Saint-Louis, sous le prétexte que Dutilleux a composé, au temps du Maréchal, la musique d’un film destiné à la jeunesse vichyste. Suggérons à ce fasciste culturel d’étendre son prurit épuratif à tous les lieux parisiens portant les noms d’Aragon, d’Eluard, de Beauvoir, de Sartre et de tous ceux qui se sont compromis avec le totalitarisme communiste ou qui ont été joués sous l’Occupation : ce ne serait que justice. Il est vrai que la schizophrénie politique de gauche se double d’une volontaire confusion des valeurs qui rend possible le sondage du Figaro ou le fait que la première manifestation de la Philharmonie de Paris, grandiose salle vouée à la musique classique, soit une exposition consacré à David Bowie, qui est à la musique ce que les romanciers post-littéraires sont à la vraie littérature. A-t-on par ailleurs vu les écrivains bowifiés protester contre l’affront posthume fait à Dutilleux? Ils ne savent même pas qui est ce compositeur. Tel est l’état de la culture, en France.

    La plaque commémorative consacrée à Dutilleux portait ce texte : « Compositeur de musique contemporaine », autant dire : « Passant, oublie Dutilleux, il composait une musique inaudible du bon peuple métissé, post-moderne, démocratique »… Au moins le compositeur aura-t-il échappé à ce ridicule.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 21 mars 2015)

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  • Quand Richard Millet repasse par la station Châtelet-Les-Halles...

    "Je prends quotidiennement le RER, pour moi la station Châtelet-Les-Halles à six heures du soir c'est le cauchemar absolu, surtout quand je suis le seul blanc. Est-ce que j'ai le doit de dire ça ou pas ?" Richard Millet, Ce soir ou jamais, 7 février 2012

     

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Richard Millet, cueillie sur son site personnel et consacrée au complexe commercial et ferroviaire de Châtelet-les-Halles. Ecrivain et polémiste, Richard Millet a récemment publié Le corps politique de Gérard Depardieu (Pierre Guillaume de Roux, 2014) ainsi qu'un hommage au compositeur finlandais Sibelius, intitulé Sibelius - Les cygnes et le silence (Gallimard, 2014).

     

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    Retour à Châtelet

     

    Je n’aime pas déchoir ; c’est pourquoi j’évite autant que je le peux le complexe commercial et ferroviaire de Châtelet-les-Halles, à la célébrité duquel j’ai pourtant contribué en révélant combien il m’arrive de m’y sentir ontologiquement seul, préférant donc au RER le métro et, malgré la distance, la marche dans le bois de Vincennes où les corneilles criaillent sur les ruines de notre civilisation, m’avait dit, la veille, une blonde jeune femme.

    La civilisation française est morte à Châtelet-les-Halles, penserais-je, le lendemain soir, vers six heures, au moment où, faute d’autre solution, je suis entré dans le grand remugle humain, toutes races et ethnies confondues en un corps fiévreux et en quête de légitimité sociale, tandis que j’examinais sincèrement si je n’étais pas la proie d’une de ces « crispations » que les dévots stigmatisent par l’épithète d’« identitaires », prônant ainsi un état idéal qu’on peut appeler post-identitaire, pour bien se démarquer des « crispés » encore porteurs des cellules-souches héritées d’Athènes et de Jérusalem.

    Ce qui m’a frappé, ce soir-là, c’est l’hébétude générale. Ce laboratoire post-racial, cet accélérateur de particules multiculturelles, cet utérus de l’inversion radicale de toutes les valeurs ne parvenait qu’à produire cet état si caractéristique de  la servitude contemporaine dans quoi l’humain s’oublie au point de se sourire à lui-même, au sein d’un grouillement babélien où chacun ignore autrui tout en le surveillant du coin de l’œil et en redoutant de se laisser assimiler par le corps mystique de la nation française, lequel est pourtant mort. J’étais descendu dans un des cercles de l’enfer mondialisé, avec ses damnés frénétiques ou absents, ses sourcilleux djihadistes, ses brebis trottinant d’un pas morne, ses victimes en quête d’un épisode sacrificiel, et nombre de narcissistes, hommes, femmes, enfants, humanoïdes moins soucieux de liberté que d’un surcroît de servitude, pensais-je en remontant vers l’air libre, non sans avoir cherché du regard les gardes rouges de l’antiracisme – incultes écrivains qui, à la suite de l’émission de télévision où j’avais, j’y reviens, évoqué ma détresse à me sentir quelquefois le seul blanc en ce lieu, entendent prouver que je me trompe et que, contre l’évidence, l’« écrasante majorité » non-européenne demeure une « minorité », nonobstant le fait que je m’y retrouve, moi, le minoritaire par excellence, mais sans le « droit » de le dire, un des acteurs officiels du régime m’ayant en outre assuré, lors de cette émission, avec une compassion d’homme de cour, que rien ne lui était plus agréable que de descendre au plus profond de ces entrailles.

