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nicolas gauthier - Page 7

  • Avec la surpopulation, c’est un monde invivable qui se dessine…

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question de la surpopulation. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Avec la surpopulation, c’est un monde invivable qui se dessine… »

    La population mondiale ne cesse d’augmenter. La procréation, par nature, peut être exponentielle, alors que les ressources terrestres ne le sont pas. C’est ce que disait déjà Malthus, dont certains pensent qu’il n’a jamais eu que le tort d’avoir raison trop tôt. Aujourd’hui, y a-t-il péril en la demeure ?

    Passé un certain seuil, toute augmentation en nombre entraîne un « saut qualitatif » qui se traduit par un changement de nature. Comme chacun le sait, la population mondiale augmente régulièrement, mais, surtout, elle augmente de plus en plus vite. Vers 1700, on comptait moins de 700 millions d’habitants sur Terre. En 1900, on en était à 1,6 milliard. Aujourd’hui, avec plus de 250.000 naissances par jour, on a dépassé les 7,7 milliards. Pour la fin du siècle, les estimations moyennes tournent autour de douze milliards, les estimations hautes autour de seize milliards. Bien entendu, on peut discuter à perte de vue sur le nombre de bipèdes qui peuvent vivre sur cette planète. La seule chose qui est sûre, c’est qu’il y a une limite : pas plus qu’il ne peut y avoir de croissance matérielle infinie dans un espace fini, la population ne peut s’accroître indéfiniment sur une étendue limitée. Malheureusement, nous sommes à une époque qui ne supporte pas les limites. Malthus (Essai sur le principe de population, 1803) ne se préoccupait que de l’épuisement des ressources. Aujourd’hui, c’est le nombre qui, à lui seul, pose problème : la quantité est plus que jamais le contraire de la qualité. Avec trois ou quatre milliards de bipèdes en moins, le monde se porterait beaucoup mieux !

    La surpopulation aggrave mécaniquement tous les problèmes, en les rendant peu à peu insolubles. Elle est belligène, car la pression démographique crée des conflits nouveaux. Elle accélère l’épuisement des réserves naturelles. Elle accroît la dépendance économique et la soumission aux fluctuations ravageuses des marchés mondiaux, elle favorise les migrations de masse en provenance des pays surpeuplés, elle aggrave les effets de la surconsommation, de l’épuisement des sols, de la pollution des nappes phréatiques, de l’accumulation des déchets. Il n’y a déjà plus de réserves de productivité en matière agricole, l’extension des terres agricoles est en train d’atteindre ses limites et les ressources halieutiques des océans s’épuisent également. Plus de 90 % de toute la biomasse produite annuellement dans le monde sont d’ores et déjà exploités.

    Il est révélateur que la plupart des écologistes autoproclamés se comportent comme si la démographie et l’environnement étaient des sujets séparés, alors qu’ils sont indissociablement liés. À quoi bon parler de préservation des écosystèmes et de sauvegarde de la diversité, à quoi bon s’inquiéter de la gestion des déchets et des effets de la combustion des énergies fossiles si la croissance démographique entraîne toujours plus de pollutions et de déchets et que l’espace laissé aux espèces sauvages est appelé à disparaître ? À quoi bon vouloir limiter les émissions de gaz à effet de serre si on ne limite pas aussi la population ? Dans trente ans, du fait de l’accroissement naturel et de l’exode rural, 68 % de la population mondiale vivra dans des villes, soit 2,5 milliards d’individus de plus que maintenant. Avec des bidonvilles de plus de vingt millions d’habitants et des mégapoles de plus de cent millions d’habitants, c’est un monde proprement invivable qui se dessine.

    La mondialisation aggrave apparemment la situation, mais elle révèle aussi des disparités considérables. Au-delà de la surpopulation, n’avons-nous pas également affaire à un problème de répartition ?

