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nicolas gauthier - Page 22

  • Croissance et décroissance...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux questions de la croissance et de la décroissance...

    On rappellera qu'Alain de Benoist est l'auteur d'un essai intitulé Demain la décroissance (E-dite, 2007).

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    Croissance et décroissance

    Grande est l’impression d’être gouverné par des comptables – d’ailleurs pas toujours très doués pour la comptabilité. Mais au fait, comment mesure-t-on la croissance ? Et, pour reprendre un slogan de Mai 68, peut-on tomber amoureux d’un taux de croissance ?

    C’est une paraphilie parmi d’autres ! Mais défions-nous pour commencer de ces statistiques qui reflètent davantage la capacité des banques centrales à créer de la monnaie plutôt que celle des nations à créer de la richesse (la Réserve fédérale américaine crée tous les mois de 50 à 85 milliards de dollars de papier, soit ce que François Hollande cherche à économiser annuellement avec son « pacte de compétitivité »). Et n’oublions pas, non plus, que nous ne sommes plus à l’époque où une forte croissance permettait des compromis de classe positifs entre le travail et le capital. Aujourd’hui, la croissance ne profite pas également à tous, puisque beaucoup ne cessent de s’appauvrir tandis que d’autres ne cessent de s’enrichir. Elle n’est donc plus un vecteur de réduction des inégalités.

    La croissance se mesure au moyen du produit intérieur brut : 1 % de croissance en plus, c’est 1 % de PIB de gagné. Le PIB mesure sous une forme monétaire la quantité de biens ou de services produits dans un pays sur une période donnée, mais cela ne veut pas dire qu’il mesure le bien-être ni même la richesse nette. Il est en effet parfaitement indifférent aux causes de l’activité économique, ce qui veut dire qu’il comptabilise positivement les catastrophes ou les accidents pour autant que ceux-ci provoquent une activité engendrant elle-même production et profits. Les dégâts causés par la tempête de décembre 1999, par exemple, ont entraîné une hausse de 1,2 % de la croissance. Il en va de même du nombre de pollutions. D’autre part, le PIB ne prend pas en compte les coûts non marchands (ce qu’on appelle les « externalités »), par exemple ceux qui résultent de l’épuisement des ressources naturelles et des matières premières, alors que la croissance dépend au premier chef des apports énergétiques et des flux d’énergie.

    La croissance, donnée pour infinie, serait-elle un but en soi ?

    Évidemment pas. Mais la question est de savoir si elle est seulement possible. Une croissance matérielle illimitée sur une planète aux ressources limitées est un non-sens, et il en va de même de la croissance démographique. Si tous les habitants de la planète consommaient à l’égal d’un Occidental moyen, il nous faudrait trois ou quatre planètes supplémentaires pour faire face aux besoins. Les « décroissants », menés en France par Serge Latouche, appellent depuis des années à revoir notre mode de vie et à envisager une « décroissance soutenable ». George W. Bush disait en 2002 que « la croissance est la solution, non le problème ». Et si c’était le contraire ?

    Après la chasse au Dahu, celle de la « croissance » qui, décidément, n’est pas « au rendez-vous »… Manuel Valls se fait fort de la faire revenir, mais c’était aussi l’objectif de Montebourg. Qu’est-ce donc qui différencie ce nouveau gouvernement du précédent ?

    Le putsch du 25 août, qui a permis à Manuel Valls de faire sortir du gouvernement ses deux alliés de la veille, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, a eu comme effet remarquable de confirmer l’unité profonde du libéralisme économique, représenté par le nouveau ministre de l’Économie, le banquier Emmanuel Macron (promotion 2012 des « young leaders » de la French-American Foundation), et du libéralisme « sociétal » incarné par Najat Vallaud-Belkacem. On espère, sans trop y croire, que le ralliement officiel du gouvernement à la politique du Medef dessillera les yeux des derniers zozos encore assez candides pour croire que nous sommes dirigés par des « socialistes ». Quant à la droite UMP, elle ne dissimule pas sa gêne puisque, ne pouvant plus proposer une « autre politique », elle se trouve condamnée à dire qu’elle fera la même, mais en mieux. C’est-à-dire en pire.

