Olivier Maulin : “Nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus” clamait en effet fièrement René Viviani à la Chambre des députés en 1906. On croyait alors que l’homme serait plus heureux dans une humanité scientifiquement organisée, sans espérance spirituelle, avec pour seul désir celui de combler les attentes matérielles de l’existence, ce qui est la plus belle illusion des deux ou trois derniers siècles d’histoire, illusion dont on n’est évidemment pas sorti. Qui sait pourtant si tout ça ne va pas exploser dans les prochaines années ? Bientôt, il n’y aura plus I-pod, ni télé-aux-coins-carrés, ni cellules psychologiques, ni rien du tout, rien que des hommes tout nus, tout désarmés. Le projet de ce livre a été, dans un premier temps, d’explorer ce monde “sans lumières”, de montrer comment on vivait sous un ciel vide. Et puis j’ai très vite rencontré des petites lumières que Viviani et sa clique d’enténébrés avaient oublié d’éteindre et j’ai soufflé dessus pour les rallumer. En un sens mon livre est un manifeste antilibéral !
Novopress : Si l’on présente votre nouveau roman comme une sorte de « révolte contre le monde moderne » chez les bras cassés, une épopée chaotique à la poursuite de l’étoile polaire en compagnie des laissés pour compte de la Star Academy ou comme un « road-book » écolo-anarchiste invitant à la rupture avec la déshumanisation du règne de la technique, cela vous parait-il assez fidèle à l’esprit du roman ?
Olivier Maulin : On peut le dire comme ça. Il est vrai qu’il s’agit probablement de mon livre le plus “anarchiste”, encore faut-il s’entendre sur le mot. Quand je dis anarchiste, je ne me réfère évidemment pas aux rats en noir de la CNT qui sortent à la pleine lune pour tout casser et qui ne sont finalement que des nihilistes revanchards. Pour moi, l’anarchisme, c’est un sentiment très médiéval, qui peut du reste coexister avec une fidélité royale. C’est ce que porte dans son cœur l’artisan, le paysan, le curé de campagne, le chevalier sans fortune, le petit peuple de France. Pris dans l’horreur de la révolution industrielle, ce petit peuple a compris très tôt les implications ultimes du nouveau système économique qui exigeait d’abolir tout ce qui entravait l’action des individus dans la libre poursuite de leur intérêt bien compris. Le capitalisme originel porte en lui la destruction de la famille, des coutumes et des mœurs léguées par l’histoire. Il est une révolution permanente, c’est ce que refusent de comprendre certains anticapitalistes de gauche qui l’associent à l’esprit conservateur, voire à la Réaction, ce qui est aberrant. D’une manière générale, je crois que la ligne de crête aujourd’hui se situe entre libéraux et antilibéraux, entre ceux à qui profitent le système et ceux qui en souffrent, entre les élites et le peuple pour aller vite. A nous de nous inspirer de toutes les pensées antilibérales, à l’exclusion de celles qui ont mené au totalitarisme (et qui du reste sortent généralement de la même “matrice” libérale), que ces pensées soient d’origine anarchiste, socialiste, populiste ou réactionnaire à proprement parler. Il faut retrouver l’âme du petit peuple de France.
Novopress : Vous semblez avoir une appétence particulière pour les « bras cassés », les ratés sympathiques, les incompétents lunaires, les simplets poétiques…. Voilà un goût qui n’est pas très à la mode dans la France sarkozyste du « travailler plus pour gagner plus…»
Olivier Maulin : En effet, j’aime réhabiliter les disgracieux, les tordus, les mal-foutus, les fainéants, ceux dont la seule présence physique est une insulte faite à la médecine moderne et à l’organisation rationnelle de la société ! Je trouve qu’ils ont des choses passionnantes à dire. Et puis il y a toujours une dimension carnavalesque dans mes livres. La France d’aujourd’hui étant un grand carnaval triste et permanent (avec des ministres lisant Zadig et Voltaire), lorsque l’on organise un contre-carnaval là-dedans, on retombe forcément sur ses pieds. Les fous deviennent sages, les débiles, intelligents, les disgracieux, gracieux. Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire.
Novopress : Tous vos ouvrages sont des récits de tentatives d’évasion hors de la modernité. Olivier Maulin, notre époque contemporaine, que vous a-t-elle faite ? Que lui reprochez-vous ? Pourquoi la « détestez-vous » autant ?
Olivier Maulin : Mais je ne la déteste pas ! Je lui trouve même certains attraits, comme on peut en trouver à une vieille pute éclairée au néon. Les périodes de déliquescence sont des périodes fascinantes, il n’y a qu’à lire les polars américains ou même Henry Miller. D’ailleurs, les années à venir vont probablement être très excitantes, et promettent peut-être quelques beaux livres. Ceci étant, il est vrai que nous vivons probablement l’époque la plus sinistre, la plus vulgaire, la plus idiote et la plus liberticide de l’histoire. Ce que je reproche à notre société ? De vouloir crever dans la honte, de tirer de cette unique volonté sa légitimité morale et d’emmerder ceux qui veulent encore vivre.
Novopress : L’une des originalités de votre dernier ouvrage par rapport aux précédents où les issues à la modernité étaient plutôt d’ordre onirique, poétique ou “dyonisiaques”, cette fois vous évoquez une voie pratique et concrète : le « retour à la terre » et la « néo-paysannerie ». Vous croyez véritablement à ce genre de démarches comme réponse possible à la crise économique, civilisationnelle et humaine que nous traversons ?
Olivier Maulin : Jusqu’à présent, les « retours à la campagne », genre mouvement hippie, ont tous été très idéologiques, sans grande chance de succès. Il fallait forcément qu’il y ait des normes imposées, mettre les femmes en commun, se droguer, vivre en communauté, etc. toutes choses finalement tellement artificielles qu’elles s’achevaient en eau de boudin. Mais aujourd’hui, c’est un peu différent, on a un système qui s’effondre sous nos yeux et, fait unique dans l’histoire, on n’a rien pour le remplacer ! Si dans quelques années, il n’y a plus d’Etat, plus de sécurité, plus de prestations sociales, plus de travail et plus rien à bouffer, il me paraît évident que les gens vont se réfugier là où ils pourront cultiver un potager, nourrir trois poules, élever leurs enfants et les défendre avec un bon fusil. Il n’y aura alors aucune idéologie, ce sera de la simple survie : essayez donc de cultiver un potager rue Lafayette ! Les cartes alors seront rebattues. Deux fermes qui font une alliance, c’est le début d’un nouvel âge féodal.
Novopress : Votre ouvrage déborde d’ironie et d’humour mais n’hésite pas pour autant à évoquer des problèmes graves tels que l’immigration, le nihilisme consumériste ou les dérives d’une vieillesse soixanthuitarde qui refuse son âge et la sagesse qui devrait l’accompagner… Pensez-vous que l’on puisse encore rire de tout ?
Olivier Maulin : On peut rire d’absolument tout, et avec tout le monde par-dessus le marché ! L’humour, quand on sait le manier, est une arme absolument formidable. Sans elle, vu l’état des mœurs, je serais probablement devant la 17e chambre correctionnelle de Paris, comme un cave, avec des vieux juges gaga qui me taperaient sur les doigts…
Olivier Maulin (Novopress, 2011)