    C’est évident. En 1950, avec 228 millions d’habitants, le continent africain représentait 9 % de la population mondiale. En 2017, avec 1,2 milliard d’habitants, il en représentait près de 17 %. À la fin du siècle, avec 4,2 milliards d’habitants (dont 89 % au sud du Sahara), il en représentera le tiers. Avec un taux de fécondité moyen de 4,6 enfants par femme, l’Afrique accroît sa population de 2,5 % par an, soit un doublement tous les vingt-huit ans. L’Europe, elle, ne représentait plus que 9,8 % de la population mondiale en 2017, et ce chiffre est encore appelé à baisser. Depuis la chute du mur de Berlin, l’Europe centrale et orientale a perdu 24 millions d’habitants. En France, on vient d’enregistrer la quatrième année consécutive de baisse des naissances : l’âge moyen à la maternité ne cesse de reculer et le solde naturel n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

    Le problème, ici, n’est toutefois pas d’abord le nombre, mais la détérioration de la pyramide des âges. Que l’Europe soit moins peuplée n’est pas un drame, loin de là ; ce qui est un drame, c’est qu’elle vieillit inexorablement. Cela dit, il n’est pas sérieux d’imaginer que les Européens peuvent se lancer dans une course à la concurrence démographique où ils feraient « mieux » que les 6,4 enfants par femme de la République démocratique du Congo ou les 7 enfants par femme du Niger !

    « Croissez et multipliez », lit-on dans la Genèse, adresse qui vaut tout autant pour les chrétiens que pour les musulmans et les juifs. Cet axiome religieux vous paraît-il toujours d’actualité ?

    À une époque où la plus grande partie du monde était inhabitée et où le premier impératif, pour les petites communautés existantes, était de s’étendre numériquement pour maximiser leurs chances de survie, le « croissez et multipliez » était parfaitement justifié. Le problème commence lorsqu’on ignore le contexte et qu’on soutient qu’un principe valable dans telles ou telles circonstances est à considérer comme un dogme valable en tous temps et en tous lieux. C’est la raison pour laquelle, dans nombre de milieux, la surpopulation est un sujet tabou : au nom de l’« accueil de la vie » et de la critique du « malthusianisme », on préfère se mettre un bandeau sur les yeux. Or, le laisser-faire nataliste est aujourd’hui irresponsable, et le « respect de la vie » ne saurait s’étendre à ceux qui ne sont pas encore conçus. Quelle est, alors, la solution ? Avec des mesures coercitives, la Chine est parvenue à freiner sa natalité, mais les « incitations » à ralentir la croissance démographique sont généralement des vœux pieux, surtout dans les pays où les enfants sont l’équivalent d’une assurance-vieillesse. L’émigration de masse vers d’autres planètes relève de la science-fiction. Que reste-t-il, alors ? Les épidémies, peut-être !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 25 janvier 2020)

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  • Cette année-là... (14) : 1978 – Alexandre Soljenitsyne et Le déclin du courage...

    Dans Cette année-là, l'équipe de la revue Éléments, autour de Patrick Lusinchi,  nous fait découvrir sur le plateau de TV Libertés des livres, des chansons, des films, des évènements, des personnages qui ont marqué la société française en bien ou en mal et qui marquent encore notre présent. Un rendez-vous classé par année, sous le signe d’un retour sur notre passé, avec ce qu'il faut de passion et d'impertinence... Et on retrouve sur le plateau Olivier François, Christophe A. Maxime, Nicolas Gauthier et François Bousquet...

    Au sommaire ce mois-ci :

    – un discours : Le déclin du courage, d'Alexandre Soljenitsyne (1978).

     

                                      

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  • Toutes les violences ne sont pas destructrices !...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question de la violence, notamment politique. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « La violence peut être parfois condamnable, mais je ne la condamne pas par principe ! »

    Aujourd’hui, toute action politique peut se trouver disqualifiée, en termes médiatiques s’entend, dès lors qu’elle en vient à s’exprimer de façon violente, que cette violence soit réelle ou supposée. C’est donc l’effet qui se trouve condamné, et non point la cause. Angélisme ou cynisme ?

    Je dirais plutôt : « mécompréhension ». La condamnation sans nuances de la violence est le fait, d’une part, des pacifistes, qui se retrouvent du même coup condamnés à « faire la guerre à la guerre », position inconfortable, d’autre part, de l’éternel parti bourgeois, acquis aux idées libérales, qui s’imagine que la discussion, la négociation, le compromis, voire le « doux commerce », peuvent toujours permettre d’éviter l’affrontement. Les maîtres de l’idéologie dominante capitalisent sur cette condamnation inconditionnelle de la violence pour se prémunir contre les insurrections qu’ils redoutent. Mais une telle attitude est irréaliste. La violence est un caméléon. Non seulement elle est omniprésente et protéiforme, mais elle n’apparaît pas toujours comme telle. Elle est partout, même là où on ne la voit pas.

