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  • Pour la République impériale européenne !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné à Xavier Eman par Pierre Le Vigan, dans lequel ce dernier aborde la question européenne sous l'angle de la grande politique. Pierre Le Vigan, qui vient de publier La banlieue contre la ville (La barque d'or, 2011), a, par ailleurs, dirigé en 2009, avec Jacques Marlaud, un ouvrage collectif consacré à l'Europe et intitulé La patrie, l'Europe et le monde (Dualpha, 2009) avec des contributions de Michel Ajoux, Yves Argoaz, Alain de Benoist, Jacques Delimoges, Georges Feltin-Tracol, Philippe Forget, Christophe Gauer, Miodrag Jankovic, Patrick Keridan, Michel Lhomme, Guy Portal, Bernard Yack.

     

     

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    Entretien avec Pierre Le Vigan

    Pour reprendre l’un des termes du titre de l’ouvrage collectif que vous avez dirigé avec Jacques Marlaud, « La Patrie, L’Europe et le Monde », pensez-vous que la « patrie » puisse se différencier, en France, de la « nation » et si oui quelle est la nature de cette distinction ?

    « Le vrai patriote s'inquiète, non du poste qu'il doit occuper dans la patrie, mais du rang que la patrie doit atteindre parmi les nations. » disait le journaliste québécois Jules-Paul Tardivel dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est dire que les deux termes « patrie » et « nation » ont longtemps été synonymes. La patrie c’était notre nation, celle qu’on aimait. Dans Les deux patries Jean de Viguerie émet la distinction entre la patrie concrète, respectable et aimable, et la « patrie » du patriotisme révolutionnaire de 1789-93 ; idéologique, meurtrière (et, accessoirement, à laquelle Maurras se serait rallié en grande partie, dit-il, à juste titre selon moi). C’est une distinction intéressante mais un peu dépassée : il n’y a plus de patrie sans dimension « idéologique ». On peut aussi distinguer les « petites patries » (les provinces) de la nation, acteur historique. En vérité, on confond trop souvent les attachements géographiques locaux, respectables, et les patries. Les patries ce sont les attachements qui sont aussi des engagements. La patrie n’est ainsi pas autre chose que ce qu’a été historiquement la nation française, et la nation serbe, allemande, russe, …. Sachant que l’histoire a été et reste ouverte et qu’ainsi, il eut pu exister une patrie bourguignonne si un Etat-nation bourguignon avait pu s’imposer durablement face à ce qui commençait à être la France et l’Etat capétien. Idem pour la Bretagne, l’Ukraine, la Silésie, etc.

     

    Entre revendications locales et problématiques internationales, l’échelon national est-il selon vous encore légitime et valide ?

    L’ « échelon » national n’est pas un terme très valorisant. La nation reste le niveau privilégié de la décision et de l’existence historique. C’est aussi, comme l’a rappelé Max Gallo, le meilleur niveau de démocratie possible. Pourquoi ? Parce que, aussi affaiblie que soit l’idée d’appartenance nationale, et surtout chez les élites infidèles à l’esprit du peuple, la nation reste unie par un élément essentiel : la langue, et aussi une histoire partagée, y compris une histoire des luttes sociales et filiation d’idées politiques et sociales.

     

    Que répondriez-vous à ceux qui affirment que critiquer (ou même simplement interroger..) les concepts de nation et de nationalisme revient à faire le jeu du mondialisme et du cosmopolitisme ?

    Je ne suis pas « complotiste ». On peut critiquer en toute bonne foi les idées de nation et de nationalisme, ou n’importe quelle idée d’ailleurs. Deux remarques : ces 2 termes ne signifient pas la même chose. Défendre l’idée de la pérennité de l’idée de nation ne veut pas dire être nationaliste. Enfin, « être nationaliste » mériterait une définition. Plus personne ne défend un nationalisme offensif, conquérant, belligène, vis-à-vis des autres nations. Les « nationalistes révolutionnaires », ceux qui se disent tels, sont aussi des nationalistes européens. Il s’agit en fait pour eux d’affirmer un nouvel être ensemble, une nouvelle façon de vivre dans une nation révolutionnée, un co-nationalisme des peuples européens, libérés, hier du condominium américano-soviétique, aujourd’hui, libérés de l’unilatéralisme américain. Ce que l’on appelle « nationalisme », depuis 1945, signifie en Europe que l’on veut lier les aspirations d’émancipation nationale aux aspirations sociales. Cela signifie dénoncer la colonisation mentale dont les peuples européens sont victimes. Cela signifie aussi dénoncer la dilution de nos identités dans les excès des politiques d’immigration. C’est aussi, pour les plus lucides, comprendre que ces processus viennent d’une conception purement marchande de la vie et de nos sociétés.

