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Métapo infos - Page 887

  • Femmes plus petites que les hommes : un complot phallocrato-carniste ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Lemoine, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la polémique autour des origines du dimorphisme sexuel dans les sociétés humaines lancée par une anthropologue féministe du CNRS. Philippe Lemoine est chercheur en logique et en épistémologie.

    Sur le même sujet, on pourra également lire les articles de Peggy Sastre sur Slate :

    Si les femmes sont plus petites que les hommes, ce n'est pas à cause du steak

    Pourquoi autant de médias ont relayé la thèse du «patriarcat du steak»

     

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    Conan, phallocrate carniste des Ages sombres, surpris dans son antre

    par l'anthropologue féministe Priscille Touraille...

     

    Femmes plus petites que les hommes : un complot phallocrato-carniste ?

    C'est un fait que, aussi bien sur le plan physiologique que psychologique, les hommes et les femmes sont différents. Les différences physiologiques sautent tellement aux yeux qu'il ne vient à personne l'idée de les nier. Non seulement les hommes et les femmes ont des organes sexuels différents, mais les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes, ont une masse musculaire bien plus importante même en tenant compte du fait qu'ils sont plus grands, etc. L'ensemble de ces différences physiologiques entre hommes et femmes constitue ce qu'on appelle le dimorphisme sexuel.

    Il est plus commun de nier l'existence de différences psychologiques entre les sexes, mais celles-ci sont pourtant également bien établies, notamment sur le plan des traits de personnalité. Mais l'existence de différences psychologiques entre hommes et femmes ne nous dit rien sur leur origine. Elles pourraient être le produit de différences génétiques entre hommes et femmes, de facteurs culturels ayant pour conséquence que les garçons et les filles ne sont pas traités de la même façon, d'une combinaison des deux et/ou d'une interaction subtile entre facteurs naturels et culturels. Les féministes ont tendance à nier l'importance des facteurs naturels et à affirmer que, dans la mesure où il existe des différences psychologiques entre hommes et femmes, elles sont le produit de l'ensemble de forces sociales qu'ils appellent le patriarcat. (Peu importe qu'il semble que, dans les pays où l'égalité entre les sexes est plus importante, les différences psychologiques entre les sexes sont également plus marquées.) Mais c'est beaucoup plus difficile dans le cas du dimorphisme sexuel, qui est généralement présumé être entièrement le fruit de forces naturelles.

    C'est précisément cette idée qu'est venue remettre en cause Priscille Touraille, anthropologue au CNRS, dans un livre publié en 2008. Selon elle, si le fait que les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes s'explique principalement par des différences génétiques entre les sexes, ces différences elles-mêmes sont le produit de facteurs culturels ayant influencé l'évolution de notre espèce. Touraille remarque d'abord que, pour des raisons médicales diverses, les risques de complication pendant la grossesse et l'accouchement sont moins importants chez les femmes plus grandes et leurs enfants ont de meilleures chances de survie.

    D'après elle, les femmes ayant des gènes codant pour une plus grande taille auraient par conséquent dû avoir un succès reproductif plus important et donc transmettre leurs gènes plus souvent, ce qui aurait dû rendre les femmes aussi grandes, voire peut-être même plus, que les hommes. Or, comme nous l'avons vu, ce n'est pas le cas: les hommes sont plus grands que les femmes, bien qu'à des degrés divers, dans toutes les sociétés humaines.

    Pour expliquer ce qu'elle voit comme un paradoxe, Touraille affirme que, dans la plupart des sociétés mais notamment dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs (comme l'étaient nos ancêtres pendant la plus grande partie de l'évolution de notre espèce), les femmes avaient un accès restreint à la nourriture, notamment à la viande que les hommes se réservaient en priorité. Comme les besoins énergétiques d'un individu, peu importe son sexe, sont d'autant plus importants qu'il est grand, les femmes plus grandes avaient de ce fait moins de chance de survivre et de se reproduire.