    À la violence ouverte, explosive, s’ajoute la violence structurelle, systémique et virale. La dérégulation libérale est une violence, le conditionnement publicitaire, la propagande de la pensée unique, l’esclavage du salariat, les aliénations dont le monde moderne est le lieu, la mondialisation elle-même, sont autant de formes de violence. La politique s’apparente elle aussi à la guerre dans la mesure où son critère essentiel est la distinction de l’ami et de l’ennemi. En politique, seul est souverain celui qui décide, et la décision est également une façon de mettre un terme aux parlotes et aux palabres.

    « Une planète définitivement pacifiée », écrit Carl Schmitt, « serait un monde sans politique. » Le droit lui-même ne peut être instauré et garanti que par un rapport de force. Quant aux révolutions, inutile de rappeler qu’elles n’ont jamais été des promenades de santé. Il n’y a tout simplement pas de vie en société sans la possibilité d’une violence.

    La violence, je la condamne personnellement souvent, je dirais même le plus souvent, surtout quand elle est gratuite, stupide et contre-productrice, mais je ne la condamnerai jamais par principe. Tout dépend des circonstances et du contexte. Dans les affaires humaines, il ne faut jamais se prononcer sur des abstractions, qu’il s’agisse de la violence (à quelle fin s’exerce-t-elle ? Par quels moyens ?), de l’immigration (qui immigre ?) ou de l’avortement (qui avorte ?). Toutes les violences ne sont pas destructrices. Elles peuvent aussi être fondatrices. Pendant la guerre, tous les mouvements de résistance ont fait usage de la violence. À l’époque de la décolonisation, tous les mouvements de libération en ont fait autant – et avec succès.

    Une formule canonique, attribuée à Max Weber, réserve à l’État le « monopole de la violence légitime ». Quand on voit l’état actuel des choses, ne peut-on pas dire que l’État a depuis longtemps perdu ce monopole ?

    Notons d’abord qu’on ne peut prétendre avoir le monopole de la violence légitime qu’aussi longtemps qu’on est soi-même légitime. La notion de légitimité est donc centrale, dans cette affaire. Un gouvernement, même régulièrement élu, peut perdre sa légitimité de bien des façons. Il n’est a priori légitime qu’à la condition de servir le bien commun en assurant la paix à l’extérieur et la concorde à l’intérieur. Face à une autorité devenue illégitime, à un État qui ne fait plus son travail, à des dirigeants qui ne se préoccupent plus que de leurs seuls intérêts, le contrat social est rompu et les citoyens doivent prendre leurs responsabilités car, comme l’observe Éric Werner (Légitimité de l’autodéfense), « il est bon en soi de se défendre ».

    Bien entendu, une déclaration d’illégitimité peut être tout à fait arbitraire et injustifiée, j’en suis bien conscient. Mais ce qu’il faut retenir est que, contrairement à ce que prétend le positivisme juridique, la légalité et la légitimité ne sont pas synonymes. D’où l’éternel combat d’Antigone contre Créon.

    Aujourd’hui, le « monopole » dont parlait Weber est effectivement partout battu en brèche. Nombre de guerres opposent désormais acteurs étatiques et non étatiques. Ce n’est pas nouveau : Clausewitz donnait déjà le nom de « petite guerre » à la guerre de partisans, à laquelle se rattache également le terrorisme. Violences sur la voie publique, violences sexuelles, violences conjugales, la violence brutale est partout : elle éclate dans la rue, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les transports. Dans certaines banlieues, elle est devenue un mode de vie. Cela signifie qu’aux yeux d’un nombre croissant d’individus, elle devient acceptable. Face à cette violence, les « appels à la raison » ne peuvent que tomber dans le vide. Seule la force peut briser la force.

    Quid de la violence que l’on a vue s’exprimer en marge du mouvement des gilets jaunes ?

