Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

russie - Page 22

  • Notre chemin...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Eman sur la douloureuse affaire ukrainienne.

    Animateur du site Paris Vox, rédacteur en chef de la revue Livr'arbitres et collaborateur de la revue Éléments, Xavier Eman est l'auteur de deux recueils de chroniques intitulés Une fin du monde sans importance (Krisis, 2016 et la Nouvelle Librairie, 2019), d'un polar, Terminus pour le Hussard (Auda Isarn, 2019) et, dernièrement, d'Hécatombe - Pensées éparses pour un monde en miettes (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

    Ukraine_USA_Russie.jpg

    Notre chemin

    Il faut se méfier des réponses simples à des problèmes complexes. Ce serait un truisme affligeant que de dire cela si notre époque n’avait pas en détestation la tempérance, la nuance, la gradation, et même la simple analyse. Notre temps n’aime rien davantage que le manichéisme, l’hystérie et les vociférations.  Chacun est sommé de choisir son héros et de combattre à mort (sur les réseaux sociaux ou les plateaux télé, n’exagérons rien…) pour celui-ci, abandonnant au passage toute bribe d’honnêteté et tout semblant de mesure. Un monde d’idolâtres, de « groupies », de « supporters » sans cervelle, aussi pavloviens qu’agressifs.

    Ainsi, il semble qu’il soit impossible d’être favorable à l’autonomie et l’indépendance ukrainienne sans devenir immédiatement un abject « anti-russe » et, plus grave encore, un horrible « anti-Poutine ». Pourtant, n’étant ni Russe ni Ukrainien, mais Français, c’est une position qui n’a rien d’absurde ni d’intenable, à part, bien sûr, pour les fanatiques (à distance) des deux camps qui semblent s’être trouvés de tristes patriotismes de substitution.

    Dans le monde chaotique et hyper-interconnecté dans lequel nous vivons, où des intérêts immenses et contradictoires s’entrecroisent et des lobbys multiples se concurrencent, il faut être bien présomptueux pour prétendre connaître l’issue et les conséquences concrètes des événements et des crises qui secouent le monde. Souvenons-nous, par exemple,  du drame Yougoslave. Faut-il cracher rétrospectivement sur ceux qui avaient choisi le camp Croate ?

    Face aux nouvelles pythies de facebook et d’instagram, aux Nostradamus de la géopolitique et autres grands spécialistes du billard diplomatique à douze bandes, le militant sincère n’a qu’un choix qui paraît à peu près digne: tenter d’être fidèle à des principes immuables et transcendants et servir les seuls intérêts de son pays.

    Ainsi, au nom de l’anti-impérialisme et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il convient de défendre le combat des ukrainiens pour vivre dans leur patrie, selon leurs règles, traditions et lois, sans avoir à être les domestiques obligés de leur puissant voisin. Et ce quelques soient les contingences et les circonstances. Est-ce nous qui vivons dans un pays membre fondateur de l’Otan qui allons insulter (ou simplement dénigrer le combat) des nationalistes ukrainiens parce que le leur va peut-être un jour rejoindre cette organisation ? Avons-nous des leçons à leur donner sur la divergence entre le combat mené et les gouvernements qui nous représentent ? Un peu de décence et d’humilité, en ce domaine comme en bien d’autres, ne serait pas superflu…

    Ensuite, au nom des intérêts de la France, il est impérieux de refuser le suivisme Otanesque et la subordination aux Etats-Unis, et il est urgent de rompre avec la criminelle niaiserie de la prétendue  « défense des droits de l’homme » qui n’est que le cache-sexe de la stratégie d’hégémonie américaine.

    Mais, entre deux Empires, nous n’avons pas à choisir notre vassalité.

    C’est avec cette fameuse « troisième voie », qui fait sans doute ricaner les cyniques rebaptisés « réalistes » et « pragmatiques » après un voyage semi-officiel et trois coupes de champagne, qu’il faut renouer, sous peine de disparaître. Car l’époque ne manque pas de gens prêts à se soumettre et à servir le puissant du jour, mais les volontés et les intelligences pour forger notre propre puissance se sont, quant à elles, tragiquement raréfiées.

    Xavier Eman (A moy que chault ! , 23 février 2022)

    Lien permanent Catégories : En Europe, Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • La navrante crise russo-ukrainienne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Dussouy, cueilli sur Polémia et consacré à la crise ukrainienne. Professeur émérite à l'Université de Bordeaux, Gérard Dussouy est l'auteur de plusieurs essais, dont Les théories de la mondialité (L'Harmattan, 2011) et Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013).

    Ukraine_Russie_UE.jpg

    La navrante crise Russo-Ukrainienne

    Quels que soient les sentiments ou les affinités que l’on peut éprouver envers l’Ukraine ou la Russie, et quelles que soient les responsabilités que l’on peut imputer à l’une ou à l’autre dans la crise qui les voit s’affronter,  leur différend est lourd de conséquences pour elles-mêmes et pour l’Europe. Le risque principal est l’enlisement dans un schéma géopolitique de type « néo-Guerre froide » dans lequel les Américains et certains dirigeants européens timorés cherchent à l’entraîner. L’esprit de croisade des Démocrates américains est toujours de mise, comme on le constate avec Biden. Mais surtout, en raison de la nouvelle polarisation mondiale sur le Pacifique, les Etats-Unis maintenant obsédés par la Chine entendent conserver le contrôle de l’Europe et empêcher, à tout prix, son éventuel rapprochement avec la Russie. Leur opposition virulente au gazoduc germano-russe de la Baltique en est la parfaite illustration.

