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antonio gramsci

  • Qu’est-ce que la métapolitique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à la Revue des Amis de Jean Mabire et publié sur le site de la revue Éléments. Celui-ci y revient sur les origines et le sens de la notion de « métapolitique », centrale dans l'activité de la Nouvelle Droite.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021), L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022) et, dernièrement, Nous et les autres - L'identité sans fantasme (Rocher, 2023).

     

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    Qu’est-ce que la métapolitique ?

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. Quand avez-vous découvert la métapolitique ? Le thème vous était-il déjà familier ? Quelle en est aujourd’hui votre conception ?

    ALAIN DE BENOIST : J’ai probablement rencontré le terme pour la première fois dans la seconde moitié des années 1960, mais j’ai oublié dans quelles circonstances. A cette époque, je ne connaissais pas le livre, d’ailleurs très contestable, publié en 1941 à New York par Peter Viereck sous le titre Metapolitics, pour qualifier la culture allemande post-romantique dans une perspective critique. Je n’avais pas lu non plus le livre d’Anthony James Gregor, An Introduction to Metapolitics, paru en 1971. Et bien sûr j’ignorais complètement que c’est au XVIIe siècle que le mot a été employé pour la première fois, en l’occurrence dans un manuscrit intitulé Metapolitica, hoc est tractatus de republica philosophice considerata, aujourd’hui conservé aux Archives historiques du diocèse de Vigevano, près de Pavie, dont l’auteur était le mathématicien et philosophe catholique espagnol Juan Caramuel y Lobkowitz, né à Madrid en 1606.

         J’étais alors au sortir de l’adolescence, et j’étais désireux, pour des raisons que j’ai eu l’occasion d’expliquer ailleurs, de rompre avec l’engagement politique et militant qui avait été le mien durant les années précédentes. Le terme de « métapolitique » est celui qui m’est apparu comme le plus susceptible de tenter de convaincre un certain nombre de mes amis que le travail d’ordre théorique, culturel ou intellectuel, était au moins aussi important que l’action politique au jour le jour. J’ambitionnai alors de créer une école de pensée qui se tiendrait à l’écart des contingences de l’actualité et s’emploierait, de façon collective, à fonder ou refonder un corpus théorique embrassant tous les domaines de la connaissance et du savoir. Le projet était vaste, certes, et non dépourvu de naïveté, mais j’étais déjà bien conscient de la grande difficulté qu’il y a à mener de pair un travail de réflexion et un engagement de type politique. Je voyais bien que les hommes politiques veulent avant tout rassembler, tandis qu’à leurs yeux les idées divisent. Je constatais aussi qu’une transposition d’un programme idéologique en un programme politique impliquait de faire en permanence des concessions auxquelles je n’étais pas disposé : on commence à vouloir défendre les idées de sa stratégie, et l’on finit par ne plus avoir que les idées de cette stratégie.

         Bref, au départ, la métapolitique était tout simplement pour moi synonyme de travail intellectuel collectif. Cela n’a pas toujours été bien compris – ni bien accepté. J’ai eu tort de m’en agacer parfois : les hommes de puissance ne peuvent pas se transformer en hommes de connaissance par un coup de baguette magique ! Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, on ne change pas de casquette à volonté.

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. Est-ce la fréquentation des écrits d’Antonio Gramsci qui vous a poussé à investir la métapolitique ou bien cet auteur n’a-t-il fait que confirmer votre inclination vers ce champ ?

    ALAIN DE BENOIST : La référence à Gramsci n’a pas précédé, mais au contraire découlé de mon intérêt pour la métapolitique. Mon premier article sur Gramsci, paru dans Valeurs actuelles, date d’octobre 1974 ! Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dans les années 1970, j’ai écrit de nombreux articles sur l’articulation de la culture et de la politique. Je m’y employais à cerner la notion de « pouvoir culturel ». J’insistais sur le rôle de la culture comme élément déterminant des changements politiques : une transformation politique forte consacre une évolution déjà intervenue dans les mœurs et dans les esprits. Le travail intellectuel et culturel contribue à cette évolution des esprits en popularisant des valeurs, des images, des thématiques en rupture avec l’ordre en place ou avec les valeurs de la classe dominante. Dans une telle perspective, la conquête d’une position éditoriale, voire la diffusion d’un feuilleton télévisé, ont plus d’importance que les slogans d’un parti. Ma démonstration reposait sur l’idée que, sans théorie bien structurée, il n’y a pas d’action efficace (« il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs »). La Révolution française n’aurait pas eu le caractère qui fut le sien si la voie ne lui avait pas été ouverte par les philosophes des Lumières, on ne peut avoir un Lénine avant d’avoir eu un Marx, même un petit catéchisme présuppose l’existence d’une théologie, etc.

