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  • Criminalité liée aux trafics de drogues en France : une menace stratégique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné au site de la revue Conflits par Michel Gandilhon, expert associé au département Sécurité défense du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) qui travaille depuis de nombreuses années sur les questions liées à l’offre de drogues en France et dans le monde.

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    Criminalité liée aux trafics de drogues en France : une menace stratégique ? Entretien avec Michel Gandilhon

    Quelles sont les grandes tendances de l’évolution du trafic de drogues dans le monde ?

    Pour apprécier la situation où se trouve la France, on ne peut faire abstraction de l’environnement international.  La plupart des substances illégales qui sont consommées en France et en Europe sont en effet produites à l’étranger. Depuis 1990, le marché des drogues a crû considérablement dans le monde. Selon l’Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), depuis 2010, le nombre de consommateurs aurait augmenté de 25 %, tandis que le chiffre d’affaires de ce marché était évalué dans une fourchette comprise entre 420 et 650 milliards de dollars. Le cannabis est de loin la première substance consommée, mais c’est probablement le marché de la cocaïne qui connaît aujourd’hui la dynamique la plus notable portée par une offre en Amérique latine qui a atteint en 2021 des niveaux sans précédent. En Colombie, depuis 2010, la production de cocaïne a quadruplé. En Europe, cela s’est traduit par des saisies records en 2021, autour de 240 tonnes, soit une multiplication par 5 ou 6 en une dizaine d’années. C’est le cas notamment dans les grands ports commerciaux comme Anvers, Rotterdam, Hambourg ou encore Le Havre. Le gros du trafic passe en effet par les mers et notamment par le vecteur des conteneurs. Selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA), entre 2013 et 2020, la valeur du marché de la cocaïne en Europe aurait doublé passant de 5 à plus de 10 milliards d’euros, cette dernière évaluation n’incluant pas le Royaume-Uni du fait du Brexit.  L’autre grand marché en croissance est celui des stimulants synthétiques comme l’ecstasy, les amphétamines ou encore la méthamphétamine dont les saisies ont explosé à l’échelle mondiale ces dernières années. Les Pays-Bas et la Belgique en sont de gros producteurs. La nouveauté en la matière réside dans le développement dans ces deux pays de la production de méthamphétamine, un stimulant synthétique très puissant, dans le cadre d’une coopération avec certains cartels mexicains.

    L’autre grand marché dans le monde, que l’on a tendance à oublier trop souvent, est l’héroïne. Là aussi, on assiste depuis dix ans à des niveaux de production très élevés, notamment en Afghanistan où la production d’opium a été dopée par le chaos engendré par la guerre et la ruine de l’agriculture paysanne. Le pavot à opium est devenu un élément de la survie de beaucoup de familles de paysans. L’Europe est très affectée par la production d’héroïne afghane dont elle constitue le premier débouché, via la route des Balkans. Si, comme nous l’avons vu, pour la cocaïne, les routes sont essentiellement maritimes, s’agissant de l’héroïne, elles sont plutôt terrestres. De l’Afghanistan, elles traversent l’Iran, la Turquie, et débouchent sur les Balkans pour arriver notamment sur la zone de distribution très importante formée par la Belgique et les Pays-Bas. C’est le « hub criminel du nord-ouest », comme l’appelle Europol. Ce marché des drogues dynamique concourt à la prospérité d’un crime organisé qui, dans certains pays, comme le Mexique, possède un pouvoir de déstabilisation des États non négligeable. Une réalité qui ne concerne d’ailleurs plus seulement l’ex-Tiers-Monde, mais de plus en plus les États-Unis ou l’Union européenne.

    Vous consacrez justement une partie aux États-Unis où la consommation très importante de drogues importées depuis le Mexique entraîne des conséquences sociales et sanitaires dramatiques.

    En effet, les États-Unis sont très affectés par la situation au Mexique, puisque la plupart des drogues consommées soit y sont produites, notamment des opioïdes comme l’héroïne et le fentanyl, soit y transitent comme la cocaïne. Ce pays est en train de vivre sa pire crise de santé publique liée aux drogues de son histoire, puisqu’un million de personnes sont mortes de surdoses depuis 20 ans. Sur ce million, 700 000 sont décédées du fait de l’héroïne, mais surtout de médicaments antidouleurs très puissants prescrits ou contrefaits comme le fentanyl, fabriqués en Chine et de plus en plus au Mexique. C’est d’ailleurs ce qui fait aussi une des caractéristiques du marché des drogues aujourd’hui : l’indistinction ou le flou entre médicaments et drogues illégales. Aux États-Unis, cette épidémie d’opioïdes est partie de l’industrie pharmaceutique. Sa responsabilité a été capitale dans cette affaire. En 1995, une firme, Purdue Pharma, qui produisait un antidouleur très puissant, l’Oxycontin, réservé à des patients cancéreux en phase terminale, a décidé d’élargir le marché à des patients souffrant de simples douleurs chroniques. Ils ont sciemment ciblé certaines régions des États-Unis, notamment celles du nord-est désindustrialisé, où beaucoup de gens souffraient de douleurs chroniques liées notamment à la pénibilité du travail. Ils ont lancé une immense campagne marketing destinée à ces populations et incité les médecins généralistes à prescrire des médicaments opioïdes. Beaucoup de gens sont devenus dépendants, puis sont passés à l’héroïne et maintenant au fentanyl, cinquante fois plus puissants que cette dernière. En 2022, 75 000 Américains sont morts de surdoses liées aux opioïdes. Cette tragédie est une coproduction des cartels pharmaceutiques américains et des cartels mexicains. Le résultat : chaos sanitaire aux États-Unis et chaos criminel au Mexique, pays qui illustre de façon exemplaire le potentiel de déstabilisation géopolitique du crime organisé quand il est surpuissant. La guerre à la drogue lancée par les gouvernements mexicains depuis 2006 a fait près de 300 000 morts et 80 000 disparus. On a affaire ici à un État failli dont l’ancien ministre chargé de la lutte contre la drogue est jugé actuellement aux États-Unis pour complicité avec le cartel de Sinaloa.

