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  • Que faire face à la décadence ? Pour une éthique du combat...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Montalte cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la réponse à apporter à la décadence.

     

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    Que faire face à la décadence ? Pour une éthique du combat

    À l’extrême pointe de la civilisation occidentale qu’on peut aussi appeler décadence, un point de jonction se fait avec la barbarie. Comme si le temps s’était mis à rebrousser chemin. On avait Blondin, les cafés parisiens, la virtuosité littéraire, puis plus rien. Les autrices ont débarqué, autrefois nommées bas bleus et nous nous retrouvons en plein salon du XVIIIe siècle au seuil du basculement d’un monde, le style en moins. Hegel : « La frivolité ainsi que l’ennui sont le signe de ce que quelque chose d’autre est en marche. » Les lettres deviennent prétextes à sensibilisation autour de la cause animale, de la dignité des courgettes et de la nécessité d’opérer sa transition sexuelle. Une myriade transcendantale d’absurdités déferle sans discontinuer et nous sommes sommés de valider ces arguties pitoyables. Et si c’était ça le fin mot du progrès ? Une confrontation directe avec ces nanosubstances que sont les idéologues du progrès à la sauce woke est un avilissement hors limites. On ne se bat pas avec le vent. Et c’est ici qu’intervient l’esprit hussard, en pleine barbarie de la déraison idéologique. Faire valser les idéologies pour refondre la substance humaine dans le creuset du concret et du réel. L’amitié, la camaraderie virile, l’insouciance et une bonne dose d’ironie sont les ingrédients phares du nouveau mode de vie auxquels sont contraints – certes avec quelle volupté ! – ceux pour qui ce monde ne fait plus sens. La dérision droitarde, face à l’esprit de plomb des donneurs de leçons de tout poil. Au fond, cette gauche antipathique qui puisait ses références dans l’anticléricalisme et le libertarisme s’est tiré une balle dans le pied en se convertissant au moralisme le plus étriqué. La rigidité cadavérique précède toujours la décomposition. Leur fanatisme est un signe sans ambiguïté : leur fin est proche.

    Le monde dans lequel nous vivons est saturée d’une idéologie néfaste : celle de la création de l’homme par lui-même, de l’extension illimitée de ses possibilités. C’est au fond une vieille histoire qui commence raisonnablement, en apparence, par la proclamation des droits de l’homme et qui aboutit aujourd’hui au délitement de la société par l’individu-roi, insatisfait des bornes imposées à sa nature. Le wokisme en est la locomotive actuellement. Un individu à la psyché torturée peut se proclamer Coréen non-binaire en arborant le physique d’un Caucasien à la barbe hirsute, et susciter l’attention de médias complaisants, alors qu’une thérapie serait de meilleur aloi. Et c’est à l’honnête homme, puisant dans une éthique traditionnelle les règles de sa conduite et de sa pensée qu’il est sommé de rendre des comptes sur sa nocivité congénitale. Nous en sommes rendus au temps des sophistes que combattait Socrate le sage mais avec une démesure prométhéenne sans précédent. L’individu se veut la mesure de toutes choses, le passé doit être aboli par la cancel culture quand il ne satisfait pas aux exigences de la société inclusive. Mais ce que cette société exclut c’est le bon sens, la morale et la structuration symbolique nécessaires au développement de la psyché. En somme, nous créons les conditions d’une rupture totale, d’une implosion de la société par prolifération d’individualités boursouflées et schizoïdes.

    Le chaos, remède ou maladie ?