                Ces collabos postmodernes n’étaient sans doute pas de service, ce soir-là, ou bien écoutaient-ils le chef de l’Etat discourir, à la Porte Dorée, sur les bienfaits de l’immigration. J’ai bientôt fait sonner le granit du pont Neuf où soufflait un vent froid qui m’a délivré des miasmes. J’ai salué la statue d’Henri IV devant laquelle une espèce de fou tempêtait contre le gouvernement, un exemplaire de Vingt mille lieues sous les mers dans une main, dans l’autre une boîte de raviolis. J’ai préféré regarder, brillant dans la lumière des phares, les jambes soyeuses d’une passante, en hommage à Baudelaire qui a tout dit, en matière de désir comme en politique. Le quai de Conti est plutôt sombre, la nuit, quand on débouche du pont et qu’on le prend sur la droite. La nuit semble même s’y approfondir, ai-je pensé, devant l’hôtel de la Monnaie où se tenait une exposition consacrée à l’ « usine à chocolat » de Paul McCarthy, mouleur de sex toys et gonfleur de ballons dont l’un a récemment connu la gloire d’un détournement néo-situationniste, place Vendôme : une débandade, un fiasco, eût dit Stendhal, un renvoi à l’air du temps, un pet silencieux. Il était d’ailleurs là, ce godemiché sodomique, au premier étage du vénérable hôtel, dans sa verte et discrète gloire, auprès d’un autre gonflage rouge en forme d’étron dressé sous les lambris et les lustres, tandis que Koons, autre industrieux gonfleur, ce qui montre bien la dimension propagandiste du Culturel, exposait non loin de là, au Centre Pompidou, ses chiens constitués de préservatifs noués ensemble, dont un de la « Pinault collection » (ce qui est mieux, nous sommes en France, n’est-ce pas, que la collection Pinault), Koons enculant néanmoins McCarthy quant à la notoriété et à l’argent, constatais-je, depuis le quai venteux, avant de reprendre ma marche et d’arriver devant la statue de Condorcet, entourée par deux étages de blancs bâtiments de type Algeco qu’un puissant projecteur éclairait en donnant à l’auteur du Mémoire sur le calcul des probabilités et des Réflexions sur l’esclavage des nègres l’air, à contre-jour, debout sur le piédestal, d’un Terminator qui eût débarqué non pas du futur mais d’un passé oblitérant tout futur, parce que celui-ci a déjà lieu dans la catastrophe civilisationnelle au cours de laquelle on renie toute forme d’héritage au profit d’un hédonisme ludique et absoluteur, répondais-je à Elie qui m’attendait devant l’Institut de France dont la coupole, pourrait-on lire dans un roman de Jean d’Ormesson, brillait sous une lune éclairant d’un jour blafard la place en hémicycle, déserte, balayée par le vent, en face de la passerelle des Arts aux rambardes surchargées de cadenas aussi clos et insignifiants que le temps où vivent les amoureux venus signaler là leur existence par cet « accrochage » koonsien, penserais-je, quelques heures plus tard, après avoir dîné au Voltaire, en-dessous de l’appartement où est mort l’auteur de l’Essai sur les mœurs, et où j’avais dîné, deux ans auparavant, exactement, en compagnie de Jacques Vergès qui désirait me connaître, après qu’une meute de chiens excités par une romancière à face de vieille fesse, m’eut accompagné aux lisières des forêts intérieures.   

                Un dîner raffiné, au cours duquel Vergès me disait, entre autres choses, que Robespierre n’aurait pas toléré qu’on manquât à la syntaxe, murmurait-il en levant son cigare dans une pénombre qui sentait la fin d’un temps, m’étais-je dit en pensant que c’était le seul point sur lequel je donnerais raison à Robespierre, ce maître de la mort française, comme je me le redirais en quittant le Voltaire, cet autre soir, pour déboucher sur le quai qui porte son nom et gagnant l’autre rive afin de longer le Louvre, sur le quai qui porte le nom de Mitterrand, autre fossoyeur de la France. La décadence de ce pays se lit aussi dans le nom des quais et des rues, et Paris est une ville morte, la capitale de l’insignifiance française et du renouvellement d’un peuple par son contraire, disais-je à Elie que j’ai laissé au pont Neuf pour me diriger vers le grand collecteur des Halles, où je suis descendu entre des clochards et de très jeunes filles qui défiaient le froid, jusqu’au quai quasi désert du RER où une équipe d’ouvriers vêtus de combinaisons blanches et de casques intégraux s’apprêtait à désosser le revêtement mural de la station, quelques lettres du nom Châtelet étant déjà tombées de sorte que le nom devenait une énigme archéologique, sous l’œil résigné de quelques Chinois, de Tamouls et d’Africains, ces frères humains qui, comme moi, attendaient l’ultime convoi de la nuit.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 18 décembre 2014)

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  • La France serait-elle suicidaire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous l'appel d'un collectif d'écrivains et de philosophes, publié dans Le Monde (9 février 2012), qui prend la défense des humanités et de la culture générale, forcément inutiles dans un monde dominé par l'idée de rentabilité...

