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  • L'internationale des francs-tireurs...

    Les éditions L'Editeur publient cette semaine L'internationale des francs-tireurs, un recueil de Bruno de Cessole, dans lequel il présente, comme il l'avait fait dans Le défilé des réfractaires (L'Editeur, 2011), une cinquantaine d'écrivains, de Jane Austen à Virginia Woolf, en passant par Borges, Jünger et Orwell. Chroniqueur littéraire à Valeurs actuelles, Bruno de Cessole est également écrivain et est notamment l'auteur du roman intitulé L'heure de la fermeture dans les jardins d'Occident (La Différence, 2008).

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    " Bruno de Cessole a composé une troupe sortie tout droit de son anthologie personnelle. Transgressive, frondeuse, en marge des codes de la bonne société des Lettres, L’Internationale des francs-tireurs revendique son insoumission à tous les conformismes. Après le succès du Défilé des réfractaires, l’auteur convoque le panthéon mondial des écrivains libertaires ou contestataires. Cette galerie de portraits met en relief auteurs connus ou méconnus, et acquitte une dette, celle contractée par l’auteur envers les écrivains qui l’ont nourri, éclairé ou encouragé. De Casanova à Virginia Woolf, une cinquantaine d’écrivains du XVIIIe siècle à nos jours sont les invités d’honneur de ce banquet du « gai savoir ». Un exercice d’admiration, preuve d’amour pour la littérature, qui invite à la découverte ou à la relecture. "

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  • Qu'est-ce que le totalitarisme ?...

    Les éditions Vrin viennent de publier Qu'est-ce que le totalitarisme ?, un court essai de Florent Bussy. Professeur de philosophie, Florent Bussy est l'auteur de Critique de la raison automobile (Libre & solidaire, 2014).

     

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    " Les régimes totalitaires sont au cœur du XXe siècle. On les confond souvent avec les despotismes qui ont dominé l’histoire, ignorant ainsi ce qui les anime et les distingue : un fantasme idéologique d’unification totale de la société, par une violence inouïe visant à faire disparaître les populations censées être responsables des crises.
    Cet essai rend compte du caractère révolutionnaire du totalitarisme, en montrant qu’il s’en prend non seulement à ses opposants réels, mais à l’humanité de l’homme en sa spontanéité. Les textes d’Arendt et d’Orwell étudiés montrent ainsi que, dans le totalitarisme, les lois, qui stabilisent les affaires humaines, laissent place à une mise en mouvement permanente de la société et la réalité empirique à la fiction psychotique d’une société totale. "

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  • Jean-Claude Michéa : « Pourquoi j'ai rompu avec la gauche»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jean-Claude Michéa, cueilli sur le site de l'hebdomadaire Marianne et consacré à son dernier livre Les mystères de la gauche, publié aux éditions Climats. 

     

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    Jean-Claude Michéa : « Pourquoi j'ai rompu avec la gauche»

    Marianne : Vous estimez urgent d'abandonner le nom de «gauche», de changer de signifiant pour désigner les forces politiques qui prendraient à nouveau en compte les intérêts de la classe ouvrière... Un nom ne peut-il pourtant ressusciter par-delà ses blessures historiques, ses échecs, ses encombrements passés ? Le problème est d'ailleurs exactement le même pour le mot «socialisme», qui après avoir qualifié l'entraide ouvrière chez un Pierre Leroux s'est mis, tout à fait a contrario, à désigner dans les années 80 les turlupinades d'un Jack Lang. Ne pourrait-on voir dans ce désir d'abolir un nom de l'histoire comme un écho déplaisant de cet esprit de la table rase que vous dénoncez sans relâche par ailleurs ? 