         C’est dans cette perspective qu’il m’est arrivé à plusieurs reprises de me référer à ce qu’Antonio Gramsci a pu écrire à propos des « intellectuels organiques », qu’il chargeait d’exercer un pouvoir culturel susceptible de créer un nouveau « bloc hégémonique ». Sans doute y avait-il là une équivoque. Gramsci, tout attaché qu’il ait été à l’action des intellectuels, n’en avait pas moins été aussi l’un des membres dirigeants du parti communiste italien. En me référant à lui, ne risquais-je pas de conforter la critique selon laquelle les idées n’étaient pour moi qu’un moyen de parvenir à un but proprement politique, au moment même où je disais vouloir me tenir résolument à l’écart de toute préoccupation politique ? Le fait est en tout cas que la Nouvelle Droite a rapidement été caractérisée comme porteuse d’un « gramscisme de droite » dont certains observateurs, en particulier à l’étranger, n’ont pas hésité à faire le cœur de sa doctrine, ce qui m’a proprement stupéfié. Quant aux membres de la classe politique qui se réfèrent aujourd’hui à ce «gramscisme de droite », ils n’ont jamais que cinquante ans de retard – et je peux vous certifier qu’ils n’ont toujours pas lu Gramsci !

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. Selon vous, la métapolitique ne concerne-t-elle que la seule réflexion ou bien a-t-elle des déclinaisons possibles, en particulier politiques ?

    ALAIN DE BENOIST : Certains de mes proches ont pu croire que la « métapolitique » n’était jamais qu’une autre manière de faire de la politique. C’est à mon avis une erreur, mais une erreur qui leur a donné bonne conscience pour céder aux démons de la politique qui n’avaient jamais cessé de les travailler. Pour moi, de même que la métaphysique n’a pas grand-chose à voir avec la physique, la métapolitique se situe sans ambiguïté au-delà de la politique. Joseph de Maistre, en 1814, la définissait comme la « métaphysique de la politique », ce que je ne trouve pas plus satisfaisant. Cela dit, dès l’instant où l’on parle de « métapolitique » et pas seulement de travail intellectuel, quelques explications complémentaires sont nécessaires. Le rapport n’est pas celui de la théorie et de la pratique. S’il y a un rapport entre la métapolitique et la politique, c’est un rapport indirect, consistant dans l’effet de causalité dont j’ai déjà parlé : le pouvoir culturel, lorsqu’il est idéologiquement bien structuré et qu’il parvient à influer sur le Zeitgeist d’une époque donnée, peut avoir un effet de levier par rapport à certaines évolutions ou situations politiques. Pensons à nouveau au rapport entre la philosophie des Lumières et la Révolution française. Mais l’erreur serait de croire que ceux qui font les révolutions sont les mêmes que ceux qui les rendent possibles. En réalité, c’est très rarement le cas. Et lorsque c’est le cas, l’ironie de l’histoire veut que ceux qui s’engagent dans les révolutions qu’ils ont contribué à rendre possibles en soient généralement les premières victimes. En novembre 1793, lors du procès de Lavoisier, Jean-Baptiste Coffinhal, président du tribunal révolutionnaire, proclamait hautement que « la République n’a pas besoin de savants ». Les révolutions manifestent une fâcheuse tendance à dévorer leurs pères, tout aussi bien que leurs enfants (Coffinhal fut lui aussi guillotiné).