    Russie et Europe, dos à dos, face au reste du monde

    Le bouleversement des rapports de forces mondiaux, et par conséquent des positionnements des États les uns par rapport aux autres, est total. Il concerne la Russie et l’Europe de la même manière. En effet, c’est toute l’organisation de l’espace planétaire qui a été transformée par le déplacement du centre du monde depuis l’Atlantique Nord vers le Pacifique Nord. Une translation qui est à mettre en rapport, bien entendu, avec la compétition pour l’hégémonie qui a débuté entre les États-Unis et la Chine. Et au milieu de laquelle les États européens ne sont plus que des enjeux, parce qu’aucun d’entre eux, pas même la Russie, ne peut prétendre à la puissance globale. Par ailleurs, les changements profonds, qu’ils soient démographiques ou culturels, qui affectent la géographie humaine mondiale, lancent à tous les Européens, de l’Est comme de l’Ouest, des défis communs immenses pour les décennies qui viennent.

    De sorte que la nouvelle configuration mondiale fait des deux voisins que sont l’Europe et la Russie, deux « alliés naturels » face au reste du monde. Il se trouve que la topologie géopolitique (c’est-à-dire la position des États dans le système spatial mondial) s’associe maintenant- c’est la nouveauté- à la topographie géopolitique (c’est-à-dire la continuité territoriale, et l’absence d’obstacles naturels) pour suggérer à tous les Européens un réalisme politique qui dépasse les idéologies et les ethnocentrismes.

    Le jeu mondial est, désormais, entre les mains des USA et de la Chine. Les États européens, Russie comprise, malgré tout le mérite de son président, ne sont plus que des puissances petites ou moyennes, au mieux des puissances régionales. La comparaison est écrasante comme le montrent ces quelques chiffres (SIPRI) de 2019 : 19 390 milliards de dollars de PIB pour les USA, 12 014 pour la Chine et 1527 milliards pour la Russie ; 600 milliards de dollars pour le budget militaire américain, 216 milliards pour le chinois et 69 milliards pour le russe. Ce même budget est de 57 milliards de dollars pour la France et de 41 milliards pour l’Allemagne. Si l’économie germanique est brillante, celle de la France l’est moins et celle de la Russie encore moins

    Au fond, pour faire image, l’Europe et la Russie sont face au reste du monde comme deux duellistes de l’ancien temps qui se retrouvent entourés de spadassins, lesquels en veulent à chacun d’eux. Il ne leur reste plus qu’à s’entendre, et dos à dos, à se défendre mutuellement, sachant que tout mauvais coup porté par l’un des deux à l’autre se retournerait contre lui-même. C’est déjà ce qui arrive à cause de l’Ukraine.

    Comment sortir de l’impasse ?

    L’impasse actuelle incombe aux deux parties en présence. D’un côté, il y a l’incurie diplomatique et stratégique de l’Union européenne et de tous les dirigeants des États européens, tous incapables de mener une véritable réflexion géopolitique. Au lieu de faire de l’Ukraine un « pont » entre l’Europe et la Russie, ils en ont fait une pomme de discorde aux dépens des Ukrainiens eux-mêmes. Car il ne fallait pas présenter l’association de l’Ukraine à l’UE comme une victoire sur la Russie, et emboiter le pas des États-Unis en laissant entendre que cette association était l’antichambre à une adhésion à l’Otan! Une organisation qui devrait avoir été dissoute depuis belle lurette, à la suite de celle du Pacte de Varsovie. Du côté de la Russie, le complexe ancien de l’encerclement perdure et les maladresses occidentales ne font qu’aviver un nationalisme épidermique, tandis que l’on a du mal à cerner les préjugés et les arrière-pensées de Moscou dans tout ce qui a trait à l’Europe. Cette crise est assez désespérante parce qu’elle est avant tout d’origine idéologique et qu’elle défie la rationalité géopolitique. Elle renvoie aux querelles nationalistes du siècle dernier sur des enjeux passablement dérisoires dans le nouveau contexte mondial.

    Comment en sortir, alors même que l’on est, peut-être, à la veille d’un nouvel affrontement ? Avec les provocations et les surenchères des uns et des autres et les interférences internationales cela semble possible. Pour éviter sinon le pire, mais pour empêcher tout au moins une nouvelle déchirure du continent européen, il serait judicieux que les protagonistes les plus concernés recherchent le compromis sur la solution la plus équitable et la plus efficace possible.

    D’une part, il serait temps que l’Ukraine admette, et les Européens avec elle,  le retour de la Crimée à la Russie, à laquelle elle a toujours appartenu depuis qu’elle l’a reconquise sur les Turcs. En dépit du caprice, au milieu du siècle dernier, du potentat soviétique, ukrainien d’origine, Nikita Khrouchtchev. Dans cette même perspective l’Union européenne se devrait de tempérer le président ukrainien et de conditionner l’adhésion de l’Ukraine à son espace, tout en rejetant son entrée dans l’Otan, à un accord avec la Russie, avec laquelle, dans le même temps les termes du partenariat existant, mais presque lettre morte, seraient revus. D’autre part, et en contrepartie, les Européens sont en droit d’attendre de la Russie plus de clarté sur la façon dont elle appréhende ses rapports avec eux-mêmes, et plus de rigueur dans les engagements commerciaux. Elle a d’ailleurs tout à y gagner sachant que ses ressources financières sont limitées et que sa dépendance de la Chine dans ce domaine se paiera, tôt ou tard, au prix fort. La garantie assurée d’un approvisionnement énergétique continue des Européens est en la matière une clause attendue.