    Jean-Claude Michéa : Si j'en suis venu - à la suite, entre autres, de Cornelius Castoriadis et de Christopher Lasch - à remettre en question le fonctionnement, devenu aujourd'hui mystificateur, du vieux clivage gauche-droite, c'est simplement dans la mesure où le compromis historique forgé, au lendemain de l'affaire Dreyfus, entre le mouvement ouvrier socialiste et la gauche libérale et républicaine (ce «parti du mouvement» dont le parti radical et la franc-maçonnerie voltairienne constituaient, à l'époque, l'aile marchante) me semble désormais avoir épuisé toutes ses vertus positives. A l'origine, en effet, il s'agissait seulement de nouer une alliance défensive contre cet ennemi commun qu'incarnait alors la toute-puissante «réaction». Autrement dit, un ensemble hétéroclite de forces essentiellement précapitalistes qui espéraient encore pouvoir restaurer tout ou partie de l'Ancien Régime et, notamment, la domination sans partage de l'Eglise catholique sur les institutions et les âmes. Or cette droite réactionnaire, cléricale et monarchiste a été définitivement balayée en 1945 et ses derniers vestiges en Mai 68 (ce qu'on appelle de nos jours la «droite» ne désigne généralement plus, en effet, que les partisans du libéralisme économique de Friedrich Hayek et de Milton Friedman). Privé de son ennemi constitutif et des cibles précises qu'il incarnait (comme, la famille patriarcale ou l'«alliance du trône et de l'autel») le «parti du mouvement» se trouvait dès lors condamné, s'il voulait conserver son identité initiale, à prolonger indéfiniment son travail de «modernisation» intégrale du monde d'avant (ce qui explique que, de nos jours, «être de gauche» ne signifie plus que la seule aptitude à devancer fièrement tous les mouvements qui travaillent la société capitaliste moderne, qu'ils soient ou non conformes à l'intérêt du peuple, ou même au simple bon sens). Or, si les premiers socialistes partageaient bien avec cette gauche libérale et républicaine le refus de toutes les institutions oppressives et inégalitaires de l'Ancien Régime, ils n'entendaient nullement abolir l'ensemble des solidarités populaires traditionnelles ni donc s'attaquer aux fondements mêmes du «lien social» (car c'est bien ce qui doit inéluctablement arriver lorsqu'on prétend fonder une «société» moderne - dans l'ignorance de toutes les données de l'anthropologie et de la psychologie - sur la seule base de l'accord privé entre des individus supposés «indépendants par nature»). La critique socialiste des effets atomisants et humainement destructeurs de la croyance libérale selon laquelle le marché et le droit ab-strait pourraient constituer, selon les mots de Jean-Baptiste Say, un «ciment social» suffisant (Engels écrivait, dès 1843, que la conséquence ultime de cette logique serait, un jour, de «dissoudre la famille») devenait dès lors clairement incompatible avec ce culte du «mouvement» comme fin en soi, dont Eduard Bernstein avait formulé le principe dès la fin du XIXe siècle en proclamant que «le but final n'est rien» et que «le mouvement est tout». Pour liquider cette alliance désormais privée d'objet avec les partisans du socialisme et récupérer ainsi son indépendance originelle, il ne manquait donc plus à la «nouvelle» gauche que d'imposer médiatiquement l'idée que toute critique de l'économie de marché ou de l'idéologie des droits de l'homme (ce «pompeux catalogue des droits de l'homme» que Marx opposait, dans le Capital, à l'idée d'une modeste «Magna Carta» susceptible de protéger réellement les seules libertés individuelles et collectives fondamentales) devait nécessairement conduire au «goulag» et au «totalitarisme». Mission accomplie dès la fin des années 70 par cette «nouvelle philosophie» devenue, à présent, la théologie officielle de la société du spectacle. Dans ces conditions, je persiste à penser qu'il est devenu aujourd'hui politiquement inefficace, voire dangereux, de continuer à placer un programme de sortie progressive du capitalisme sous le signe exclusif d'un mouvement idéologique dont la mission émancipatrice a pris fin, pour l'essentiel, le jour où la droite réactionnaire, monarchiste et cléricale a définitivement disparu du paysage politique. Le socialisme est, par définition, incompatible avec l'exploitation capitaliste. La gauche, hélas, non. Et si tant de travailleurs - indépendants ou salariés - votent désormais à droite, ou surtout ne votent plus, c'est bien souvent parce qu'ils ont perçu intuitivement cette triste vérité. 

    Vous rappelez très bien dans les Mystères de la gauche les nombreux crimes commis par la gauche libérale contre le peuple, et notamment le fait que les deux répressions ouvrières les plus sanglantes du XIXe siècle sont à mettre à son compte. Mais aujourd'hui, tout de même, depuis que l'inventaire critique de la gauche culturelle mitterrandienne s'est banalisé, ne peut-on admettre que les socialistes ont changé ? Un certain nombre de prises de conscience importantes ont eu lieu. Celle, par exemple, du long abandon de la classe ouvrière est récente, mais elle est réelle. Sur les questions de sécurité également, on ne peut pas davantage dire qu'un Manuel Valls incarne une gauche permissive et angéliste. Or on a parfois l'impression à vous lire que la gauche, par principe, ne pourra jamais se réformer... Est-ce votre sentiment définitif ? 