    L’affaire du fentanyl n’est-elle pas une illustration du passage de drogues issues de plantes à des drogues de synthèse ?

    Ce sont des réalités qui coexistent. Si les drogues synthétiques telles l’ecstasy, le captagon ou encore le fentanyl montent en puissance, les substances issues de la coca et du pavot conservent une part essentielle dans le marché des drogues contemporain. Ne parlons même pas du cannabis, et de ses dérivés, qui, du fait de la légalisation médicale et non médicale dans un nombre croissant d’États, reste la première substance consommée dans le monde. Le marché de la résine de cannabis produite au Maroc reste très significatif en France, notre pays étant le premier marché en Europe. Par ailleurs, l’Union européenne est en train de devenir un énorme producteur d’herbe de cannabis. Le grand acteur en la matière est aujourd’hui l’Espagne qui a ses dernières années, semble-t-il, dépassé les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

    Mais revenons à la situation française. Si le marché des drogues est prospère, c’est qu’il y a beaucoup de consommateurs…

    Effectivement, la dimension de la demande est primordiale. Depuis 20 ans, elle a considérablement augmenté. Pour le cannabis, les consommations de résine et d’herbe ont crû d’environ 45 % et la France compterait 5 millions d’usagers dans l’année, dont 850 000 consommateurs quotidiens. Pour la cocaïne et l’ecstasy, les consommations ont quintuplé. En 2017, dernière année pour laquelle des données sont disponibles, la France comptait plus de 600 000 usagers dans l’année de cocaïne et 400 000 d’ecstasy. C’est donc un marché en pleine croissance. Face à cette demande, une offre s’organise, avec des milliers de points de deal qui maillent le territoire. Un point de deal, selon le ministère de l’Intérieur, est un lieu de revente implanté dans l’espace public, structuré, avec notamment toute une division du travail (gérants, vendeurs, guetteurs, « nourrices », collecteurs d’argent, etc.). Leur multiplication constitue un défi majeur pour l’État, car ces enclaves criminelles tendent à lui contester le monopole de la violence et peut exercer, comme on l’a vu dans certains cas, une influence sur les pouvoirs politiques locaux par la corruption. Il faut savoir que les points de deal constituent la pointe émergée de l’iceberg et que les milliards d’euros engendrés par cette économie parallèle nourrissent aussi une criminalité en col blanc spécialisée dans le blanchiment. Le seul marché de la cocaïne est estimé à un peu moins de 2 milliards d’euros. Il aurait quasiment doublé entre 2010 et 2017.

    Qu’en est-il de l’articulation entre les réseaux de trafic implantés en France et le marché mondial ? Comment cela se coordonne-t-il ?

    L’économie des drogues, comme n’importe quelle économie, se caractérise par une division du travail impliquant, du producteur au consommateur, un nombre d’intervenants considérable. On peut même affirmer qu’à mesure de son déploiement planétaire, elle se sophistique de plus en plus. Pour un groupe criminel français, importer de grosses quantités de résine de cannabis ou de cocaïne implique la maîtrise d’un certain nombre de savoir-faire conséquents. Il faut de bons contacts avec les grossistes locaux, une maîtrise de la logistique et de l’ingénierie financière. Il en va de même d’ailleurs pour les détaillants. Il est notable que l’on assiste à une parcellisation des tâches. Certains groupes sont spécialisés par exemple dans l’acheminement et le convoyage des produits. Aujourd’hui le paysage criminel est très éclaté. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, il n’existe pas en France d’organisations tentaculaires qui exerceraient une hégémonie sur le marché, mais une multitude d’organisations indépendantes, pilotées depuis le Maroc, l’Algérie, Dubaï, par ce que j’appelle « la bourgeoisie du trafic », qui peuvent coopérer ou se livrer, c’est selon, une concurrence féroce. On le voit par exemple à Marseille en ce moment au sein des filières franco-maghrébines ou aux Pays-Bas et en Belgique avec la prétendue « mocro-maffia », qui n’est rien d’autre qu’une nébuleuse de bandes issues de l’immigration marocaine dont certaines ont fini par acquérir une puissance critique du fait de leur rôle croissant, d’Anvers à Rotterdam, dans le marché de la cocaïne en Europe.