    Cependant, toute grande perspective géopolitique et tout espace de négociations ont, en toutes circonstances, leur pierre d’achoppement ; en l’occurrence le Donbass. Car c’est sur cette région frontalière et binationale que se cristallisent les inimitiés. Etant donné que l’Ukraine a refusé la solution fédérale ou celle d’un statut spécifique et qu’une rectification des frontières est considérée comme impraticable ou comme dangereuse à envisager, les protagonistes vont avoir du mal à trouver une issue à leur différend. On ne peut que le regretter car c’est la constitution d’un grand espace européen, dont il est légitime d’attendre des solutions aux immenses problèmes qui n’ont pas fini de se poser, qui est mise entre parenthèses ou même écartée.

    Si heureusement rien d’irréparable n’arrive, il reste à espérer dans les temps qui viennent un changement positif dans les perceptions mutuelles,  lui-même dicté par le renversement du monde. À l’européanité renouvelée de la Russie, imposée par la montée en puissance de la Chine et de tout l’Orient, répondrait alors l’abandon de la représentation occidentalo-centrée du monde des Européens de l’Ouest.

    Gérard Dussouy (Polémia, 11 février 2022)

    Lien permanent Catégories : En Europe, Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • De Gaulle et la Russie...

    Les éditions Perrin viennent de publier un essai d'Alexandre Jevakhoff intitulé De Gaulle et la Russie - Le prix de la grandeur. Historien et haut fonctionnaire, ancien élève de l'ENA, Alexandre Jevakhoff est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Kemal Atatürk (Tallandier, 1989) et  La Guerre civile russe (Perrin, 2017).

    Jevakhoff_De Gaulle et la Russie.jpg

    " Toute sa vie, de Gaulle a eu une certaine idée de la Russie. Née avec la visite de Nicolas II à Paris, murie pendant la Première Guerre mondiale lors de son emprisonnement avec Toukhatchevski, vécue à l'occasion de la guerre polono-soviétique (1919-1920), cette idée a façonné les relations du chef de la France libre avec Staline et les communistes français, puis celles du président de la Ve République avec Khrouchtchev et Brejnev.
    La relation particulière entre de Gaulle et la Russie ressemble à un miroir dans lequel se découvrent la personnalité du Général, son rapport à l'Histoire, ses réussites et ses échecs. Alexandre Jevakhoff, privilégiant les sources peu connues et fort de témoignages et de documents inédits (correspondance avec l'amiral de Gaulle, entretiens avec le président Giscard d'Estaing, archives soviétiques et de services de renseignements déclassifiées), brosse avec talent l'histoire de cette relation intense qui a façonné la personnalité du fondateur de la Ve République et largement conditionné l'histoire diplomatique des années 1940-1970.
    Partant, il donne aux relations entre Charles de Gaulle et la Russie une lecture bien plus ample et plus contrastée que celle admise à ce jour. Que ce soit dans la Russie d'avant 1917 ou dans celle du régime soviétique, inspiré par l'éducation paternelle, de Gaulle a cherché un support et même un renfort pour la grandeur de la France. C'était sans compter sans les spécificités de l'URSS et de ses dirigeants pour lesquels la France représentait un objectif et non un partenaire... "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Le brouhaha médiatique autour de l’Ukraine est une guerre de diversion...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune libre de Jean-Luc Basle pour le Centre français de recherche sur le renseignement consacrée à la crise ukrainienne.

    Poutine_Zelensky_Biden.jpg

    Le brouhaha médiatique autour de l’Ukraine est une guerre de diversion

    Son objet ? Détourner l’attention du public des propositions d’architecture européenne de sécurité que la Russie a soumises le 15 décembre aux États-Unis et à l’OTAN. Le brouhaha est si intense que Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine, a demandé au cours de sa conférence de presse du 28 janvier d’y mettre fin arguant que ses rumeurs ruinent l’économie du pays. Depuis la chute de l’Union soviétique en décembre 1991, douze nations ont rejoint l’OTAN. Cette expansion est perçue comme un encerclement par les autorités russes, comme le montre la carte ci-jointe. Vladimir Poutine a décidé qu’il était temps d’y mettre fin et a envoyé les propositions susmentionnées aux autorités occidentales. Elles sont inacceptables du point de vue américain puisqu’elles remettent en question les acquis des dernières décennies. Ce serait l’impasse si Emmanuel Macron, en tant que président de la France mais aussi en tant que président de l’Union européenne, n’avait pas pris langue avec Vladimir Poutine le 28 janvier, reconnaissant ainsi qu’il prenait au sérieux les propositions de son homologue russe, ignorant le brouhaha ambiant. 