    J.-C.M. : Ce qui me frappe plutôt, c'est que les choses se passent exactement comme je l'avais prévu. Dès lors, en effet, que la gauche et la droite s'accordent pour considérer l'économie capitaliste comme l'horizon indépassable de notre temps (ce n'est pas un hasard si Christine Lagarde a été nommée à la tête du FMI pour y poursuivre la même politique que DSK), il était inévitable que la gauche - une fois revenue au pouvoir dans le cadre soigneusement verrouillé de l'«alternative unique» - cherche à masquer électoralement cette complicité idéologique sous le rideau fumigène des seules questions «sociétales». De là le désolant spectacle actuel. Alors que le système capitaliste mondial se dirige tranquillement vers l'iceberg, nous assistons à une foire d'empoigne surréaliste entre ceux qui ont pour unique mission de défendre toutes les implications anthropologiques et culturelles de ce système et ceux qui doivent faire semblant de s'y opposer (le postulat philosophique commun à tous ces libéraux étant, bien entendu, le droit absolu pour chacun de faire ce qu'il veut de son corps et de son argent). Mais je n'ai là aucun mérite. C'est Guy Debord qui annonçait, il y a vingt ans déjà, que les développements à venir du capitalisme moderne trouveraient nécessairement leur alibi idéologique majeur dans la lutte contre «le racisme, l'antimodernisme et l'homophobie» (d'où, ajoutait-il, ce «néomoralisme indigné que simulent les actuels moutons de l'intelligentsia»). Quant aux postures martiales d'un Manuel Valls, elles ne constituent qu'un effet de communication. La véritable position de gauche sur ces questions reste bien évidemment celle de cette ancienne groupie de Bernard Tapie et d'Edouard Balladur qu'est Christiane Taubira. 

    Contrairement à d'autres, ce qui vous tient aujourd'hui encore éloigné de la «gauche de la gauche», des altermondialistes et autres mouvements d'indignés, ce n'est pas l'invocation d'un passé totalitaire dont ces lointains petits cousins des communistes seraient encore comptables... C'est au contraire le fond libéral de ces mouvements : l'individu isolé manifestant pour le droit à rester un individu isolé, c'est ainsi que vous les décrivez. N'y a-t-il cependant aucune de ces luttes, aucun de ces mouvements avec lequel vous vous soyez senti en affinité ces dernières années ? 

    J.-C.M. : Si l'on admet que le capitalisme est devenu un fait social total - inséparable, à ce titre, d'une culture et d'un mode de vie spécifiques -, il est clair que les critiques les plus lucides et les plus radicales de cette nouvelle civilisation sont à chercher du côté des partisans de la «décroissance». En entendant par là, naturellement, non pas une «croissance négative» ou une austérité généralisée (comme voudraient le faire croire, par exemple, Laurence Parisot ou Najat Vallaud-Belkacem), mais la nécessaire remise en question d'un mode de vie quotidien aliénant, fondé - disait Marx - sur l'unique nécessité de «produire pour produire et d'accumuler pour accumuler». Mode de vie forcément privé de tout sens humain réel, inégalitaire (puisque la logique de l'accumulation du capital conduit inévitablement à concentrer la richesse à un pôle de la société mondiale et l'austérité, voire la misère, à l'autre pôle) et, de toute façon, impossible à universaliser sans contradiction dans un monde dont les ressources naturelles sont, par définition, limitées (on sait, en effet, qu'il faudrait déjà plusieurs planètes pour étendre à l'humanité tout entière le niveau de vie actuel de l'Américain moyen). J'observe avec intérêt que ces idées de bon sens - bien que toujours présentées de façon mensongère et caricaturale par la propagande médiatique et ses économistes à gages - commencent à être comprises par un public toujours plus large. Souhaitons seulement qu'il ne soit pas déjà trop tard. Rien ne garantit, en effet, que l'effondrement, à terme inéluctable, du nouvel Empire romain mondialisé donnera naissance à une société décente plutôt qu'à un monde barbare, policier et mafieux. 

