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  • Ellul l'intraitable...

    Les éditions Lemieux viennent de publier un essai d'Edouard Schaelchli intitulé Ellul l'intraitable. Enseignant puis berger, Edouard Schaelchli est l'auteur de Jean Giono - Pour une révolution à hauteur d'homme (Le passager clandestin, 2013), une anthologie consacrée au grand écrivain de Manosque,  dont il est un spécialiste.

     

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    " Se plonger dans ­l' œuvre et la vie de Jacques Ellul, c'est emprunter mille chemins : aborder le résistant et le Juste, le ­compagnon de route de la décroissance, le porteur ­d'une ambition critique radicale qui impressionnèrent Bernanos et Debord, mais aussi le protestant ­converti et ­s'inventant un christianisme très particulier, le " rhinocéros intellectuel " qui fonce sur tout ce qui bouge, le pessimiste résolu dans une société qui veut le Bien à tout prix. Mais aussi le duo intellectuel et virtuose formé avec Bernard Charbonneau et celui, théologien, formé avec Jean Bosc. Edouard Schalchli campe (et discute) le portrait – surtout pas ­l'hagiographie – de ­l'un des philosophes les plus impressionnants du XXe siècle. Et surtout ­s'interroge : ­comment être ellulien après Jacques Ellul ? "

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  • Fontenoy ne reviendra plus...

    Les éditions Stock viennent de publier Fontenoy ne reviendra plus, ouvrage de Gérard Guégan consacré à Jean Fontenoy, journaliste, aventurier et romancier des années 30, passé du communisme au fascisme, qui s'est suicidé à Berlin en avril 1945, désespéré par la défaite de l'Allemagne.

    L'auteur, qui a créé les éditions Champ libre avec Gérard Lebovici, est une des figures de l'ultra-gauche des années 70 et est, notamment l'auteur de Debord est mort, Le Che aussi. Et alors ? Embrasse ton amour sans lâcher ton fusil (Librio, 2001).

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    "« Comme je viens d’une époque, voire d’un monde, où chacun jurait de rester éternellement fidèle à ses convictions, je me suis souvent demandé pourquoi tant de figures énergiques avaient ensuite, et sans trop tarder, tourné la page de leur jeunesse. Cette question – qu’est-ce qui pousse un homme à changer de camp, à passer, par exemple, de la gauche la plus enragée à la droite la moins clémente ? – a fini par m’obséder. J’aurais pu en tirer la matière d’un pamphlet si ce n’est que je voulais toucher au-delà du cercle des convaincus. Aussi ai-je ressuscité un écrivain du siècle dernier, Jean Fontenoy, qui, pour reprendre le mot de Malraux, fut partout où cela comptait, tout du moins dans ses 20 ans : la Grande Guerre, Dada, Octobre, Maïakovski, Lénine et Trotski, Moscou et Shangai, etc. Or, lui qui était né pauvre, que l’école de la République avait su distinguer et dont les livres avaient séduit aussi bien Kessel que Colette, Blanchot que Céline, voilà que, contre toute attente (il avait dénoncé le nazisme dès 1933), il se fit soudain fasciste. Quelques années plus tard, non sans logique (et aussi par haine de la lâcheté), il ne lui resterait plus qu’à partir se suicider dans Berlin assiégée par l’Armée rouge. 
    Reste que je n’ai écrit Fontenoy ne reviendra plus que pour comprendre de quoi nous sommes faits et à quoi tiennent nos destinées. Et nos refus. » Gérard Guégan

    Ni récit ni biographie, le nouveau livre de Gérard Guégan est porté par une figure si romanesque au destin si tragique qu’il ressemble et se situe avant tout en littérature. C’est le roman de Fontenoy. Ses engagements, ses amours, ses obsessions, ses déguisements, l’histoire d’un homme qu’on rêverait tout à la fois de rencontrer et de fuir, d’aimer et de quitter, comme il n’aura cessé de se quitter lui-même. 
    C’est sans doute bien Brice Parain qui aura donné avant Gérard Guégan sur Fontenoy le sentiment le plus juste : « Il y a eu Jean (Fontenoy). Je n’ai pas eu d’autre ami parce que les autres que j’ai connus étaient ou sont moins honnêtes que lui, je veux dire plus arrangeurs au fond. Arrangeur, il l’était comme vous le dites, mais il n’a pas triché avec la littérature, ou la poésie, comme vous voudrez, il a préféré devenir une crapule plutôt qu’un protégé de Paulhan, c’est tout de même beaucoup. »"

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  • Zone interdite...

