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aliénation

  • Aujourd'hui, la décroissance ?...

    Vous pouvez lire ci-dessous un texte stimulant cueilli sur le blog A moy que chault ! et consacré à la décroissance...

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    Aujourd'hui, la décroissance

    La croissance et son culte constituent désormais la seule religion occidentale quasi-unanimement partagée. A l'inverse du catholicisme, jamais elle ne s'est si bien portée ni n'a compté autant d'adeptes. De l'extrême-droite à l'extrême-gauche, personne ne remet en cause le dogme sacré sous peine d'être exclu du cercle des « gens sérieux ». Le débat se borne donc aux choix des méthodes pour atteindre ce graal productif puis aux modalités de redistribution et de partage de ses mirifiques bienfaits. Toute pensée véritablement révolutionnaire est donc exclue de facto puisque les oppositions et confrontations se font exclusivement dans le cadre d'une même pensée et d'un même horizon indépassable. Hors la croissance, point de salut !

    Sans celle-ci, il n'y aurait pas de bonheur possible pour les nations. C'est l'accroissement productiviste et l'accumulation des biens qui mèneraient à la grandeur des Etats et à la prospérité des populations. Il n'y a pourtant qu'à voir dans quel état de décrépitude physique et morale se trouvent les européens après à peine trois siècles de ce régime de « croissance » pour s'interroger sur l'infaillibilité de ce présupposé qu'on nous rabâche comme s'il s'agissait d'une vérité révélée. Ou encore de regarder du côté de la Chine qui fait fantasmer et saliver d'envie les économistes de tous poils avec sa croissance à deux chiffres mais qui est en train d'empoisonner son sol et ses eaux, de détruire ses structures ancestrales, de perdre son identité et de vendre son âme au profit d'une pâle imitation occidentaliste !

    Mais le dogme se défend bien, toute personne osant le remettre en cause – ou même simplement l'interroger- étant immédiatement mis au ban de la communauté, interdit de médias et fermement ghettoïsé.

    La décroissance. Aucune pensée politique – à l'exception du fascisme – suscite des réactions aussi virulentes, aussi violentes, des dénonciations et des condamnations aussi radicales, simplistes et définitives, venants de tous les horizons du système... Peu de personnalités sont autant moquées, calomniées, caricaturées et hystériquement dénoncées que celles qui tentent de défendre et de promouvoir cette idée de « décroissance », c'est à dire de changement radical de paradigme sociétal. « Hippies, rétrogrades, obscurantistes, allumés, khmers verts, écolo-fascistes, utopistes, beatniks, doux dingues, réacs... » tous les anathèmes sont bons pour discréditer sans débat cette pensée véritablement iconoclaste qui sape le fondement même du règne de la quantité et du pognon.

    On voudrait faire passer la décroissance pour une volonté de « retour à la bougie et à la traction animale », bref pour un passéisme. C'est au contraire une pensée innovante refusant le formatage du monde par le seul imaginaire capitaliste. La décroissance ce n'est pas refuser la technologie, c'est combattre le primat de la Technique, ce n'est pas refuser les innovations, c'est faire le tri entre elles, ne pas considérer qu'une nouveauté est bonne « par nature » et écarter celles dont les conséquences sont néfastes, ce n'est pas déifier ni sacraliser la nature, c'est avoir conscience de notre interdépendance avec l'environnement et défendre le patrimoine biologico-écologique des générations futures, ce n'est pas refuser le confort, c'est rejeter le superflu, ce n'est pas souhaiter la pauvreté mais la sobriété, ce n'est pas idéaliser « antan », c'est se nourrir de notre plus longue mémoire pour privilégier le temps long et la stabilité sur le zapping et le bougisme...

    A titre d'exemple, l'agriculture biologique est une démarche de type décroissante, puisqu'elle réduit les rendements et la productivité. Il n'en reste pas moins qu'en permettant d'obtenir des fruits et légumes plus sains et goûteux et en assurant la prolongation de la fertilité des sols, elle représente un « progrès ». Pas pour l'industrie agro-alimentaire certes, mais pour l'homme oui. Dans un autre domaine, se passer de télévision – c'est à dire d'une lobotomie quotidienne – est-il un recul ou un progrès ? Poser la question, c'est y répondre.