         Je crois donc qu’il faut séparer la politique de la métapolitique. Cela ne signifie évidemment pas que la métapolitique ait une supériorité qui en ferait un modèle absolu, ni que faire de la métapolitique empêche de s’intéresser à la politique, de se poser vis-à-vis d’elle, non pas en acteur, mais en observateur. J’ai moi-même écrit constamment sur la politique, qu’il s’agisse de l’actualité politique ou de travaux sur la philosophie politique, les doctrines politiques ou les théories de l’État. Il est bon que certains fassent de la politique, parce que c’est ce qu’ils savent faire le mieux. Un monde uniquement composé d’intellectuels serait tout aussi invivable qu’un monde uniquement composé de fleuristes ou d’électroniciens ! Comme le disait Dominique Venner à la fin de sa vie : « Si vous éprouvez le désir d’agir en politique, engagez-vous, mais en sachant que la politique a ses règles propres qui ne sont pas celles de l’éthique » (Un samouraï d’Occident).

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. La naissance du GRECE fut incontestablement un fait majeur ainsi qu’un outil déterminant de cette pensée. Par quelle volonté arriva-t-elle et quel fut le moteur de son développement ?

    ALAIN DE BENOIST : Le GRECE a été fondé fin 1967 par une trentaine d’amis, étudiants pour la plupart, qui s’étaient connus dans le cadre de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN). C’est à mon initiative qu’ils se sont réunis, à peu près au moment où je faisais paraître le premier numéro de Nouvelle École. Un certain nombre ne se sont finalement pas associés au projet, mais d’autres s’y sont ralliés au point d’être toujours là un demi-siècle plus tard ! Le sens de l’acronyme était clair : au-delà d’une évocation symbolique de la Grèce, il s’agissait bien de fonder une école de pensée qui serait un « Groupement de recherche et d’études ». C’est à cette école de pensée que les médias ont donné à l’été 1979 le nom de « Nouvelle Droite », une dénomination qui ne m’a jamais satisfait, mais qui a été consacrée par l’usage.

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. D’après vous, Jean Mabire était-il sensible à l’approche métapolitique et quel rôle joua-t-il au sein du GRECE ?

    ALAIN DE BENOIST : Oui, bien sûr. Jean Mabire, qui entretenait avec nous des relations de complicité amicale, et qui vivait alors à Paris (où il a quelque temps habité chez moi), était plus que sensible l’approche métapolitique, qui correspondait à l’une des facettes de son tempérament. Je ne sais plus s’il a été formellement adhérent du GRECE, mais il a participé durant de longues années aux activités de la mouvance qui a très tôt débordé le seul cadre de l’association. Je pense notamment au rôle qu’il a joué aux éditions Copernic, où il a dirigé, à la fin des années 1970, deux collections : « Maîtres à penser » et « Réalisme fantastique ». Il a aussi bien entendu collaboré aux publications apparues à la périphérie du GRECE, à commencer par la revue Éléments, qui paraît toujours.

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. À travers ses essais, ses articles, ses ouvrages historiques et ses critiques littéraires, Jean Mabire faisait-il de la métapolitique, à quel niveau et sur quels thèmes ?

    ALAIN DE BENOIST : Je n’hésiterais pas à dire que tous les livres de Jean Mabire ont eu une portée métapolitique, mais c’est surtout vrai, à mon avis, pour les travaux qu’il a consacrés à la Normandie et au « nordisme », pour ses ouvrages sur la mer, pour Les dieux maudits et pour Thulé, pour des romans comme La Mâove ou des biographies comme celle du « baron fou » von Ungern-Sternberg, et bien sûr pour la formidable entreprise que représenta à partir de 1994 sa série des « Que lire ? » (qui mériteraient d’être aujourd’hui réédités dans la collection « Bouquins »).

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. À l’heure des réseaux sociaux et de l’effondrement de la transmission à l’école, la métapolitique a-t-elle un avenir ?

    ALAIN DE BENOIST : Elle a sûrement un avenir, pour la simple raison qu’il existera toujours des poètes, des écrivains, des peintres, des musiciens et des théoriciens soucieux de comprendre leur temps et désireux d’y exercer une influence. Mais il lui faudra s’adapter à des moyens d’expression et de diffusion nouveaux. La montée rapide de la « vidéosphère » (Régis Debray), relayée aujourd’hui par le monde des écrans, l’effondrement du niveau scolaire et de la culture en général, l’apparition de l’intelligence artificielle et le rôle joué désormais par les « influenceurs » dans un monde « archipélisé », gouverné par l’émotion plus que par les idées (la « désidéologisation », pour reprendre un terme récemment vulgarisé par Christophe Bourseiller), en outre menacé par le nihilisme et le chaos, représentent de ce point de vue autant de défis à relever.