    Pour le reste, ils sont tous d’accord : la solution, c’est la croissance ! Politique de l’offre ou politique de la demande, invocation des mânes de Keynes ou de Milton Friedman, aide aux ménages ou politique d’austérité propre à transformer les Français en Grecs comme les autres, tous les moyens sont bons pour « aller la chercher », la « débusquer », la « retrouver », etc. Nicolas Sarkozy se faisait même fort de la « décrocher avec les dents ». Emmanuel Macron a lui-même appartenu à la Commission Attali pour la « libération de la croissance ». Les hommes politiques sont des « true believers » : la croissance, c’est leur croyance rédemptrice, leur planche de salut, la condition de la « reprise » et de la baisse du chômage, la sortie du tunnel, la fin de la récession. On connaît la chanson.

    Et si c’était fini ? Et si la croissance telle qu’on l’a connue à l’époque des Trente Glorieuses était tout simplement terminée ? Cette question iconoclaste, certains, comme les économistes Robert Gordon et Paul Krugman, commencent à la poser. Le déclin de la productivité, la raréfaction des ressources énergétiques, la baisse tendancielle des taux de profit, nourrissent la thèse d’un essoufflement de la dynamique expansive du capitalisme, la financiarisation croissante du capital constituant une sorte de réponse fonctionnelle à la stagnation des économies occidentales. Sous l’influence de l’idéologie du progrès et de l’obsession productiviste, l’imaginaire contemporain s’est habitué à l’idée que la croissance est un phénomène normal, naturel en quelque sorte, ce qui n’a jamais été le cas pendant des siècles, et même des millénaires. Or, on constate aujourd’hui qu’entre 1990 et 2011, 54 % des pays ont déjà connu une croissance négative. Ce n’est pas terminé.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 5 et 7 septembre 2014)

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  • Le féminisme veut-il encore dire quelque chose ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au féminisme ...

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    Le féminisme veut-il encore dire quelque chose ?

    Après des années de lutte, quel bilan peut-on tirer du féminisme ?

    Un bilan nécessairement contrasté, pour l’excellente raison que le féminisme, en soi, ne veut pas dire grand-chose. Il y a, en effet, toujours eu deux grandes tendances à l’intérieur du mouvement féministe. La première, que j’appelle le féminisme identitaire et différentialiste, cherche avant tout à défendre, promouvoir ou revaloriser le féminin par rapport à des valeurs masculines imposées par des siècles de « patriarcat ». Non seulement le féminin n’est pas nié, mais c’est au contraire son égale valeur avec le masculin qui est proclamée. Cette tendance a, certes, connu des excès, allant parfois jusqu’à tomber dans la misandrie (dans les années 1960, certaines féministes américaines aimaient à dire qu’« une femme a autant besoin d’un homme qu’un poisson d’une bicyclette » !). Au moins ne remettait-elle pas en cause la distinction entre les sexes. Je trouve ce féminisme plutôt sympathique. C’est à lui que l’on doit d’avoir réellement fait avancer la condition féminine.

    La seconde tendance, qu’on peut appeler égalitaire et universaliste, est bien différente. Loin de chercher à revaloriser le féminin, elle considère que c’est, au contraire, la reconnaissance de la différence des sexes qui a permis au « patriarcat » de s’imposer. La différence étant ainsi tenue comme indissociable d’une domination, l’égalité est à l’inverse posée comme synonyme d’indifférenciation ou de mêmeté. On est, dès lors, dans un tout autre registre. Pour faire disparaître le « sexisme », il faudrait faire disparaître la distinction entre les sexes (tout comme, pour faire disparaître le racisme, il faudrait nier l’existence des races) – et surtout nier leur naturelle complémentarité. Dès lors, les femmes ne devraient plus concevoir leur identité sur le mode de l’appartenance (au sexe féminin), mais sur leurs droits en tant que sujets individuels abstraits. Comme l’a dit l’ultra-féministe Monique Wittig, « il s’agit de détruire le sexe pour accéder au statut d’homme universel » ! En d’autres termes, les femmes sont des hommes comme les autres ! C’est évidemment de cette seconde tendance qu’est née la théorie du genre.

    Est-il forcément besoin d’être féministe pour être une vraie femme ?