    On nous rétorquera que la « décroissance » est antinomique de la « puissance » d'un Etat ou d'un peuple. Pour cela il faut déjà raisonner en termes géopolitiques alors que l'on peut penser qu'on est aujourd'hui plutôt au stade de la simple survie. Mais même en admettant cette dialectique, encore faudrait-il s'entendre sur ce qu'est la puissance. La santé, mentale et physique, d'un peuple, sa démographie, ses arts et lettres, sa conscience nationale, son aptitude à produire du sens ne sont-ils pas des éléments fondamentaux de la puissance ? Or ces domaines ont été totalement sacrifiés, saccagés, par la société de la croissance, du primat de la pensée matérialiste et productiviste.

    Par ailleurs, que nous importent que la France, l'Italie ou l'Europe soient « puissantes », s'il n'y a plus de français, d'italiens et d'européens ? Si ces « entités administratives » ne sont plus peuplées que de zombies consuméristes, des clones hyperconnectés et réduits à leurs seules fonctions de production et de consommation, accrocs aux shopping, bourrés de médicaments, des non-êtres interchangeables ne levant la tête de leur Iphone que pour se traîner devant un quelconque écran de télé ou d'ordinateur pour y ingurgiter du porno et des séries américaines ? Nous y sommes déjà presque...

    Alors répétons-le, aucun changement économico-politique majeur ne pourra avoir lieu tant que l'on ne sera pas sorti de cette vénération de la croissance qui représente une aliénation totale du monde à l'imaginaire de la technique et de l'avoir.

    (A moy que chault ! , 15 août 2013)

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  • Une décennie rebelle ?...

    Nous vous signalons la parution de la revue Rébellion (n°54, été 2012) qui fête ses dix ans de combat éditorial. Vous pourrez notamment lire dans ce numéro des articles de Thibault Isabel et de Thierry Mudry. 

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    Au sommaire du numéro de l'été :

    Edito :

    Rebelle décennie.

    Réflexion :

    Qu'est-ce que l'aliénation ? 

    Dossier :

    2002-2012 - Dix ans de combat ! 

    Société :

    Qu'est-ce que l'autorité ? , par Thibault Isabel  

    L'éducation, otages des idéologies,  par Zentropa

    L'épuissement consumériste de la civilisation occidentale, par Thibault Isabel 

    Histoire :

    Martin Buber - "Nous sommes tous des juifs allemands", par Thierry Mudry  

     

    Le numéro est disponible contre 4 euros ( port compris) à l'adresse : 

    Rébellion - RSE BP 62124 31020 TOULOUSE cedex 02 . 

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  • Aliénation et accélération...

    Les éditions La Découverte viennent de publier Aliénation et accélération - Vers une critique de la modernité tardive, un nouvel essai du sociologue allemand Hartmut Rosa. Un ouvrage qui vient prolonger et enrichir son essai précédent intitulé Accélération - Une critique sociale du temps (La Découverte, 2010). 

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    "La vie moderne est une constante accélération. Jamais auparavant les moyens permettant de gagner du temps n'avaient atteint pareil niveau de développement, grâce aux technologies de production et de communication ; pourtant, jamais l'impression de manquer de temps n'a été si répandue. Dans toutes les sociétés occidentales, les individus souffrent toujours plus du manque de temps et ont le sentiment de devoir courir toujours plus vite, non pas pour atteindre un objectif mais simplement pour rester sur place. Ce livre examine les causes et les effets des processus d'accélération propres à la modernité, tout en élaborant une théorie critique de la temporalité dans la modernité tardive. Dans le sillage de son ouvrage Accélération (La Découverte, 2010), dont il reprend ici le coeur du propos de manière synthétique, Hartmut Rosa apporte de nouveaux éléments en rediscutant la question de l'aliénation à la lumière de la vie accélérée. Ainsi, il soutient et développe avec force l'idée que l'accélération engendre des formes d'aliénation sévères relatives au temps et à l'espace, aux choses et aux actions, à soi et aux autres. Sous la pression d'un rythme sans cesse accru, les individus font désormais face au monde sans pouvoir l'habiter et sans parvenir à se l'approprier."

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  • Entre aliénation et répression...