    Les éditions de L'Herne viennent de publier Zone interdite, un recueil de textes d'Hakim Bey, célèbre auteur de T.A.Z et inventeur du concept de "Zone Autonome Temporaire". Hakim Bey est le pseudonyme de Peter Lamborn Wilson, écrivain politique et poète américain, influencé par le soufisme et le situationnisme, lecteur de Guénon et de Debord. S'il se réclame d'un "anarchisme ontologique", l'influence de ses écrits a largement dépassé la mouvance anarchisante...

     

     

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    "Babylone se fait haine devant quiconque prend réellement plaisir à la vie, au lieu de seulement dépenser de l'argent en quelque vaine tentative pour acheter l'illusion du plaisir. Si vous ne vous dilapidez pas dans la vacuité de la marchandise, c'est évidemment que vous êtes un tordu et vous devez, par définition, être en train d'enfreindre une loi. Dans cette société, le vrai plaisir est plus dangereux qu'un braquage de banque. Au moins, les braqueurs de banque partagent le respect des masses pour l'argent des masses. Mais vous ! Vous les pervers, vous méritez clairement de mourir sur le bûcher."

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  • Debord et la question des immigrés

    A l'heure où les medias s'agitent autour du pseudo-débat sur l'identité nationale, il paraît intéressant de se pencher sur cette note de Guy Debord, figure de proue du situationnisme et auteur de La société du spectacle, consacrée à la "question des immigrés", et écrite en 1985.

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    "Tout est faux dans la « ques­ti­on des im­mi­grés », ex­ac­te­ment comme dans toute ques­ti­on ou­ver­te­ment posée dans la société ac­tu­el­le ; et pour les mêmes mo­tifs : l’éco­no­mie — c’est-à-dire l’il­lu­si­on pseu­do-​éco­no­mi­que — l’a ap­portée, et le spect­a­cle l’a traitée.

    On ne di­s­cu­te que de sot­ti­ses. Faut-​il gar­der ou éli­mi­ner les im­mi­grés ? (Na­tu­rel­le­ment, le véri­ta­ble im­mi­gré n’est pas l’ha­bi­tant per­ma­nent d’ori­gi­ne étrangère, mais celui qui est perçu et se perçoit comme différent et de­s­tiné à le res­ter. Beau­coup d’im­mi­grés ou leurs en­fants ont la na­tio­na­lité française ; beau­coup de Po­lo­nais ou d’Es­pa­gnols se sont fi­na­le­ment per­dus dans la masse d’une po­pu­la­ti­on française qui était autre. Comme les déchets de l’in­dus­trie ato­mi­que ou le pétrole dans l’Océan — et là on définit moins vite et moins « sci­en­ti­fi­que­ment » les seuils d’intolérance — les im­mi­grés, pro­du­its de la même ges­ti­on du ca­pi­ta­lis­me mo­der­ne, res­te­ront pour des siècles, des millénai­res, tou­jours. Ils res­te­ront parce qu’il était beau­coup plus fa­ci­le d’éli­mi­ner les Juifs d’Al­le­ma­gne au temps d’Hit­ler que les maghrébins, et au­tres, d’ici à présent : car il n’exis­te en Fran­ce ni un parti nazi ni le mythe d’une race au­to­ch­to­ne !

    Faut-​il donc les as­si­mi­ler ou « re­spec­ter les di­ver­sités cul­tu­rel­les » ? In­ep­te faux choix. Nous ne pou­vons plus as­si­mi­ler per­son­ne : ni la jeu­nesse, ni les tra­vail­leurs français, ni même les pro­vin­ci­aux ou vi­eil­les mi­no­rités eth­ni­ques (Cor­ses, Bre­tons, etc.) car Paris, ville détrui­te, a perdu son rôle his­to­ri­que qui était de faire des Français. Qu’est-​ce qu’un cen­tra­lis­me sans ca­pi­ta­le ? Le camp de con­cen­tra­ti­on n’a créé aucun Al­le­mand parmi les Européens déportés. La dif­fu­si­on du spect­a­cle con­centré ne peut uni­for­mi­ser que des spec­ta­teurs. On se gar­ga­ri­se, en lan­ga­ge sim­ple­ment pu­bli­ci­taire, de la riche ex­pres­si­on de « di­ver­sités cul­tu­rel­les ». Quel­les cul­tu­res ? Il n’y en a plus. Ni chréti­en­ne ni musul­ma­ne ; ni so­cia­lis­te ni sci­en­tis­te. Ne par­lez pas des abs­ents. Il n’y a plus, à re­gar­der un seul in­stant la vérité et l’évi­dence, que la dégra­da­ti­on spec­ta­cu­lai­re-​mon­dia­le (améri­cai­ne) de toute cul­tu­re.