    En ce sens on peut, bien entendu, critiquer les insuffisances des positions des « nationalistes révolutionnaires » français, italiens, allemands, etc, qui se disent souvent aussi « nationalistes européens » mais je ne vois pas très bien comment leur dénier une certaine pertinence dans leurs analyses et dans leur combat contre une Europe techno-bureaucratique. De mon coté je défends sans concession le principe que les « nationaux-révolutionnaires », pour reprendre ici l’expression allemande, ne peuvent l’être de manière cohérente qu’en étant partisans de la démocratie la plus authentique, celle dont nos institutions ne sont souvent qu’une caricature. L’Etat doit être l’Etat démocratique du peuple tout entier : démocratie directe quand c’est possible, référendum d’initiative populaire, mais aussi bien sûr processus électoraux classiques dont ne peut faire l’économie – n’en déplaise aux rousseauistes de droite comme de gauche –, à condition qu’ils soient équitables, avec une dose de proportionnelle par exemple.

     

    Pour vous, au delà de leurs appartenances nationales respectives, qu’est-ce qui fonde à la fois la spécificité et l’unité de l’homme européen ?

    Pour moi l’homme européen n’existe pas. C’est une fiction, une figure de rhétorique, tout comme « l’homme français » d’ailleurs dont on se gargarisait avant 1940. Je crois que le mythe de l’histoire commune des indo-européens a fait perdre beaucoup de temps aux « bons européens » comme disait Nietzsche. C’est un mythe « hors sol » comme l’a bien vu Philippe Forget. Les Kurdes, les Afghans sont d’origine indo-européenne. Cela n’aide en rien à penser leur intégration ou leur non intégration. Je me sens beaucoup plus proche d’un Africain francophone que de ces hypothétiques « héritiers » des indo-européens. La vérité est que des fétiches d’intellectuels ont été confondus avec des concepts opératoires. Il n’y a pas d’ « unité de l’homme européen » tout simplement parce qu’il n’y a pas de langue commune des Européens et donc parce que l’Européen n’existe pas, tout comme l’ « Africain » n’existe pas – même s’il y a des Africains. Ou de même que l’ « Asiatique »  n’existe pas : qu’y a-t-il de commun entre un Chinois et un Hindou ? Quasiment rien. L’unité de l’homme européen, on la trouve… aux Etats-Unis d’Amérique, avec des descendants d’Européens qui parlent une langue commune, l’anglais. Et qui ont un patriotisme commun. C’est une ambition commune, un rêve commun, la « nouvelle frontière », qui a créé l’unité des Européens exilés devenus des… Américains, y compris au demeurant des noirs non européens devenus tout aussi Américains par le partage d’un rêve commun. Ce qui compte, c’est la common decency. Je voyais récemment des individus originaires d’Europe de l’est manger une boite de cassoulet dans le métro. Au-delà du coté pittoresque, on voit bien que ce n’est pas la question des origines ethniques ou même religieuse qui est le critère, c’est celui des mœurs, c’est la décence ordinaire, commune.

    Le constat que l’homme européen n’existe pas ne m’empêche pas d’être pour l’Europe, mais comme pur constructivisme. Celui qui croit être pour l’Europe pour des raisons hégéliennes – et ils sont nombreux à droite – se trompe, se raconte des histoires et nous raconte des histoires. Des raisons hégéliennes, c’est dire : l‘Europe va retrouver son propre, elle va faire retour à elle-même, l’ « homme européen » (sic) va advenir à l’histoire et à lui-même, … ce sont là fantaisie d’intellectuels. Raisonnements circulaires qui ne sont surtout pas des raisonnements. Qui ne partent pas du réel et ne vont pas au réel. L’Europe sera une construction artificielle mais réelle comme la France l’a été ou l’Europe ne sera rien (ce qui n’est pas à exclure !). Tout ce qui est culturel est artificiel or une construction politique est forcément culturelle et n’est que cela.