    Ludwig Wittgenstein a écrit cette formule très belle, quelque peu inquiétante toutefois : « Être philosophe, c’est se situer au sein du chaos primordial et s’y sentir bien. » Voilà un programme peu réjouissant. Mais enfin, le chaos est notre lot à tous, pas seulement par l’inepte quotidien qui nous brasse en tous sens pour atteindre des objectifs dérisoires, mais parce qu’il fait partie de l’air qu’on respire, des émotions qui nous traversent et des pensées qui saccagent notre inconscient profané. Nul ne peut jouir d’une paix durable en ce monde, en dehors des contemplatifs purs. Et pourtant, c’est une aspiration fondamentale de l’être humain. Saint Augustin parlait de « la tranquillité de l’ordre ». Mais lorsque l’ordre n’est plus qu’un chaos absurde contenu de manière purement mécanique, la tranquillité prend le large et nous nargue depuis l’autre rive de la vie. Il faudrait convertir l’âme au chaos, la rendre capable d’y puiser un regain de vitalité, d’énergie et de force. Pour cela, il faudrait qu’elle se règle sur les linéaments tortueux du devenir, afin de doubler le temps dans sa course.

    Ma découverte du chaos et de l’ivresse créatrice qui en découle, lorsqu’on en triomphe, s’est faite très tôt. J’aimais sa manifestation brutale et brève, comme on décharge son agressivité pour se purifier d’une souillure. Il s’est révélé être le meilleur carburant de mon imagination. Il cingle encore toutes mes pulsions créatrices. Je sens sa violence se condenser dans l’air quand j’entends un propos hostile à notre culture. Je sais alors que c’est l’heure de sonner l’hallali. Sa forme la plus jubilatoire, je l’ai trouvée dans les livres de Céline, Bloy, Bukowski, Rimbaud, Nietzsche. Après ça, les gesticulations hybrides à la sortie des bars ne sont plus qu’entrechats de médiocres ballerines. Qu’un écrivain puisse, par la force de son esprit, avaler le monde, l’engloutir et le recracher sous une forme stylisée, voilà ce qui me donne à rêver. Un tel pouvoir n’a rien à envier à celui des plus vils dictateurs, fauteurs de guerre et autres néophytes du chaos, petites radicelles balbutiant des carnages dérisoires. Pascal voyait dans la pensée une force incomparablement plus grande que l’univers dans son immensité, parce que l’univers n’a aucune conscience de lui-même et du pouvoir qu’il a sur nous. Je rêvais d’une œuvre qui donnerait à l’univers cette conscience, une œuvre qui ferait naître le monde à lui-même. Tout y serait contenu, tragédie et bonheur, nature et artifice, chaque montagne, chaque fleuve, toutes les espèces animales crieraient leur présence et l’être serait élevé à son essence. Un rêve mallarméen, en fin de compte, et qui aboutit aux mêmes désillusions.

    J’ai, alors, laissé choir dans un désert de sons ma six-cordes pour empoigner tous les bouquins possibles qui m’apprendraient à voir, comprendre, décrire, déplorer la vie infecte que les temps postmodernes nacrés de rose nous imposent, dans son délire de cloisonnement mirifique des pauvres hères lavés de leur peau de péchés radieux, que nous sommes. Je suis revenu de ces expéditions livresques avec une conviction simple : la littérature est haïssable parce qu’elle est le témoin privilégié de la liberté, l’élément dissolvant du conformisme social dans sa contexture de mensonges. Déchirer les tissus du blabla, du bavardage plat, vaincre ce que Boutang appelle « la chute dans la banalité du dire », dynamiter les protubérances sonores anarchiques de l’emprise mondiale du mensonge, voilà la tâche que la littérature s’est assignée.

    Le Logos, le divin langage, c’est le cocher qui retient la cavalcade furibonde du chaos, la mate, la soumet, la met au service de ses propres fins. Par malheur, le français, cette langue noble adossée à la coupole arthritique de l’Académie, se putréfie sur place. Doublement mâchonnée par la sénilité académique et le sabir exogène, la langue se sédimente dans le néant. Instrument de communication blafard, compartimenté, conditionné, domestiqué, ou prurit pulsionnel spasmodique de galeux incultes, c’est une même agonie. Comme disait un pamphlétaire oublié du XIXe siècle : « Il faudrait des reins pour pousser tout cela. » Au commencement était le Verbe dit l’Évangile. D’accord mais à la fin qu’y a-t-il ?