    Vous réaffirmez dans ce livre votre foi en l'idée que le peuple serait dépositaire d'une common decency [«décence ordinaire», l'expression est de George Orwell] avec lesquelles les «élites» libérales auraient toujours davantage rompu. Mais croyez-vous sincèrement que ce soit aujourd'hui l'attachement aux valeurs morales qui définisse «le petit peuple de droite», ainsi que vous l'écrivez ici ? Le désossage des structures sociales traditionnelles, ajouté à la déchristianisation et à l'impact des flux médiatiques dont vous décrivez ici les effets culturellement catastrophiques, a également touché de plein fouet ces classes-là. N'y a-t-il donc pas là quelque illusion - tout à fait noble, mais bel et bien inopérante - à les envisager ainsi comme le seul vivier possible d'un réarmement moral et politique ? 

    J.-C.M. : S'il n'y avait pas, parmi les classes populaires qui votent pour les partis de droite, un attachement encore massif à l'idée orwellienne qu'il y a «des choses qui ne se font pas», on ne comprendrait pas pourquoi les dirigeants de ces partis sont en permanence contraints de simuler, voire de surjouer de façon grotesque, leur propre adhésion sans faille aux valeurs de la décence ordinaire. Alors même qu'ils sont intimement convaincus, pour reprendre les propos récents de l'idéologue libéral Philippe Manière, que seul l'«appât du gain» peut soutenir «moralement» la dynamique du capital (sous ce rapport, il est certainement plus dur d'être un politicien de droite qu'un politicien de gauche). C'est d'ailleurs ce qui explique que le petit peuple de droite soit structurellement condamné au désespoir politique (d'où son penchant logique, à partir d'un certain seuil de désillusion, pour le vote d'«extrême droite»). Comme l'écrivait le critique radical américain Thomas Franck, ce petit peuple vote pour le candidat de droite en croyant que lui seul pourra remettre un peu d'ordre et de décence dans cette société sans âme et, au final, il se retrouve toujours avec la seule privatisation de l'électricité ! Cela dit, vous avez raison. La logique de l'individualisme libéral, en sapant continuellement toutes les formes de solidarité populaire encore existantes, détruit forcément du même coup l'ensemble des conditions morales qui rendent possible la révolte anticapitaliste. C'est ce qui explique que le temps joue de plus en plus, à présent, contre la liberté et le bonheur réels des individus et des peuples. Le contraire exact, en somme, de la thèse défendue par les fanatiques de la religion du progrès. 

    Jean-Claude Michéa, propos recueillis par Aude Ancelin (Marianne, 12 mars 2013)

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  • Où est la vraie gauche aujourd'hui ?...

    Vous pouvez écouter ci-dessous l'émission Service public du 7 mars 2013, diffusée sur France Inter et animée par Guillaume Erner, qui recevait le philosophe Jean-Claude Michéa, à l'occasion de la publication de son dernier essai, Les mystères de la gauche (Climats, 2013).

    On écoutera avec intérêt la réaction de l'intéressé à l'interview d'un militant du Front National, ancien électeur communiste...

     

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    " Vous vous demandez peut-être ce qu'est la gauche, et bien cela fait des décennies que le philosophe Jean-Claude Michéa s'attache à la définir. Cet intellectuel rare dans les médias, a développé une pensée susceptible d'expliquer la crise du politique que nous traversons."

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  • L'engagement paillettes...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue , cueilli sur le site Idiocratie et consacré à l'argumentation de l'"aristocratie" progressiste dans le débat autour du mariage homosexuel...

     

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    L'engagement paillettes


    Dimanche 27 janvier, au théâtre du Rond-Point, on défendait le mariage pour tous mais les petits fours n’étaient pas pour tout le monde. Il n’y avait pas assez de place pour accueillir le public arguait-on du côté de l’organisation. Il ne s’agissait pas en effet d’ouvrir grand les portes au tout venant. L’égalité a ses limites. Où donc aurait-on mis Laurence Ferrari, Lara Fabia, Manuel Valls et Valérie Trierweiler ? Chacun à sa place, la fine fleur de l’aristocratie progressiste ne fraie pas avec la piétaille.