    Il faudrait déjà s’entendre sur ce qu’est une « vraie femme » ! Raymond Abellio distinguait trois grands types de femmes : les femmes « originelles » (les plus nombreuses), les femmes « viriles » et les femmes « ultimes ». Il interprétait le féminisme comme un mouvement de mobilisation des premières par les secondes. Ce qui est sûr, c’est qu’on peut être féministe au sens identitaire sans l’être au sens universaliste. La question se pose, d’ailleurs, de savoir si la seconde tendance évoquée plus haut peut encore être qualifiée de « féministe ». S’il n’y a plus d’hommes et de femmes, si le recours au « genre » permet de déconnecter le masculin et le féminin de leur sexe, on voit mal en quoi la théorie du genre peut encore être considérée comme « féministe ». Qu’est-ce en effet qu’un féminisme qui nie la réalité d’une spécificité féminine, c’est-à-dire de ce qui caractérise les femmes en tant que femmes ? Comment les femmes pourraient-elles rester femmes en se libérant du féminin ? Telles sont précisément les questions que n’ont pas hésité à poser les féministes les plus hostiles à l’idéologie du genre, telles Sylviane Agacinski ou Camille Froidevaux-Metterie.

    Aujourd’hui, les Femen… Suffit-il de montrer ses seins pour faire avancer la cause féminine ?

    Si tel était le cas, la condition féminine aurait, depuis quelques décennies, fait d’extraordinaires bonds en avant ! Mais dans le monde actuel, l’exhibition d’une paire de seins est d’une affligeante banalité. Même sur les plages, le monokini est passé de mode ! En exhibant des poitrines dans l’ensemble plutôt tristounettes, les Femen, venues d’Ukraine, ont naïvement imaginé qu’elles allaient faire impression. Elles ont seulement fait sourire. Disons qu’elles ont cru que, pour se faire entendre, il leur fallait recourir à ce que certains sociologues appellent la « nudité hostile », une nudité qui n’est plus conçue comme un moyen d’attirer, de séduire ou de provoquer le désir, mais comme un défi agressif, une sorte de proclamation à l’ennemi. Ce genre de pratique relève de cet exhibitionnisme pauvre à quoi se résume actuellement une grande partie de la sociabilité occidentale, laquelle consiste à user de son corps comme d’une marchandise. Les malheureuses Femen seront d’autant plus vite oubliées que tout le monde se fout de leurs nichons !

    Mais ce serait aussi une erreur de croire qu’elles ont le soutien des féministes. Mis à part Caroline Fourest, notoirement tombée amoureuse d’Inna Shevchenko, la plupart des féministes ont très vite pris leurs distances vis-à-vis de ces exhibitionnistes, auxquelles elles ont reproché d’utiliser leur corps et de faire appel à une « politique de la télégénie » pour mobiliser l’attention médiatique, au risque de légitimer indirectement la reconnaissance des différences de sexes – en clair, de faire de leurs glandes mammaires un usage propre à conforter les « stéréotypes ». D’autres ont objecté aux activistes aux seins nus qu’au lieu d’affirmer la supériorité de la nudité, elles feraient mieux de défendre la liberté des femmes de s’habiller comme elles le veulent. Lisez, à ce propos, l’article de Mona Chollet paru dans Le Monde diplomatique de mars dernier, qui s’intitulait « Femen partout, féminisme nulle part ». Quant aux revendications proprement féministes des Femen, on les cherche encore !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 17 août 2014)

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  • Sur l'euthanasie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au débat sur l'euthanasie...

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    Euthanasie : il vaudrait mieux abandonner le langage des droits…

    Le débat sur l’euthanasie fait rage. Mais il y a plusieurs manières de mettre fin à ses jours. Demander au corps médical d’abréger les souffrances d’une longue maladie, se suicider par désespoir (dépressif profond), par sacrifice (kamikaze japonais) ou aspiration héroïque (Dominique Venner)… Comment y voir plus clair ?

    La frontière est parfois mince également entre la mort voulue (le suicide) et la mort acceptée (le martyre)… Mais pour y voir plus clair, il faut d’abord ne pas confondre suicide et euthanasie, même si cette dernière peut parfois prendre la forme d’un suicide assisté. À l’instar des Vieux Romains, je respecte et admet parfaitement le suicide, y compris le suicidé assisté, mais le problème de l’euthanasie va très au-delà dans la mesure où l’on peut se donner la mort quand on est en bonne santé, tandis que l’euthanasie (étymologiquement la « bonne mort ») a nécessairement trait à une fin d’existence déjà programmée.