    Un désir de synthèse et de totalité

    « Le vrai est le tout », affirmait Hegel de manière péremptoire, prussienne pour parler net. C’est aussi ce que je crois. Mais quand dans ce tout, il y a à la fois les chaussettes sales et Dieu – pour citer Georges Steiner évoquant l’oeuvre de Dostoïevski –, Charlie Parker qui fait vibrer son saxo en lévitation gracieuse et Jack l’éventreur, le tueur de prostituées, il y a de quoi se poser des questions. Le réel est si divers, si contradictoire. Je ne parle pas là seulement des oppositions si flagrantes entre le bien et le mal, le beau et le laid, le vrai et le faux, auxquelles notre époque de décadence se flatte de douter, par une espèce de snobisme à rebours, snobisme dépenaillé, snobisme de dépravé, snobisme de dégénéré, que sais-je encore… Non, je veux parler des mille petites choses qui ne s’imbriquent pas dans un tout cohérent, qui semblent si distinctes, si étrangères les unes aux autres que leur coexistence semble impossible, sur un plan métaphysique. Au cœur même d’un individu, ces contradictions sont plus troublantes encore. La passion d’Alex pour Beethoven dans Orange mécanique en est un exemple parfait. Freud a sondé l’âme humaine, certes avec un prisme d’égoutier, mais enfin il en a fourni une cartographie à peu près opérante. Le tiraillement incessant entre le moi, le ça, le surmoi, la personnalité profonde, les pulsions et les principes moraux. Le vrai est le tout ? Tout ce foutoir incompréhensible ? Et la tâche du philosophe, de l’artiste, serait d’y mettre bon ordre ? Ou bien de délirer bien au-dessus du délire de la réalité ? C’est toute la question. Peut-être est-il envisageable de tenir les deux bouts de la chaîne. Il y faudrait une puissance psychique et intellectuelle hors norme. Mais comme disait Spinoza : « Toute chose excellente est aussi difficile que rare. »

    Ranimer la flamme ou la mystique du feu

    Les splendeurs de la culture européenne semblent devenir aussi lointaines pour nos contemporains que les croyances Maya ou les rituels de divination chez les Romains sous l’Antiquité. Nécessité se fait jour de ranimer la flamme. Le feu, au-delà de l’élément classable parmi l’eau, l’air et la terre, est un principe poétique d’une portée rare sur l’imaginaire de l’homme. Les chansons d’amour l’évoquent, les prophètes, les poètes, les romanciers, les peintres, les cinéastes, les psychanalystes, les philosophes. Enfin tout le monde. Il suscite terreur, effroi, fascination, désir, amour. Son incandescence est polymorphe, sa substance mouvante une et multiple lui confère un statut privilégié au sein du grand drame de l’Être. Et si le monde n’était qu’un grand brasier dont les flammes se répandent tantôt avec l’ardeur d’un torrent, tantôt se sédimentent dans l’air par flocons ? On peut jouer avec ces idées, somptueuses ou ridicules, c’est selon. Et jouer avec le feu n’est pas chose recommandable. Mais qui n’a pas désiré de toute l’ardeur dont son cœur était capable, ranimer la flamme éteinte, spécialement lorsque l’être aimé se dérobe pour laisser place à l’absence, fut-il un continent entier ? C’est un jeu dangereux qui peut laisser sur le carreau, un pari qui entrelace les événements capricieux et l’esprit de volonté, qui n’y peut pas grand-chose la plupart du temps. Le feu est éternel, notre capacité à le mobiliser à notre avantage est chose rare. Il y faut une grâce spéciale, qui garde toujours le secret de son heure. Nous sommes, d’ores et déjà, ces guetteurs anxieux.