    La soirée de Bergé a simplement achevé de démontrer que la lutte en faveur du « mariage pour tous » est surtout menée au profit de quelques-uns. Réduisons ce noble combat à ce qu’il est : un divertissement sociétal et télégénique mené par une petite intelligentsia tyrannique qui cherche à s’inventer des raisons de croire qu’elle est encore de gauche, qu’elle est progressiste, qu’elle est égalitaire. De croire ? De convaincre au mieux ceux qui seraient encore assez naïfs pour penser que tous ceux qui étaient là dimanche en ont encore quelque chose à foutre de l’égalité qu’ils ont constamment à la bouche. Ce n’est pas pour rien que tous ceux-là se pressaient à la mangeoire d’un homme capable de déclarer : « Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence? »[1] Nous sommes aujourd’hui dans une situation de confusion idéologique telle que ce genre de cynisme peut passer pour du progressisme. On devine cependant, que pour les stars présentes ce soir-là au théâtre du Rond-point, le fait de pouvoir être vu à la soirée Bergé faisait office de brevet de respectabilité en garantissant l’estampille « défenseur de la liberté et des droits ». Le geste de la chanteuse Shy’m la veille qui a décidé de faire du bouche à bouche à une de ses danseuses en plein show participe de la même logique : s’afficher comme tolérante et cool, soit fréquentable et banquable. Cela n’a rien à voir avec l’engagement, il s’agit d’une stratégie de communication, simpliste mais efficace.


    Jean-Laurent Cassely l’écrivait très justement dans Slate il y a quelques jours, une partie de l’intelligentsia de gauche est dans l’impasse aujourd’hui. Elle n’a plus d’engagement social, elle a abandonné toute préoccupation idéologique et peine à faire croire à sa radicalité militante. Il lui faut donc se fabriquer un ennemi et composer pour cela « l’illusion d’une société réactionnaire et punitive » en faisant croire que « l'idéologie naturelle de la société du spectacle serait le "néoconservatisme", soit un mélange d'austérité religieuse, de contrôle éducatif impitoyable, et de renforcement incessant des institutions patriarcales, racistes et militaires.»[2] Tous les moyens sont bons dès lors pour s’afficher dans le camp du bien en brandissant les arguments les plus insolites et en usant des raccourcis les plus incroyables, ce qui autorise le député PS Christian Assaf à proclamer en pleine assemblée que « le temps du triangle rose est terminé ! » ou encore l’excellent Jean-Michel Ribes à conclure que « le papa et la maman, ça a donné Hitler ». Etait-il sérieux en sortant une telle énormité? Si c'est le cas, Roland Topor doit sûrement se retourner dans sa tombe…

    Dès lors, peu importent les arguments eux-mêmes avancés par ceux qui se déclarent opposés au mariage pour tous et à ses inévitables corollaires, adoption et extension de la PMA voire de la GPA, aucune des raisons invoquées pour justifier cette opposition ne compte puisque semblable opinion est tout simplement injustifiable aux yeux des défenseurs d’une certaine respectabilité intellectuelle. On peut en juger par exemple en considérant la passe d’arme qui a opposé dans le journal Le Monde la sociologue Nathalie Heinich et son confrère Alain Quemin. Dans une tribune publiée le 29 janvier, Nathalie Heinich croit bon de revenir sur quelques sophismes trop souvent utilisés par les partisans du mariage gay et notamment le fait de réduire le mariage à la simple reconnaissance d’un lien amoureux et à la reconnaissance institutionnelle d’une orientation sexuelle, ce qui revient à admettre que l’Etat ait un droit de regard sur la sexualité et l’intimité des personnes. « Faut-il accepter, au nom de l'égalité, que la sexualité entre adultes consentants devienne, pour tous - hétérosexuels comme homosexuels -, une affaire d'Etat ? C'est là une conséquence majeure de l'actuel projet de loi, qui mériterait d'être, pour le moins, discutée. »[3] Visiblement non pour Alain Quemin, partisan lui du mariage gay, qui réplique vertement à sa consœur le même jour[4] lui déniant toute légitimité à intervenir dans le débat et lui reprochant de ne pas user des références appropriées. On ne sera pas surpris d’apprendre que le dit Alain Quémin ne s’embarrasse pas quant à lui de références ou de légitimité tant ces deux arguments se voient systématiquement brandis face à quiconque a l’audace d’opposer aux partisans de l’égalité, de la fraternité et de la liberté un discours critique un tant soit peu cohérent et donc potentiellement menaçant. « Liberté, égalité, fraternité », c’est d’ailleurs la formule qui conclut l’acte d’accusation d’Alain Quemin, tout comme elle ponctue régulièrement l’argumentaire laborieux d’un Jean-Michel Ribes. La pauvre Nathalie Heinich se fatigue pour rien : même le dernier des illuminés peut la pulvériser en un tournemain en lui donnant du « Liberté, égalité, fraternité » et en l’accusant de ne pas avoir les références.