    C’est en tout cas un problème dont on ne peut sous-estimer l’importance, compte tenu de la finitude humaine. La seule chose dont chacun d’entre nous peut être sûr, c’est qu’il mourra : l’homme est cet être qui sait qu’il est « être-vers-la-mort » (Sein zum Tode), comme le dit dans Etre et temps Martin Heidegger, pour qui se savoir voué à la mort est la manière spécifiquement humaine d’assumer authentiquement ce que l’on possède en propre. La conscience de la mort ne relève en effet pas tant d’une anticipation prévisionnelle (puisque dès qu’un humain vient à la vie, il est déjà assez vieux pour mourir), mais d’une réflexion sur le sens même de l’existence stimulée par la possibilité toujours présente d’une mort indépassable. Cela dit, il n’y a pas besoin d’être philosophe pour s’en rendre compte ! D’après l’INED, il y aurait déjà en France près de trois mille euthanasies par an. La durée moyenne de la vie augmentant, on peut même s’attendre à une demande d’euthanasie de plus en plus forte.

    Vous-même, que pensez-vous de cette fameuse question de la « fin de vie » ?

    Tous les sondages montrent qu’une immense majorité de Français (92 %) sont favorables à l’euthanasie active pour les personnes qui en font la demande et qui souffrent de « maladies insupportables et incurables », à commencer par eux-mêmes, ce que l’on a également pu constater dans les débats engendrés par toute une série de faits-divers et de procès retentissants. Je fais partie de cette majorité. Je pense que mettre fin dans des conditions paisibles à une vie qui s’achève sous une forme végétative ou dans des souffrances indescriptibles relève de la simple humanité. Et je pense aussi qu’il n’y a pas de plus grande preuve d’amour (ou d’amitié) que d’aider à mourir un proche qui l’a demandé. Personnellement, je ne souhaiterais pas être prolongé artificiellement si ma fin de vie devait s’accompagner d’un état végétatif ou de souffrances insupportables. En matière d’acharnement thérapeutique, il faut fixer des limites. Des limites que veulent justement abolir les adversaires de l’euthanasie (il ne doit pas y avoir pour eux de limite à l’acharnement thérapeutique), alors qu’ils invoquent la nécessité d’en respecter lorsqu’il s’agit de la PMA ou de la GPA.

    L’idéal est bien entendu qu’il y ait accord entre l’intéressé, ses proches et les médecins. Quand cela n’est pas possible, il peut au moins y avoir, en général, concertation entre les médecins et les proches. Mais il faut évidemment être attentif aux risques de dérapage, qui sont réels. À l’inverse, il faut aussi en finir avec les fantasmes (du style « on veut tuer tous les vieillards », on va mettre en place une « extermination programmée », etc.) que l’on agite d’autant plus volontiers que l’on n’a jamais été confronté personnellement à des situation douloureuses de ce genre. C’est la raison pour laquelle il faut bien légiférer, alors même que dans le passé ces choses-là se passaient souvent dans le secret des familles et la bienheureuse opacité des sociétés traditionnelles. Seule une législation adaptée peut permettre d’éviter au maximum les dérives ou les abus. La loi Leonetti (2005) n’est pas une mauvaise loi. Elle pourrait cependant être encore améliorée.

    Chez les médecins, il y a ceux qui entendent « préserver la vie » à tout prix. Et d’autres qui estiment avoir quasiment droit de vie ou de mort sur leurs patients. N’existerait-il pas une voie médiane ?

    La voie la plus raisonnable est de ne pas raisonner dans l’absolu. On ne peut éluder un tel problème en s’abritant derrière de grands principes qui ne prennent pas en compte des situations concrètes qui sont toujours particulières, difficiles, tragiques, voire abominables. J’ai pour ma part le plus grand respect pour la vie, mais je ne la confonds pas avec ses formes les plus dégradées. Pour un être humain, « vivre » ce n’est pas seulement respirer ou avoir le cœur qui bat, c’est avoir conscience de son existence. Lorsqu’il n’y a plus de conscience (ou de possibilité de conscience), on ne « vit » déjà plus. Ce qui est remarquable, c’est que le débat autour de l’euthanasie montre clairement les limites du discours des droits, puisque ceux qui proclament le « droit à la vie » s’opposent à ceux qui en tiennent pour le « droit de mourir dans la dignité ». En ce domaine comme en beaucoup d’autres, il vaut décidément mieux abandonner le langage des droits.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 juillet 2014)

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  • Qui sont les véritables privilégiés ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux grèves dans les transports et au mécontentement qu'elles suscitent ...

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    Grévistes SNCF ou milliardaires du CAC 40 : qui sont les véritables privilégiés ?