    Alain de Benoist (Site de la revue Éléments, 8 avril 2024)

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  • De la droite introuvable à la droite inavouable ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Aristide Leucate, cueilli sur le site Boulevard Voltaire et consacré à l'indispensable rénovation idéologique de la droite... Docteur en droit, Aristide Leucate est une des plumes de l'hedomadaire L'Action française 2000.

     

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    De la droite introuvable à la droite inavouable

    La publication, le 16 octobre, d’un sondage BVA nous apprenait que 66% des sympathisants de l’UMP souhaitaient voir François Fillon diriger l’UMP contre 33% qui lui préféreraient Jean-François Copé. La belle affaire ! Cette fausse querelle entre deux apparatchiks interchangeables accuse la vacuité des idées d’une droite qui ne veut pas s’avouer comme telle, parce qu’elle ne s’est tout simplement jamais trouvée.

    Historiquement, la droite doit davantage son existence au camp d’en face. Plus exactement, la droite occupe tragiquement la place laissée vacante par la mort du roi en 1793, la gauche préemptant la cause du peuple. Force est d’admettre que le clivage droite/gauche constitue la référence réflexe qui conditionne le positionnement des individus/électeurs dans la cité. Ce fait sociologique et psychologique condamne d’emblée le « ni droite/ni gauche », défendu, notamment, par le Front national, tout en demeurant, paradoxalement, le grand malentendu de la droite.

    Son caractère introuvable aujourd’hui est probablement dû à son absence d’épine dorsale. Au XIXe siècle, entre 1871 et 1938, celle-ci pouvait s’adosser aux deux piliers primordiaux de la société, l’Église et l’Armée, rendant ainsi inutile toute édification d’un corpus doctrinal. La droite s’est bâtie a posteriori, sur un certain nombre d’attitudes face à ces deux institutions qui lui ont conféré sa substance, mais aussi en récupérant des thématiques laissées en déshérence par la gauche, condamnant la droite à « finir les restes », à se comporter comme une poubelle de table idéologique.

    La condamnation pontificale du quotidien de L’Action française, en 1926, laissera des traces profondes dans le code génétique de la droite hexagonale. Si, pour la première fois, depuis Joseph de Maistre (providentialisme) et Maurice Barrès (culte du Moi), un courant de la droite se dotait d’un corpus doctrinal d’envergure — grâce à Charles Maurras —, son soutien historique lui faisait défaut ou, à tout le moins, n’était plus aussi inconditionnel qu’auparavant (déjà, en août 1910, les thèses du Sillon, organe d’un catholicisme social, feront l’objet d’une désapprobation du Pape Pie X).

    Entamant son chemin de Damas, au lendemain de la Libération, la droite sera, dès lors, en butte à la propagande « résistantialo-gaullo-communiste » qui achèvera de la discréditer, en en faisant l’exutoire commode et opportun des pires turpitudes et infamies d’une gauche largement compromise dans la Collaboration (même s’il y eut d’authentiques collaborationnistes au sein de la droite littéraire). Même la parenthèse gaullienne échouera à redonner ses lettres de noblesse à une droite de plus en plus nostalgique qui s’épuisait, vaillamment mais tragiquement, dans la défense d’un Empire français sénescent. En outre, la judéophobie récupérée à la gauche durant l’Affaire Dreyfus constituera une encombrante tunique de Nessus pour la droite.

    Ayant lu Gramsci, la gauche culturelle préparera l’avènement de la gauche électorale. Démonétisée doctrinalement, la gauche mettra de côté ses pères fondateurs (Leroux, Owen, Blanc, Sorel, Berth, Proudhon, Fourier, Bakounine), adaptera ses concepts (à commencer par celui de « socialisme » qui verra son glissement sémantique vers la « gauche ») et manifestera un attachement dogmatique, quasi-biblique, à la métaphysique du Progrès. La droite, en perdition idéologique, se fera peu à peu mithridatiser par le progressisme de la gauche, cœur atomique de l’individualisme libéral des Lumières, comme l’a brillamment montré Jean-Claude Michéa. Les deux versants culturels et économiques du libéralisme ont été respectivement investis par la gauche et la droite, au point, observe Michéa, que « le clivage droite/gauche (…), clé politique ultime des progrès constants de l’ordre capitaliste, permet (…) de placer en permanence les classes populaires devant une alternative impossible » (L’empire du moindre mal, Flammarion 2010). Dans sa crainte d’être prise en flagrant délit de « ringardisme » par une gauche convaincue de sa supériorité morale, la droite se lancera dans une surenchère permanente sur des sujets tels que le « mariage » homosexuel, le fédéralisme européen, l’antiracisme (tout à la fois « diversitaire » et métissé, l’oxymore, comme le ridicule en ce domaine, ne tuant plus), etc.