    Le sexisme des hommes préhistoriques aurait donc créé une pression sélective suffisante pour contrecarrer celle issue du fait que les femmes plus grandes ont moins de complications obstétriques et que leurs enfants survivent plus souvent. Autrement dit, si les hommes de Cro-Magnon avaient lu Judith Butler, les femmes ne seraient peut-être pas plus petites que les hommes aujourd'hui…

    Cette théorie a récemment remporté un grand succès auprès des féministes et fait l'objet d'une couverture médiatique où l'on chercherait en vain le moindre esprit critique. En 2014, Arte a notamment diffusé un documentaire qui présentait cette théorie, qui avait fait l'objet d'une recension dansLe Monde et d'un article de la part de l'AFP. Elle a connu un regain de popularité ces dernières semaines, durant lesquelles elle a notamment été défendue sur RFI, France Inter et Libération. C'est aussi dû à la publication d'un livre de la journaliste Nora Bouazzani, dans lequel elle reprend cette thèse, qui a été recensé favorablement sur Slate,Télérama, etc. et a été présenté par l'auteur dans une vidéo sur le site de l'Obs. Même Françoise Héritier, anthropologue au CNRS (qui avait dirigé la thèse de Priscille Touraille), reprenait cette théorie sans la moindre réserve dans une interview au Monde peu avant son décès.

    Dans tous les cas, pas le moindre doute n'est émis quant à la validité de cette théorie, qui est le plus souvent présentée comme un fait établi. Le moins que l'on puisse dire est que, pour des gens qui nous rebattent les oreilles à longueur de journées au sujet des méfaits supposés du patriarcat, les féministes ont plutôt bonne presse! C'est d'autant plus remarquable que la théorie de Touraille est très loin d'être un fait scientifique établi et que les raisons de douter de sa validité ne manquent pas. Je n'en évoquerai ici que quelques unes, sans prétendre clore le débat, qui de toute façon ne peut pas être réglé dans les pages du Figaro.

    D'abord, la théorie de Touraille repose sur l'hypothèse que chez nos ancêtres les femmes étaient moins bien nourries que les hommes, mais les données dont nous disposons sont assez pauvres à ce sujet. Elle note que, dans beaucoup de sociétés de chasseurs-cueilleurs contemporaines, des chercheurs ont observé que les femmes étaient sujettes à des restrictions alimentaires dues à l'existence de tabous divers et variés, mais ces observations n'ont quasiment jamais donné lieu à des études quantitatives du type qui serait requis pour établir cette hypothèse indispensable à la théorie de Touraille.

    D'autre part, s'il est bien établi que les femmes plus grandes ont moins de complications obstétriques, il ne s'ensuit pas qu'elles ont un succès reproductif plus important. Il est possible que cet avantage qu'ont les femmes grandes soient plus que compensé par des inconvénients qui résultent d'autre part de leur grande taille. En particulier, plus un individu est grand, plus ses besoins énergétiques sont importants. Or, dans la plupart des endroits et à la plupart des époques, les êtres humains ont été confronté à la disette, y compris chez les chasseurs-cueilleurs. Le fait que les femmes petites ont des besoins énergétiques moins importants a donc pu leur conférer un avantage.

    On répondra que, pour la même raison, les hommes petits auraient également dû être avantagés et avoir un succès reproductif plus important. Mais c'est oublier que, contrairement aux hommes, les femmes étaient souvent enceintes ou avec des enfants en bas âge qu'elles devaient allaiter. (D'autant que les infortunées femmes de Cro-Magnon n'avaient pas accès à la pilule.) Or la grossesse et l'allaitement, qui chez l'être humain durent très longtemps, augmentent radicalement les besoins énergétiques de la femme. C'est d'ailleurs l'une des explications qui ont été proposées pour expliquer le dimorphisme sexuel chez les primates.

    En effet, le dimorphisme sexuel n'existe pas que dans notre espèce, mais il est fréquent dans le règne animal. En particulier, chez les mammifères et plus encore chez les primates, les mâles sont généralement plus gros que les femelles. (C'est notamment vrai chez les chimpanzés, nos cousins les plus proches.) Il existe de nombreuses hypothèses pour expliquer ce phénomène, dont certaines pourraient également s'appliquer à l'homme.

    En particulier, d'après l'hypothèse de la sélection sexuelle (qui remonte à Darwin), il y a une compétition entre les mâles pour l'accès aux femelles et, de ce fait, les plus gros sont favorisés par l'évolution car ils ont plus de chances de sortir vainqueurs de combats et/ou d'être choisis par les femelles pour se reproduire. Il y a de nombreuses raisons de penser que la sélection sexuelle explique en partie le dimorphisme sexuel dans notre espèce. D'ailleurs, la théorie de Touraille n'est pas incompatible avec l'hypothèse de la sélection sexuelle, ni avec beaucoup d'autres explications du dimorphisme qui ont été proposées.