    Nous reproduisons ci-dessous un très bon texte de Jean-Claude Michéa, cueilli sur le site Euro-synergies. Nous vous signalons au passage la parution au mois d'octobre, aux éditions Climats, du prochain livre de cet auteur, qui sera intitulé Le complexe d'Orphée

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    Le libéralisme : entre aliénation et répression

    « Le paradoxe constitutif des politiques libérales c’est qu’elles sont constamment amenées à intervenir sur la société civile, ne serait-ce que pour y enraciner les principes du libre-échange et de l’individualisme politique. Pour commencer, cela implique en général une politique de soutien permanent au marché dit "autorégulé", politique qui peut aller, comme on le sait, jusqu’à la fameuse "socialisation des pertes" (les classes populaires étant régulièrement invitées à éponger les dettes des banquiers imprévoyants ou des spéculateurs malchanceux). Mais un pouvoir libéral est également tenu de développer sans cesse les conditions d’une "concurrence libre et non faussée". Cela implique toute une politique particulièrement active de démantèlement des services publics et des différentes formes de protection sociale, officiellement destinée à aligner la réalité empirique sur les dogmes de la théorie universitaire. Enfin, et c’est l’essentiel, l’État libéral est logiquement contraint d’impulser une révolution culturelle permanente dont le but est d’éradiquer tous les obstacles historiques et culturels à l’accumulation du capital, et avant tout à ce qui en constitue aujourd’hui la condition de possibilité la plus décisive : la mobilité des individus, dont la forme ultime est la liberté intégrale de circuler sur le marché mondial. Marx avait remarquablement compris ce point lorsqu’il écrivait que la bourgeoisie, à la différence de toutes les classes dominantes antérieures, ne pouvait pas exister sans révolutionner constamment l’ensemble des rapports sociaux. C’est ainsi qu’Hubert Védrine rappelait récemment, dans un rapport officiel destiné au président Sarkozy, qu’un des principaux freins à la croissance était la "répugnance morale persistante" des gens ordinaires envers "l’économie de marché et son moteur, le profit". De telles déclarations sont naturellement monnaie courante chez les politiciens libéraux.

    Il y a peu, je lisais, par exemple, un rapport sur la situation en Birmanie, rédigé par des experts d’une des grandes institutions capitalistes internationales, et qui expliquait qu’une partie des difficultés rencontrées par les entreprises occidentales pour s’implanter en profondeur dans ce pays, tenaient au fait que la recherche du profit individuel et le désir de s’enrichir avaient encore trop peu de prise sur la paysannerie traditionnelle birmane. Ces missionnaires libéraux en concluaient tranquillement qu’il fallait contraindre ces populations à entrer dans la modernité en les amenant à rompre avec leur mentalité archaïque et "conservatrice". Toutes ces contraintes pratiques conduisent donc un pouvoir libéral à mettre en place des politiques extrêmement interventionnistes (au premier rang desquelles une "modernisation" permanente de l’école destinée à l’ouvrir au «monde extérieur» et à l’adapter aux nouvelles réalités de l’économie mondiale). On sait du reste que, sans le concours déterminant des gouvernements de l’époque (gouvernements dont il n’est pas inutile de rappeler que, dans le cas européen, ils étaient majoritairement de gauche), les conditions techniques et politiques de la globalisation capitaliste n’auraient jamais pu être réunies. Il est donc clair que la logique réelle de l’État libéral le conduit toujours à se faire beaucoup plus interventionniste que ses dogmes officiels ne le prétendent. […]

    De nos jours, il devrait être évident aux yeux de tous que la production massive de l’aliénation trouve désormais sa source et ses points d’appui principaux dans la guerre totale que les industries combinées du divertissement, de la publicité et du mensonge médiatique livrent quotidiennement à l’intelligence humaine. Et les capacités de ces industries à contrôler le "temps de cerveau humain disponible" sont, à l’évidence, autrement plus redoutables que celles du policier, du prêtre ou de l’adjudant qui semblent tellement impressionner la nouvelle extrême gauche. Critiquer le rôle de l’État libéral contemporain sans mesurer à quel point le centre de gravité du système capitaliste s’est déplacé depuis longtemps vers les dynamiques du marché lui-même, représente par conséquent une erreur de diagnostic capitale. Erreur dont je ne suis malheureusement pas sûr qu’elle soit seulement d’origine intellectuelle. Focaliser ainsi son attention sur les seuls méfaits de l’«État policier» (comme si nous vivions au Tibet ou en Corée du Nord et que le gouvernement de M. Sarkozy était une simple réplique de l’ordre vichyssois) procure des bénéfices psychologiques secondaires trop importants pour ne pas être suspects. Cette admirable vigilance ne présente pas seulement l’avantage, en effet, de transformer instantanément ses pratiquants en maquisards héroïques, seraient-ils par ailleurs sociologues appointés par l’État, stars du showbiz, maîtres de conférences à la Sorbonne ou pensionnaires attitrés du cirque médiatique. Elle leur permet surtout de ne pas trop avoir à s’interroger, pendant ce temps, sur leur degré d’implication personnelle dans la reproduction du mode de vie capitaliste, autrement dit sur leur propre rapport réel et quotidien au monde de la consommation et à son imaginaire. Il serait temps, en somme, de reconnaître que de nos jours, et pour paraphraser Nietzsche, c’est le spectacle lui-même qui est devenu la meilleure des polices. […]