    L’éthique du combat

    L’initium du Hagakure, le guide des guerriers, tranche dans le vif, si je puis dire : « Je découvris que la voie du samouraï, c’est la mort. » Yukio Mishima constatait que la démocratie, le socialisme et le pacifisme à l’occidentale se situaient à l’extrême opposé de cette affirmation hardie. Les temps modernes privilégient la vie, en un sens vague d’ailleurs et n’importe quel parasite télévisuel peut s’attirer tous les suffrages en affirmant qu’il « aime la vie », avec une manière de défi, comme s’il proférait là la plus audacieuse profession de foi. Et cette petite nullité qui déglutit son narcissisme poitrinaire communie avec tous ses semblables dans une même orgie de bienveillance cosmique. Autrement dit, il inaugure l’ère de ce que feu Muray avait baptisée Festivus festivus. C’est ici que Yukio Mishima intervient pour casser l’ambiance. Il brandit son fameux slogan : « Au nom du passé, à bas l’avenir », se taille un physique d’athlète, dégaine son katana et saucissonne toutes les niaiseries pacifistes du monde fatigué d’après-guerre. Ce n’est plus l’Occident qui est « métaphysiquement épuisé », selon l’expression de Oswald Spengler, mais le monde entier, jusqu’à l’Extrême-Orient, comme la révolte héroïque de Mishima le prouve. Deux livres culminent, non pas en termes de valeur esthétique mais de force de témoignage, dans l’oeuvre de l’écrivain japonais : Le Japon moderne et l’éthique samouraï et Le Soleil et l’acier. Ils devraient figurer dans toutes les bibliothèques des insurgés contre l’empire du non-être. L’espèce de liquide amniotique qui imbibe la société matriarcale actuelle, les valeurs républicaines abstraites, l’atmosphère de faiblesse et de compromission du monde européen dévirilisé ne sont que des éléments de transition vers le chaos. Ils ne représentent aucun absolu, aucune vérité éternelle. En attendant, lire Mishima peut faire de nous des « hommes au milieu des ruines ». Et je me permets de le paraphraser. Si nous communions à son esprit, nous pourrons dire : « Au nom de l’avenir, à bas le présent » ! Il y a un adage médiéval qui affirme avec la netteté tranchante comme une épée qui caractérise cette époque : « Vita est milita super terram. » Ce qui se traduit dans notre langue moderne : « La vie est un combat sur la terre. » Il ne faudrait pas se méprendre, il ne s’agit nullement de résumer le combat à des joutes opposant des chevaliers, à des troupes de mercenaires prenant d’assaut une forteresse en pleine guerre de cent ans. L’âme aussi doit livrer bataille. Chaque pensée, chaque émotion est une plaie ouverte qui peut précipiter au fin fond de l’abîme comme elle peut ressusciter un être. La loi d’ici-bas veut le combat, c’est une nécessité de nature. Saurons-nous nous satisfaire d’une telle fatalité ? En faire notre ultime salut ? Les stoïciens affirmaient, en sus de cette loi, la voie de la guérison : l’amor fati ou amour du destin. Le combat est notre destin, aimer le combat c’est faire de ce destin une jubilation extatique, un orgasme furieux de la volonté. Certes, le glaive est béni, la terre ne se rassasie que du sang des hommes dont elle a soif. Sinon, pourquoi quémanderait-elle une ration supplémentaire de ce breuvage aussi souvent ? Mais n’oublions pas la supériorité de l’esprit sur la matière. Remporter le combat, ne serait-ce pas, aussi, lui refuser cette hémorragie pour embrasser les hautes sphères de l’esprit, son avènement au cœur du plérôme de l’être ?

    Jean Montalte (Site de la revue Éléments, 1er mars 2024)

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  • L'art du combat au Moyen-Âge...