    En France, vous évoquiez Le Havre qui devient une véritable porte d’entrée de la cocaïne. Les ports sont donc les cibles, tout comme les aéroports ?

    On estimait en 2022 que les trois-quarts des saisies de cocaïne réalisées en France le sont sur le vecteur maritime et notamment les porte-conteneurs. Il est frappant de constater à quel point ce trafic a épousé les grandes routes commerciales de la globalisation. Certains évoquent une « maritimisation » du crime. Compte tenu de l’hypertrophie du vecteur maritime dans la configuration de l’économie mondiale, les ports sont devenus des endroits névralgiques pour les échanges, qu’ils soient licites ou illicites. Chaque année, la seule Union européenne reçoit dans ses ports près de 90 millions de conteneurs. Au Havre, il y a depuis 10 ans une explosion des saisies de cocaïne qui font penser que ce port est aujourd’hui la première porte d’entrée de la cocaïne destinée au marché français. Une réalité qui va de pair avec des phénomènes très inquiétants. Le crime organisé s’implante dans les ports par la corruption et la violence. Ce sont les mêmes phénomènes qu’à Anvers. Il y a eu une étude intéressante, menée par une équipe de chercheurs sur les rémunérations offertes à des dockers de ce port pour récupérer des chargements de cocaïne. Cela peut aller de 1 000 euros par kg de cocaïne récupéré à plusieurs dizaines de milliers d’euros pour des grutiers déplaçant des containers. Le personnel administratif est visé également. Par exemple pour favoriser l’embauche de membres des organisations criminelles sur le port. Il semble que les émoluments soient les mêmes au Havre. Cette corruption s’accompagne de pressions sur le personnel, en particulier : menaces sur les familles, séquestrations accompagnées de tortures et, plus rarement, assassinats. Ce qui se passe à Anvers et Rotterdam se déroule aussi en France.

    Et dans les aéroports ?

    Une partie minoritaire, mais significative de la cocaïne destinée au marché français, arrive notamment via les réseaux surinamo-guyanais par le biais du transport aérien. Ce sont des quantités plus restreintes, mais qui, mises bout à bout, deviennent au fil du temps considérables. Une « mule » peut transporter, in corpore, jusqu’à 1 kg de cocaïne et plusieurs kilos dans ses bagages. Chaque année, grâce aux milliers de passeurs qui déjouent les contrôles douaniers, 15 à 20 % de la cocaïne consommée en France proviendrait de la Guyane. C’est donc une réalité très importante qui n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis dix ans.

    Vous avez évoqué la corruption au Havre, est-ce que c’est un phénomène répandu dans le reste du pays ?

    J’y consacre tout un chapitre de mon livre. C’est difficile à dire. Au vu des affaires qui scandent l’actualité, on peut affirmer qu’à défaut d’être répandue, la corruption se répand. Notamment dans les municipalités qui sont confrontées à l’existence d’enclaves et qui transigent avec certains criminels en pratiquant notamment la politique dite des « grands frères ». Pour avoir la « paix » dans ces quartiers, certains édiles distribuent de l’argent public à des associations plus ou moins fictives contrôlées par des « caïds » qui, en échange, leur apportent des voix. Les villes de Corbeil-Essonnes et de Marseille, dans les années 2000, ont été marquées par des scandales impliquant des élus. Depuis, il y en a eu beaucoup d’autres, notamment dans des communes de Seine-Saint-Denis, comme Bagnolet, Saint-Denis, Aubervilliers ou encore Bobigny. J’invite vos lecteurs à lire le petit opuscule édifiant de Didier Daeninckx, Banlieue naufragée, aux éditions Gallimard, sur la situation dans l’ancienne banlieue rouge. Le dernier scandale en date, qui illustre le développement des trafics dans les petites villes, est celui de Canteleu, une commune de 15 000 habitants située au nord de Rouen. Soupçonnée de liens avec une bande particulièrement active, la maire a dû démissionner. Il y avait de telles pressions des dealers qu’elle cédait à presque toutes leurs revendications. L’enquête en cours n’a pas permis d’établir s’il y avait corruption. On peut penser que cette femme avait peur. Tout simplement.

    Vous évoquiez certains quartiers tenus par les criminels. On voit notamment les conséquences dans les violences à Marseille où l’on dénombre 23 morts par balle depuis le 1er janvier. Il y a donc un accroissement des violences entre les gangs ?