     

    Pensez-vous que le régionalisme puisse être, en dehors de quelques régions à forte identité comme le pays Basque ou l’Alsace, un concept actif et efficient et non simplement une utopie d’intellectuels ? Peut-on penser le régionalisme dans, par exemple, la Creuse ou la Touraine ?

    Il n’y a pas de régions ridicules. Mais en France, il n’y en a aucune qui soit devenue une nation. En Allemagne non plus d’ailleurs. Une chose est de constater qu’il y a eut des luttes pour le leadership national et plus encore impérial en Allemagne, avec par exemple les ambitions de la dynastie issue de la Bavière, les Wittelsbach, dynastie qui a d’ailleurs aussi essayé de s’imposer en Bohème, une autre est de croire que la Bavière a été une nation. C’est là confondre les logiques de pouvoir et les logiques de construction nationale. La vérité est qu’en Allemagne il n’y a eut qu’une nation, la nation allemande. On me dira peut être qu’il y a eut des patries. Qu’est ce à dire ? Si les patries ne sont pas des nations, ce ne sont que des nations qui ont échouées. Reprenons l’exemple du pays basque. En France c’est une province résiduelle, une partie du département des Pyrénées atlantiques, le reste du département étant constitué du Béarn, dont je suis en partie originaire. Soyons sérieux. Fait-on l’histoire avec quelques cantons ? Non, on ne fait pas l’histoire. On fait un « machin » comme le Kossovo. Un Etat–moignon. Et la pays basque espagnol ? Il est peuplé en immense majorité de non-Basques, d’Espagnols. N’y ont il pas leur place ? Bien sûr que si. Un peu d’esprit de grandeur jacobine – l’envie de faire de grandes choses ensemble et de parler au monde – n’est pas inutile face aux régressions mentales micro-identitaires sur de petites régions. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un Etat qui nous fasse rêver, d’un Etat porteur d’un projet. Ce dont nous avons besoin, c’est de la Grande Europe. C’est de l’Empire. C’est de l’Empire européen. On fait l’histoire avec des rêves, pas avec des calculettes.

     

    Rompre avec l’hyper-urbanisation, « relocaliser », faire revivre les campagnes beaucoup en rêvent, mais est-ce vraiment possible ? Selon vous, comment faudrait-il procéder pour atteindre ces objectifs ?

    Il faut une politique fiscale, budgétaire, financière nouvelle. Il faut mettre le paquet sur le développement des villes moyennes, de 50 000 à 300 000 habitants. Au-delà de quelque 500 000 habitants, c’est déjà très difficile à gérer. Il faut développer la densité urbaine. Construire dense, ce qui ne veut pas dire construire des tours, mais construire de la ville, produire de la centralité urbaine, limiter les banlieues de grands ensembles mais aussi les banlieues pavillonnaires, offrir des alternatives à la voiture mais ne pas persécuter les automobilistes qui n’ont pas le choix. Il faut une économie orientée, une économie dirigée, cadrée par de grands axes de choix publics, comme la filière nucléaire. Il faut un Etat stratège, fort mais limité, présent là où il faut mais pas envahissant. Il faut aussi un changement des mentalités : décoloniser les imaginaires de la marchandise. Sans pour autant s’arcbouter sur le mythe de la décroissance. Etre a-croissant cela suffit. On peut imaginer une décroissance avec autant d’injustices, de misère morale et sociale que la croissance. Est-ce cela que l’on veut ? Bien entendu, non. Aussi, plutôt que de décroissance, je parle de développement vraiment durable, ce qui veut dire surtout relocaliser, et mettre la France au travail. Les 35 heures je suis pour mais tout le monde doit travailler. Du travail pour tous mais tous au travail. La fainéantise soixante huitarde, très peu pour moi.