    Ce n’est sur­tout pas en vo­tant que l’on s’as­si­mi­le. Démons­tra­ti­on his­to­ri­que que le vote n’est rien, même pour les Français, qui sont élec­teurs et ne sont plus rien (1 parti = 1 autre parti ; un en­ga­ge­ment élec­to­ral = son con­trai­re ;
    et plus récem­ment un pro­gram­me — dont tous sa­vent bien qu’il ne sera pas tenu — a d’ail­leurs enfin cessé d’être déce­vant, de­puis qu’il n’en­vi­sa­ge ja­mais plus aucun problème im­portant. Qui a voté sur la dis­pa­ri­ti­on
    du pain ?). On avouait récem­ment ce chiff­re révéla­teur (et sans doute ma­ni­pulé en baisse) : 25 % des « ci­toy­ens » de la tran­che d’âge 18-25 ans ne sont pas in­scrits sur les lis­tes élec­to­ra­les, par sim­ple dégoût. Les abs­ten­ti­on­nis­tes sont d’au­tres, qui s’y ajoutent.

    Cer­tains met­tent en avant le critère de « par­ler français ». Ri­si­ble. Les Français ac­tu­els le par­lent-​ils ? Est-​ce du français que par­lent les an­alphabètes d’au­jourd’hui, ou Fa­bi­us (« Bon­jour les dégâts ! ») ou Françoise Cas­tro (« Ça t’ha­b­i­te ou ça t’eff­leu­re ? »), ou B.-H. Lévy ? Ne va-​t-​on pas clai­re­ment, même s’il n’y avait aucun im­mi­gré, vers la perte de tout lan­ga­ge ar­ti­culé et de tout rai­son­ne­ment ? Quel­les ch­an­sons écoute la jeu­nesse présente ? Quel­les sec­tes in­fi­ni­ment plus ri­di­cu­les que l’islam ou le ca­tho­li­cis­me ont con­quis fa­ci­le­ment une em­pri­se sur une cer­tai­ne frac­tion des idiots in­struits con­tem­porains (Moon, etc.) ? Sans faire men­ti­on des au­tis­tes ou débiles pro­fonds que de tel­les sec­tes ne rec­rutent pas parce qu’il n’y a pas d’intérêt éco­no­mi­que dans l’ex­ploi­ta­ti­on de ce bétail : on le laisse donc en char­ge aux pou­voirs pu­blics.

    Nous nous som­mes faits améri­cains. Il est nor­mal que nous trou­vi­ons ici tous les miséra­bles problèmes des USA, de la dro­gue à la Mafia, du fast-​food à la pro­liféra­ti­on des eth­nies. Par ex­emp­le, l’Ita­lie et l’Es­pa­gne, améri­ca­nisées en sur­face et même à une assez gran­de pro­fon­deur, ne sont pas mélangées eth­ni­que­ment. En ce sens, elles res­tent plus lar­ge­ment européennes (comme l’AIgérie est nord-​af­ri­cai­ne). Nous avons ici les en­nuis de l’Amérique sans en avoir la force. Il n’est pas sûr que le melting-​pot améri­cain fonc­tion­ne en­core long­temps (par ex­emp­le avec les Chi­ca­nos qui ont une autre lan­gue). Mais il est tout à fait sûr qu’il ne peut pas un mo­ment fonc­tion­ner ici. Parce que c’est aux USA qu’est le cent­re de la fa­bri­ca­ti­on du mode de vie ac­tu­el, le cœur du spect­a­cle qui étend ses pul­sa­ti­ons jusqu’à Moscou ou à Pékin ; et qui en tout cas ne peut laisser au­cu­ne indépen­dance à ses sous-​trai­t­ants lo­caux (la compréhen­si­on de ceci mont­re mal­heu­reu­se­ment un as­su­jet­tis­se­ment beau­coup moins su­per­fi­ciel que celui que vou­d­rai­ent détrui­re ou modérer les cri­ti­ques ha­b­i­tu­els de « l’impéria­lis­me »). Ici, nous ne som­mes plus rien : des co­lo­nisés qui n’ont pas su se révol­ter, les béni-​oui-​oui de l’aliéna­ti­on spec­ta­cu­lai­re. Quel­le préten­ti­on, en­vi­sa­ge­ant la pro­liférante présence des im­mi­grés de tou­tes cou­leurs, re­trou­vons-​nous tout à coup en Fran­ce, comme si l’on nous vo­lait quel­que chose qui se­rait en­core à nous ? Et quoi donc ? Que cro­yons-​nous, ou plutôt que fai­sons-​nous en­core sem­blant de cro­ire ? C’est une fierté pour leurs rares jours de fête, quand les purs es­cla­ves s’in­di­g­nent que des métèques me­na­cent leur indépen­dance !