    Il ne faut pas s’y tromper, la violence qui s’est révélée lors des manifestations des gilets jaunes a d’abord été la violence étatique. Les forces de police n’ont pas été chargées de maintenir l’ordre mais de faire de la répression. Elles l’ont fait avec une violence dont on n’avait pas vu l’équivalent depuis la guerre d’Algérie – et dont les pouvoirs publics n’ont jamais fait usage à l’encontre des racailles des banlieues. Bien des gilets jaunes ont subi de véritables blessures de guerre : mains arrachées, yeux crevés, visages défigurés. Au total, 2.200 blessés parmi les manifestants, dont plus de 200 blessures à la tête, sans oublier les procès devant les tribunaux, là encore beaucoup plus sévères qu’avec les voyous et les bandits : 1.800 condamnations, 1.300 comparutions immédiates, 300 incarcérations. À cela s’est ajoutée la violence provocatrice des Black Blocs qu’il était parfaitement possible d’enrayer, mais qu’on a objectivement encouragée pour discréditer le mouvement. Enfin, il y a eu des actes de violence de la part des gilets jaunes qui, eux, ont au moins servi à faire reculer le gouvernement. S’ils étaient allés plus loin, il aurait peut-être reculé plus encore. Ce n’est, en tout cas, pas moi qui vais pleurer sur l’incendie du Fouquet’s !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 4 décembre 2019)

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  • Un bloc populaire socialement dominé mais démocratiquement majoritaire...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il revient sur les observations de Jérôme Sainte-Marie concernant la polarisation de la vie politique française. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Socialement dominé, le bloc populaire est aujourd’hui démocratiquement majoritaire »

    Warren Buffett, le milliardaire américain qu’on sait, a un jour déclaré en substance : « Bien sûr que la lutte des classes existe, la preuve en est que c’est la mienne qui l’a gagnée ! » Cette notion de « lutte des classes » ne saurait évidemment tout expliquer, mais il n’en est pas moins vrai qu’elle a été longtemps évacuée du débat médiatique. Ne serait-il pas opportun de la remettre à l’honneur ?

    Il ne s’agit pas de la remettre à l’honneur, mais d’en faire le constat. Warren Buffett a au moins le mérite de la franchise, car habituellement, c’est quand la lutte des classes bat son plein qu’on en parle le moins. Plus on monte dans l’échelle sociale, plus l’on feint de croire à la possibilité de « réconcilier les classes sociales » : c’est la façon ordinaire qu’ont les riches et les puissants de tenter de désarmer ou d’invisibiliser les « classes dangereuses ». Mais chez Buffett, on voit bien aussi que l’arrogance naïve le dispute au mépris de classe. Je réponds donc à votre question : oui, la lutte des classes est sans doute ce qui caractérise le mieux la situation actuelle dans notre pays. Dans son dernier livre (Bloc contre bloc. La dynamisme du macronisme, Cerf), qu’il faut lire en parallèle avec les travaux de Christophe Guilluy, Jérôme Sainte-Marie, excellent observateur de la vie politique française, le souligne avec force : « La cohérence entre le vote de classe aux élections et la condition sociale des électeurs aura rarement été aussi évidente qu’aujourd’hui. »

    Les gilets jaunes ont à cet égard joué un rôle essentiel. En mobilisant des gens de condition plutôt modeste, qui avaient en commun d’être les perdants de la mondialisation, ils ont provoqué dans la classe dirigeante une peur panique, qui explique la façon dont Emmanuel Macron a entièrement changé de méthode, abandonnant sa posture jupitérienne pour se faire chattemite, sans pour autant abandonner sa vision managériale de la société ni se doter d’un véritable enracinement social. Je crois avoir déjà qualifié le mouvement des gilets jaunes de « répétition générale ». Je le pense plus que jamais. Ce vaste mouvement populaire de protestation contre la relégation culturelle et géographique, politique, économique et sociale, est prêt à resurgir et à s’amplifier. Les mouvements sociaux qui se multiplient un peu partout en sont l’augure.

    Depuis Karl Marx, la notion de « classe ouvrière » a beaucoup évolué : l’artisan, le petit patron, l’auto-entrepreneur, les classes moyennes en voie de déclassement forment désormais une sorte de nouveau prolétariat.