    Surtout, même si Touraille avait raison, ça ne nous dirait rien sur le sexisme aujourd'hui. On se doute que les hommes de Cro-Magnon se fichaient pas mal de l'égalité hommes-femmes, mais quand bien même leur sexisme aurait-il contribué au dimorphisme actuel (ce qui est douteux), ça ne prouverait pas l'existence du patriarcat aujourd'hui. La théorie de Touraille, même si elle n'est pas vraie, illustre la façon dont la sélection sexuelle peut interagir avec la culture, ce qui est important et souvent méconnu, mais elle n'aide guère les féministes d'aujourd'hui, sinon à leur donner la satisfaction un peu dérisoire, voire même franchement puérile, de penser que même la différence de taille entre hommes et femmes est un produit du sexisme.

    Philippe Lemoine (Figaro Vox, 26 décembre 2017)

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  • Cosaques d'hier et d'aujourd'hui...

    Les éditions Sutton viennent de publier un essai de Francis Moncaubeig intitulé Cosaques d'hier et d'aujourd'hui. Ancien officier, Francis Moncaubeig a servi pendant pendant près de dix ans comme attaché militaire en Russie, en Ukraine et en Transcaucasie.

     

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    " Depuis le XIVe siècle environ, aux limites méridionales et orientales de la Russie ancestrale, se sont regroupés, venant de divers horizons, des hommes libres appelés "Cosaques". Leurs traditions de courage, d'honneur, d'indépendance, ainsi que leur réputation de cavaliers intrépides, attachés à la terre russe et à la religion orthodoxe, ont forgé au cours des siècles la légende épique de ces guerriers redoutables, une légende parfois entachée de révoltes célèbres, de pillages, d'actes cruels et d'excès de toutes sortes.
    Les Cosaques ont été de tous les combats jusqu'à la seconde guerre mondiale. Après avoir failli disparaître sous Staline, de nombreux groupes cosaques ont réapparu et se sont consolidés à la fin du XXe siècle, s'affirmant sur tout le territoire de la Russie sous l'oeil bienveillant, mais attentif, du Kremlin. Qui sont ces hommes ? Où puisent-ils leurs racines ? Quelle est leur histoire ? Quelles sont les grandes figures de leur saga ? "

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  • Services publics...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Werner, cueilli dans le n°108 d'Antipresse, lettre d'information de Slobodan Despot, dont la nouvelle formule sera disponible en début d'année 2018. L'auteur évoque la dégradation de la qualité des services publics qui va de concert avec l'augmentation de leur coût...

    Auteur de plusieurs essais essentiels comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) ou De l'extermination (Thaël, 1993 puis Xénia, 2013) Eric Werner vient de publier dernièrement Un air de guerre (Xénia, 2017).

     

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    Services publics

    Que veut réellement l’État au XXIe siècle? Pour qui roule-t-il? Et pourquoi rafle-t-il toujours plus d’impôts pour fournir toujours moins de prestations?

    Dans la dernière décennie du siècle précédent, l’État décida de se réorganiser pour faire des économies. C’est son développement même qui l’y contraignait. Il devait également faire face à de nouvelles dépenses (à l’international en particulier). Or, pour y parvenir il lui fallait impérativement réduire ses dépenses en certains secteurs. Il aurait pu également, c’est vrai, augmenter les impôts. Ce qu’il fit, d’ailleurs. Mais sa marge de manœuvre en la matière était limitée: trop d’impôt, comme on le sait, tue l’impôt. Il s’employa donc surtout à réduire certaines dépenses.

    On cessa par exemple de considérer que la poste, le téléphone et les chemins de fer étaient des services publics, et qu’à ce titre l’État se devait de veiller à combler la différence entre ce qu’ils coûtaient et ce qu’ils rapportaient. La poste, le téléphone et les chemins de fer devinrent ainsi des entreprises comme les autres, assujetties comme les autres à des critères de profit et de rentabilité. Elles devaient au minimum équilibrer leurs comptes, au mieux dégager une plus-value. Autrefois l’argent allait de l’État aux services publics, maintenant c’était le contraire: il allait de la poste, du téléphone et des chemins de fer à l’État.