    En termes quantitatifs, cette vague de règlements de compte est probablement sans précédent depuis 40 ans, même si, en 1985-86, les guerres de succession dans le milieu marseillais, après la mort de Gaëtan Zampa, l’une des grandes figures du milieu marseillais, avaient fait des dizaines de morts dans les Bouches-du-Rhône à cette époque. Les années 1970 avaient été marquées aussi par des massacres mémorables comme les tueries du Tanagra ou du bar du Téléphone. Néanmoins, la différence entre hier et aujourd’hui est moins quantitative que qualitative. C’est la différence entre l’ancien milieu corso-marseillais et la configuration de la criminalité aujourd’hui. On a l’impression que celle-ci est beaucoup moins structurée, notamment autour de figures de figures charismatiques capables de pacifier et de réguler la concurrence consubstantielle aux activités du crime organisé. La situation paraît aujourd’hui beaucoup plus anarchique et surtout affecte directement la population qui vit dans les quartiers occupés par les bandes criminelles. L’ancien milieu marseillais, spécialisé dans la production et les trafics d’héroïne, ne contrôlait pas militairement des quartiers entiers de Marseille. Dans les années 1960 et 1970, l’héroïne était alors produite dans l’arrière-pays marseillais dans des maisons individuelles où des chimistes fabriquaient l’héroïne, laquelle était directement exportée vers les États-Unis. Selon les services antidrogues, 75 % de l’héroïne qui était importée aux États-Unis provenaient de France. Il n’y avait donc pas les nuisances qu’on voit aujourd’hui avec la dissémination des points de vente, plus d’une centaine, ancrés territorialement, qui happent une partie de la jeunesse dans des carrières criminelles et y pourrissent la vie des habitants.

    Est-ce que la police et la justice sont assez efficaces dans la lutte contre les trafiquants ?

    Visiblement non si l’on considère le développement du marché des drogues depuis 20 ans. Il y a aujourd’hui des milliers de points de deal, qui innervent les métropoles comme les villes moyennes. À cette réalité s’est ajoutée depuis une dizaine d’années, l’implantation de réseaux albanais, singulièrement dans la région Rhône-Alpes, sur le marché de l’héroïne ou Géorgiens spécialisés dans les trafics de médicaments opioïdes. Pourtant, des saisies historiques de cannabis, de cocaïne, et même d’héroïne ont été réalisées en France en 2022. Mais ce qui est très inquiétant est que cela semble n’avoir qu’impact très relatif sur le marché. Si on saisit tendanciellement de plus en plus de drogues, c’est aussi parce que la masse de substances en circulation ne cesse de croître. Si le marché était réellement affecté par ces saisies, il y aurait des situations de pénurie, les prix devraient alors augmenter et les teneurs diminuer. Or ce n’est pas le cas. Les prix de détail des principales substances illégales sont stables ou diminuent, tandis que leur pureté est en très forte augmentation. La lutte anti-drogue en France n’est pas assez efficace. Pourtant, sur le plan opérationnel, depuis 2020, l’État a considérablement augmenté les effectifs de l’Office antistupéfiants (OFAST), structure en charge de la lutte contre les trafics qui a remplacé l’OCRTIS, mais à l’évidence cela n’est pas suffisant.

    D’après vous, quelles seraient les solutions pour que cette lutte soit efficace ?

    Il y a un début de prise de conscience du danger que constituent la montée en puissance du crime organisé et la prolifération des enclaves où sévit en outre le « fréro-salafisme ». En décembre 2022, la Délégation parlementaire au renseignement du Sénat a produit un rapport qui s’inquiète de l’impact de la montée de la criminalité organisée liée aux drogues. Il évoque, je cite, « une menace en pleine expansion », et un possible devenir « narco-État » de la France. À Marseille, des policiers évoquent, devant la montée des règlements de comptes, sur fond d’actes de barbarie, de fusillades à l’arme de guerre, un processus de « mexicanisation ». Il s’agit donc de faire de la lutte contre la criminalité organisée une priorité nationale. Jusqu’à maintenant, beaucoup d’observateurs ont le sentiment que la réponse des gouvernements qui se succèdent est d’ordre réactive. Il faudrait, au-delà des « rustines » consistant à envoyer des renforts ici ou là, élaborer un plan pluriannuel accompagné d’une stratégie consistant notamment à renforcer la réponse pénale tant sur le plan des moyens matériels et humains que des peines prononcées. Cette question est déterminante comme l’a montrée par le passé l’éradication des filières françaises de l’héroïne. La loi du 31 décembre 1970, dans son volet réprimant la production et le trafic de stupéfiants en bande organisée, a en effet permis en durcissant considérablement les peines prononcées de dissuader certains acteurs de persister dans la production et le trafic d’héroïne. Les criminels sont aussi des êtres rationnels. Or, un rapport européen publié il y a quelques années a montré que cette réponse pénale en France en matière de trafics de stupéfiants est une des moins sévères d’Europe. Tout cela dans un contexte où, faute d’effectifs suffisants, les magistrats sont débordés.