    Dissipons tout de suite une équivoque : Marx n’est pas l’inventeur de la « lutte des classes » ! L’expression n’a même cessé d’être employée avant lui, notamment par Tocqueville et Guizot. La lutte des classes n’a jamais cessé, sinon qu’il y a des moments où les classes dominées sont plus conscientes de leur existence en tant que classe (c’est la classe « pour soi », par opposition à la classe « en soi ») qu’à d’autres moments. En revanche, il y a une différence, et elle est énorme : autrefois, c’étaient les classes dominantes qui s’affirmaient (formellement) conservatrices, alors qu’aujourd’hui, c’est dans les classes populaires que le désir d’enracinement et de valeurs partagées, l’attachement à la communauté nationale et le goût des traditions sont le plus répandus. Dans le passé, la guerre des classes a pu se confondre avec le clivage horizontal gauche-droite, mais ce n’est plus le cas. Tout véritable clivage de classe est un clivage vertical : le bas contre le haut, le peuple patriote contre les élites qui se sont déterritorialisées au même rythme que la machinerie du capital. Sans oublier que la gauche a « perdu le peuple » !

    Le résultat, c’est l’actuel clivage politique français : Emmanuel Macron assure la jonction entre bourgeoisie de droite et de gauche, tandis que Marine Le Pen semble en faire autant pour tous les laissés-pour-compte de la mondialisation. Y gagne-t-on en clarté ?

    Dans son livre, Jérôme Sainte-Marie montre à la perfection qu’au-delà de l’« archipélisation » dénoncée par Jérôme Fourquet, un vaste mouvement de polarisation est désormais à l’œuvre dans la société française (ce qui rejoint les observations de Patrick Buisson). Un « bloc populaire » est en train de se former face au « bloc bourgeois » créé par Macron – et c’est paradoxalement Macron qui a favorisé ce processus de radicalisation des différences sociales, car le regroupement des libéraux de droite et de gauche a eu pour effet, d’abord de déconnecter les conservateurs (tenants de la souveraineté nationale) et les libéraux (tenants de l’ouverture globale), ensuite d’éliminer les grands partis de gouvernement traditionnels. Mélenchon s’étant disqualifié depuis qu’il a renoncé au populisme pour revenir dans le giron de la « gauche morale », c’est le Rassemblement national qui en bénéficie. Le « plafond de verre » censé limiter la montée du vote RN a commencé à se désagréger et 63 % de ceux qui ont voté pour La France insoumise, aux dernières élections européennes, se disent maintenant prêts à voter pour Marine Le Pen au second tour d’une présidentielle qui l’opposerait de nouveau à Macron, contre 39 % seulement de ceux qui ont voté pour François-Xavier Bellamy. C’est un tournant de première grandeur.

    Le bloc élitaire et bourgeois d’Emmanuel Macron regroupe les très riches du CAC 40, les bobos, le personnel des grands médias et les cadres supérieurs enthousiastes de la mondialisation pour qui tout ce qui est « national » est dépassé. S’y ajoutent des retraités instinctivement portés à rejoindre le parti de l’ordre, sans voir que cet ordre n’est qu’un désordre établi qui ne les protégera pas de la montée du chaos. Cela ne fait, au total, qu’un Français sur trois. Socialement dominé, le bloc populaire est aujourd’hui démocratiquement majoritaire. Cette double polarisation explique aussi pourquoi l’« union des droites » est un mythe qui, dans le meilleur de cas, ne peut se réaliser qu’au niveau local : à terme, entre Macron et Le Pen, il n’y aura plus rien. C’est la raison pour laquelle, concernant la présidentielle de 2022, rien n’est joué. D’autant qu’on sait maintenant que la fabrique des présidentiables ne passe plus par les partis.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 30 novembre 2019)

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  • L'erreur de calcul de Matteo Salvini ?...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque le choix fait par Matteo Salvini de rompre la coalition populiste qui lui permettait d'occuper les fonctions de ministre de l'intérieur. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Salvini n’est pas doué pour les calculs à long terme !

    BOULEVARD VOLTAIRE. Certes, l’alliance conclue par Matteo Salvini avec les populistes du Mouvement 5 étoiles connaissait des difficultés, mais le leader de la Lega a préféré, cet été, provoquer la fin de la coalition en espérant des législatives anticipées qu’il était convaincu de remporter. Résultat : il se retrouve, aujourd’hui, dans l’opposition, tandis que le M5S s’est allié au Parti démocrate pour former un nouveau gouvernement. Le pari n’était-il pas un peu hasardeux ?