    Les personnels furent ainsi invités à travailler plus pour gagner moins. Les cadences augmentèrent, à l’image de ce qui se passait au même moment dans le secteur privé. Les personnels s’adaptèrent, ils n’avaient pas le choix. Certains tombèrent malades, d’autres se suicidèrent. Quant aux anciens usagers, rebaptisés clients, ils furent invités à mettre la main au porte-monnaie. Les tarifs explosèrent, ce que les nouveaux managers (on fait ici référence au «New public management», un courant de pensée issu du néolibéralisme) justifièrent en invoquant la «vérité des coûts». Cela nous a coûté tant, cela vous sera facturé tant. Plus, comme il se doit, un petit bénéfice pour nous permettre «d’investir», autrement dit de récompenser l’État actionnaire en lui versant un dividende. Là encore, les gens s’adaptèrent.

    On a évoqué plus haut la pression fiscale. Normalement, elle aurait dû diminuer, puisque l’État avait renoncé à combler la différence entre ce que coûtaient les services publics et ce qu’ils rapportaient. Mais l’État ne l’entendait évidemment pas de cette oreille. Non seulement les impôts ne diminuèrent pas, mais ils continuèrent régulièrement d’augmenter. Les individus se virent ainsi confrontés à une double hausse: celle des tarifs des services publics, d’une part, de leur feuille d’impôt de l’autre. Les gens acceptèrent.

    Parallèlement, comme on pouvait s’y attendre, on assista à une baisse de la qualité des services fournis. Prenons l’exemple du téléphone. Les technologies ont évidemment beaucoup évolué depuis une trentaine d’années. Tout le monde ou presque dispose aujourd’hui d’un téléphone cellulaire, le plus souvent également d’un smartphone, etc. Le téléphone offre ainsi beaucoup plus de possibilités qu’il n’en offrait il y a une trentaine d’années. Mais tout, en même temps, est devenu beaucoup plus fragile (pour ne pas dire chaotique). C’est le cas même avec le téléphone fixe. Pour réduire ses coûts, l’opérateur Swisscom vient, on le sait, de renoncer à l’ancienne technologie analogique, pour lui en substituer une autre, articulée à Internet. La conséquence en est que le téléphone tombe assez souvent maintenant en panne, ce qui n’était pas le cas autrefois. La péjoration est évidente.

    Mais on en voit aussi la cause. L’ancienne technologie donnait pleine et entière satisfaction. Mais elle coûtait trop cher aux yeux de l’opérateur. Celui-ci lui en a donc substitué une autre moins coûteuse, mais aussi plus fragile. Le résultat est là. On ne se demande plus si quelque chose fonctionne ou non, mais si les technologies qu’on utilise contribuent ou non à accroître le bénéfice de l’entreprise. A terme, il est probable que le téléphone fixe sera purement et simplement supprimé. Il rapporte en effet beaucoup moins aux opérateurs que le téléphone portable. Il sera alors temps de dresser un bilan, et pour cela de comparer le champ de ruine ainsi créé à l’excellent réseau téléphonique des années 70 et 80 du siècle passé, réseau auquel 90 % des gens étaient alors raccordés. L’ancien appareil à cadran manuel était simple, rudimentaire, mais au moins fonctionnait-il.

    On parle aujourd’hui beaucoup du train: trains en retard, supprimés, immobilisés, etc. Les dysfonctionnements aujourd’hui observés sont systémiques. Ils tiennent fondamentalement au fait que les autorités encouragent les gens à habiter de plus en plus loin de leur lieu de travail, et donc à prendre de plus en plus le train. Or les infrastructures n’ont pas suivi. D’où les dysfonctionnements actuels. L’actuel réseau ferroviaire est saturé. On pourrait être tenté d’incriminer l’incompétence des responsables, leur imprévoyance, etc. Mais on pourrait aussi dire qu’ils ont toujours su très bien ce qu’ils faisaient. Créer des infrastructures coûte cher.