    On sait par exemple que, dans les pays occidentaux, près de 70% des achats opérés par les parents le sont désormais sous la pression morale et psychologique de leurs propres enfants. Cela signifie que le dressage marchand de la jeunesse s’est révélé si efficace qu’une grande partie de cette dernière a déjà tranquillement accepté d’être l’œil du système à l’intérieur de la sphère familiale. Et un nombre non négligeable de parents (généralement de gauche) a visiblement appris à vivre sans sourciller sous la surveillance impitoyable de ces nouveaux gardes rouges. Quand le pouvoir des images a acquis une telle efficacité, il devrait donc être universellement admis que l’assujettissement des individus au système libéral doit, à présent, beaucoup moins à l’ardeur répressive du policier ou du contremaître qu’à la dynamique autonome du spectacle lui-même. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que nous sommes encore très loin d’une telle prise de conscience collective comme en témoigne, entre mille autres exemples, le fait que toute interrogation critique sur les dogmes de l’éducation libérale (à l’école comme dans la famille) est devenue depuis longtemps une question taboue chez la plupart des militants de gauche.

    Parvenus à ce point, il est donc inévitable d’affronter enfin la question des questions : comment un tel retournement politique et culturel a-t-il pu avoir lieu ? Ou, si l’on préfère : par quelle dialectique mystérieuse la gauche et l’extrême gauche contemporaines en sont-elles venues à reprendre aussi facilement à leur compte les exigences les plus fondamentales de la logique libérale, depuis la liberté intégrale de circuler sur le marché mondial jusqu’à l’apologie de principe de toutes les transgressions concevables ? Il est certain que la clé de cette énigme doit d’abord être recherchée dans les mutations économiques, culturelles et psychologiques du capitalisme lui-même. »

     

    Jean-Claude Michéa, interviewé par A Contretemps n°31, mai 2009

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  • Philosophie des jeux video...

    Les éditions Zones viennent de publier Philosophie des jeux video, un essai de Mathieu Triclot. L'auteur qui a précédemment publié en 2008 chez Champ Vallon, Le moment cybernétique, aborde notamment la portée politique des jeux video. En jouant, dit-il, on "s’élabore une « petite technologie de soi » par laquelle on se produit en tant que « sujet conforme à l’ordre du monde digital".

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    "Vous êtes face à un jeu vidéo. Vous pressez les bonnes touches, vous déplacez la souris, vous appuyez en cadence sur les boutons du pad. Qu’est-ce qui se produit alors ? Quel est cet état si particulier, à la limite du vertige et de l’hallucination, face à l’écran et à la machine ? L’expérience ne ressemble à aucune autre : pas plus à l'état filmique des salles obscures qu'à l'état livresque de la lecture.

    De « Space Invaders » à la 3D, depuis les premiers hackers qui programmaient la nuit sur les ordinateurs géants d’universités américaines jusqu’à la console de salon, en passant par la salle d’arcade des années 1970, ce qui s’est à chaque fois inventé, au fil de l’histoire des jeux vidéo, ce sont de nouvelles liaisons à la machine, de nouveaux régimes d’expérience, de nouvelles manières de jouir de l’écran.

    On aurait tort de négliger ce petit objet. Sous des dehors de gadget méprisable, il concentre en fait les logiques les plus puissantes du capitalisme informationnel. Et ceci parce qu’il tient ensemble, comme aucune autre forme culturelle ne sait le faire, désir, marchandise et information.

    Les jeux vidéo exhibent la marchandise parfaite du capitalisme contemporain, celle dont la consommation s’accomplit intégralement et sans résidu sous la forme d’une expérience ; une expérience-marchandise branchée en plein cœur de la mise en nombres du monde.

    À l’âge de la « gamification généralisée », où le management rêve d’un « engagement total » mesuré par une batterie d’indicateurs, les jeux vidéo fournissent aussi un nouveau modèle pour l’organisation du travail, où l’aliénation s’évanouirait enfin dans le fun.