    ALAIN DE BENOIST : En dynamitant une coalition gouvernementale dont il était le principal bénéficiaire, Salvini a commis une erreur magistrale. Alors que sa cote de popularité ne cessait de grimper, en raison notamment de sa politique anti-immigration, il a brutalement renversé lui-même le fauteuil sur lequel il était parvenu à s’installer. Plus grave, en mettant fin à son accord avec le M5S, il a détruit un système d’alliance populiste (le gouvernement gialloverde [jaune-vert]) qui avait bouleversé toute la géographie politique italienne et que beaucoup, en Europe, regardaient comme un modèle. Du même coup, il a redonné vie à un clivage droite-gauche équivalant à un retour en arrière, avec une Lega qui va renforcer ses tendances libérales et réactionnaires en se rapprochant de Berlusconi et des groupes « postfascistes », et un M5S obligé de s’allier au PD, qu’il vouait hier encore aux gémonies. Salvini a aussi fait perdre à la Lega le poste de commissaire européen qui lui avait été attribué avec l’aval de Mattarella, poste qui a été confié à l’ancien Premier ministre démocrate Gentiloni, représentant typique du politiquement correct. Et bien entendu, du fait de la formation d’un nouveau gouvernement, il n’a pas obtenu de législatives anticipées.

    La question est de savoir pourquoi il s’est engagé dans cette voie. Contrairement à ce que disent ses adulateurs, Salvini n’est pas doué pour les calculs à long terme. Il a un charisme considérable, mais il est notoirement mauvais comme stratège politique. Il est, en outre, assez mal entouré. Est-ce parce qu’il était drogué aux sondages qu’il s’est ainsi précipité ? C’est possible. Mais il est également significatif qu’il ait pris sa décision au retour d’un voyage aux États-Unis, où de hauts responsables pourraient bien lui avoir fait des promesses trompeuses. Le fait est que, depuis des mois, Salvini ne manifeste plus aucune sympathie pour Vladimir Poutine. Ses héros, désormais, sont Donald Trump, Jair Bolsonaro et surtout Benyamin Netanyahou, dont le portrait trône à la place d’honneur dans son bureau.

    BOULEVARD VOLTAIRE. Pour autant, la situation ne peut-elle pas se retourner ?

    ALAIN DE BENOIST : Si, bien sûr, ne serait-ce que parce qu’en Italie, les choses vont toujours très vite. La grande manifestation organisée à Rome par Salvini a été un beau succès, grâce à des militants venus de toute l’Italie. Et aux élections régionales qui viennent d’avoir lieu en Ombrie, place forte du centre gauche depuis un demi-siècle, la coalition de droite a approché les 60 % des voix, contre moins de 40 % à ses adversaires. Si, en janvier prochain, Salvini remporte les élections en Émilie-Romagne (ce sera le vote le plus décisif), il a toutes les chances de s’imposer comme le chef de l’opposition.

    Quant au M5S, qui s’est effondré en Ombrie et qui, dans l’immédiat, ne peut plus avoir d’autre ambition que celle de jouer un rôle de parti-charnière dans n’importe quelle coalition, il est maintenant menacé de désagrégation : six de ses 103 sénateurs semblent prêts à démissionner, dont Ugo Grassi et Elena Fattori, tandis que plus d’une soixantaine (Gianluigi Paragone, qui pourrait rejoindre la Lega, Nicola Morra, Emanuele Dessì, Danilo Toninelli, Mario Giarrusso, Barbara Lezzi, etc.) contestent plus ou moins ouvertement l’alliance avec le PD et les orientations de Luigi Di Maio. Le PD ne se porte d’ailleurs pas mieux, avec les tensions entre les partisans de Matteo Renzi et ceux de Nicola Zingaretti, frère de l’acteur Luca Zingaretti (qui incarne le commissaire Montalbano dans la série inspirée des célèbres romans d’Andrea Camilleri).

    Cela dit, Salvini n’est pas à l’abri des difficultés. Sa « droitisation » va le rendre plus dépendant de ses alliés berlusconiens – qui sont loin de ne lui vouloir que du bien – qu’il ne l’était des amis de Di Maio quand il siégeait au gouvernement. Il peut, d’ores et déjà, s’attendre à des difficultés du côté de Forza Italia, le fan-club de Berlusconi. Même s’il revient au pouvoir, il y a sans doute beaucoup de positions qu’il ne pourra plus prendre. Peut-être réalisera-t-il alors qu’il a raté une occasion historique.