     

    Pour conclure, quel serait pour vous le cadre institutionnel « idéal » pour accompagner un renouveau européen ?

    C’est l’Empire européen. Un Empire républicain, ou si l’on préfère une République impériale mais pas au sens des Etats-Unis, qui sont plutôt une République impérialiste. Cet Empire doit être républicain c'est-à-dire que le modèle ne peut être une monarchie telle que l’Empire d’Autriche Hongrie, certes assez respectueux des diversités mais dont le caractère vermoulu ne faisait pas de doute. Une République, cela veut dire une structure historique qui articule les diversités sans les admettre toutes. Toute idée non républicaine tend à être trop laxiste quand à ce qui est intégrable et ce qui ne l’est pas. Il n’y a pas de place, par exemple, dans l’Empire républicain européen, pour l’excision. Ou pour la femme dont le visage est voilé. Toutes les différences ne sont pas admissibles. Certaines différences doivent mettre hors l’Empire. Pas de tolérance non plus pour le gamin se promenant en capuche. Il doit y avoir, pour qu’il y ait une existence historique de l’Europe, une façon européenne de se tenir, de parler, d’admirer, et un type éthique (je dis bien éthique et non pas ethnique) dominant, une figure dominante. Il doit y avoir une exigence esthétique en Europe impériale, portant sur l’art et les monuments, et un consensus sur ce qui est noble et sur ce qui ne l’est pas.

    L’Europe est en même temps très plurielle. Il y a la coupure entre les anciens empires romains d’Occident et d’Orient, coupure qui passe au milieu des Balkans. Il y a de ce fait l’évidence que l’ancien noyau carolingien doit être le moteur et le modèle mais ne peut ni ne doit uniformiser toute l’Europe. Il y a la question des limites de l’Europe. Celles-ci vont à coup sûr jusqu’à la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne. Les pays Baltes, l’Ukraine ont vocation à être indépendantes, elles sont européennes, mais se pose en même temps la question de leur statut. Elles ne doivent pas menacer la Russie et celle-ci en retour ne doit pas menacer leur indépendance. Pascal Lassalle a dit là-dessus des choses d’une grande justesse (« Faut-il se garder d’une ’’russophilie’’ excessive ? » 6 mars 2010) et je dois dire que je sors de sa lecture convaincu que l’Ukraine n’est pas seulement historiquement la « petite Russie » de Kiev mais qu’elle a une identité nationale réelle. L’Empire européen ne peut intégrer immédiatement la Russie mais il doit être fondé sur une communauté de civilisation à construire qui inclut la Russie, et qui est l’Eurasie au sens de l’Eurosibérie. C’est une réalité géopolitique et c’est dans le même temps un mythe au bon sens du terme, un horizon, une autre voie que le productivisme sino-américain. Sans tomber dans le désarmement économique unilatéral des idéologues de la décroissance ; il faut essayer ce que nous n’avons jamais essayé, c'est-à-dire le développement conditionné et soutenable, la croissance dans certains domaines et la décroissance dans d’autres domaines. On ne peut faire cela sur la base de l’idée [décroissante] que moins serait forcément toujours mieux. En outre, la nature humaine est le développement des capacités humaines. Il nous faut inventer un développement non productiviste. Alors, bien sûr, le cadre institutionnel de l’Empire, c’est la Confédération européenne, c’est une monnaie commune mais pas forcément unique (je pense aux pays de l’est européen qui ne sont pas prêts à adopter l’euro), et c’est une politique de défense, une politique extérieure commune, une politique d’immigration commune, et des axes communs en politique économique, fondés sur la relocalisation, l’économie autocentrée et la fin du libre échange mondial. Attention : si on croit que le temps est venu de grands ensembles impériaux homogènes on se trompe, ce sont des liens impériaux respectant les voies propres et l’autonomie de chaque peuple qui sont nécessaires. Regardez la Chine, elle gagnerait à être éclatée en 4 ou 5 ensembles associés entre eux, etc. Ce qui résoudrait accessoirement la question de Taiwan.