    Les grèves, sujet qui divise l’opinion publique, surtout s’agissant de celles des transports… Entre ceux qui voudraient pouvoir aller travailler ou passer leur bac et les autres, qui défendent – c’est selon – leur outil de travail ou leurs privilèges, réels ou supposés, comment faire la part des choses ?

    Tout d’abord, un rappel. La loi Le Chapelier du 14 juin 1791 ayant interdit le droit de coalition des métiers et les grèves, les syndicats n’ont été légalisés en France qu’en 1884, à l’initiative de Waldeck-Rousseau. En 1886, voit le jour la Fédération nationale des syndicats, d’inspiration guesdiste ; en 1892, la Fédération des Bourses du Travail marquée par le syndicalisme révolutionnaire de Fernand Pelloutier. C’est ce dernier courant qui prendra le contrôle de la CGT lors de l’adoption en 1906 de la célèbre Charte d’Amiens. Georges Sorel, théoricien du syndicalisme révolutionnaire, fait alors de la grève générale le « mythe mobilisateur » par excellence – tandis que Clemenceau fait tirer sur les grévistes ! Le droit de grève est aujourd’hui inscrit dans la Constitution, et il n’y a pas à le regretter.

    Être victime d’une grève n’est agréable pour personne, et je suis le premier à comprendre que les usagers soient en colère. Il m’arrive de l’être aussi. Mais personne ne fait la grève pour le plaisir. Une grève se fait pour soutenir des revendications. Quelles étaient celles des cheminots ? Contrairement à ceux qui les ont décrétées « illisibles » (mais qui n’ont surtout pas cherché à se renseigner), elles ne visaient pas seulement à défendre des statuts qu’on peut juger « protégés ». Il s’agissait avant tout de protester contre le projet de réforme de la SNCF défendu par le gouvernement. Ce projet d’inspiration libérale, conforme aux directives de l’Union européenne, consiste à démanteler le service public, à séparer la gestion de l’infrastructure ferroviaire de l’exploitation des services de transport, de façon à scinder l’activité entre un secteur rentable et un secteur non rentable, ce qui permettrait d’ouvrir le premier à la privatisation voulue par Bruxelles. Un tel projet est-il souhaitable ? Les cheminots ont au moins eu le mérite de poser la question.

    L’exemple de la privatisation des chemins de fer britanniques (Railways Act), décidée en 1994, qui fut en Europe le premier exemple de privatisation d’un service public ferroviaire d’importance nationale, donne à réfléchir. À l’époque, les financiers prétendaient que le secteur privé fournirait un service plus efficace, moins cher et de meilleure qualité, sans compter les investissements considérables dont les chemins de fer ont besoin. Résultat : les tarifs augmentèrent, les investissements chutèrent en flèche, deux tiers des emplois cheminots furent supprimés et les coûts de maintenance furent réduits en deçà du minimum. S’exerçant au détriment de la sécurité, jugée « trop onéreuse », la volonté de rentabiliser à tout prix fut cause d’une centaine de déraillements, dont certains firent des morts. Ce qui n’empêcha d’ailleurs pas le gouvernement travailliste de Tony Blair, après son arrivée au pouvoir en 1997, de s’engager dans la même voie. Alors que la privatisation était censée réduire le fardeau que représentait pour l’État le financement du réseau ferré, la subvention totale de l’État est passée de 1,9 milliard d’euros à 6,7 milliards en 2006 !

    Toujours à propos de privilèges, ceux de certains gros actionnaires ou de grands patrons du CAC 40 ne seraient-ils pas plus exorbitants que ceux de nos cheminots ?

    La réponse est dans la question. Dividendes, bonus, stock options, retraites chapeaux, la rémunération des patrons du CAC 40 ne connaît pas la crise. En 2013, le total de leurs salaires atteint 89,9 millions d’euros, soit une moyenne de 2,25 millions d’euros par dirigeant. Plus de 10 millions d’euros pour le PDG de Renault, 8,6 millions pour le PDG de Sanofi, 8,5 millions pour le PDG de L’Oréal, 4,5 millions pour Maurice Lévy, président de Publicis, 3,7 millions pour Georges Plassat, PDG de Carrefour (40 % d’augmentation par rapport à 2012 !). Comparez avec les salaires des cheminots. Par ces temps d’austérité pour tous, où sont les privilégiés ?