    BOULEVARD VOLTAIRE. Tout comme Matteo Salvini, Boris Johnson semble avoir voulu passer en force pour que l’Angleterre quitte l’Union européenne le 31 octobre au plus tard. Il n’en a rien été et, aux dernières nouvelles, le Brexit n’interviendra qu’à la fin janvier… si tout va bien. Et que dire de l’ancien vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache, tombé comme un débutant dans un piège grossier ! Les populistes seraient-ils condamnés à la maladresse dès lors qu’ils arrivent aux affaires ?

    ALAIN DE BENOIST : Les populistes n’ont pas encore l’habitude du pouvoir. Ils pensent, en général, que l’on a gagné quand on arrive au pouvoir, alors que c’est seulement à ce moment-là que les choses sérieuses commencent. Boris Johnson, c’est autre chose. Pour comprendre l’interminable feuilleton du Brexit, il faut d’abord rappeler que le Parlement britannique n’y a jamais été favorable. C’est le peuple qui s’est prononcé, en 2016, pour la rupture avec l’Union européenne. Or, au Royaume-Uni, ce n’est pas le peuple qui est dépositaire de la souveraineté, c’est le Parlement – ce qu’on ignore trop souvent chez nous. Cela explique beaucoup de choses. Mais à plus long terme, l’issue ne fait pas de doute. La Grande-Bretagne dérivera vers le « grand large », conformément à sa vocation insulaire et maritime. À défaut d’avoir pu acheter le Groenland, Donald Trump achètera les Anglais. Reste à savoir comment réagiront les Irlandais et les Écossais.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 5 novembre 2019)

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  • Haine à gauche, mépris à droite...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la traque des "discours de haine" comme prétexte à la limitation de la liberté d'expression . Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « La haine existe, surtout à gauche ! La droite, elle, préfère mépriser… »

    « Provocation à la haine », « propos haineux », « haine de l’autre », et maintenant « crimes de haine ». Le mot de « haine », à force d’être accommodé à toutes les sauces, ne perdrait-il pas de sa substance, et par là même de sa force, sachant qu’il n’est pas anodin non plus ?

    La haine est un sentiment d’exécration, de détestation ou de violente aversion envers quelque chose ou quelqu’un, assorti éventuellement du souhait qu’il lui arrive du mal. Il faudrait ajouter qu’elle se nourrit de ressentiment et qu’elle n’est souvent que de l’amour déçu (de l’amour à la haine il n’y a qu’un pas), mais laissons cela pour l’instant.

    Aujourd’hui, on fait (à tort) de la haine un synonyme de la « phobie » et l’on prétend disqualifier n’importe quelle critique en la présentant comme un « discours de haine ». Ce procédé commode nous vient bien sûr des États-Unis (“hate speech”). Qui critique l’immigration, par exemple, est immédiatement présenté par les bien-pensants comme appelant à la haine contre les migrants. D’où l’on conclut que les paroles qui « incitent à la haine » sont responsables des actes qu’elles sont censées avoir inspirés. Tout cela est rigoureusement faux. L’interprétation d’une critique parfaitement légitime comme relevant de la « haine » traduit son caractère partisan. Quant à l’assimilation des paroles aux actes, elle ne repose que sur un sophisme et un procès d’intention. Quand Flaubert dit que « la haine du bourgeois est le commencement de la vertu », cela ne signifie pas qu’il aspire à faire disparaître qui que ce soit. De même, considérer que le mariage est une institution avant d’être un contrat, et qu’il associe donc des lignées et pas seulement des individus, n’appelle nullement l’homophobie !

    Ce sont souvent les mêmes qui, en 1995, ont célébré le film « La haine », de Mathieu Kassovitz, nominé aux Césars un an plus tard dans la catégorie du meilleur film, tout en appelant à crier leur « haine » du « parti de la haine », le Front national. Le serpent se mordrait-il la queue ?