    À Marseille, une poignée de magistrats gèrent chacun des dizaines de dossiers particulièrement complexes. Il faudrait, dans l’esprit qui a présidé à la mise en place des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) en 2004, créer un parquet national antistupéfiant, systématiser les cours d’assises spéciales au lieu de recourir à l’expédient de la correctionnalisation comme on l’a vu récemment pour un réseau implanté à Saint-Ouen dans la cité des Boute-en-Train. Il n’est pas acceptable par exemple que des membres de la mafia albanaise interpellés en France pour trafic d’héroïne ne soient condamnés qu’à des peines de deux à trois ans de prison avec des obligations de quitter le territoire français (OQTF) qui ne sont pas ou peu exécutés. Il en va de même pour les ressortissants des filières sénégalaises du crack qui perdurent depuis une trentaine d’années dans la région parisienne ou plus récemment des filières sino-vietnamiennes impliquées dans la production de masse du cannabis. La loi punit la production illicite de stupéfiants en bande organisée d’une peine maximale de 30 ans de prison. Une simple application de celle-ci dissuaderait nombre d’acteurs potentiels de se risquer à la violer. L’adage, en vogue dans les années 1970 en Italie, dans les milieux brigadistes « En frapper un, pour en éduquer cent » s’applique ici parfaitement.

    Dans les politiques publiques, la question de la légalisation est de plus en plus posée. Avec le recul des différents modèles de légalisation, quel bilan peut-on dresser ?

    De plus en plus de pays légalisent le cannabis à des fins récréatives à travers le monde. Récemment, dans l’Union européenne, Malte, l’Allemagne et le Luxembourg, viennent de le décider. En 2013, l’Uruguay a été le premier État souverain à le faire, suivi par le Canada, tandis qu’aux États-Unis une vingtaine d’États à ce jour ont mis en place un système de régulation malgré la loi fédérale qui continue de prohiber le cannabis. Indépendamment du terme « légalisation », qui agit chez ses partisans comme une formule magique qui résoudra tous les problèmes, il faut regarder, les dispositifs concrets mis en place. Dans mon livre, j’explique que le modèle adopté par la plupart des États américains n’est pas le bon. C’est un modèle très libéral sur le plan économique, qui confie la production du cannabis à des entreprises privées. Or la logique du privé est de faire un maximum de profit en élargissant le marché. Le Colorado, l’un des premiers États à partir de 2012-2014 à avoir légalisé le cannabis, a connu une explosion des consommations chez les adultes. Et pour faire plus de profits, les entreprises mettent sur le marché des concentrates, c’est-à-dire des formes de résine et d’huile de cannabis à des taux de THC de 60 à 80 %, plus chères, aux effets potentiellement néfastes en termes de santé publique. Ce type de légalisation n’est donc pas assez régulée. En outre, l’impact sur les réseaux criminels est relatif puisque malgré la forte croissance de l’offre légale, la part du marché noir, 30 %, reste considérable. Les groupes criminels ont profité du fait que le cannabis légal est par définition taxé, ce qui leur permet de proposer le produit à des prix compétitifs. Il y a aussi ce que les policiers appellent « l’effet ballon », c’est-à-dire des reports sur d’autres drogues. Si le trafic de cannabis a diminué aux États-Unis, ceux de méthamphétamine, de cocaïne et surtout de fentanyl ne cessent de prospérer. Compte tenu de ce bilan très mitigé, s’il décidait de légaliser, l’État serait donc avisé de mettre en place en France un monopole fixant les prix et limitant les taux de THC et interdisant la vente aux mineurs. Ce processus devra être en outre accompagné d’une stricte application de la loi pour ceux qui continueront à produire illégalement du cannabis ou d’en vendre aux mineurs. Sinon, le chaos s’installera rapidement au risque de favoriser les activités du crime organisé et de remettre en cause une des rares tendances positives du marché des drogues illégales en France : la forte baisse des consommations chez les adolescents.  On le voit si incontestablement la prohibition pose un certain nombre de problèmes, la légalisation en crée aussi de nouveaux et ne saurait faire figure de remède miracle nous épargnant la confrontation avec un crime organisé posant au pays des défis d’ordre existentiels.

    Michel Gandilhon (Conflits, 2 juin 2023)

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  • Le crime mondialisé...

    Les éditions du Cerf viennent de publier une étude de Xavier Raufer intitulée Le Crime mondialisé - État des lieux en 99 vérités. Criminologue et auteurs de nombreux essais, Xavier Raufer a publié ces dernières années Les nouveaux dangers planétaires (CNRS, 2012) et Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014) et a également coordonné l'ouvrage collectif intitulé La première cyber-guerre mondiale ? (Eska, 2015).

     

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    " Fraudes, détournements, meurtres, trafics, esclavages à l'échelle planétaire : en statistiques, tableaux, chronologies, mais aussi récits vrais et portraits révélateurs, c'est la face cachée et noire de la mondialisation, sur l'année 2018, que révèle ce document sans précédent.