    La posture vertueuse permet donc de disqualifier toute tentative de mettre en avant les limites et les dangers recelés par certains aménagements législatifs et constitutionnels fondés sur l’amour du prochain, quel que soit son sexe. Ainsi, on peut penser que le débat autour de l’extension de la PMA ou de la légalisation de la GPA ne devrait pas trop durer, puisque selon les mêmes logiques, tous ceux qui mettront en avant les implications éthiques (le corps humains transformés en self-service), sociales (au vu des tarifs pratiqués on peut raisonnablement croire qu’il subsistera un léger différentiel social entre parents adoptifs et mère porteuse) voire eugéniques (le questionnaire visant à évaluer le capital génétique des donneurs de sperme ou des mères porteuses afin de garantir une satisfaction optimum de la clientèle est déjà une réalité dans les pays moins « en retard » que la France sur la question) de cette avancée se verront immédiatement et sévèrement recadrés en fonction du nouveau dogme de la Sainte Trinité de la Coolitude Morale, à savoir : tu n’es pas d’accord avec moi, tu es donc 1) homophobe, 2) raciste, 3) fasciste (cochez la case correspondant à la situation, voire cochez-les toutes). Le procédé est devenu traditionnel. On l’a vu à l’œuvre dans un autre contexte en 1992 lors de la campagne pour le oui à Maastricht, puis en faveur de la constitution européenne en 2005, autres grands moments du débat démocratique. Il est de bon ton aujourd’hui pour une partie des rebellocrates, comme disait le regretté Philippe Muray, de proclamer avec beaucoup de hauteur et de condescendance qu’il n’y a pas de débat sur les questions dont ils ont choisi la réponse. C’est une position qui était jusqu’à présent, et qui reste toujours dans une certaine mesure, très facile à défendre autour de combats – la défense du mariage pour tous, celle de l’adoption par les homosexuels, l’antiracisme, l’antifascisme…etc…etc…- consensuels et de thématiques généreuses qui sont au cœur de la coolitude, autrement dit d’un prêt-à-penser socialement acceptable qui est la clé de ce qu’on appelle aujourd’hui le « totalitarisme mou », c’est-à dire le flicage sympa mais ferme de chacun par chacun.


    Le danger de cette position dominante, sur le plan médiatique et social, de cette coolitude idéologique est qu’elle contribue à creuser de façon souterraine des clivages de plus en plus marqués et à former des antagonismes de plus en plus indépassables. Comment en effet ne pas mépriser la personne qui a le cynisme de prendre pour prétexte le respect des droits de la personne afin de réduire l’enfantement à un acte d’achat ? Comment à son tour ne pas considérer comme d'irrécupérables imbéciles ceux qui n'ont plus recours qu'à l'anathème et à l'insulte pour se justifier et n'hésitent pas ensuite à se présenter comme de perpétuelles "victimes de la haine"? De manière générale on peut simplement constater que la polémique autour du mariage homosexuel et la condamnation aussi agressive que systématique de tout ce qui ne ressemble pas à un consensus par les tenants du progressisme radical illustre non pas le divorce entre « la république et les catholiques » comme le fantasmaient quelques journaux mais également entre la gauche intellectuelle et le peuple, qui n’est plus cool, ni progressiste, ni fréquentable depuis longtemps. L'autre écueil que ne voient peut-être pas les partisans les plus belliqueux du mariage pour tous et les plus prompts à en appeler à la puissance publique pour punir les "discours de haine", c'est exactement celui que décrit Judith Butler, pourtant la papesse des théories du genre, dans son ouvrage Le pouvoir des mots. Politique du performatif: dès lors qu'on demande à l’État de devenir l’arbitre systématique des violences verbales exercées par des citoyens sur des citoyens au nom de la lutte contre la discrimination, « la résistance politique court le risque de se réduire à l’acte d’engager des poursuites ».[5] C'est bien en un sens ce en quoi se sont transformés les acteurs de la radicalité militante gay et lesbienne: en petits flics procéduriers désormais incapable d'user d'autres moyens rhétoriques que celui de la posture victimaire, de l'insulte et de la menace juridique face à la moindre contradiction. 