    Mais pour ne pas perdre pied politiquement, la droite se verra contrainte de faire écho aux angoisses et inquiétudes existentielles légitimes de son électorat en pillant éhontément le programme d’un FN qu’elle s’échine, nonobstant, à diaboliser tout en en blanchissant les idées sous le harnais d’un républicanisme vertueux. Las. Car, derrière une telle fébrilité de circonstance, pas l’once d’une idée, c’est-à-dire d’une critique ou d’une analyse radicale et métapolitique de la société.

    Quand la droite osera-t-elle, enfin, le solidarisme, l’antilibéralisme, le subsidiarisme, l’ethno-différencialisme, la décroissance, l’anti-égalitarisme, l’anti-technicisme, etc. ? A coup sûr, cela supposerait qu’elle rompe avec l’anti-intellectualisme lequel, a-t-elle toujours pensé à tort, la démarquait de la gauche. Avant de conquérir le pouvoir politique, la droite doit nécessairement conquérir les esprits, non plus avec Jacques Séguéla et Thierry Saussez, mais avec Jacques Ellul, Jean-Claude Michéa, Christopher Lasch, Antonio Gramsci, Aristote, Carl Schmitt, Michel Villey, Karl Marx, Rousseau, Althusius, Charles Maurras, Emmanuel Todd, Jules Monnerot, Alain de Benoist, et d’autres non moins innombrables et précieux, non pour les copier mais pour les éprouver dans une praxis.

    Aristide Leucate (Boulevard Voltaire, 23 octobre 2012)


     

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  • Qu'est-ce que le gramscisme ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte d'Alain de Benoist, publié en mars 1978 dans le Figaro magazine et consacré à Antonio Gramsci et à sa théorie de l'hégémonie culturelle.

     

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    GRAMSCI ET LA CONQUETE DU POUVOIR CULTUREL

     

    Lorsque l'on essaie de caractériser le débat politique et idéologique qui se déroule actuellement dans les pays occidentaux, le mot qui vient le plus spontanément à l'esprit est celui de « totalité ». Nous sommes en présence d'un débat total. Entendons par là, non un débat de caractère ou d'esprit « totalitaire » (encore que la tentation totalitaire, malheureusement, n'en soit pas toujours absente), mais un débat qui, de plus en plus, porte aussi bien sur les domaines politiques traditionnels que sur des sujets qu'on avait antérieurement l'habitude de considérer comme « neutres ».

    Il y a encore quelques années, les factions et les partis ne s'affrontaient guère que sur des questions directement politiques, telles que le système des institutions, le mode du gouvernement, le programme de législature, etc., tandis qu'un consensus tacite se faisait sur les structures élémentaires fondamentales. La famille était rarement remise en cause, on n’en discutait pas la valeur intrinsèque de l'école, de la médecine, de la psychiatrie. Enfin, on considérait qu'un accord pouvait facilement s'établir sur les vérités scientifiques. Cette situation a aujourd'hui complètement changé. Les sociétés modernes sont confrontées à une contestation qui ne récuse pas seulement telle ou telle modalité de pouvoir ou de gouvernement, mais qui s'attaque à la structure même de la société, qui affirme tour à tour qu'il n'a pas de différences entre les hommes, que l'autorité des parents sur leurs enfants est toujours injustifiée, que les malades mentaux sont moins fous que les gens normaux, que l'école est une insitution intrinsèquement « répressive », que le pouvoir est le mal en soi, et qu'enfin les faits scientifiques ne doivent plus être jugés selon leur degré de réalité, mais selon leur désirabilité au regard des idéologies à la mode.