    Cela interpelle sur ce qu’est aujourd’hui l’État. Sur ce qu’il est et sur ce qu’il veut. L’État ment, disait Nietzsche. «Il ment froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche: «Moi, l’État, je suis le Peuple». [1] L’État n’est évidemment en rien le Peuple. Il est l’État. Quoi qu’il dise ou prétende, il ne se soucie en rien non plus du Peuple. De quoi alors se soucie-t-il? De lui-même, tiens donc. De lui-même et de rien d’autre. Il est à lui-même sa propre fin. Tout ce qu’il fait et entreprend, il le fait d’abord pour lui-même. Nietzsche encore: «L’État ment dans toutes ses langues du bien et du mal; et dans tout ce qu’il dit, il ment – et tout ce qu’il a, il l’a volé. Tout en lui est faux; il mord avec des dents volées». Ce qui se passe aujourd’hui est donc normal, on ne peut plus normal. Le «New public management» n’a rien inventé. Il met simplement en forme, juste en forme, ce qui est la manière normale et habituelle d’agir de l’État.

    Voilà ce que les gens devraient se dire quand, par exemple, pauvres pendulaires en attente d’un train qui ne vient pas, ils gèlent sur un quai de gare en consultant leurs mails professionnels.

    Encore une fois, ce qui frappe, c’est la résignation générale. Les gens avalent tout, acceptent tout. Ils croient aussi tout ce que l'État leur raconte. On pourrait se demander pourquoi: pourquoi une telle propension à la résignation? La lassitude est peut-être une explication. Peut-être aussi l’absence de perspective. L’inculture empêche de porter une appréciation articulée sur ce qui est acceptable ou inacceptable. On manque de points de comparaison. N’oublions pas non plus la peur. Les gens ont peur des autorités. Et donc se taisent. C’est aussi une explication possible.

    Eric Werner (Antipresse n°108, 24 décembre 2017)

    NOTE

    1. Ainsi parlait Zarathoustra, I, «De la Nouvelle Idole» (Œuvres complètes, t. II, Bouquins, Robert Laffont, 1993, p. 320).
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  • A quoi bon penser à l'heure du grand collapse ?...

    Les éditions fayard viennent de publier un livre d'entretien avec Paul Jorion intitulé A quoi bon penser à l'heure du grand collapse. Anthropologue et sociologue, critique de l'économisme, Paul Jorion est l'auteur de nombreux essais éclairants comme Le capitalisme à l'agonie (Fayard, 2011) ou Misère de la pensée économique (Flammarion, 2015).

     

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    " Responsable des crises économiques et environnementales catastrophiques qui l’affligent et menacent aujourd’hui de l’emporter, le genre humain est paradoxalement aussi un génie technologique. Les fruits de son inventivité sont entrés dans une phase explosive, faisant miroiter à la fois la promesse de l’immortalité individuelle et la déresponsabilisation par le transfert de la gestion des affaires à des machines.
    À quoi bon penser à l’heure où se profile à l’horizon la menace du remplacement de l’homme apprenti-sorcier par le robot, son héritier  ?
    Paul Jorion a acquis sa réputation internationale en prévoyant la crise financière de 2008 et en étant conforté par les faits. Sa formation d’anthropologue et de sociologue, combinée à son goût pour les mathématiques et l’informatique, l’a conduit à jouer un rôle pionnier en anthropologie économique, en intelligence artificielle et en finance. Ses mises en garde sur le danger d’un effondrement mettent en accusation les choix politiques inconséquents débouchant sur un risque de collapse généralisé.
    Esprit libre et érudit, ignorant les approches disciplinaires «  en silo  », Paul Jorion enrichit les outils de la pensée. Avec Franck Cormerais et Jacques Athanase Gilbert, il revient sur son parcours et sa démarche pour démontrer que seule une anthropologie radicale mobilisant la totalité du savoir que le genre humain a acquis sur son identité profonde est à même de prévenir est à même de prévenir son  extinction."

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  • "La disparition de la classe moyenne occidentale est l’enjeu fondamental du XXIe siècle"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Christophe Guilluy au Figaro Vox dans lequel il donne son analyse, toujours stimulante, de l'actualité de ces dernières semaines... Géographe, Christophe Guilluy est l'auteur de trois essais importants, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) et Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

     

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    Johnny, la Corse et la France périphérique

    Le Figaro : Comment analysez-vous la victoire des nationalistes en Corse ?