           Si les participants à la manif pour tous du 13 janvier n'ont pas refait 1984 en égalant l'ampleur du mouvement en faveur de l'école libre, les LGBT ont quant à eux accouché de leur premier enfant: un 1984 orwellien de pacotille dans lequel le langage est constamment suspect et la parole au service d'une réécriture du réel. Ajoutons à cela la possibilité que laissera dans un futur proche la PMA et la GPA pour quelques couples aisés (homosexuels et hétérosexuels d'ailleurs, à partir du moment où la brèche sera ouverte pourquoi se priver?) d'avoir des enfants à la carte et de louer les ventres comme d'autres louent leurs bras à l'usine et nous auront un avant-goût du 1984 à la sauce consumériste que défend Pierre Bergé. Salauds de riches.

    Des idiots (Idiocratie, 2 février 2013)

    Notes :

    [2] http://www.slate.fr/story/67615/campagne-mediatique-mariage-pour-tous. Jean-Claude Michéa. Retour sur la question libérale. Cité par Jean-Laurent Cassely.
    [3] http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/29/mariage-gay-halte-aux-sophismes_1823018_3232.html
    [4] http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/29/quand-le-risque-de-l-egalite-fait-perdre-la-raison_1824123_3232.html
    [5] Judith Butler, 2004, Le pouvoir des mots. Politique du performatif, traduit de l’anglais (Excitable Speech, Routledge, 1997) par Charlotte Nordmann, Paris, Éditions Amsterdam


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  • Libéralisme et décence ordinaire...

    Vous pouvez lire ci-dessous un extrait d'un article de Jean-Claude Michéa, publié dans le journal espagnol El Confidential, et reproduit sur Ragemag. Auteur de plusieurs essais essentiels, Jean-Claude Michéa a récemment publié Le complexe d'Orphée - La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès (Climats, 2011).

     

     

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    Libéralisme et décence ordinaire

    1/ Le libéralisme est-il amoral ?

    Le libéralisme officiel affirme que la morale – comme la religion – est une affaire strictement privée (chacun étant donc libre de vivre « comme il l’entend », sous la seule condition qu’il « ne nuise pas à autrui »). Dans cette optique, chaque individu peut donc parfaitement, à titre personnel, préférer la loyauté et la générosité ou, à l’inverse, le cynisme et la trahison. Cela ne change rien au fait que les différentes décisions politiques d’un Etat libéral (ou des institutions internationales correspondantes) ne doivent jamais se fonder sur une « idéologie » particulière (qu’elle soit morale, philosophique ou religieuse). Elles sont censées, au contraire, s’appuyer sur les seules analyses objectives élaborées par des « experts » supposés « neutres » et « indépendants » (au premier rang desquels figureront, naturellement, les économistes et les « techniciens » du droit).

    Une politique libérale d’austérité, par exemple, ne sera jamais imposée au peuple comme un châtiment divin, comme la chance d’une vie plus « vertueuse » ou même comme la manifestation logique du droit du plus fort. Elle sera toujours présentée, au contraire, comme l’unique solution « réaliste » et « scientifique » (there is no other alternative) qu’appelle un problème économique précis – qu’il s’agisse de celui de la « dette » ou de celui de la sortie de l’euro. Bien entendu, dans la mesure où, pour les libéraux, le langage de l’intérêt bien compris est le seul, en dernière instance, qui soit réellement commun à tous les hommes (c’est la doctrine de l’homo economicus) il est clair que, dans les faits, l’égoïsme finit toujours par être encouragé comme la seule attitude universellement gagnante et rationnelle.  Lorsque Milton Friedman – reprenant une réplique célèbre du film Wall Street – proclamait partout que greed is good (« la cupidité est bonne »), il ne faisait donc que tirer les ultimes conséquences d’un paradigme métaphysique fondé, depuis l’origine, sur la privatisation intégrale de toutes les convictions morales et philosophiques.

     

    2/ Pourquoi les élites semblent-elles si indécentes?

    En 1938, Orwell écrivait qu’il était difficile d’échapper à l’idée que « les hommes ne sont moraux que lorsqu’ils sont sans pouvoir ». Ce jugement n’est pas aussi pessimiste qu’il y parait. Il prend simplement acte du fait que le pouvoir (et cela inclut évidemment celui que confère la richesse ou la célébrité) tend naturellement à enfermer ceux qui le détiennent dans un univers séparé de la réalité commune et des limites qui la définissent. C’est pourquoi l’habitude de vivre au dessus (et sur le dos) de ses semblables finit presque toujours par altérer le sens des autres et celui des réalités les plus élémentaires. De là, cette arrogance surréaliste et ce terrible manque de bon sens qui caractérisent généralement les élites modernes – c’est-à-dire celles qui ne possèdent même plus cette culture morale partagée (« noblesse oblige ») qui permettaient, de temps à autre, aux anciennes aristocraties de se comporter de façon honorable. C’est un point que l’Evangile avait déjà su mettre en évidence lorsqu’il enseignait qu’il « est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au royaume des Cieux ». Si l’on préfère une formulation plus laïque de cet axiome populiste (ou anarchiste) on se souviendra également de la magnifique formule de Camus (dans la postérité du soleil) : « Ici vit un homme libre, personne ne le sert. »


    3/ Qu’est-ce que la décence ordinaire ?