    Sécurité indivisible ou porte ouverte

    La réponse américaine, remise à Moscou le 26 janvier, oppose une fin de non-recevoir au projet russe, mais n’en contient pas moins des contre-propositions relatives aux missiles nucléaires à moyenne portée, et aux manœuvres militaires des deux parties — propositions qui ne satisfont pas les Russes. Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov l’a fait savoir. Pour justifier leur projet d’architecture, les Russes s’appuient sur le principe de l’indivisibilité de la sécurité qui stipule que la sécurité d’une nation ne peut se faire au détriment d’une autre — principe inscrit dans les déclarations d’Istanbul de 1999 et d’Astana de 2010 signées par les membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération (OSCE) en Europe dont les États-Unis, la Russie, l’Ukraine, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, etc. À ce principe, les États-Unis en opposent un autre, celui de la « porte ouverte » qui donne à toute nation le droit de s’allier à toute autre nation sans égard à l’impact d’une telle alliance sur une ou plusieurs autres nations — principe inscrit dans l’Acte final d’Helsinki et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe.

    L’Ukraine : un pion dans l'échiquier mondial

    Alors que l’objectif de Vladimir Poutine est l’établissement d’un nouvel ordre européen, les dirigeants et médias occidentaux concentrent leur attention sur l’Ukraine. La Russie serait sur le point d’envahir l’Ukraine. Cela a été répété à satiété et Joe Biden l’a évoqué dans sa conférence de presse du 19 janvier, menaçant en ce cas la Russie de sanctions économiques. C’est un leitmotiv dans les chancelleries et médias qui s’appuie sur la présence de 100 000 soldats russes à cent kilomètres de la frontière, photos[1] à l’appui. Les Russes ont pris soin de faire savoir en de nombreuses occasions qu’ils n’avaient aucunement l’intention d’envahir l’Ukraine. La seule raison qui les inciterait à le faire serait pour venir en aide aux russophones du Donbass si Kiev lançait une attaque, ce que le président Zelenski se garde bien de faire sachant que ses forces armées ne sont pas en mesure de la mener à bien.

    Ces mêmes médias oublient de rappeler que la situation actuelle émane de la Révolution Maïdan de février 2014 — un coup d’État ourdi par les États-Unis. Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État pour l’Europe et l’Eurasie s’en est d’ailleurs vanté en précisant qu’elle avait dépensé cinq milliards de dollars[2] à cet effet. Les Occidentaux accusent aujourd’hui la Russie de vouloir reprendre le contrôle de l’Ukraine, après avoir récupéré la Crimée en mars 2014. Cette révolution n’eut pas l’heur de plaire aux Ukrainiens russophones, majoritaires dans la province du Donbass. L’imposition de l’ukrainien comme langue officielle fut la goutte qui fit déborder le vase, incitant les républiques de Donetsk and Louhansk à faire sécession. Pour l’éviter, la Russie, l’Ukraine, l’Allemagne et la France formèrent un quatuor, rapidement baptisé « Normandy format ». En février 2015, ils signèrent les Accords de Minsk par lesquels les Ukrainiens s’engageaient à rédiger une nouvelle constitution accordant une large autonomie aux républiques sécessionnistes. Sept ans plus tard, aucun accord n’est intervenu entre les parties. Les États-Unis ont fait pression sur la Russie pour que celle-ci s’insère dans ce processus ce qu’elle a refusé de faire.

    L’Ukraine est liée à la Russie. Kiev fut un temps la capitale de la Russie. C’est en raison de ce lien étroit que le politologue américain d’origine polonaise, Zbigniew Brzezinski, se référant au géographe anglais Halford Mackinder, écrira dans Le Grand échiquier que la domination de la Russie passe par l’Ukraine. « Sans l’Ukraine, écrit-il, la Russie cesse d’être un empire eurasien ». Or, l’objectif des néoconservateurs est l’établissement d’un nouvel ordre mondial qui présuppose la soumission de la Russie. L’Histoire montrera que Brzezinski s’est trompé. Ce n’est pas la Russie qui s’est effondrée mais l’Ukraine — aujourd’hui en banqueroute.

    Pour ce faire, ils ont poursuivi une politique d’encerclement de la Russie. Aux douze membres fondateurs de l’Alliance atlantique, créé en avril 1949 pour faire face à la menace soviétique, se joindront la Hongrie, la Pologne, la République tchèque en 1999, puis en 2004 ce sera le tour de la Bulgarie, de la Lituanie, de la Slovaquie, de la Slovénie, de l’Estonie, et de la Lettonie — ces deux derniers ayant une frontière commune avec la Russie. En outre, la déclaration de Bucarest d’avril 2008 entrouvre les portes de l’OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine — cette déclaration provoquera la guerre de Géorgie d’août 2008 qui se soldera par le contrôle des républiques d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie par la Russie. Cette déclaration surprend, non seulement par la menace qu’elle fait peser sur la Russie mais aussi par l’inclusion d’une nation corrompue, l’Ukraine,[3] dans la liste des nations susceptibles d’adhérer à l’Alliance atlantique et à ses valeurs démocratiques. Pour atteindre leur objectif, les Occidentaux ont prêté 35 milliards de dollars à l’Ukraine par l’intermédiaire du Fonds monétaire international, de l’Union européenne et des États-Unis, sans compter les livraisons d’armement qui s’élèvent à un demi-milliard de dollars pour les seuls États-Unis — montant qui devrait croître prochainement, si l’on en croit les déclarations de certains sénateurs américains.