    C’est qu’il y a différentes sortes de haine. Le point de vue qu’on défend n’est bien sûr jamais haineux, c’est le point de vue opposé qui est censé l’être ! Avoir de la haine pour la haine, c’est comme adopter le mot d’ordre : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Il suffit de désigner quelque chose ou quelqu’un comme une figure du mal, pour que la haine devienne subitement très acceptable. Qui s’indignerait que l’on haïsse le nazisme ? Le Goulag ? L’esclavage ? Quand la doxa dominante nous parle des « jeunes qui ont la haine », cela signifie que leur patience est à bout et que nous sommes évidemment coupables de les avoir rendus furieux. Vieille méthode qui ne trompe personne. Dans un domaine voisin, ce sont aussi les mêmes médias qui se flattent de « décoder » les fake news qui ont avalisé tous les mensonges d’État et qui nous expliquent aujourd’hui qu’Éric Zemmour c’est Édouard Drumont, que Tariq Ramadan c’est Alfred Dreyfus, et que sainte Greta (Thunberg) c’est Jeanne d’Arc.

    Interdire les propos tenus pour « haineux », sur Internet ou ailleurs, par on ne sait trop qui d’ailleurs, n’est-ce pas tout simplement le moyen d’exercer une nouvelle censure tout en la parant des oripeaux de la vertu ?

    Il ne faut pas dire que la liberté d’expression est menacée dans notre pays. Elle n’est pas menacée, elle a disparu. La loi Avia, dite « loi de lutte contre la haine sur Internet », adoptée en juillet dernier à la quasi-unanimité des députés et droite et de gauche, l’a officiellement supprimée, en même temps qu’elle institutionnalisait la délation et déléguait au secteur privé la traque des « contenus haineux » et des idées mauvaises. La preuve en est que, comme autrefois en Union soviétique, il y a désormais des choses tout à fait normales et raisonnables que l’on ne dira jamais en public et que l’on ne confiera plus qu’à des amis sûrs dans des cénacles privés. Le gouvernement d’Emmanuel Macron ne se contente pas de procès politiques et de répression féroce des manifestations. Il a délégué aux GAFA la censure automatique sur Internet et sur des réseaux sociaux déjà dévastés par l’autoflicage. Cette censure diffère des autres. Elle relève d’une tentative de contrôle des pensées et d’un capitalisme de la surveillance qui traduit l’expérience humaine en données comportementales afin d’obtenir des informations qui sont ensuite revendues sur le marché des comportements futurs, réalisant ainsi d’un même mouvement les sombres prédictions de George Orwell et d’Aldous Huxley.

    Cela dit, la haine existe. Elle existe surtout à gauche, car la gauche aime haïr, tandis que la droite préfère mépriser. Elle existe, et c’est un sentiment que j’exècre. Personnellement, malgré des efforts méritoires, je ne suis jamais parvenu à haïr qui que ce soit (j’ignore si c’est une qualité ou un défaut). Je n’aime ni les dictatures ni les dictateurs, ni les épurateurs ni les bourreaux, ni les milices paramilitaires ni les escadrons de la mort. Je déteste hurler avec les loups ou m’associer aux lynchages médiatiques, qu’il s’agisse de Tariq Ramadan, de Jeffrey Epstein, de François de Rugy ou du Croquignol de Levallois-Perret. C’est comme cela. Mais la haine existe, et on ne la fera pas disparaître.

    Le grand problème, c’est que l’idéologie dominante, persuadée de la bonté naturelle du bipède, croit qu’à force de censures et de condamnations, on fera disparaître la haine, et aussi la méchanceté, la bêtise, la criminalité, la cupidité, le sexisme, les « discriminations », sans oublier la maladie et le mauvais temps. C’est une illusion dévastatrice. La haine est un sentiment. Un mauvais sentiment. Les sentiments ne relèvent pas de la justice pénale : un mauvais sentiment n’est pas un délit. Malraux disait qu’« appartenir à l’histoire, c’est appartenir à la haine ». La haine fait partie de la nature humaine. Il faut accepter la nature humaine, dans ce qu’elle a de meilleur et dans ce qu’elle a de pire. Les réseaux sociaux s’apparentent de plus en plus au tout-à-l’égoût. On y lit des monstruosités de bêtise, des himalayas d’intolérance, des jugements proprement tératologiques. Ce n’est pas en interdisant la libre expression des dilections et des détestations qu’on fera disparaître les sentiments qui les inspirent.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 2 octobre 2019)

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