     

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    En renonçant aux humanités classiques, la France renonce à son influence

    Est-ce que la France serait devenue suicidaire ? En quelques mois, plusieurs sentences sans appel sont tombées, sans qu'on sache vraiment qui est à la manoeuvre : suppression de la culture générale à l'entrée de Sciences Po ; invention, digne des Monty Python, d'un concours de recrutement de professeurs de lettres classiques sans latin ni grec ; disparition de l'enseignement de l'histoire-géographie pour les terminales scientifiques...

    Autant de tirs violents, sans semonce, contre la culture et contre la place qu'elle doit occuper dans les cerveaux de nos enfants et des adultes qu'ils seront un jour. Une place qu'on lui conteste aujourd'hui au nom du pragmatisme qu'impose la mondialisation. Mais quel pragmatisme, au moment où, partout dans le monde, de la Chine aux Etats-Unis, l'accent est mis sur la culture et la diversité de l'éducation, le fameux soft power ?

    En bannissant des écoles, petites ou grandes, les noms mêmes de Voltaire et de Stendhal, d'Aristote et de Cicéron, en cessant de transmettre le souvenir de civilisations qui ont inventé les mots « politique », « économie », mais aussi cette magnifique idée qu'est la citoyenneté, bref, en coupant nos enfants des meilleures sources du passé, ces « visionnaires » ne seraient-ils pas en train de compromettre notre avenir ?

    Le 31 janvier s'est tenu à Paris, sous l'égide du ministère de l'éducation nationale, un colloque intriguant : « Langues anciennes, mondes modernes. Refonder l'enseignement du latin et du grec ». C'est que l'engouement pour le latin et le grec est, malgré les apparences, toujours vivace, avec près de 500 000 élèves pratiquant une langue ancienne au collège ou au lycée. Le ministère de l'éducation nationale a d'ailleurs annoncé à cette occasion la création d'un prix Jacqueline de Romilly, récompensant un enseignant particulièrement novateur et méritant dans la transmission de la culture antique. Quelle intention louable !

    Mais quel paradoxe sur pattes, quand on considère l'entreprise de destruction systématique mise en oeuvre depuis plusieurs années par une classe politique à courte vue, de droite comme de gauche, contre des enseignements sacrifiés sur l'autel d'une modernité mal comprise. Le bûcher fume déjà. Les arguments sont connus. L'offensive contre les langues anciennes est symptomatique, et cette agressivité d'Etat rejoint les attaques de plus en plus fréquentes contre la culture dans son ensemble, considérée désormais comme trop discriminante par des bureaucrates virtuoses dans l'art de la démagogie et maquillés en partisans de l'égalité, alors qu'ils en sont les fossoyeurs.

    Grâce à cette culture qu'on appelait « humanités », la France a fourni au monde certaines des plus brillantes têtes pensantes du XXe siècle. Jacqueline de Romilly, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Lucien Jerphagnon, Paul Veyne sont pratiqués, cités, enseignés dans toutes les universités du globe.

    A l'heure du classement de Shanghaï et dans sa tentative appréciable de donner à la France une place de choix dans la compétition planétaire du savoir et de la recherche, la classe politique semble aveuglée par le primat accordé à des disciplines aux retombées économiques plus ou moins aléatoires.

    Le président de la République, pour qui les universités américaines constituent un modèle avoué, devrait méditer cette réalité implacable, visible pour qui fréquente les colloques internationaux ou séjourne durablement aux Etats-Unis. Que ce soient les prestigieuses universités de l'Ivy League (Harvard, Yale, Princeton...) ou celles plus modestes ou méconnues d'Iowa ou du Kansas, toutes possèdent leur département de langues anciennes.

    Comment l'expliquer ? Par cette simple raison qu'une nation puissante et ambitieuse ne s'interdit rien et surtout ne fait aucune discrimination entre les disciplines, qu'elles soient littéraires ou scientifiques. Ce fameux soft power, ou « puissance douce », consiste à user d'une influence parfois invisible, mais très efficace, sur l'idéologie, les modes de pensée et la politique culturelle internationale. Les Etats-Unis, en perte de vitesse sur le plan économique, en ont fait une arme redoutable, exploitant au mieux l'abandon par l'Europe de cet attachement à la culture.

    Pour Cicéron, « si tu ne sais pas d'où tu viens, tu seras toujours un enfant. » C'est-à-dire un être sans pouvoir, sans discernement, sans capacité à agir dans le monde ou à comprendre son fonctionnement.

    Voilà la pleine utilité des humanités, de l'histoire, de la littérature, de la culture générale, utilité à laquelle nous sommes attachés et que nous défendons, en femmes et hommes véritablement pragmatiques, soucieux du partage démocratique d'un savoir commun.

    Romain Brethes, Barbara Cassin, Charles Dantzig, Régis Debray, Florence Dupont, Adrien Goetz, Marc Fumaroli, Michel Onfray, Christophe Ono-dit-Biot, Jean d'Ormesson, Erik Orsenna, Daniel Rondeau, Jean-Marie Rouart, Philippe Sollers et Emmanuel Todd sont écrivains et philosophes

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