    Les éditions Arkhe viennent de publier un essai de Daniel Jaquet intitulé Combattre au Moyen-Âge - Une histoire des arts martiaux en Occident XIVe - XVIe. Spécialiste de l'histoire médiévale, Daniel Jaquet est enseignant-chercheur à l'Université de Genève et Lausanne.

    Un livre à lire, notamment par tous ceux qui ont été intéressés par l'article de l'Institut Iliade : Arts martiaux : le retour des lansquenets ?

     

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    " Comment maniait-on une épée longue ? Porter une armure permettait-il de conserver la liberté de ses mouvements ? Que se passait-il à l'occasion d'un combat de rue, d'une « emprise d'arme » ou d'un « combat à outrance » ? Les duels étaient-ils toujours sanglants?
    Pour trancher dans le vif des idées reçues, Daniel Jaquet nous emmène à la découverte des livres de combat et de l'éventail des pratiques martiales du monde médiéval. Il faut dire que l'art de la lutte ou du maniement de la hache n'était pas réservé aux seuls chevaliers : bourgeois, étudiants, ou artisans s'entraînaient également au combat. Le duel judiciaire, lui, se pratiquait entre gens de toutes conditions… et impliquait parfois des combats opposant les deux sexes.
    Découvrez les techniques de combat illustrées, les conseils cryptés des maîtres d'arme et projetez-vous dans ces duels à travers les expérimentations menées grâce aux reconstitutions. Laissez-vous surprendre par les récits de ces combattants et de leurs motivations : ils bouleversent ce que l'on croyait savoir de la chevalerie et de l'art du combat au Moyen Âge. "

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  • Le conservatisme comme préservation des tensions...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mahaut Hellequin, cueilli sur son blog Flamberge et Belladone et consacré au conservatisme comme maintien d'une tension féconde...

     

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    Le conservatisme comme préservation des tensions

    Là où le progressisme veut entraîner l’humanité dans un seul mouvement idéalement unifié et consensuel, le conservatisme préserve la multiplicité des mouvements et des tensions entre des polarités différenciées.
    Le progressisme est une immobilité interne sous la forme d’un mouvement externe, le conservatisme un fourmillement interne sous la forme d’une immobilité externe.

    Cette image peut sembler bien contre-intuitive après des décennies à avoir entendu et répéter la distinction du « parti du mouvement » contre celui de la résistance, de l’immobilisme, de la tradition (que l’on imagine toujours sclérosante), je m’en vais tenter de la développer, non sans avouer auparavant mon ignorance relative en matière de théorie du conservatisme: je ne livre ici que mes modestes intuitions souvent venues au fil de discussions. Tout cela a soit été bien mieux dit ailleurs, soit contredit par d’autres visions du conservatisme.

