C'est pourquoi sa maîtrise économique importe. Parvenir à développer les techniques fondamentales, les processus scientifiques et les marchés naissants est un enjeu crucial. L'exemple de l'Internet le prouve : avoir laissé à d'autres la création des outils numériques a provoqué une forte dépendance économique et à l'anémie industrielle.
Tous ceux qui connaissent un peu l'1A et aussi l'IA dite avancée savent que celle-ci est bien plus que ce qu'en a dit Emmanuel Macron. Elle est désormais associée à toutes les sciences et techniques, civiles et militaires. Beaucoup considèrent que le monde de demain sera globalement numérique ou artificiel. Le rapport Villani dit à peu près la même chose 1).
Comme nous l'avons souvent signalé ici, Google se veut, en association avec le département américain de la défense, le maitre du futur Univers global. Il investit des sommes considérables sur l'IA, en rachetant pour ce faire la plupart des laboratoires et start-up européens et français du domaine.
Or du discours d'Emmanuel Macron il est ressorti que la France, sous sa présidence, investira d'ici 2022 la somme ridicule de 1,5 milliard d'euros supplémentaires. En moyenne, ce seront 3,75 % d'augmentation de l'ensemble des dépenses publiques d'innovation. Cet argent était déjà promis par François Hollande. Rappelons qu'en dehors de Google cité plus haut, les investissements de recherche d'Amazon s'élèvent à 16 milliards d'euros par an.
La France renonce
Le constat est malheureusement clair : la France renonce à jouer les premiers rôles dans la bataille mondiale de l'IA qui se déroule actuellement. Elle y renonce au nom de la « bonne gestion » et de la « maîtrise des dépenses publiques » Macron compte apparemment, en bon élève de la Banque Rothschild, sur le secteur privé : 310 millions d'euros pour l'amorçage de start-up dans le secteur, mise à disposition des données du secteur public de la santé, encouragement des chercheurs du secteur public à obtenir des détachements jusqu'à la moitié de leur temps de travail pour créer leur entreprise.
Il ne veut pas voir que tous les investissements de recherche en IA, autres que ceux des GAFA américaine ont été faits en Europe à partir de fonds et projets publics
La France d'Emmanuel Macron a donc décidé de servir de lieu de sous-traitance aux géants privés américain du secteur de l'IA. Mais les grands groupes privés multinationaux feront leurs choix d'implantation et de recherche en fonction de leurs intérêts. La place de la France dépendra de trois critères : le coût du travail, un niveau d'imposition faible et un flux de subventions publiques déguisées. L'augmentation des salaires des chercheurs français, comme le recommande le rapport Villani, ne sera pas leur priorité. Les meilleurs continueront donc naturellement d'aller proposer leurs services ailleurs, et notamment chez les donneurs d'ordre des sites français.
De plus, l'appel à la création de start up en IA par de jeunes chercheurs correspond à un pillage organisé des compétences – quand il en reste – du secteur public. Souvent, celles-ci vivent du transfert de technologies développées initialement dans la sphère publique vers des grands groupes privés. Le chercheur développe son idée avec les moyens publics, créé sa société et la développe en conservant un pied dans le public, puis la revend aux géants étrangers du secteur.
Le gouvernement a salué la création par Google et l'École polytechnique d'une chaire consacrée à l'IA. Qui profitera de cette chaire ? Avant tout Google qui dirigera dans son propre intérêt la recherche, qui disposera d'un vivier de chercheurs et qui profitera des dépenses publiques de recherche. Mais Google ne produira et n'agira que là où il pourra maximiser son profit. Avec ce type de partenariat, mais aussi avec la création de centres de recherche de Samsung ou Fujitsu, la France accepte d'être sous-traitant de ceux qui dominent déjà le secteur.
Faut-il rappeler l'entrée massive de Microsoft dans l'institut de recherche publique français INRIA ? En a-t-il résulté une avance quelconque de la France dans le domaine de la micro-informatique ?
La stratégie du gouvernement n'est pas étonnante : elle consiste à privilégier les mécanismes du marché et renoncer à l'action de l'État. En matière d'IA ceci annonce une défaite de plus dans cette bataille fondamentale pour l'avenir de l'humanité. Ce n'est pas la stratégie, on le constate aujourd'hui, de la Chine ni même, avec des moyens plus modestes, de la Russie.
Le monde de demain sera américain, chinois et russe, mais la France n'y aura pas de place.
Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 30 mars 2018)