    Dans ces conditions la notion même de politique se transforme. On dit parfois aujourd’hui que « la politique a tout envahi ». Et c'est vrai, comme le remarque M.A. Macciocchi, que la politique semble partout passée « au poste de commandement ». Mais constater cette politisation générale, c'est du même coup reconnaître que la « politique » ne se fait plus uniquement dans ses lieux traditionnels. Les idéologies sont devenues conscientes d'elles-mêmes : tous les domaines de la pensée et de l'action, en tant qu'ils appartiennent à l'espace humain, se révèlent dotés d'une dimension idéologique. De ce fait, les secteurs d'activité ou de réflexion non directement politiques ont perdu, irréversiblement sans doute, la « neutralité » qu'on avait cru pouvoir leur attribuer. La neutralité est morte. Le seul fait d'appartenir à une école de pensée, de voter pour un parti plutôt que pour un autre, de professer une idée générale sur quelque sujet que ce soit, implique que une prise de position susceptible de s'étendre, de proche en proche, à tous les autres domaines.

    On peut dès lors se demander si l'enjeu fondamental du politique se joue encore dans l'arène de la « politique politicienne ». Les compétitions électorales ne seraient-elles pas plutôt l'occasion de mesurer, de façon concrète, la résultante politique d'une action plus diffuse, de type « métapolitique », mise en œuvre ailleurs que dans le cercle étroit des états-majors de parti?

    Poser cette question, c'est évoquer l'existence d'un pouvoir culturel, qui s'est mis en place face au pouvoir politique et qui, d’une certaine façon, l’a précédé. C'est évoquer aussi la figure de celui qui fut le grand théoricien de ce « pouvoir culturel » : le communiste italien Antonio Gramsci, mort en 1937, et dont l'influence dans les milieux de la gauche européenne s’est révélée considérable – sinon décisive.

    Comment l'esprit du temps transforme l'esprit des lois

    Emprisonné sous le fascisme, Antonio Gramsci se livre à une réflexion en profondeur sur les causes de l'échec des partis socialistes et communistes pendant les années 1920. Les questions qu'il se pose sont celles-ci : comment se fait-il que la conscience des hommes soit « en retard » sur ce que devrait leur dicter leur « conscience de classe »? Comment les couches dominantes minoritaires parviennent-elles à se faire obéir « naturellement » des couches dominées majoritaires? Dans une société développée, quelles sont les voies de passage au socialisme? Gramsci répond à ces questions en étudiant de plus près la notion d'idéologie et en opérant une distinction décisive entre « société politique » et « société civile ».

    Par société civile (terme qu'il reprend chez Hegel bien qu'il ait été critiqué par Marx), Gramsci désigne l'ensemble du secteur « privé ». C'est-à-dire le domaine culturel, intellectuel, religieux et moral tel qu'il s'exprime dans le système des besoins, la mentalité collective, etc. La société politique, elle, recouvre les institutions et l’appareil coercitif de l’Etat. La grande erreur des communistes, dit Gramsci, a été de croire que l’Etat ne repose que sur son appareil politique. En fait, l'État « organise le consentement », c'est-à-dire dirige, tout autant par le moyen d'une idéologie implicite, ayant ses racines dans la société civile et reposant sur des valeurs admises et considérées comme « allant de soi » par la majorité des sociétaires. Il possède donc un appareil civil, qui englobe la culture, les idées, les mœurs et jusqu'au sens commun. L’Etat, autrement dit, n'exerce pas seulement son autorité par la coercition. À côté de la domination directe, du commandement qu'il exerce par le canal du pouvoir politique, il bénéficie aussi d'une sorte d'« hégémonie idéologique », d’une adhésion spontanée de la majorité des esprits à une conception du monde, à une vue du monde qui le conforte dans ce qu'il est. (Cette distinction, on le notera, n’est pas très éloignée de celle faite par Louis Althusser entre l’« appareil répressif d’Etat » et les « appareils idéologiques d’Etat », ce qui n’a d’ailleurs pas empêché Althusser de critiquer violemment Gramsci, à propos notamment de son « historicisme »).

    Réalisant parfaitement que c'est dans la société civile que s'élaborent, se diffusent et se reproduisent les conceptions du monde, les philosophies, les religions et toutes les activités intellectuelles ou spirituelles qui contribuent à façonner le consensus social, Gramsci affirme, à l’encontre du marxisme orthodoxe, qu'au sein de la société la superstructure (rapports idéologiques et culturels) est dans une certaine mesure autonome par rapport à l'infrastructure (rapports économiques), et que dans certains cas c'est la première qui détermine la forme de la seconde. Il en découle que l'abolition de la propriété des moyens de production ne suffit pas à marquer le passage au socialisme. Il faut encore transformer les hommes, transformer les rapports sociaux et proposer un autre modèle de vie quotidienne.