    Le ris­que d’apart­heid ? Il est bien réel. II est plus qu’un ris­que, il est une fa­ta­lité déjà là (avec sa lo­gi­que des ghet­tos, des af­fron­te­ments ra­ci­aux, et un jour des bains de sang). Une société qui se décom­po­se entière­ment est évi­dem­ment moins apte à ac­cu­eil­lir sans trop de heurts une gran­de quan­tité d’im­mi­grés que pou­vait l’être une société cohérente et re­la­ti­ve­ment heu­reu­se. On a déjà fait ob­ser­ver en 1973 cette frap­pan­te adéqua­ti­on entre l’évo­lu­ti­on de la tech­ni­que et l’évo­lu­ti­on des men­ta­lités : « L’en­vi­ron­ne­ment, qui est re­con­struit tou­jours plus hâti­ve­ment pour le contrôle répres­sif et le pro­fit, en même temps de­vi­ent plus fra­gi­le et in­ci­te da­van­ta­ge au van­da­lis­me. Le ca­pi­ta­lis­me à son stade spec­ta­cu­lai­re rebâtit tout en toc et pro­du­it des in­cen­diai­res. Ainsi son décor de­vi­ent par­tout in­flamma­ble comme un collège de Fran­ce. » Avec la présence des im­mi­grés (qui a déjà servi à cer­tains syn­di­ca­lis­tes sus­cep­ti­bles de dénon­cer comme « gu­erres de re­li­gi­ons » cer­tai­nes grèves ouvrières qu’ils n’avai­ent pu contrôler), on peut être assurés que les pou­voirs exis­tants vont fa­vo­ri­ser le déve­lop­pe­ment en gran­deur réelle des pe­ti­tes expéri­en­ces d’af­fron­te­ments que nous avons vu mises en scène à tra­vers des « ter­ro­ris­tes » réels ou faux, ou des sup­por­ters d’équi­pes de foot­ball ri­va­les (pas seu­le­ment des sup­por­ters ang­lais).

    Mais on com­prend bien pour­quoi tous les re­s­ponsa­bles po­li­ti­ques (y com­pris les lea­ders du Front na­tio­nal) s’em­plo­i­ent à mi­ni­mi­ser la gra­vité du « problème im­mi­gré ». Tout ce qu’ils veu­lent tous con­ser­ver leur in­terdit de re­gar­der un seul problème en face, et dans son véri­ta­ble con­tex­te. Les uns feig­nent de cro­ire que ce n’est qu’une af­fai­re de « bonne vo­lonté an­ti-​ra­cis­te » à im­po­ser, et les au­tres qu’il s’agit de faire re­con­naître les droits modérés d’une « juste xéno­pho­bie ». Et tous col­la­bo­rent pour con­s­idérer cette ques­ti­on comme si elle était la plus brûlante, pres­que la seule, parmi tous les ef­fra­yants problèmes qu’une société ne sur­mon­te­ra pas. Le ghet­to du nou­vel apart­heid spec­ta­cu­lai­re (pas la ver­si­on lo­ca­le, folk­lo­ri­que, d’Afri­que du Sud), il est déjà là, dans la Fran­ce ac­tu­el­le : l’im­men­se ma­jo­rité de la po­pu­la­ti­on y est en­fermée et ab­ru­tie ; et tout se se­rait passé de même s’il n’y avait pas eu un seul im­mi­gré. Qui a décidé de con­strui­re Sar­cel­les et les Min­guettes, de détrui­re Paris ou Lyon ? On ne peut cer­tes pas dire qu’aucun im­mi­gré n’a par­ti­cipé à cet infâme tra­vail. Mais ils n’ont fait qu’exécuter stric­te­ment les ord­res qu’on leur don­nait : c’est le mal­heur ha­b­i­tu­el du sala­ri­at.