    Les sanctions

    Les sanctions présument un coup d’État russe, une opération sous faux drapeau, voire une invasion pure et simple de l’Ukraine. Quelles seraient-elles ? L’exclusion du système SWIFT[4], la limitation d’achats de gaz et de pétrole russes et l’annulation d’un contrat d’approvisionnement par le biais d’un gazoduc, nouvellement terminé, Nord Stream II.[5] Ces sanctions sont inapplicables et ne font l’unanimité ni au Congrès, ni en Europe. Le 14 janvier, des sénateurs démocrates ont eu recours, avec l’accord du président Biden, à une procédure d’obstruction[6] que par ailleurs ils désapprouvent, pour s’opposer à un projet républicain de sanctions qu’ils trouvaient excessif. Les Européens qui règlent leurs achats de gaz et de pétrole par le biais de SWIFT ne peuvent accepter que la Russie en soit exclue. Cela les obligerait à adopter un système parallèle lent, coûteux et moins sûr pour régler leurs factures de gaz et de pétrole. Ils dépendent de la Russie à 40% pour leurs approvisionnements en gaz et à 20% pour leur approvisionnement en pétrole. La décision d’Angela Merkel d’arrêter les centrales nucléaires dans des délais très brefs a créé une dépendance accrue de l’industrie et des foyers allemands à l’égard de la Russie. Le Qatar, contacté par les États-Unis, ne peut satisfaire les besoins européens sans pénaliser ses clients asiatiques. Ironie de l’histoire, un gazoduc qui devait relier l’Iran à l’Europe en 2017, a été annulé à la suite des sanctions américaines frappant ce pays. Un autre gazoduc qui devait relier le Qatar à l’Europe, en passant par l’Arabie saoudite et la Syrie, n’a jamais vu le jour. Dans une récente étude[7], le think-tank Bruegel conclut que l’Europe peut survivre à une brève et forte interruption de son alimentation en gaz, mais ne peut tolérer un arrêt prolongé.

    En résumé, les sanctions divisent plus qu’elles ne rallient à la cause néoconservatrice. Elles sont une menace plus virtuelle que réelle, inapplicables dans les faits, faisant tout autant, voire plus de tort à l’Europe qu’à la Russie, comme le passé l’a démontré.

    Que veut Vladimir Poutine et pourquoi maintenant ?

    La sécurité pour son pays. Il l’a expliqué dans de nombreux discours et conférences de presse. Dans celle du 17 juin 2016, il souligne que les missiles américains installés en Roumanie dirigés contre l’Iran, pourraient tout aussi bien l’être contre la Russie. Il ajoute que ces missiles Tomahawk dont la portée leur permet d’atteindre Moscou en quelques minutes, peuvent être indifféremment équipés de charges conventionnelles ou nucléaires. S’adressant aux journalistes occidentaux, il leur demande « Comment puis-je savoir de quelle charge ils sont équipés s’ils se dirigent vers nous ? ». Puis il ajoute, quelque peu énervé : « Que puis-je dire d’autre pour vous convaincre du climat d’insécurité dans lequel nous vivons ? »

    Poutine souhaite une aire géographique de sécurité autour de la Russie dépourvue de missiles — une aire semblable à celle dont jouissent les États-Unis. Les médias ont déformé ses propos en parlant de « sphère d’influence » laissant entendre que son objectif réel était la domination de l’Europe — oubliant ou ignorant que les États-Unis jouissent d’une telle aire depuis la doctrine Monroe[8] — aire qu’ils n’ont cessé d’élargir. L’objectif de Poutine est légitime. Le chef de la Marine allemande, l’amiral Kay-Achim Schönbach, l’a reconnu. Son franc-parler lui a valu de démissionner. Des chefs d’État aussi prestigieux que Bismarck, Metternich ou le cardinal de Richelieu, artisans de l’équilibre des forces en présence, seraient d’accord. C’est aussi dans ce sens qu’il faut comprendre la remarque de Vladimir Poutine quand il dit que la chute de l’Union soviétique fut la plus grande catastrophe du XXe siècle parce qu’elle rompit l’équilibre des forces qui assurait la paix en mettant fin à la destruction mutuellement assurée — pilier de la Guerre froide. Sa remarque n’a rien d’un quelconque regret idéologique ou puéril, comme le laissent entendre les médias occidentaux — sentiment au demeurant étranger à ce dirigeant hyper-rationnel peu sujet aux états d’âme.

    Poutine a bien choisi son moment pour agir. Les États-Unis sortent affaiblis de la guerre en Afghanistan. Le slogan de Joe Biden, « l’Amérique est de retour », n’a guère convaincu. Son programme de revitalisation et de rééquilibrage de l’économie s’est perdu dans les méandres du Congrès, sans espoir de retour. Le dollar — l’un des piliers de la puissance américaine — est fragilisé par la politique des États-Unis. Sa valeur tient pour partie à la bonne santé de l’économie américaine. Or non seulement, la dette publique est financée à 40% par la création monétaire et les investisseurs étrangers, mais la position extérieure nette[9] des États-Unis est négative. Elle s’élève à 15 420 milliards, soit 67% du produit intérieur brut, et rend potentiellement le dollar vulnérable aux aléas de la politique mondiale.