    Alors, l’idée d’Empire, c’est justement ne pas vouloir tout réglementer à partir d’un centre, l’idée de République c’est la condition de la démocratie – il faut un peuple avec des coutumes communes, une langue et des règles communes pour se comprendre et être en démocratie –, et... la démocratie, c’est l’objectif ultime. L’antidémocratisme, qu’il soit d’extrême gauche à la Alain Badiou ou d’extrême droite n’a jamais été ma tasse de thé. Le peuple doit décider de ses affaires, un point c’est tout. Encore faut-il qu’il y ait un peuple, un peuple sur sa terre. Et cela, cela se fait avec une République sociale, populaire et nationale. Et européenne bien entendu.

    Pierre le Vigan (propos recueillis par Xavier Eman, 8 octobre 2010)

     

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  • Quelle mémoire pour la France ?...

    Nous reproduisons ici, en ce jour du 11 novembre, une belle réflexion de Jean-Yves Le Gallou sur la mémoire de la France, initialement publiée sur le site de Polémia.

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    11 novembre : la mémoire de la France est davantage à Verdun qu'à Auschwitz

    Le ministre de l’Education nationale a choisi symboliquement le jour de la rentrée scolaire, le 1er septembre 2011, pour recevoir Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), et le cinéaste Claude Lanzmann, auteur du film Shoah. Luc Chatel leur a redit solennellement l’importance primordiale qu’il accordait à l’enseignement de la « Shoah », une importance telle qu’elle justifie d’ailleurs l’existence d’un site officiel dédié sur le portail de l’Education nationale.

    La persécution dont les juifs ont été victimes durant la seconde guerre mondiale est naturellement un élément central de la mémoire juive. Et les souffrances des juifs français sont bien évidemment un élément important de la mémoire française. Nul ne peut oublier le souvenir de nos 25.000 compatriotes juifs français (et des 50.000 juifs étrangers présents en France) déportés dans les camps de concentration dont bien peu eurent, comme Simone Veil, la chance de revenir en France.

    Hypermnésie de certaines souffrances, amnésie des autres

    Mais ces souffrances-là ne doivent pas conduire à nier ou à minimiser les autres drames français. Or, l’hypermnésie de la souffrance des uns conduit souvent à l’amnésie de la souffrance des autres. A-t-on le droit d’oublier (chiffres donnés par Jacques Dupâquier dans Histoire de la population française) :

    • - les 123.000 militaires tués en 1939/1940 ; dans la bataille de France, en ce printemps 1940, c’est 3.000 hommes qui sont tombés chaque jour, le plus souvent en combattant, à l’instar des Cadets de Saumur ; - les 45.000 prisonniers de guerre qui ne revinrent jamais ;
    • - les 20.000 tués des FFI et des FFL ;
    • - les 27.000 résistants morts en déportation ;
    • - les 43.000 morts de l’armée de la Libération ;
    • - les 40.000 requis morts en Allemagne ;
    • - les 125.000 victimes des bombardements aériens (pas toujours justifiés militairement) et terrestres.

    Oublier ces victimes, ce n’est pas seulement un déni de compassion, c’est les tuer une deuxième fois ; c’est aussi trahir la vérité historique.

    Ce qui compte dans la mémoire d’un peuple c’est ce que ses ancêtres ont charnellement vécu

    Et pourtant ces victimes furent honorées dans l’immédiat après–guerre : par les timbres-postes, les noms de rue, les livres, les films, les disques, et ce jusqu’au début des années 1970, avant de disparaître dans l’obligation de repentance et l’oubli officiel. Pourtant ces victimes-là sont encore très présentes dans la mémoire française : parce que, les événements qui ont provoqué leur mort, ceux qui ont survécu les ont aussi connus et pas seulement au… cinéma. Or ce qui se transmet dans la mémoire des familles et des lignées, c’est ce que les ancêtres ont vécu. La patrie, c’est la terre des pères.

    Français de souche ? Avoir son patronyme inscrit sur un monument aux morts

    C’est pourquoi dans chaque famille française la mémoire de 1914 est si vive. Chaque famille conserve le souvenir des 1.400.000 morts de la Grande Ordalie : 1.000 morts par jour pendant quatre longues années. Et les Français vivants ont tous un père, un grand-père, un arrière-grand-père ou un trisaïeul qui a combattu à Verdun. Dans cette guerre civile européenne, c’est le sang gaulois qui a coulé. La présence dans nos villes et nos villages des monuments aux morts est infiniment poignante.