    Les jeux vidéo sont de petites poussières de rêve grâce auxquelles le capitalisme se secoue de son grand sommeil, des choses qui sont des songes, branchées sur des machines à nombres, mais ce sont aussi des miroirs brisés qui renvoient une image complexe de la subjectivité contemporaine : en s’y intensifiant, les logiques du management informationnel y redeviennent visibles, accessibles à la critique, actionnables, reconfigurables, jouables."

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  • L'homme broyé et le Système fou...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse métapolitique particulièrement remarquable de Philippe Grasset, publiée sur son site De Defensa, à propos de l'affaire DSK.

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    L’homme broyé et le Système fou

    17 mai 2011 — Que ne l’a-t-on vu, cette image de DSK, menottes aux poignets, mains derrière le dos, “le visage hagard” selon les commentaires de service. La chose secoue la France jusqu’aux tréfonds, de bien diverses façons. Au contraire et mises à part les circonstances “croustillantes” de l’affaire, elle laisse en général l’Amérique courante assez indifférente bien que l’essentiel de cette affaire se déroule sur son sol et concerne un homme qui dirige une institution essentielle depuis des décennies à la politique générale de globalisation américaniste du reste du monde. Cette fois-ci, dans l’attitude publique au travers du système de la communication vis-à-vis des symptômes de la crise générale qui affecte le Système, et pour l’attitude spécifique de servir d’indicateur du caractère paroxystique de la crise, la France a raison et l’Amérique tort. C’est une occurrence inattendue et nouvelle car l’Amérique, jusqu’ici, au travers de sa presse dissidente et même certains segments de l’establishment, s’est montrée bien plus concernée par “le caractère paroxystique de la crise”.

    “Caractère paroxystique de la crise”, car DSK menotté, traîné, bousculé, débraillé et pressé par des policiers imperturbables, c’est bien autre chose que l’épilogue crépusculaire d’une partie de pince-fesses convulsive et forcée, réelle ou arrangée, avec une sorte d’ogre sexuel, ou bien le bouquet cruel d’une mise en scène des flics du New York Police Department (NYPD, marque du tea-shirt qu’arborait notre-Président en séance de jogging dans les rues de New York), – des flics plus vrais que nature et affichant complaisamment, sans qu’un trait de leurs visages ne bouge, leur brutalité de robots... C’est bien autre chose, parce que c’est une image profonde et terrible de la crise générale et de son “caractère paroxystique” actuel.

    Tous les personnages sont présents, on dirait presque “au garde à vous”, comme pour une revue de détails. Le Système a fait grandiose, dans le genre. Il y a DSK, plus vrai que nature, cet homme devenu un des grands parmi les grands de la haute direction financière internationale, avec ses mœurs brutaux et célèbres, son fric (ou celui de sa femme), ses suites à $3.000 la nuitée, ses 6 ou 7 téléphones portables, la Porsche de l’ami Lagardère, ses casseroles qui font qu’on conseille aux jeunes filles de la rédaction de se garer vite fait lorsqu’il arrive pour une interview, ses commentaires insipides, insupportables et satisfaits lors de la crise de 2008 dont son FMI et lui-même n’ont rien, absolument rien vu venir, puis son récent et opportun tournant social qui a fait s’exclamer d’admiration Joseph Stiglitz et qui ouvrait joliment sa campagne électorale.

    Il y a l’Amérique, son système américaniste qui marie la plus extrême brutalité, sa tendance à exposer une personne inculpée à la charge hystérique et au lynch des médias, ses entourloupes incroyables d’une justice de fer bâtie absolument, de haut en bas, sur la corruption légale, où tout se négocie, ou tout se compromet en sommes équivalentes de dollars… L’Amérique, – ou ceux, chez elle, qui s’y intéressent, – qui semblerait comme si elle se regroupait spontanément pour prendre comme tête de Turc le Frenchie placé à la tête d’une des plus puissantes et prestigieuses institutions de la globalisation américaniste ; Frenchie impudent, qui prétendait s’emparer d’un instrument absolument américaniste, réservé à la puissance américaniste ; en même temps, président d’un instrument détesté par l’Américain moyen, qui élit tous les quatre ans un Président qui fait marcher la globalisation, alors que lui-même déteste cette globalisation qui fait fuir les jobs dans les pays des périphéries métèques… En observant DSK menotté et débraillé, on était soudain pris d’un élan de compassion pour cet homme qui roulait des mécaniques financières 48 heures plus tôt, car l’on sent bien qu’il est tombé dans les rets d’une force supérieure en puissance, mais d’une force qui vient des profondeurs noires et sombres, d’une force du système, inarrêtable et impossible à amener à composer dans le champ des considérations simplement humaines.