    Dans son discours du 1er mars 2018, Poutine regrettait de ne pas être écouté. Il le sera désormais car il s’en est donné les moyens. L’économie russe est sortie de la dépression qu’elle a connue sous Eltsine. Elle est peu endettée et dispose d’importantes réserves de change. Avec des ressources dérisoires — le budget de la défense est le dixième du budget américain — Poutine a construit une défense moderne[10] à la pointe de la technologie. Les liens qu’il entretient avec la Chine et l’Inde, accroissent sa stature internationale, et son appartenance à l’Organisation de la coopération de Shanghai — une alliance économique, politique et militaire qui rassemble neuf Etats dont la Chine, l’Inde, et l’Iran, soit 40% de la population mondiale avec un produit intérieur brut égal à près de 30% du total mondial — le sort d’un isolement supposé.

    Fin de partie

    Dans un récent article,[11] Ross Douthat, journaliste du New York Times, note qu’après « une génération de mauvaises décisions, le temps est venu [pour les États-Unis] d’entamer une retraite digne et décente (de la scène mondiale). » Deux journalistes de Politico[12] vont plus loin en recommandant la création d’une zone de sécurité pan-européenne dépourvue de missiles balistiques, la limitation des troupes auprès des frontières, l’engagement de ne pas admettre l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN pendant les 20 à 25 prochaines années, et la neutralité de l’Ukraine.

    Quand vous devez faire appel à votre concurrent, voire votre ennemi, comme le fit Anthony Blinken qui appela son homologue chinois Wang Yi le 27 janvier pour lui demander de l’aide dans le conflit qui l’oppose à la Russie, et quand le même jour, votre adjointe en la personne de Victoria Nuland se permet de menacer ce dit concurrent s’il ne vient pas à votre aide, vous savez ou devriez savoir que vous avez perdu la partie.

    Avec son projet d’architecture européenne, Vladimir Poutine a sifflé la fin de la partie qui a débuté en décembre 1991. Il pose un dilemme aux États-Unis. S’ils acceptent sa proposition, ils renoncent à l’hégémonie. S’ils la refusent, ils s’exposent aux mesures de rétorsion technico-militaires annoncées par Poutine qui n’en a pas précisé la nature. Ce faisant, le dirigeant russe s’est enfermé dans son propre dilemme, car il doit réagir fermement si les Américains refusent d’adhérer à ses propositions au risque de perdre toute crédibilité sur la scène internationale. En tant que joueur d’échec, il a prévu le coup d’après. Quel sera-t-il ? Personne ne le sait, mais il se doit d’être dissuasif pour convaincre les États-Unis de sa détermination, sans être excessif pour ne pas susciter une escalade qui pourrait se révéler tragique.

    C’est la fin d’une histoire — l’histoire d’une nation, les États-Unis, qui fit rêver le monde entier mais non la fin de l’Histoire, comme le croyait Francis Fukuyama. Le monde n’est pas unipolaire, comme le voulaient les néo-conservateurs, mais multipolaire, comme le souhaitent la Russie, la Chine, l’Inde et bien d’autres nations. Aux dirigeants américains de le comprendre et de l’accepter… Le brouhaha médiatique n’est qu’une diversion destinée à détourner l’attention du public, à décrédibiliser un dirigeant russe, et à saborder son projet en le présentant comme l’assaillant d’une nation sans défense, et ainsi préserver le statu quo. 

    Emmanuel Macron semble avoir compris le jeu des Américains. Attendons de voir ce que donneront ses contacts avec Vladimir Poutine, et de quelle autorité il jouira auprès de ses collègues européens dans les prochaines semaines en raison de la proximité de l’élection présidentielle en France. Si, à cette initiative de la France, s’ajoute une avancée dans les négociations qui se tiendront prochainement à Berlin entre les quatre membres du « Normandy format », il est permis d’espérer une résolution pacifique de la crise, une résolution pan-européenne, sinon globale. L’approche française n’est certes pas du goût de Washington, mais compte-tenu du traitement accordé à la France dans l’affaire AUKUS[13], cela ne devrait guère inquiéter Paris.

    Jean-Luc Basle (Centre français de recherche sur le renseignement, 2 février 2022)

     

    Notes :

    [1] Démonstration a été faite que les photos utilisées pour démontrer le rassemblement de troupes russes sont truquées : « A ‘Pathogenetic’ Conflict – There is no Russian Invasion Threat to Ukraine », 25 Janvier 2022.

    [2] Ukraine : Interviewer Victoria Nuland ou comment ne rien comprendre à la crise.

    [3] Transparency International le classe au 117e rang en 2020 (sur 180 nations analysées).

    [4] Service de messageries extrêmement efficace qui certifie les ordres interbancaires de transfert de fonds.

    [5] Certains vont plus loin, comme le sénateur Roger Wicker qui envisage l’usage d’armes nucléaires, ou Evelyn Farkas, sous-secrétaire d’Etat adjointe à la Défense de 2012 à 2015, qui le laisse entendre. A ces violences verbales, certains analystes russes répondent par des propos tout aussi agressifs.

    [6] Filibuster.

    [7] Can Europe survive painlessly without Russian gas? Bruegel – Jan. 27, 2022.

    [8] Message du président James Monroe au Congrès en 1823 dans lequel il s’oppose à toute intervention militaire européenne dans les Amériques.