    Com­bi­en y a-​t-​il d’étran­gers de fait en Fran­ce ? (Et pas seu­le­ment par le sta­tut ju­ri­di­que, la cou­leur, le faciès.) Il est évi­dent qu’il y en a tel­le­ment qu’il faud­rait plutôt se de­man­der : com­bi­en res­te-​t-​il de Français et où sont-​ils ? (Et qu’est-​ce qui ca­ractérise main­ten­ant un Français ?) Com­ment res­terait-​il, bientôt, de Français ? On sait que la na­ta­lité baisse. N’est-​ce pas nor­mal ? Les Français ne peu­vent plus sup­por­ter leurs en­fants. Ils les en­vo­i­ent à l’école dès trois ans, et au moins jusqu’à seize, pour app­rend­re l’an­alphabétisme. Et avant qu’ils aient trois ans, de plus en plus nom­breux sont ceux qui les trou­vent « in­sup­por­ta­bles » et les frap­pent plus ou moins vio­lem­ment. Les en­fants sont en­core aimés en Es­pa­gne, en Ita­lie, en Algérie, chez les Gi­t­ans. Pas sou­vent en Fran­ce à présent. Ni le lo­ge­ment ni la ville ne sont plus faits pour les en­fants (d’où la cy­ni­que pu­bli­cité des ur­ba­nis­tes gou­ver­ne­men­taux sur le thème « ou­vr­ir la ville aux en­fants »). D’autre part, la con­tra­cep­ti­on est répan­due, l’avor­te­ment est libre. Pres­que tous les en­fants, au­jourd’hui, en Fran­ce, ont été vou­lus. Mais non li­bre­ment ! L’élec­teur-​con­som­ma­teur ne sait pas ce qu’il veut. Il « choi­sit » quel­que chose qu’il n’aime pas. Sa struc­tu­re men­ta­le n’a plus cette cohérence de se sou­ve­nir qu’il a voulu quel­que chose, quand il se re­trou­ve déçu par l’expéri­ence de cette chose même.

    Dans le spect­a­cle, une société de clas­ses a voulu, très systéma­ti­que­ment, éli­mi­ner l’his­toire. Et main­ten­ant on prétend reg­ret­ter ce seul résul­tat par­ti­cu­lier de la présence de tant d’im­mi­grés, parce que la Fran­ce « dis­pa­raît » ainsi ? Co­mi­que. Elle dis­pa­raît pour bien d’au­tres cau­ses et, plus ou moins ra­pi­de­ment, sur pres­que tous les ter­rains.

    Les im­mi­grés ont le plus beau droit pour vivre en Fran­ce. Ils sont les représen­tants de la dépos­ses­si­on ; et la dépos­ses­si­on est chez elle en Fran­ce, tant elle y est ma­jo­ri­taire. et pres­que uni­ver­sel­le. Les im­mi­grés ont perdu leur cul­tu­re et leurs pays, très no­toire­ment, sans pou­voir en trou­ver d’au­tres. Et les Français sont dans le même cas, et à peine plus secrète­ment.

    Avec l’éga­li­sa­ti­on de toute la planète dans la misère d’un en­vi­ron­ne­ment nou­veau et d’une in­tel­li­gence pu­re­ment men­songère de tout, les Français. qui ont ac­cepté cela sans beau­coup de révolte (sauf en 1968) sont mal­venus à dire qu’ils ne se sen­tent plus chez eux à cause des im­mi­grés ! Ils ont tout lieu de ne plus se sen­tir chez eux, c’est très vrai. C’est parce qu’il n’y a plus per­son­ne d’autre, dans cet hor­ri­b­le nou­veau monde de l’aliéna­ti­on, que des im­mi­grés.

    Il vivra des gens sur la sur­face de la terre, et ici même, quand la Fran­ce aura di­s­pa­ru. Le mélange eth­ni­que qui do­mi­ne­ra est imprévi­si­ble, comme leurs cul­tu­res, leurs lan­gues mêmes. On peut af­fir­mer que la ques­ti­on cen­tra­le, pro­fondément qua­li­ta­ti­ve, sera cel­le-​ci : ces peu­ples fu­turs au­ront-​ils dominé, par une pra­tique éman­cipée, la tech­ni­que présente, qui est glo­ba­le­ment celle du si­mu­la­c­re et de la dépos­ses­si­on ? Ou, au con­trai­re, se­ront-​ils dominés par elle d’une manière en­core plus hiérar­chi­que et es­cla­va­gis­te qu’au­jourd’hui ? Il faut en­vi­sa­ger le pire, et com­batt­re pour le meil­leur. La Fran­ce est assurément reg­ret­ta­ble. Mais les reg­rets sont vains."

    Guy De­bord 1985 (in Guy Debord, Correspondance, volume 6  janvier 1979 - décembre 1987)

     

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