    Il y a la France, et les amis du Système. Autant tout le monde s’en fout, à Washington, au Congrès, autant toute la direction politique française observe la scène, absolument tétanisée, terrifiée, stupéfaite, la bouche bée et ne cessant de bavarder compulsivement pour ne surtout rien dire. Ils défilent tous à la radio, à la TV, pour leur interview que personne ne doit manquer, pour nous déclarer avec emphase ou l’air infiniment grave, qu’il n’y a rien à dire pour l’instant, qu’il faut “raison garder”, qu’il faut “un peu de hauteur, un peu de sérénité” (le maire de Paris), qu’il y a “la présomption d’innocence”, qu’“on doit penser, en cet instant, à la famille de Dominique-Strauss-Khan, à ses proches”… Il y a dans cette direction politique française, de quelque parti et de quelque tendance que ce soit pourvu qu’on reste dans le conformisme du Système, une stupéfaction qui ne semble jamais devoir se tarir, qui ressemble à la terreur indicible devant un abîme qui s’ouvre devant vous. A ce point, inutile de jouer à cette devinette de “qui profite de quoi” avec l’élimination de DSK, parce que l’évidence bien plus éclairante est bien la réalité d’une communauté, d’une solidarité, emmenées plus ou moins satisfaites dans la folle envolée du Système, découvrant soudain que rien, au fond, ne protège personne, que rien, enfin, ne protège plus rien, – que le Système est emporté dans sa folie dévastatrice et les emporte dans la même folie dévastatrice.

    Pour faire une forme de conclusion de cette revue de détails, mentionnons qu’il y a les bruits… Il y a les bruits divers, les bruits des frasques passées, les bruits des complots actuels, les mystères d’avant («l’étrange Omerta des médias sur le cas DSK», comme l’observe bruyamment Christophe Deloire, dans Le Monde, le 16 mai 2011 pour être précis) ; il y a les intrigues d’aujourd’hui, contre la patron du FMI, dont on dit que Wall Street l’avait classé dans les insupportables à cause de sa politique de réforme du FMI dans le sens d’un peu plus de “social”. Chacun est sûr de son fait, chacun est sûr de bien entendre la vérité. Les Français regardent l’Amérique comme s’ils découvraient l’horreur insondable de la chose. Les uns et les autres débusquent les complots sans nombre qui n’attendent qu’une occasion pour fondre sur notre vertus bien connue. Les jeunes femmes, victimes du “gorille en rut” (description de DSK par l’une d’entre elles, lors de ses entretiens particuliers), découvrent que la chose qu’elles ont tue jusqu’alors est un crime, considéré comme tel, disséqué comme tel, comme l’on cherchait les tâches du sperme présidentiel et même impérial sur la robe de Monica Lewinsky, in illo tempore… Justement, qui se rappelle l’affaire Lewinsky-Clinton ? L’affaire dura des mois, mit tant de gens à la torture, mais jamais elle n’écarta complètement le rythme d’opéra bouffe qui fut sa caractéristique dès l’origine.

    Pour DSK, rien de semblable ; dès l’origine de son affairer à lui, c’est la sombre tragédie, la descente aux enfers. C’est la folie d’un Système déchaîné, de toutes les façons et de tous les côtés, aussi bien dans le fait du comportement des flics de NYPD que dans le fait de DSK lui-même, avant qu’il ne tombe sous la coupe des flics de NYPD et alors qu’il préparait d’autres vastes coups dans sa suite du Sofitel à $3.000 la nuitée.

    Le Système contre le Système contre le Système…

    Arrêtez, c’en est assez… Qui saura démêler, qui saura dire le vrai, qui saura distinguer le sentiment spontané de l’attitude composée, la réaction naturelle de la mise en scène coordonnée ? Tout est fini car il y a longtemps et beau temps que l’espoir d’une soudaine résurgence de la vérité, même pour un instant, que cet espoir est perdu à jamais, – à jamais, dans les conditions présentes, du Système actuel, avec cette force qui pèse sur nous, cette puissance qui nous contraint absolument. Tout cela est bien plus fort que nous, bien plus écrasant que notre piètre raison, que notre attitude faraude du “je comprends, et comment” et du “on ne me la fait pas”… Le pourcentage prodigieux du nombre de citoyens du monde qui ont tout compris à cette affaite nous laisse pantois, – et l’on se demande, enfer et damnation, comment tant de crimes et de vilenies restent incompréhensibles et insaisissables, et comment, avec tant de raison et de justesse, on n’arrive plus à prévenir les tsunamis de chaos qui ne cessent de nous dévaster. Alors, nous donnerons une autre interprétation, qui tente de rendre compte de la logique générale de ces comportements extraordinaires…