    Pour Orwell, le sentiment qu’il y a des « choses qui ne se font pas » était effectivement au principe de la common decency, c’est-à-dire de la morale intuitive des gens ordinaires. Il n’y a là rien d’étonnant. Les sociétés humaines, en effet, ont toujours dressé un catalogue précis des actions qu’elles jugeaient contraires à la nature, à la volonté divine, ou même au simple bon sens. Certes, le contenu concret et le fondement  métaphysique de ces différents systèmes d’interdits ont toujours varié en fonction des particularités de chaque civilisation. Néanmoins, et comme Marcel Mauss l’avait établi dans son Essai sur le don, il existe un certain nombre de structures normatives qui sont communes à l’ensemble des sociétés. C’est notamment le cas de la « logique du don », dont la triple obligation constitutive de « donner, recevoir et rendre » se retrouve, sous une forme ou une autre, dans l’ensemble des collectivités humaines. Cela revient à dire que toutes les sociétés (à l’exception, bien sûr, de l’étrange civilisation capitaliste) se sont toujours accordées – par delà leurs irréductibles différences – pour reconnaître dans la capacité de l’être humain à agir indépendamment de ses seuls intérêts égoïstes le fondement même de toute attitude honorable.

    Si, à la suite de Durkheim (De la division du travail social), on tient comme moral « tout ce qui est source de solidarité, tout ce qui force l’homme à compter avec autrui, à régler ses mouvements sur autre chose  que les impulsions de son égoïsme », nous pouvons donc considérer ce système traditionnel du don comme la véritable matrice anthropologique (et psychologique) de toutes les constructions éthiques ultérieures – ce qui inclut évidemment cette common decency dans laquelle Orwell voyait la source première de l’indignation socialiste. Bien entendu, cette « décence commune » des classes populaires modernes a elle-même une histoire (Orwell ne manquait ainsi jamais de souligner le rôle essentiel que le christianisme – tout comme les révolutions anglaises et françaises – avait joué dans le développement de sa forme occidentale). Pour lui conférer cette potentialité égalitaire qui en ferait le point de départ moral du projet socialiste il avait assurément fallu que s’enclenche tout un travail d’universalisation critique destiné à dégager progressivement les formes traditionnelles de la moralité commune de leurs principales limites historiques (comme, par exemple, celles qui consacraient le statut subordonné des femmes ou l’infériorité des peuples étrangers). Limites qui tenaient d’ailleurs beaucoup moins à l’impératif communautaire lui-même (l’homme sera toujours un « animal politique ») qu’aux multiples formes du principe hiérarchique (principe de domination, d’exploitation et d’exclusion) qui structurait en profondeur la plupart des anciennes collectivités.

    Il n’en reste pas moins que les obligations de loyauté et de générosité liées à ce système du don (et, par conséquent, les habitudes de réciprocité et d’entraide qui en sont la manifestation pratique) se retrouvent nécessairement au fondement de la common decency moderne. De ce point de vue, l’idée progressiste – portée par le mythe paulinien d’un « homme nouveau » – selon laquelle la « morale du futur » n’aurait plus rien de commun avec celles du passé (c’était, par exemple, la conviction d’un Trotsky) n’est pas seulement meurtrière. Elle repose d’abord sur une profonde méconnaissance des données de l’anthropologie. Et c’est pourquoi Marcel Mauss, dont on n’oublie trop souvent que l’œuvre sociologique était inséparable de son engagement militant, avait mille fois raison d’inviter le mouvement socialiste à « revenir à de l’archaïque » (quitte – écrivait-il – « à passer pour vieux jeu et diseur de lieux communs »). C’était assurément  la meilleure façon de préserver les fondements éthiques d’une société décente et d’éviter ainsi les pièges infernaux du relativisme culturel et de la realpolitik. La tragique histoire du XXe siècle lui a malheureusement donné raison.

    Jean-Claude Michéa (Ragemag, 10 décembre 2012)


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