    Alors qu'« en Orient, l'État était tout, tandis que la société civile était primitive et gélatineuse » (lettre à Togliatti 1924), en Occident, et tout particulièrement dans les sociétés modernes ou le pouvoir tend à devenir diffus, le rôle joué par la partie « civile » de la superstructure sociale, celle qui détermine la mentalité de l'époque – l’esprit du temps –, est considérable. C'est de ce facteur que les mouvements communistes des années vingt n'ont pas tenu compte. Ils ont été induits en erreur par l'exemple de la révolution de 1917 : si Lénine, en effet, a pu s'emparer du pouvoir, c'est (entre autres raisons) parce qu'en Russie la société civile était pratiquement inexistante. Dans les sociétés occidentales modernes, la situation se présente différemment : il n'y a pas de prise du pouvoir politique possible sans prise préalable du pouvoir idéologique et culturel.

    La Révolution de 1789 est un exemple : elle n'a été possible que dans la mesure où elle a été préparée par une « révolution des esprits », en l'occurrence par la diffusion de la philosophie des Lumières auprès des milieux aristocratiques et bourgeois représentant les centres de décision du moment.

    En d'autres termes, un renversement politique ne crée pas une situation, il la consacre. « Un groupe social, écrit Gramsci, peut et même doit être dirigeant dès avant de conquérir le pouvoir gouvernemental : c'est une des conditions essentielles pour la conquête même du pouvoir » (Cahiers de prison). Dans cette perspective, remarque Hélène Védrine, « la prise du pouvoir ne s'effectue pas seulement par une insurrection politique qui prend en main l'État, mais par un long travail idéologique dans la société civile qui permet de préparer le terrain » (Les philosophes de l'histoire, Payot, 1975). Dans une société développée, le passage au socialisme ne s'opèrera ni par le putsch ni par l'affrontement direct, mais par une transformation des idées générales, équivalant à une lente subversion des esprits. L'avenir n'est plus à la guerre de mouvement, mais à la guerre de positions. Et l'enjeu de cette « guerre de positions » est la culture, considérée comme le poste central de commandement et de spécification des valeurs et des idées.

    Gramsci récuse donc à la fois le léninisme classique (théorie de l'affrontement révolutionnaire), le révisionnisme stalinien des années trente (stratégie de « front populaire » ou de « programme commun ») et les thèses de Kautsky (stratégie du « vaste rassemblement ouvrier »). Parallèlement au « travail de parti », qui est un travail directement politique, il propose d'entreprendre un « travail culturel », consistant à substituer une « hégémonie culturelle prolétarienne » à l'« hégémonie bourgeoise », et qui aura pour but de rendre compatible la mentalité de l'époque (c’est-à-dire la somme de sa raison et de sa sensibilité) avec un message politique nouveau. Pour obtenir de façon durable la majorité politique, affirme Gramsci, il faut d'abord obtenir la majorité idéologique, car c'est seulement lorsque la société en place sera gagnée à des valeurs différentes des siennes propres qu'elle commencera à vaciller sur ses bases – et que son pouvoir effectif commencera à s'effriter. La situation, alors, pourra être exploitée sur le plan politique : l'action historique ou le suffrage populaire confirmeront – en la transposant au plan des institutions et du système de gouvernement – une évolution déjà acquise dans les mentalités.

    La fonction des intellectuels

    C'est évidemment aux intellectuels – à l'intelligentsia – que Gramsci demande de « gagner la guerre culturelle ». Il donne toutefois de cette catégorie une définition nouvelle, très large, Pour Gramsci, l'intellectuel se définit d'abord par sa fonction sociale (sa « dimension organique »), et par la place qu'il occupe au sein d'un processus historique. « Tout groupe social, qui naît sur le terrain originaire d'une fonction essentielle dans le monde de la production économique, écrit-il, se crée en même temps de façon organique une ou plusieurs couches d'intellectuels qui lui donnent homogénéité et conscience de sa fonction, non seulement dans le domaine économique, mais également dans le domaine social et politique » (Cahier 12).