    [9] La position extérieure nette d’une nation représente la différence entre son actif et son passif financier. Une position nette négative représente une dette vis-à-vis de l’étranger.

    [10] “Russia’s Military, once creaky, is modern and lethal”, 27 janvier 2022.

    [11] “How to Retreat from Ukraine”, New York Times, Jan. 22, 2022

    [12] “How to Get What We Want from Putin, by Thomas Graham and Rajan Menon”, Politico, January 10, 2022

    [13] Alliance tripartie, Australie, Grande-Bretagne, Etats-Unis, de septembre 2021 pour contrer la Chine, qui s’est soldé pour la France par l’annulation de son contrat de fourniture de sous-marins à l’Australie d’un montant de 40 milliards de dollars.

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Ukraine : désescalade, quel agenda ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Emmanuel Goût cueilli sur Geopragma et consacré aux tensions ukraino-russes, attisées par l'OTAN. Emmanuel Goût, membre du Comité d’orientation stratégique de Geopragma.

     

    Chars ukrainiens.jpg

    Ukraine : désescalade, quel agenda ?

             Récemment, le groupe Normandie [1] a convenu d’une énième reprise des réunions quadri-latérales et conclut une nouvelle fois au bien-fondé des accords de Minsk tandis que certains leaders européens, à commencer par le Président français Emmanuel Macron en charge de la présidence européenne, invitent à la désescalade. Alors que dans le même temps, son ministre des Affaires Étrangères chausse déjà les bottes aux pieds – au moins ceux de nos enfants prêts à être déployés à l’est sous le drapeau Otanien – avant de se rendre en Ukraine. 

          Il convient par conséquent de s’interroger sur le sens à donner à une telle volonté affichée de désescalade et pour cela revenir aux sources de l’escalade.  

          Il y a ce terrible mal entendu sur l’accord tacite qui aurait eu lieu au début des années 90, entre Américains et Russes, sur le gel des positions de l’OTAN en deçà des pays de l’Europe centrale et de l’est. Chacun des deux protagonistes alimente sa propre version. 

          Il y a une Ukraine, rendue indépendante pour la première fois de son histoire en 1991, tiraillée entre un réflexe anti soviétique qui n’hésita pas de se faire complice de l’Allemagne nazie, et une tradition historique qui la place aux origines de la Russie et dans laquelle une partie de la population se retrouve, en particulier à l’est de son territoire.

          Il y a cette même Ukraine qui n’a pas su se libérer d’une oligarchie corrompue toute tendance confondue et qui voit dans Nord Stream 2, le gazoduc qui contourne l’Ukraine, les conditions de la fin d’une rente milliardaire.

          Il y a la Russie de Poutine qui n’a pas su en son temps trouver le leader ukrainien en mesure de redistribuer les richesses et créer ainsi les antidotes aux révolutions de couleur, plus ou moins entretenues par l’étranger. C’est ainsi que les révolutions ont pu trouver un milieu favorable dans ce pays gangrené par la corruption, sans pour autant y mettre fin

          Il y a ce que j’ai pu enfin souvent rappeler, cette incapacité à penser différemment le monde post-chute du mur de Berlin en 1989. La confrontation de deux mondes idéologiques qui voulaient s’exporter prenait alors fin en consacrant la victoire du capitalisme libéral des États-Unis. Ces derniers ont poursuivi et consolider leur dessin d’exporter leur modèle sous le couvert de mots aussi enchanteurs que souvent illusoires : liberté, démocratie… Les Russes, qui avaient opté pour une économie de type capitaliste, à la suite d’une transition particulièrement difficile dans les années 90, n’avaient plus aucun modèle idéologique à exporter et devaient se concentrer sur la reconstruction d’une crédibilité internationale, sur de nouvelles bases, sans aucune veine idéologique. C’est sans nul doute un important résultat obtenu ces 20 dernières années.

          Il aura suffi de manœuvres russes sur son propre territoire pour mettre en crise l’occident. Un grand média américain, encore très récemment, s’interrogeait sur la réaction des USA si les Chinois s’installaient au Mexique : nul doute sur la réaction américaine. Mais il n’y eut pas que des manœuvres militaires : s’en suivit, en effet, des exigences sur le positionnement de l’OTAN en Europe de l’Est et surtout au sujet de la possible adhésion de l’Ukraine à l’OTAN : la fameuse ligne rouge.

          Depuis le monde, surtout l’occident, s’enflamme virtuellement.

          Il est important à ce stade, et pour mieux tenter d’interpréter une possible « désescalade », de comparer les deux dynamiques de la surenchère verbale. Pour cela, il faut comprendre la différence fondamentale entre la Russie, son leader et les USA, la France, etc. et leurs leaders respectifs : il en va du rapport théorique et pratique entre l’action politique et la communication. Depuis plusieurs décennies, en Europe, en Occident en général, la communication a pris le pas sur l’action politique dont elle finit par conditionner les orientations, les directions, alors que la communication devrait exclusivement rester sujette de l’action. Dernier exemple en date, le voyage en plein « partygate » du Premier ministre  britannique en Ukraine.

          Il s’agit ici d’une réflexion fondamentale et d’une différence existentielle avec la Russie, où l’action pensée reste au cœur, à la base des stratégies et la communication – quand elle existe – au service de celles-ci. C’est une réflexion sociétale qu’il conviendrait de développer car cette inversion du rapport action-communication vient conditionner et troubler notre quotidien dans tous les domaines.