    Qui dirige désormais Cosa Nostra ? Pourquoi les prisons françaises sont-elles devenues des passoires ? Où trouve-t-on la cocaïne la plus pure ? Existe-t-il vraiment un lien entre l'afflux de migrants en Europe et la criminalité ? Xavier Raufer livre ici une encyclopédie du crime, étonnante et passionnante, sur toute la surface de la planète. En utilisant les données les plus récentes (collectées par Crimino, sa base documentaire criminologique), il révèle l'autre face de la mondialisation, où les tueries de masse s'exportent des États-Unis au reste de la planète, et où l'Afghanistan est devenu un immense champ de pavot. Chiffres à l'appui, il revient ainsi sur les faits divers qui ont fait l'actualité, et sur ceux dont on a étrangement peu parlé. Des crimes sexuels en passant par les nouvelles mafias, de la piraterie maritime aux trafics d'êtres humains, rien n'est laissé sans réponse dans ce livre-événement qui donne aux lecteurs les clés pour participer au débat public sur la sécurité internationale.
    Une somme indispensable, pour comprendre enfin le monde dans lequel nous vivons. "

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  • La dimension stratégique et géopolitique de la criminologie...

    Les éditions Eska viennent de publier un essai de Xavier Raufer intitulé Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique. Criminologue, enseignant à l'université de Paris II, Xavier Raufer a récemment publié Les nouveaux dangers planétaires - Chaos mondial, décèlement précoce (Editions du CNRS, 2009) et Géopolitique de la mondialisation criminelle - La face obscure de la mondialisation (PUF, 2013).

     

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    " Loin des faits et données étriqués, bornés par des idéologies caduques au seul territoire national, ce livre explore et éclaire ce qu'il y a devant nous, plus loin sur la route.

    Aux diverses échelles concernées, on analyse dans cet ouvrage :

    - MONDE - Le cadre mondialisé dans lequel grouille et s'agite la criminalité mondiale : l'Europe, les grands réseaux des trafics illicites : êtres humains, stupéfiants, armes, etc.

    - MONDE encore - Les bouleversements immenses qui s'amorcent en matière de consommation de stupéfiants, de terrorisme, etc. ; à l'issue desquels la "planète criminelle" sera transformée de part en part.

    - NATION - des échecs majeurs dans l'ordre social ("politique de la ville") ayant conduit à la présente criminalisation de nombreux quartiers et cités,

    - MÉDIAS - les complexes rapports entre la société de l'information et le réel criminel, et les nuisibles répercutions de ces difficultés sur la société humaine.

    A qui s'intéresse aux rapports entre criminalité, terrorisme  et mondialisation ; ce, en France, en Europe et dans le monde ; aux réactions des médias face aux dangers et menaces du monde qui émerge, ce livre apporte une vision - et des réponses. "

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  • La France vue par la télévision russe...

    Découvrir le monde qui nous entoure au travers d'un regard étranger peut parfois s'avérer salutaire...

    Ce reportage de la télévision publique russe, cueilli sur le site François Desouche montre une partie de la réalité française rarement évoquée de façon aussi brutale sur nos chaînes d'information...

     

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  • Le moment de la vérité...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue intéressant de Xavier Raufer, cueilli sur le site du Nouvel Économiste et consacré à une méthode envisageable de lutte contre les violences urbaines ou criminelles. On peut évidemment douter que ce gouvernement, pas plus que les précédents, ait le courage de mettre en œuvre les mesures proposées... 

     

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    Le moment de la vérité

    Taper sur Google “Règlement de comptes à la kalachnikov” (France). Tombent alors 44 000 réponses, dont 90 % concernent Marseille (septembre 2012). Les lire, avec leurs commentaires interactifs, montre l’urgence de régler pour de bon et nationalement ce problème de guerre de gangs. Ce, pour deux raisons.

    Au niveau national, laisser filer les choses suscitera un climat de guerre civile larvée, l’Etat de droit, affaibli, laissant le lynchage et l’assassinat remplacer la justice dans des zones hors-contrôle du territoire. Zones qui bien sûr métastasent, quand de futiles saupoudrages (zones prioritaires, “guerre aux kalachnikov”) font jouer une immuable loi criminologique : l’effet de déplacement.

    A l’international, la France deviendra le paria de l’Europe, nos scènes criminelles (Corse, Provence), nos ravages urbains (Amiens) étant, dans leur durée et leur violence, uniques sur notre continent.

    Que faire alors ? Et comment ?
    Comme toujours quand c’est grave, trouvons un socle solide : la sagesse grecque originelle. Ici, le fondamental principe vient des Philippiques de Démosthène, quatre siècles avant notre ère. Athènes fait alors face à Philippe de Macédoine qui “partout, s’est trouvé présent, prêt à agir avant nous, maître d’une armée constamment sous sa main et sachant d’avance ce qu’il veut faire”. Pour les Athéniens, c’est l’inverse : “Nous… c’est seulement à la nouvelle d’un événement que, dans le trouble et le tumulte, nous le préparons. Qu’en résulte-t-il ? … Nous arrivons quand le coup est fait. Ainsi, toutes nos ressources sont prodiguées en pure perte.”

    De fait, depuis les premières violences urbaines (1979) et le début de répétitives tueries à l’arme de guerre (2009), nos gouvernants, ébahis autant qu’irrésolus, sont – comme prévu par Démosthène – arrivés après- coup et ont gaspillé des milliards en ineptes projets urbains. Le tout dans une débauche sans suite de com et d’effets d’annonce.