    Réfléchissons un instant à ce qu’est un Français de souche : un Français de souche, c’est un Français dont le patronyme est inscrit sur l’un de nos monuments aux morts.

    Un Français de souche, c’est un Français qui a dans ses archives familiales les lettres ou les carnets d’un ancêtre qui raconte avec des mots simples le quotidien de la Grande Guerre. Alors qu’approche le centenaire du 2 août 1914, ces écrits simples, précis et sans emphase, trouvent le chemin de l’édition : pieuses autoéditions familiales ou publication chez de grands éditeurs comme le carnet de route du sous-lieutenant Porchon (*). N’oublions pas non plus le succès du Monument, livre de Claude Duneton, qui raconte la vie des hommes dont les noms sont inscrits sur le monument aux morts d’un village du Limousin. Comme le dit un lecteur sur le site d’Amazon : « Vous ne traverserez plus jamais un petit village de France sans chercher des yeux son monument aux morts et avoir une pensée émue pour ces hommes dont le nom est gravé. Quels auraient été leurs destins et celui de leurs villages sans cette guerre ? Un livre à lire et à faire lire pour ne pas oublier. »

    Reprendre le fil du temps dans la fidélité à la longue mémoire

    Le siècle de 1914 s’achève : après avoir vu disparaître le fascisme, le national-socialisme, le communisme, c’est le libre-échangisme mondialiste qui s’effondre sous nos yeux. Le centenaire de 1914 approche, et il sera, n’en doutons pas, profondément commémoré. Pour la France et l’Europe le moment est venu de reprendre le fil du temps et de la tradition. Un fil du temps interrompu il y a un siècle. Un fil du temps à reprendre dans la fidélité à la longue mémoire.

    Jean-Yves Le Gallou (Polémia, 7 novembre 2011)

    (*) La précision de ces textes est admirable. J’ai eu la surprise de lire la narration des mêmes événements – attaques et contre-attaques aux Eparges en janvier/février 1915 – dans trois textes différents :
    - Carnet de route du sous-lieutenant Porchon, saint-cyrien, chef de section, tué au combat, commandant la section voisine de celle du sous-lieutenant Genevoix ;
    - Ceux de 14, admirable somme de Maurice Genevoix, blessé au combat ;
    - Mémoires d’Auguste Finet, mon grand-père, simple soldat, sorti de l’école à onze ans et écrivant bien le français, blessé au combat.
    Ce sont les mêmes faits qui sont précisément décrits, presque avec les mêmes mots. A cet égard la belle reconstruction littéraire de Maurice Genevoix est d’une fidélité parfaite aux événements.

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  • Machiavel l'Européen !...

    Nous reproduisons ci-dessous l'éditorial de Dominique Venner publié dans le dernier numéro de La Nouvelle Revue d'Histoire (mars-avril 2011), dont le dossier est consacré à l'Italie. Ce texte a été mis en ligne sur le site personnel de son auteur.

     

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    Machiavel l'Européen

    Son nom lui a joué des tours. C’est en effet peu flatteur d’être qualifié de «machiavélique». On voit aussitôt se dessiner un soupçon de violence madrée et de fourberie. Et pourtant ce qui avait conduit Machiavel à écrire le plus célèbre et le plus scandaleux de ses essais, Le Prince, était le souci de sa patrie, l’Italie. En son temps, dans les premières années du XVIe siècle, il était d’ailleurs bien le seul à se soucier de cette entité géographique. On était alors pour Naples, Gènes, Rome, Florence, Milan ou Venise, mais personne ne pensait à l’Italie. Il faudra pour cela attendre encore trois bons siècles. Ce qui prouve qu’il ne faut jamais désespérer de rien. Les prophètes prêchent toujours dans le désert des esprits avant que leurs rêves ne rencontrent l’attente imprévisible des peuples.