    Le monde progressiste est unipolaire, il ne supporte pas sa négation, son contraire : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté. » pas de tolérance pour les prétendus intolérants.
    Son idéal est celui d’une humanité engagée toute ensemble sur une seule et même voie bornée par la Liberté et l’Egalité.
    Liberté : l’Homme est libre de tout faire et défaire, dire et dédire, libre de toute contrainte, de tout donné. La liberté est celle de la volonté individuelle, triomphante et absolue, la lutte est donc engagée contre tout ce qui sépare l’individu de sa liberté toute-puissante et volontaire : structures sociales d’appartenance, chair…
    Egalité : chaque unité est égale à chaque autre, tout vaut tout.
    Est banni et perçu comme adversaire tout système niant l’un de ces deux piliers, sauf s’il reconnaît être égal à tous les autres ainsi que la liberté des individus d’y entrer et d’en sortir au gré de leurs envies. C’est à dire s’il ne nie en fait aucun de ces deux piliers.
    Exemple : un système hiérarchique, clanique, traditionnel et théocratique est tout à fait acceptable dans une vision progressiste du monde pour peu que son adhésion soit libre et volontaire, son apostasie acceptée sans heurts et qu’il renonce à toute velléité suprématiste, autrement dit qu’il se nie lui-même ou n’ait de valeur que celle d’un jeu de rôle temporel.
    Le progressisme n’a donc de libre que des options toutes égales au sein d’un cadre unique, ce que l’on pourrait caricaturer comme un choix d’avatar dans un jeu de rôle en ligne, mais sans combat, sans tension, un jeu de rôle de gestion de population pacifique.
    Les barrières et normes traditionnelles tombant les unes après les autres, le temps est perçu par le progressisme comme une flèche qui s’émancipe, se libère toujours plus de l’ état de nature (ou de l’obscurantisme rigide, clanique, hiérarchique, traditionnel) avec pour but une résolution de toutes les tensions, de tous les conflits dans la fin de l’Histoire, quand plus aucune barrière, aucune entrave ne subsistera, seuls des individus égaux et poreux (virtualisation et redéfinition de l’identité individuelle égotique dont le mouvement final, contenu en germe dans le cogito qui ne tire substance que de lui-même, est la dissolution dans la multitude horizontale des individualités-monades).
    En termes freudiens, cette visée de la réduction ultime des tensions s’appelle pulsion de mort.
    La flèche avance, mais elle doit avancer comme un seul homme, avec pour seul but, pour seul pôle l’égalité indifférenciée. The Wall de Pink Floyd, ou la protestation auto-prophétique.
    Pour réaliser son dessein, le progressisme idéologique couche le réel sur le lit de Procuste. Villes rasées, atomisées, camps, extermination : rien n’est trop dur pour ce qui résiste au Grand Projet.

    Face à cette unité terminale mon conservatisme se fonde sur l’observation d’Héraclite « Polemos pater panton » : le combat est père de toutes choses, et défend le grouillement du multiple.
    Le « combat » dont il s’agit est en réalité moins un conflit qu’une tension, une opposition de divers pôles qui structure réel.
    Toutes les médecines et cosmologies traditionnelles organisent ainsi le monde entre Ciel et Terre, dedans et dehors, chaud et froid, lumière et ténèbre, masculin et féminin etc… et savent fort bien qu’il ne s’agit là que d’échelles (comme celle de Kinsey) où c’est la nuance, la gradation, la mesure mouvante qui importe, et que tout guerrier, quelles que soient ses préférences dans la mêlée, porte à la fois lance et bouclier.
    Ce conservatisme est dialectique, il voit les structures antagonistes de toute chose, les oppositions polarisantes, les paradoxes féconds.
    Parce que toute poussée et toute pensée, toute vie et toute identité sont concordances de contraires, il s’emploie à préserver la différentiation des pôles.
    Il ne conserve pas les structures mais les archétypes, les symboles autour desquels vont et viennent, se font et se défont les structures réelles depuis des millénaires, comme une figure géométrique dont on ne se préoccuperait pas du périmètre ni même de la forme mais des différents angles. Qu’importe si le feu domine l’eau, la terre l’air ou inversement, si l’hiver fait place à l’été ou le patriarcat au matriarcat, tant que le monde se tend et se tord sans cesse entre ces pôles sans qu’aucune victoire soit complète ou définitive, tant que le déséquilibre est aussi changeant que permanent.
    Ce conservatisme n’est pas hégémonique mais laisse l’autre être autre pour s’y mesurer sans l’absorber. Il vise à être et durer, persister et combattre sans viser l’anéantissement mais bien plutôt le combat lui-même comme état de tension et d’accomplissement de soi dans la confrontation.
    En termes freudiens, on parlera de pulsion de vie.
    Le cercle ne va nulle part, et peut-être n’est-il même pas cercle mais héxadécagone, ou peut-être octogone, ou pentacle, ou carré, ou triangle… il ne se déplace pas dans un sens ou l’autre, mais tout en lui se heurte et se tend, s’affronte et s’affirme.