    Christophe Guilluy : La Corse est un territoire assez emblématique de la France périphérique. Son organisation économique est caractéristique de cette France-là. Il n’y a pas de grande métropole mondialisée sur l’île, mais uniquement des villes moyennes ou petites et des zones rurales. Le dynamisme économique est donc très faible, mis à part dans le tourisme ou le BTP, qui sont des industries dépendantes de l’extérieur. Cela se traduit par une importante insécurité sociale : précarité, taux de pauvreté gigantesque, chômage des jeunes, surreprésentation des retraités modestes. L’insécurité culturelle est également très forte. Avant de tomber dans le préjugé qui voudrait que « les Corses soient racistes », il convient de dire qu’il s’agit d’une des régions (avec la PACA et après l’Ile-de-France) où le taux de population immigrée est le plus élevé. Il ne faut pas l’oublier.

    La sensibilité des Corses à la question identitaire est liée à leur histoire et leur culture, mais aussi à des fondamentaux démographiques. D’un côté, un hiver démographique, c’est-à-dire un taux de natalité des autochtones très bas, et, de l’autre, une poussée de l’immigration notamment maghrébine depuis trente ans conjuguée à une natalité plus forte des nouveaux arrivants. Cette instabilité démographique est le principal générateur de l’insécurité culturelle sur l’île. La question qui obsède les Corses aujourd’hui est la question qui hante toute la France périphérique et toutes les classes moyennes et populaires occidentales au XXIe siècle : « Vais-je devenir minoritaire dans mon île, mon village, mon quartier ? » C’est à la lumière de cette angoisse existentielle qu’il faut comprendre l’affaire du burkini sur la plage de Sisco, en juillet 2016, ou encore les tensions dans le quartier des Jardins de l’Empereur, à Ajaccio, en décembre 2015. C’est aussi à l’aune de cette interrogation qu’il faut évaluer le vote « populiste » lors de la présidentielle ou nationaliste aujourd’hui. En Corse, il y a encore une culture très forte et des solidarités profondes. À travers ce vote, les Corses disent : « Nous allons préserver ce que nous sommes. »

    Il faut ajouter à cela l’achat par les continentaux de résidences secondaires qui participe de l’insécurité économique en faisant augmenter les prix de l’immobilier. Cette question se pose dans de nombreuses zones touristiques en France : littoral atlantique ou méditerranéen, Bretagne, beaux villages du Sud-Est et même dans les DOM-TOM. En Martinique aussi, les jeunes locaux ont de plus en plus de difficultés à se loger à cause de l’arrivée des métropolitains. La question du « jeune prolo » qui ne peut plus vivre là où il est né est fondamentale. Tous les jeunes prolos qui sont nés hier dans les grandes métropoles ont dû se délocaliser. Ils sont les pots cassés du rouleau compresseur de la mondialisation. La violence du marché de l’immobilier est toujours traitée par le petit bout de la lorgnette comme une question comptable. C’est aussi une question existentielle ! En Corse, elle est exacerbée par le contexte insulaire. Cela explique que, lorsqu’ils proposent la corsisation des emplois, les nationalistes font carton plein chez les jeunes. C’est leur préférence nationale à eux.

    Qu’est-ce qui prime dans le ressort du vote  : l’insécurité sociale ou l’insécurité culturelle ?

    La condition de ce vote, comme de tous les votes populistes, est la réunion de l’insécurité sociale et culturelle. Les électeurs de Fillon, qui se sont majoritairement reportés sur Macron au second tour, étaient sensibles à la question de l’insécurité culturelle, mais étaient épargnés par l’insécurité sociale. À l’inverse, les électeurs de Mélenchon étaient sensibles à la question sociale, mais pas touchés par l’insécurité culturelle. C’est pourquoi le débat sur la ligne que doit tenir le FN, sociale ou identitaire, est stérile. De même, à droite, sur la ligne dite Buisson. L’insécurité culturelle de la bourgeoisie de droite, bien que très forte sur la question de l’islam et de l’immigration, ne débouchera jamais sur un vote « populiste » car cette bourgeoisie estime que sa meilleure protection reste son capital social et patrimonial et ne prendra pas le risque de l’entamer dans une aventure incertaine. Le ressort du vote populiste est double et mêlé. Il est à la fois social et identitaire. De ce point de vue, la Corse est un laboratoire. L’offre politique des nationalistes est pertinente car elle n’est pas seulement identitaire. Elle prend en compte la condition des plus modestes et leur propose des solutions pour rester au pays et y vivre. Au-delà de l’effacement du clivage droite/gauche et d’un rejet du clanisme historique, leur force vient du fait qu’ils représentent une élite et qu’ils prennent en charge cette double insécurité. Cette offre politique n’a jamais existé sur le continent car le FN n’a pas intégré une fraction de l’élite. C’est même tout le contraire. Ce parti n’est jamais parvenu à faire le lien entre l’électorat populaire et le monde intellectuel, médiatique ou économique. Une société, c’est une élite et un peuple, un monde d’en bas et un monde d’en haut, qui prend en charge le bien commun. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le vote nationaliste et/ou populiste arrive à un moment où la classe politique traditionnelle a déserté, aussi bien en Corse que sur le continent.