    Or cela n’est plus tenable. Bientôt peut-être – drame que nul journaliste libertaire, sociologue gauchiste ou politicien vacillant ne pourra plus relativiser ou édulcorer -, une rafale de kalachnikov déchirera un bus de transport scolaire ou un car de police. Il faudra alors agir fort et sans trembler.

    Pourquoi attendre le drame quand, en matière de sécurité intérieure, existe une voie praticable, tracée par ces événements mêmes que la France vit ces derniers mois ?

    Cette voie criminologique tient en trois phrases :

    - Plus de Merah,

    - Plus d’Amiens,

    - Le calme à Marseille.

    Ce plan est crucial, car nul n’est jamais parvenu à accomplir du social, de l’économique ou du financier dans une zone ravagée par la violence et le banditisme. Ordre, puis progrès – l’inverse est impraticable.

    Voyons maintenant ces trois propositions.

    Plus de Merah
    Des Merah, il y en a peu en Europe – donc en France. Ce type hybride, criminel ET terroriste à la fois, est d’ailleurs ancien. Dans l’Algérie de 1992, un fondateur du Groupe Islamique Armé est Mohamed Allal, dit “Moh Leveilley”, un caïd et braqueur du quartier algérois de Leveilley, ensuite réislamisé. Or “Moh Leveilley” n’est pas du tout un nom jihadi, mais de voyou (“Jojo de Belleville”).

    Un tel hybride est très dangereux : aguerri par son parcours criminel, il sait détecter la police, se planquer, égarer un magistrat ; proche du Milieu, il achète aisément des armes à feu. Et il s’autofinance, ses méfaits lui procurant les armes ou explosifs qu’il lui faut. Mais l’hybride type Merah est rare – en Europe, quelques dizaines d’individus pouvant basculer brutalement dans la violence quasi démente. Il faut donc créer un outil permettant de repérer ces individus dangereux et de produire à temps un diagnostic juste à leur propos.

    Plus d’Amiens
    Là, l’essentiel tient à la soi-disant “politique de la Ville” – inutile et ruineux monstre idéologique. Dans les années 1980, cette nouvelle “politique” devait rétablir la paix dans les cités mais aussi, explicitement, enrayer la montée du Front national. On voit le résultat… Voté en 2004, le plan Borloo aura coûté 42 milliards d’euros pour des quartiers toujours ravagés par la criminalité : des voyous habitent désormais des logis neufs, tandis que des ménages nécessiteux restent inscrits sur d’interminables listes d’attente.

    Or, que les bandits périurbains habitent de jolies maisons ne met pas fin à leurs exactions. Preuve : le Mas du Taureau à Vaulx-en-Velin. Un rêve d’urbaniste : maisons de trois étages, jardins, belles pelouses. Mais en octobre 1990, ce quartier a subi les pires déprédations de l’histoire des violences urbaines ! Lier la délinquance à l’architecture relève clairement de la culture de l’excuse : les gens sont malheureux donc sombrent dans le crime ; discriminés, souffrant d’un manque d’estime de soi, ils s’emparent donc de kalachnikov… Or les socialistes ont longtemps suivi cette doctrine. Le nouveau gouvernement devrait réussir une véritable révolution copernicienne pour convaincre son administration de l’inanité du politiquement correct en matière de sécurité publique.

    Le calme à Marseille
    Violences urbaines et banditisme de cité concernent d’usage les mêmes individus – au niveau national, 3 000 prédateurs violents, y compris leurs proches complices. Sont-ils connus ? Non, ils sont célèbres ! Les brigades anticrime des quartiers chauds en connaissent la liste par cœur. Cela concerne environ 150 bandits à Marseille ou dans le Nord, 200 en Seine- Saint-Denis, 30 à 50 dans les 23 autres départements. Pas de petits voyous, mais de vrais criminels : braqueurs, dealers, etc. Que le ministre de l’Intérieur exige des préfets en cause la liste de ces prédateurs multirécidivistes : il aura en main de quoi agir. Ces individus devront être ciblés et, dans le respect des codes en vigueur, sanctionnés à la moindre incartade. Qu’on agisse ainsi et les “règlements de comptes” cesseront, la loi du silence se dissipera – la vie reviendra, à Marseille et ailleurs.

    Xavier Raufer (Le Nouvel Économiste, 6 septembre 2012)

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  • Et la sécurité ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli sur Valeurs actuelles, dans lequel il déplore le silence des candidats à l'élection présidentielle sur la lutte contre les bandes criminelles armées et l'échec total de la «politique de la ville»... 

     

     

    Assassinats Marseille.jpg

    Campagne : et la sécurité ?

    Dans ce qui aura constitué le sommet de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy et François Hollande se sont affrontés dans un âpre duel télévisé. Ordre du jour supposé : l’avenir de la France dans tous les domaines vitaux et, dans ce cadre, les grandes oppositions droite-gauche. Tous, vraiment ? Non, hélas, car jamais dans les 170 minutes du débat il ne fut question de sécurité.