    Né à Florence en 1469, mort en 1527, Nicolas Machiavel était une sorte de haut fonctionnaire et de diplomate. Ses missions l’initièrent à la grande politique de son temps. Ce qu’il y apprit fit souffrir son patriotisme, l’incitant à réfléchir sur l’art de conduire les affaires publiques. La vie l’avait placé à l’école de bouleversements majeurs. Il avait 23 ans quand mourut Laurent le Magnifique en 1492. La même année, Alexandre VI Borgia devint pape. D’un de ses fils, César (en ce temps-là, les papes n’étaient pas toujours chastes), il fit provisoirement un très jeune cardinal, puis un duc de Valentinois grâce au roi de France. Ce César, que tenaillait une terrible ambition, ne sera jamais regardant sur les moyens. En dépit de ses échecs, sa fougue fascina Machiavel.

    Mais j’anticipe. En 1494, survint un événement immense qui allait bouleverser pour longtemps l’Italie. Charles VIII, jeune et ambitieux roi de France, effectua sa fameuse « descente », autrement dit une tentative de conquête qui bouscula l’équilibre de la péninsule. Après avoir été bien reçu à Florence, Rome et Naples, Charles VIII rencontra ensuite des résistances et dut se replier, laissant un joli chaos. Ce n’était pas fini. Son cousin et successeur, Charles XII, récidiva en 1500, cette fois pour plus longtemps, en attendant que survienne François Ier. Entre-temps, Florence avait sombré dans la guerre civile et l’Italie avait été dévastée par des condottières avides de butin.

    Atterré, Machiavel observait les dégâts. Il s’indignait de l’impuissance des Italiens. De ses réflexions naquit Le Prince, célèbre traité politique écrit à la faveur d’une disgrâce. L’argumentation, d’une logique imparable, vise à obtenir l’adhésion du lecteur. La méthode est historique. Elle repose sur la confrontation entre le passé et le présent. Machiavel dit sa conviction que les hommes et les choses ne changent pas. Il continue à parler aux Européens que nous sommes.

    À la façon des Anciens – ses modèles – il croit que la Fortune (le hasard), figurée par une femme en équilibre sur une roue instable, arbitre la moitié des actions humaines. Mais elle laisse, dit-il, l’autre moitié gouvernée par la virtus (qualité virile d’audace et d’énergie). Aux hommes d’action qu’il appelle de ses vœux, Machiavel enseigne les moyens de bien gouverner. Symbolisée par le lion, la force est le premier de ces moyens pour conquérir ou maintenir un Etat. Mais il faut y adjoindre la ruse du renard. En réalité, il faut être à la fois lion et renard. « Il faut être renard pour éviter les pièges et lion pour effrayer les loups » (Le Prince, ch. 18). D’où l’éloge, dépourvu de tout préjugé moral, qu’il fait du pape Alexandre VI Borgia qui « ne fit jamais autre chose, ne pensa jamais à autre chose qu’à tromper les gens et trouva toujours matière à pouvoir le faire » (Le Prince, ch. 18). Cependant, c’est dans le fils de ce curieux pape, César Borgia, que Machiavel voyait l’incarnation du Prince selon ses vœux, capable « de vaincre ou par force ou par ruse » (Ibid. ch. 7).

    Mis à l’Index, accusé d’impiété et d’athéisme, Machiavel avait en réalité vis-à-vis de la religion une attitude complexe. Certainement pas dévot, il se plie cependant aux usages. Dans son Discours sur la première décade de Tite-Live, tirant les enseignements de l’histoire antique, il s’interroge sur la religion qui conviendrait le mieux à la bonne santé de l’Etat : « Notre religion a placé le bien suprême dans l’humilité et le mépris des choses humaines. L’autre [la religion romaine] le plaçait dans la grandeur d’âme, la force du corps et toutes les autres choses aptes à rendre les hommes forts. Si notre religion exige que l’on ait de la force, elle veut que l’on soit plus apte à la souffrance qu’à des choses fortes. Cette façon de vivre semble donc avoir affaibli le monde et l’avoir donné en proie aux scélérats » (Discours, livre II, ch. 2). Machiavel ne se risque pas à une réflexion religieuse, mais seulement à une réflexion politique sur la religion, concluant cependant : « Je préfère ma patrie à mon âme ».

    Dominique Venner

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