    Les intellectuels sont donc, dans un sens non péjoratif, les « commis » du groupe dominant : ce sont eux qui organisent « le consentement spontané des grandes masses de la population à la direction imprimée à la vie sociale par le groupe fondamental dominant » et qui, en même temps permettent « le fonctionnement de l'appareil de coercition de l'État ». La tâche de la nouvelle intelligentsia sera de conquérir la majorité idéologique, « terreau » sans lequel le pouvoir en place ne peut que dépérir. C'est au niveau de ces « intellectuels organiques » que Gramsci recrée le sujet de la politique et de l'histoire – « le Nous organisateur des autres groupes sociaux », pour reprendre une expression d'Henri Lefebvre (La fin de l'histoire, Minuit. 1970). Ce sujet n'est plus le Prince ni l'État, ni même le parti, mais l'avant-garde intellectuelle qui, par un lent « travail de termites » (évoquant la « vieille taupe » dont parle Marx), remplit une « fonction de classe » en se faisant le porte-parole des « groupes représentés dans les forces de production » et en donnant au prolétariat l'« homogénéité idéologique » et la conscience propre à assurer son hégémonie (terme qui, chez Gramsci, remplace et déborde celui de « dictature du prolétariat »)

    Au passage, Gramsci détaille les moyens qu'il estime propres à la persuasion permanente: appel à la sensibilité populaire, renversement des valeurs courantes, création de « héros socialistes », promotion du théâtre, du folklore et de la chanson populaire, expression de nouvelles valeurs « métapolitiques » dans le domaine de la mode, de l'urbanisme, des spectacles, de la littérature, etc. Dans ses propositions, Gramsci s’inspire d’ailleurs de certains succès initiaux du fascisme italien (en 1914-15, il était assez proche du jeune Mussolini, alors leader socialiste révolutionnaire).

    Au moment où il écrit – dans le courant des années trente –, Antonio Gramsci sait très bien que l'après-fascisme ne sera pas socialiste. Mais il pense que cette période, durant laquelle le libéralisme régnera à nouveau, sera une excellente occasion de pratiquer l'encerclement du pouvoir politique par le pouvoir culturel. D'abord parce que les tenants du socialisme et du communisme y seront moralement en position de force. Ensuite parce que les régimes libéraux, où le pluralisme politique est la règle, sont par nature ceux où l'intelligentsia a le plus de libertés d'exercer sa fonction critique, en même temps que ceux ou le consensus populaire est le plus évanescent.

    Gramsci meurt le 25 avril 1937 dans une clinique italienne. Recueillis par sa belle-sœur, ses Cahiers de prison – trente-trois fascicules au total – vont exercer, après la guerre, une influence considérable, d'abord sur le PC italien qui, sous l’influence notamment de Palmiro Togliatti, va mettre en œuvre une stratégie politico-culturelle directement inspirée du « gramscisme », ensuite sur des fractions de plus en plus larges de la gauche et de l'extrême gauche des pays européens.

    Si l'on s'en tient à leurs aspect purement méthodologique, les vues de Gramsci se sont révélées prophétiques. Aussi ne doit-on pas s'étonner de la part qu'elles ont pu prendre dans la redéfinition actuelle des stratégies de gauche et d'extrême gauche. La naissance d'un véritable pouvoir culturel dans tous les pays occidentaux, la recherche d'un nouveau « bloc historique » par plusieurs partis communistes européens, l'abandon par le PC français de la notion de « dictature du prolétariat », certaines évolutions tactiques des communistes espagnols et italiens, la multiplication et la diffusion des phénomènes « culturels » dérivés de Mai 1968, tous ces événements s'inscrivent, malgré leur caractère très divers, dans un contexte profondément marqué, entre autres, par la pensée de Gramsci, dont le point d'aboutissement logique est le renversement de la « majorité idéologique » par substitution de valeurs et transformation de l'esprit du temps. Il y a quatre ans, Bernard-Henri Lévy titrait l'un de ses articles : « Gramsci, c'est fini! » (Le Quotidien de Paris, 5 Juillet 1974). On peut dire aujourd'hui : Gramsci, ça ne fait que commencer.

     

    Alain de Benoist (Le Figaro magazine, 11-12 mars 1978)

     

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