    S’est-il seulement agi d’un incroyable et mutuel oubli ? D’un implicite (ou explicite) souci d’occulter ce qui fâche et de balayer la poussière criminelle sous le tapis ? Une criante absence en tout cas – et d’autant plus malheureuse qu’en matière de sécurité, la France n’est pas en bon état.

    Infiniment plus qu’un rabâchage convenu qui n’aura rien appris de nouveau aux Français sur les positions économiques respectives des deux finalistes de la présidentielle, deux sujets au moins auraient mérité une attention soutenue, en raison à la fois de leur gravité et de leur coût : l’explosion criminelle marseillaise et la tragique “politique de la Ville”.

    Marseille d’abord. Ces dernières décennies, l’exubérance criminelle, la dimension proprement politique du grand banditisme régional provoquaient une seule réaction des élus et officiels locaux : à chaque drame, ils bêlaient en cœur “Marseille n’est pas Chicago” puis, ce rituel de conjuration accompli, retournaient à leurs combines. Or aujourd’hui, Marseille, c’est Chicago en pire : les jours pairs, des bandits s’entre-tuent à l’aide d’un inépuisable arsenal d’armes de guerre et les jours impairs, on exhume des cadavres calcinés des futaies alentour.

    Au fait, à quand remonte le début de la tuerie ? Une amusante coïncidence se constate avec la tenue, au printemps 2010, d’un “atelier professionnel” voulu et financé par la Mairie de M. Gaudin (dite “de droite”), sur le thème “Trafic de drogue et intervention sociale dans les quartiers populaires”. Cet incroyable hymne à la culture de l’excuse produisit alors l’effet d’une hormone de croissance sur les “bandits des cités” marseillaises, présentés comme autant de victimes, dont les trafics et les exactions résultaient « de la débrouille et de la pauvreté » et constituaient (je cite toujours) « des formes d’accès aux ressources » (voir ma chronique du 11 mars 2010, "De la limite des tables rondes").

    Ce que les calamiteux élus de la “droite” marseillaise ignoraient, c’est qu’en pareil cas, les “débrouillards” se coalisent forcément en bandes pour “accéder aux ressources” sur “leur” territoire. Et qu’entre eux éclatent vite des guerres – on y est – d’autant plus meurtrières que la côte grouille d’armes libyennes, bradées par des milices tribales et des trafiquants africains.

    Partant du désastre marseillais, des échanges auraient ainsi été les bienvenus entre candidats : que faire contre cette prolifération des gangs ? Comment interdire les flux d’armes de guerre entre les deux rives de la Méditerranée ? Comment constituer un outil performant de renseignement criminel ? Mais rien.

    Autre sujet majeur – et lié au précédent : celui de la “politique de la Ville”, la pire catastrophe des trente dernières années, cogérée dans l’opacité par les partis de gouvernement. Désastre ? Et comment ! Rappelons que, dès l’origine, la très idéologique “politique de la Ville” avait pour objet exclusif de « mettre un frein à la poussée des ghettos, à la dérive insécuritaire et à la montée en puissance du Front national » (le Figaro du 23 mai 1990). On voit le résultat.

    Des milliards ont depuis lors été engloutis dans l’aventure : « Les pouvoirs publics n’ont pas ménagé leurs efforts. Des centaines de millions d’euros investis dans la rénovation urbaine pour… reconstruire des quartiers entiers » (le Monde du 4 novembre 2011). Pour 2004-2013, le “plan Borloo” aura ainsi coûté 42 milliards d’euros – ou même 45, selon les sources. Cependant, toujours plus de communautarisme, de drames et de kalachnikovs – car le syndrome marseillais tend à contaminer la périphérie d’autres métropoles. Et tous le savent, le Monde du 17 mars dernier qualifiant même cruellement la rénovation urbaine de « ghetto, mais en plus propre ». Donc, silence sur les gangs et la “politique de la Ville” : sur les banlieues, « les candidats à la présidentielle sont en panne d’idées », lisait-on dans les Échos, en mars.

    Une panne de mauvais augure, car dans cet oubli du réel et dans l’occultation systématique de ce qui fâche, un précédent existe : le face-à-face George Bush-Al Gore organisé lors de campagne présidentielle américaine de 2000. Un face-à-face qui démontre une fois de plus que, dans la société de l’information, le plus dangereux, c’est ce qu’on n’a pas pu ou pas voulu voir.

    Lors de ce face-à-face, composé de trois débats d’une heure chacun, l’ensemble des sujets vitaux pour l’avenir des États-Unis devait en effet être abordé. De la fiscalité à l’agriculture en passant par l’éducation, ils le furent tous, effectivement. Tous, sauf un, radicalement oublié : le terrorisme.Moins d’un an plus tard, le 11 septembre 2001, la foudre tombait sur New York.

     Xavier Raufer (Valeurs actuelles, 17 mai 2012)

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