    Car il s’agit de comportements extraordinaires, – l’un des hommes les plus puissants du monde traité comme un criminel des bas-fonds et jeté dans une prison sordide, nommée The Tomb, dans des cellules où l’on se retrouve à une bonne quarantaine avec un seul sanitaire pour le sympathique groupe, – cela sans aucune prévenance de rien, comme pour proclamer son intention d’écraser n’importe quel présumé innocent du monde et le broyer ; il y a l’acharnement extraordinaire, furieux, impitoyable, de l’équipe du Procureur de New York contre DSK. Certains songent à vous décrire Strauss-Kahn, comme un fou d’obsession sexuelle, un satrape, un monstre, un “gorille en rut” qui menace toutes les vertus du monde et il est bon qu’il pourrisse en prison pour au moins les prochains quarante siècles qui lui restent à vivre. Strauss-Kahn, d’ailleurs, qui disait tout de même à ses interlocuteurs que ses trois grands handicaps pour sa réussite dans le monde actuel, c’était “l’argent, les femmes et le fait d’être Juif”, – effectivement, DSK, trois obstacles insurmontables dans la réussite sociale et politique dans le Système actuel, chacun le sait bien, – comment peut-on émettre de telles banalités de convenance de la langue de bois du “parti des salonnards”, et faire semblant d'y croire, en plus ? En parlera-t-il à ses compagnons de cellule de The Tomb ? Devant ces “comportements extraordinaires”, ces pensées absolument folles dissimulées derrière le conformisme de façade, ces attitudes insensées, vous ne pouvez sérieusement avancer un commentaire qui prétende trier ce qui importe, rétablir les hiérarchies qui comptent, dérouler la chronologie des situations dans le sens de l’arrangement et de l’ordre rétablie, prétendre enfin parvenir à l’appréciation mesurée des logiques en cours. Tout cela serait se tromper soi-même avant de tenter de tromper les autres.

    Alors, tournons-nous vers une autre appréciation. Il s’agit de ceci, sous forme d’hypothèse comme sous forme d’intuition, haute espérons-le… Alors, ce qui se passe devant nos yeux aveuglés, en vérité, c’est le déchaînement du Système. Tous ces gens que nous passons en revue sont du “même bord”, en un sens ; ils font tous partie du Système, de ce que nous avons aussi coutume de nommer, par exemple, le bloc BAO (le bloc américaniste-occidentaliste) ; et ils sont terrorisés par lui, également, par le Système. Tous ces gens, d’une façon ou d’une autre, se déchaînent de fureur et d’angoisse, eux qui supportent le Système dans les deux sens principaux du verbe, – à la fois “supporter” dans le sens de l’approuver et de le soutenir, à la fois “supporter” dans le sens d’en porter le poids jusqu’à en être broyé.

    La crise du Système, le chaos du Système, ce chaos qui s’exprime en désordres divers, nous envahissent à intervalles réguliers et de plus en plus rapprochés, dans des domaines si différents. Nous avons eu le désordre du monde arabo-musulman, le désordre de Fukushima, le désordre de la Libye, le désordre de l’opération Geronimo, nous avons le désordre de l’affaire Sofitel-DSK ou DSK-Sofitel. Tout cela renvoie à une seule racine, à une seule force, à une seule dynamique. Que faire d’autre que de la subir, sinon tenter de comprendre de quoi il s’agit précisément et d’une façon générale et globale, plutôt que charger encore le sapiens de vertus diverses, aussi bien d’organisations de vilenies diverses que de complots habiles.