          Les leaders américains raisonnent désormais exclusivement en fonction de leur popularité et donc de leur opinion publique ; les leaders européens font de même. À ce propos, il convient de revenir sur une anecdote mise en lumière dans la récente et remarquable étude de Breznev par Susanna Shattenberg, qui raconte qu’une délégation soviétique se rendit aux USA pour rencontrer des homologues du Congrès américains pour discuter l’impact du cas Sakharov. En résumé, la délégation américaine précisa sans détour aux Soviétiques que la seule préoccupation américaine était celle de leur opinion publique ; le chef de la délégation américaine n’était autre que le jeune Joe Biden.

          En Occident, la crise dite ukrainienne donne lieu à une surenchère médiatique, souvent calculée, afin d’esquiver des questions ou problématiques internes qui viennent s’additionner à une tension internationale évidente et croissante. Cette tension internationale vient de franchir une nouvelle étape, la Chine offrant un soutien non déguisé à la Russie qui ne pourra que se consolider à l’occasion de la visite du Président russe en Chine le prochain 4 février, à l’occasion de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver, boycottés politiquement par une partie de l’Occident.

          Il ne manquerait plus que la Chine aligne ses navires face à Taiwan pour déstabiliser le monde et ouvrir un possible nouveau front.

          Côté russe, Poutine s’affiche, face à cette hystérie environnante, comme un leader au sang-froid, peut-être cynique, loin d’un leadership twitterisé. Poutine ne twitte pas. Comment peut-on penser que la diplomatie et la politique puisse se twitter, alors qu’une telle pratique des réseaux sociaux constitue une évidente violation de la valeur « temps ».

          La première désescalade ne passerait-elle donc pas d’abord par une chute de l’adrénaline médiatique du coté Occidental ? Il faut raison garder.

          Cette considération reste cependant « objectivement subjective ». Pas sûr, par conséquent, que cette voie puisse conduire au début d’une désescalade. Cette dernière ne peut advenir que si des hypothèses de solutions sont imaginées. C’est dans cette perspective qu’il convient de s’exercer à mettre sur la table les données du problème, distinguer le négociable de ce qui ne l’est pas, penser des compromis là où le bon sens peut encore se faire valoir, en surmontant des réflexes historiques qui trop souvent font obstacle à une évolution aussi pacifique qu’encadrée dans un monde de plus en plus multipolaire.

          Laissons tomber les lignes, les révolutions émotives de couleur pour revenir à la réalité des cartes. S’il y a bien deux aspects sur lesquels personne ne fera marche arrière, c’est d’une part la présence de l’OTAN en Europe de l’Est et d’autre part la Crimée russe. Il serait inutile de se fourvoyer et de penser une quelconque variation de cette géographie militaire et politique, aussi conviendrait-il aux parties de légitimer ces deux situations et de mettre fin réciproquement à tout ce qu’elles impliquent, comme par exemple les sanctions. 

          À ce stade, l’OTAN renoncerait de son côté à « toute nouvelle acquisition » à commencer par l’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie. Quant à la Russie, elle pourrait entamer des négociations sur l’Ossétie et la Transnistrie. Ce nouvel environnement géopolitique rentrerait dans le cadre de la définition d’un accord sécuritaire global entre l’Union européenne – si elle se donne les moyens d’une politique indépendante – et la Russie. 

          Pour en venir à l’Ukraine qui est certainement au cœur d’un jeu qui la dépasse, elle trouverait dans cet accord sécuritaire sa garantie conditionnée à sa neutralité politique entre la Russie et l’Europe. L’Ukraine pourrait se donner une dimension fédérale pour consentir à ses différentes identités régionales et assurer un quotidien plus équilibré, loin des tensions entretenues ces dernières années.

          La désescalade n’a de sens que si elle est accompagnée de courage, d’une méthode comportementale, et de possibles solutions temporelles et stratégiques – parfois difficile à assumer – mais au service de la sécurité du monde dans lequel nous vivons. 

          Pour penser le monde, il nous faut des leaders qui redeviennent maîtres de leur agenda et de leur vision. À ce sujet, De Gaulle exprimait clairement son idée d’une Europe équilibrée possible de « l’Atlantique à l’Oural » en affirmant qu’une telle Europe « décidera du destin du monde». 

          Nous avons tout à gagner à pousser cette formule jusqu’à Vladivostok, et ainsi éviter un monde qui se dessinerait de Moscou à Pékin.

          Autrement, l’escalade risquera de nous ramener nos enfants drapés au milieu de l’esplanade des Invalides au prix d’une guerre inutile et évitable… En sommes-nous prêts ? 

    Emmanuel Goût (Geopragma, 1er février 2022)

     

    Note :

    [1] Après le déclenchement du conflit du Donbass, l'Allemagne et la France se sont réunis avec la Russie et l'Ukraine en Normandie à l'occasion de la commémoration du 6 juin 2014. Depuis, des négociations au sujet de l'Ukraine ont lieu occasionnellement sous ce format.

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Russie, Ukraine, OTAN : l’Europe en danger ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 29 janvier 2022 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Caroline Galactéros, pour évoquer la crise ukrainienne.

    Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

                                                

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Géopolitique, Multimédia 0 commentaire Pin it!