    Mon conservatisme est, plus que tout mélangisme, soucieux de la diversité.
    Il est, plus que tout égalitarisme, respectueux de l’autre dans son intégrité.
    Il est, plus que tout progressisme, sanctuaire de liberté dans le combat.

    Mahaut Hellequin (Flamberge et Belladone, 10 octobre 2017)

     

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  • L'art du combat...

    Les édition du CNRS viennent de publier Le Livre de l'Art du Combat, un ouvrage du XIVe siècle consacré aux techniques de combat à l'épée et au bouclier et illustré par de nombreuses gravures. L'ouvrage est traduit pour la première fois en français et commenté par deux historiens Frank Cinato et André Surprenant, le premier étant, par ailleurs praticien des Arts Martiaux Historiques Européens. A découvrir...

     

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    " Le plus ancien livre de combat connu en Occident. Un manuscrit unique, composé d'aquarelles dessinées à la plume let commentées en latin : la leçon d'un maître d'armes au tournant des XIIIe et XIVe siècles, enseignant à ses élèves une synthèse originale des pratiques de combat ancestrales de l'Europe romane, germanique ou celtique. Une oeuvre inachevée, énigmatique, traversée d'un souffle puissant. Voici la première édition critique, traduite en français et enrichie d'une analyse pluridisciplinaire éclairante, de cette œuvre déjà célèbre sous le nom de Royal Armouries MS. I.33. Le maître d'armes est un ecclésiastique, héritier d'une pensée scolastique qui déborde sur l'éducation du corps. Centré sur le maniement raisonné de l'épée et du bouclier, son enseignement renverse les préjugés relatifs à la brutalité des pratiques de combat médiévales. Et montre que l'escrime de cette époque n'a rien à envier, en termes de richesse, aux arts martiaux traditionnels d'Orient."

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  • Tour d'horizon... (76)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur la lettre Communication & Influence, Michel Goya répond aux questions de Bruno Racouchot autour de son dernier livre Sous le feu (Tallandier, 2014) ;

    Le soldat au combat, perception du réel et influence du mental

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    - le site Voxnr publie un long entretien avec Alexandre Douguine, qui revient sur son parcours intellectuel et sur son influence politique en Russie.

    Le long parcours

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  • Théorie du combat...

    Les éditions Economica viennent de rééditer Théorie du combat, un essai de Clausewitz, préfacé par Thomas Lindemann. Clausewitz est, selon Hervé Coutau-Bégarie, le plus connu de tous les penseurs militaires, et "son oeuvre majeure Vom Kriege est comparable au Prince de Machiavel : c'est une référence constante et obligée, une source inépuisable de citations ".

     

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    " Tout le monde connaît le traité de Clausewitz De la guerre. On sait moins qu’il ne s’agit que du premier volet d’un triptyque qui aurait dû comprendre un traité sur la guérilla et un traité sur la tactique. De ces deux autres volets, n’ont été écrits que des fragments qui n’ont guère attiré l’attention mais qui sont importants tant par leur contribution à la compréhension de la pensée de Clausewitz que par les éclairages originaux qu’ils apportent à la matière traitée.

    Le traité sur la tactique n’a fait l’objet que d’un plan général dont seul le chapitre sur la théorie du combat a été développé. La méthode de Clausewitz y apparaît à l’état pur. Le raisonnement se présente sous forme de propositions logiques qui s’enchaînent mutuellement. L’histoire n’est ensuite appelée qu’à titre d’illustration, elle ne constitue pas le fondement du raisonnement. Une telle approche est difficile et exige une attention soutenue du lecteur. Mais cet effort est récompensé par des aperçus fulgurants sur les finalités du combat, sur les rapports entre l’attaque et la défense, entre l’acte destructeur et l’acte décisif, entre le plan et la direction… Certains passages délicats ou allusifs de De la guerre reçoivent ainsi un nouvel éclairage.

    Raymond Aron a bien dit que la Théorie du combat est un document essentiel pour comprendre la pensée de Clausewitz. "

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