    “En même temps”, cette expression qui revient, lancinante, qui semble indiquer un temps redoublé ou un dédoublement du temps qui vous donnerait, qui vous imposerait pour chaque remarque que vous jugez définitive son double qui aussitôt détruit votre certitude. En même temps, vous détestez DSK, cet arrogant arriviste, ce détraqué sexuel, cet homme couvert de faux nez pour nous faire croire ce qu’il n’est pas, ce dirigeant d’une institution qui mène le monde, nécessairement “qui mène le monde à sa faillite”, à notre catastrophe ; en même temps, vous ressentez irrésistiblement une si forte compassion pour cet homme traqué, humilié, psychologiquement torturé et abaissé, et bientôt brisé, jeté dans une prison qui est un trou à rats où l’enfer triomphe, dans la pire des organisations du monde, dans un système fait pour broyer l’homme et qui se proclame comme l’avenir de l’homme. En même temps, vous pensez à sa victime et ne pouvez qu’exprimer votre désolation ; en même temps, vous pensez que la “victime” a pu être la complice d’un complot… En même temps, vous voyez ces robots, ces flics, ces juges, impassibles, indifférents à la compassion, qui méritent toute votre vindicte ; en même temps, vous songez que ce sont des flics américanistes également, les policiers du Wisconsin, qui se sont rebellés et ont refusé d’appliquer l’ordre du gouverneur Walker d’évacuer par la force le Capitole de Madison occupé par les citoyens de l’Etat, venus protester contre une des nouvelles horreurs du Système… Il est impossible d’être quitte de cet amoncellement de contraires contradictoires, dans un temps qui nous assomme de nouvelles extraordinaires ; c’est impossible, parce que la crise nous presse, lorsque nous dénonçons un aspect terrible d’un drame qui nous semble désigner les coupables, d’évoquer son contraire aussitôt, qui fait aussitôt des coupables du premier des innocents dans le second… La crise est si forte, si puissante, si profonde et si rapide, qu’elle interdit à votre raison de jouer à son jeu favori qui est de détacher et d’isoler les causes des conséquences, pour n’avoir pas à être conséquente dans un jugement, c’est-à-dire contrainte de tenir compte de ce désordre du Tout qui marrie impitoyablement les contraires et oblige le jugement à reculer devant un verdict qui classerait le monde, à la satisfaction de cette même raison, entre bons et mauvais… Car, en vérité, il n’y a que des esquifs à la dérive, balayés par la tempête, tantôt bons, tantôt mauvais, tantôt bons et mauvais, et en vérité jouets impuissants du déchaînement de la crise, prisonniers du Système, mauvais par proximité du Système qui n'est rien de moins que le Mal, et mauvais à mesure de cette proximité.

    Dans le texte que nous signalons par ailleurs, de Robert Kuttner, nous insistons sur le premier mot du texte, souligné dans cette phrase de l’entame : «The apparent selfdestruction of Dominique Strauss-Kahn in a New York hôtel…» “Selfdestruction”, comme l’on dirait d’un suicide, n’est-ce pas… Pourquoi suggérer quelque chose comme un suicide ? Kuttner sait-il ce qu’il suggère ou bien suggère-t-il, inconsciemment poussé par une intuition dont il ignore qu’elle agit sur lui ? (Car, bien sûr, rien ensuite dans son texte ne donne la moindre explication, ne fait la moindre référence à cette curieuse entame de son texte sur l’idée du suicide qui semble, par rapport au reste, comme un cheveu posé sur la soupe.) Pendant ce temps, hier, dans le Cannes du Festival, sur le podium pompeux et extrêmement people de l’émission Le Grand Journal de Canal +, l’actrice Carole Bouquet, interrogée sur le sort infâme fait à DSK, répondit, rêveuse et mystérieuse, quelque chose comme : “Je me demande si cet homme ne s’est pas suicidé… Cet homme ne voulait pas être vraiment candidat à la présidence, et peut-être président, mais il savait qu’il ne pourrait pas refuser d’être candidat à la présidence, et peut-être président ; alors, il préfère se suicider…” Démarche inconsciente certes, mais démarche d’une psychologie d’un homme complètement du Système, ô combien, qui jouit du Système jusqu’à plus soif, mais qui est en même temps prisonnier du Système, et qui sait qu’il ne peut résister aux injonctions du Système, et qui se révolte, tout cela inconscient certes, contre le Système.

    Concluons… L’affaire DSK-Sofitel ou Sofitel-DSK, et tout ce qui tourne autour, c’est un épisode spectaculaire et extraordinaire d’une révolte convulsive et paroxystique du Système. Nous disons “Système” de la façon la plus vague et la plus large du monde en même temps (là aussi), car la révolte est celle du Système contre le Système, des hommes du Système contre le Système, du Système contre les hommes du Système, de tout le monde contre tout le monde, dans la sarabande déchaînée, cette bacchanale infernale qu'est ce monde, comme devrait penser DSK… Rien d’autre ne peut être dit de plus vaste et de plus puissant, et de plus significatif en vérité, car alors l’hypothèse ne désigne rien de moins qu’un soubresaut formidable de la crise de la fin de notre “contre-civilisation”.

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