    L’erreur de la plupart des observateurs est de présenter Trump comme un outsider. Ce n’est pas vrai. S’il a pu gagner, c’est justement parce qu’il vient de l’élite. C’est un membre de la haute bourgeoisie new-yorkaise. Il fait partie du monde économique, médiatique et culturel depuis toujours, et il avait un pied dans le monde politique depuis des années. Il a gagné car il faisait le lien entre l’Amérique d’en haut et l’Amérique périphérique.

    Pour sortir de la crise, les sociétés occidentales auront besoin d’élites économiques et politiques qui voudront prendre en charge la double insécurité de ce qu’était hier la classe moyenne. C’est ce qui s’est passé en Angleterre après le Brexit, ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec Trump, ce qui se passe en Corse avec les nationalistes. Il y a aujourd’hui, partout dans le monde occidental, un problème de représentation politique. Les électeurs se servent des indépendantismes, comme de Trump ou du Brexit, pour dire autre chose. En Corse, le vote nationaliste ne dit pas l’envie d’être indépendant par rapport à la France. C’est une lecture beaucoup trop simpliste. Si, demain, il y a un référendum, les nationalistes le perdront nettement. D’ailleurs, c’est simple, ils ne le demandent pas.

    Le cas de la Corse est-il comparable à celui de la Catalogne ?

    Le point commun, c’est l’usure des vieux partis, un système représentatif qui ne l’est plus et l’implosion du clivage droite/gauche. Pour le reste, la Catalogne, c’est l’exact inverse de la Corse. Il ne s’agit pas de prendre en charge le bien commun d’une population fragilisée socialement, mais de renforcer des positions de classes et territoriales dans la mondialisation. La Catalogne n’est pas l’Espagne périphérique, mais tout au contraire une région métropole. Barcelone représente ainsi plus de la moitié de la région catalane. C’est une grande métropole qui absorbe l’essentiel de l’emploi, de l’économie et des richesses. Le vote indépendantiste est cette fois le résultat de la gentrification de toute la région. Les plus modestes sont peu à peu évincés d’un territoire qui s’organise autour d’une société totalement en prise avec les fondamentaux de la bourgeoisie mondialisée. Ce qui porte le nationalisme catalan, c’est l’idéologie libérale libertaire métropolitaine, avec son corollaire : le gauchisme culturel et l’« antifascisme » d’opérette. Dans la rhétorique nationaliste, Madrid est ainsi présentée comme une « capitale franquiste » tandis que Barcelone incarnerait l’« ouverture aux autres ». La jeunesse, moteur du nationalisme catalan, s’identifie à la gauche radicale. Le paradoxe, c’est que nous assistons en réalité à une sécession des riches, qui ont choisi de s’affranchir totalement des solidarités nationales, notamment envers les régions pauvres. C’est la « révolte des élites » de Christopher Lasch appliquée aux territoires. L’indépendance nationale est un prétexte à l’indépendance fiscale. L’indépendantisme, un faux nez pour renforcer une position économique dominante. Dans Le Crépuscule de la France d’en haut (*), j’ironisais sur les Rougon-Macquart déguisés en hipsters. Là, on pourrait parler de Rougon-Macquart déguisés en « natios ». Derrière les nationalistes, il y a les lib-lib.

    Le clivage nation/ville monde est-il celui de demain ?

    L’exemple de la Catalogne préfigure peut-être, en effet, un futur pas si lointain où le processus de métropolisation conduira à l’avènement de cités-Etats. En face, les défenseurs de la nation apparaîtront comme les défenseurs du bien commun. Aujourd’hui, la seule critique des hyperriches est une posture trop facile qui permet de ne pas voir ce que nous sommes devenus, nous : les intellectuels, les politiques, les journalistes, les acteurs économiques, et on pourrait y ajouter les cadres supérieurs. Nous avons abandonné le bien commun au profit de nos intérêts particuliers. Hormis quelques individus isolés, je ne vois pas quelle fraction du monde d’en haut au sens large aspire aujourd’hui à défendre l’intérêt général.

    Macron a souvent été présenté comme la quintessence de la France d’en haut. Peut-il, malgré tout, s’adresser à celle d’en bas ?

    Il est trop tôt pour le dire. Je ne suis pas dans le cerveau de Macron. Cela nécessiterait une profonde révolution intellectuelle de sa part. Notons simplement que, depuis son élection, il a su se montrer suffisamment transgressif pour ne pas tenir exactement les discours qu’on attendait de lui. Le point le plus intéressant, c’est qu’il s’est dégagé du clivage droite/gauche. La comparaison avec Trump n’est ainsi pas absurde. Tous les deux ont l’avantage d’être désinhibés. Mais il faut aussi tenir à l’esprit que, dans un monde globalisé dominé par la finance et les multinationales, le pouvoir du politique reste très limité. Je crois davantage aux petites révolutions culturelles qu’au grand soir. Trump va nous montrer que le grand retournement ne peut pas se produire du jour au lendemain mais peut se faire par petites touches, par transgressions successives. Trump a amené l’idée de contestation du libre-échange et mis sur la table la question du protectionnisme. Cela n’aura pas d’effets à court terme. Ce n’est pas grave car cela annonce peut-être une mutation à long terme, un changement de paradigme. La question est maintenant de savoir qui viendra après Trump. La disparition de la classe moyenne occidentale, c’est-à-dire de la société elle-même, est l’enjeu fondamental du XXIe siècle, le défi auquel devront répondre ses successeurs.

    Que révèle le phénomène Johnny ?

    On peut cependant rappeler le mépris de classe qui a entouré le personnage de Johnny, notamment via « Les Guignols de l’info ». Il ne faut pas oublier que ce chanteur, icône absolue de la culture populaire, a été dénigré pendant des décennies par l’intelligentsia, qui voyait en lui une espèce d’abruti, chantant pour des « déplorables », pour reprendre la formule de Hillary Clinton. L’engouement pour Johnny rappelle l’enthousiasme des bobos et de Canal+ pour le ballon rond au moment de la Coupe du monde 1998. Le foot est soudainement devenu hype. Jusque-là, il était vu par eux comme un sport d’ « ouvriers buveurs de bière ». On retrouve le même phénomène aux États-Unis avec le dénigrement de la figure du white trash ou du redneck. Malgré quarante ans d’éreintement de Johnny, les classes populaires ont continué à l’aimer. Le virage à 180 degrés de l’intelligentsia ces derniers jours n’est pas anodin. Il démontre qu’il existe un soft power des classes populaires. L’hommage presque contraint du monde d’en haut à ce chanteur révèle en creux l’importance d’un socle populaire encore majoritaire. C’est aussi un signe supplémentaire de l’effritement de l’hégémonie culturelle de la France d’en haut. Les classes populaires n’écoutent plus les leçons de morale. Pas plus en politique qu’en chanson.

    Christophe Guilluy, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 13 décembre 2017)

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  • Voyage au bout du génie...

    Le numéro 27 de la revue trimestrielle Spécial Céline, publiée par les éditions Lafont Presse, est disponible en kiosque ou sur les sites de vente de presse. Consacrée à l'auteur du Voyage au bout de la nuit, cette revue est dirigée par Joseph Vebret et réalisée avec le concours d'Eric Mazet et de David Alliot.

     

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    Au sommaire :

    Voyage au bout du génie

    Le destin tragique de l'éditeur Robert Denoël

    La correspondance entre Céline et Robert Chamfleury

    Destouches : une famille au XIXe siècle

    Quel lecteur êtes-vous ? Célinalgique, Célinard, Célinaute, Célinesque, Céliniste, Célinobole, Célinocentrique, Célinocrate, Célinogyre, Célinolâtre, ou Célinolithe voire Célinopathe ?

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