    Mais bien sûr, de même qu’il est plus facile de s’indigner des agissements des « racailles » que de ceux des grands prédateurs en col blanc, il est plus facile de s’en tenir à la rhétorique poujadiste dirigée contre les méchants grévistes qui, pour des motifs « archaïques », empêchent les braves gens de travailler (« pour un oui ou non, on nous prend en otages », « y en a marre », etc.), sans être apparemment gêné d’obéir ainsi aux injonctions de Bruxelles et de conforter le gouvernement dans ses positions. Là comme ailleurs, soit on fulmine des anathèmes, soit on réfléchit un peu.

    Le débat aura peut-être eu le mérite de faire bouger nombre de lignes, ne serait-ce qu’au Front national : Florian Philippot qui soutient les grévistes alors que Jean-Marie Le Pen les condamne…

    C’est là un fait nouveau dont on n’a pas assez souligné l’importance. Florian Philippot a très précisément déclaré : « Il y a sûrement des motivations corporatistes pour certains – et il faut les combattre –, mais pour d’autres je pense qu’il y a des motivations de bonne foi, d’intérêt général et je ne veux pas criminaliser par avance un mouvement social […] On peut être usager et perturbé par une grève, et avoir en même temps le souci du service public. » Le projet de réforme gouvernemental, a-t-il ajouté, est profondément nuisible car « les lignes TGV vont être libéralisées en 2019 et les lignes régionales en 2022 », ce qui entraînera « plus d’insécurité, moins de dessertes rurales, moins de dessertes pour nos villes moyennes ». Cette position me paraît raisonnable. Florian Philippot a apparemment compris que lorsque l’on prétend défendre le peuple français, la première tâche est de ne pas perdre de vue la justice sociale, surtout à une époque où l’exclusion, la précarité, la dé-liaison sociale et la pauvreté tous azimuts sont plus grandes que jamais.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 26 juin 2014)

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  • Pourquoi opposer l'Europe des régions à celles des nations ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question des régions, en France comme en Europe...

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    Pourquoi opposer l’Europe des régions à celle des nations ?

    Régionalisme contre colbertisme, le débat ne date pas d’hier. Était-il opportun pour le gouvernement de le relancer, à la va-vite, après deux déculottées électorales ?

    « À la va-vite » est l’expression qui convient, puisqu’il n’est prévu ni référendum ni consultation ou concertation préalables. Personnellement, je n’ai pas d’objection de principe au redécoupage ou au regroupement de certaines régions. Encore faut-il que celles-ci soient considérées comme des entités dont l’identité repose d’abord sur l’histoire et la culture, non comme des territoires technocratiques ou des fiefs électoraux. Or, l’intention affichée par François Hollande de ramener de 22 à 14 le nombre des régions répond surtout à des considérations technocratiques ou électorales. S’y ajoute le désir de réduire le coût du « mille-feuille » administratif, en faisant primer la « cohérence économique » sur les considérations identitaires.

    Cette façon de faire s’apparente à la manière dont la Révolution française avait en 1790-91 créé les départements dans une optique de « rationalisation » dont l’objectif était de démanteler les anciennes provinces. L’argument économiste de la « taille critique » que devraient automatiquement avoir les régions n’est pas plus convaincant. En Allemagne, la taille moyenne des 16 Länder n’excède pas la dimension moyenne des régions françaises actuelles. Certains de ces Länder sont même assez petits, comme la Sarre, le Mecklembourg ou le Schleswig-Holstein, pour ne rien dire de la ville de Brême, qui est un État au même titre que la Bavière ou le Land de Rhénanie-Westphalie. La puissance d’une région ne dépend pas toujours de sa superficie ni de sa population.

    Le seul trait positif du projet gouvernemental est de prévoir la réunification de la Normandie (la folle idée de Laurent Fabius de la rattacher à la Picardie ayant été abandonnée), que le Mouvement normand de Didier Patte réclame depuis plus de quarante ans. On peut aussi approuver le regroupement de la Bourgogne et de la Franche-Comté, voire celui de l’Alsace et de la Lorraine, bien que la première soit tournée vers l’est (le pays de Bâle et le Bade-Wurtemberg), tandis que la seconde regarde plutôt vers la partie septentrionale de l’ancienne Lotharingie. Tout le reste est contestable, voire absurde.

    La région Poitou-Charentes va être mariée avec le Centre et le Limousin, alors qu’il aurait fallu rapprocher le Poitou-Charentes de la Vendée, réunir le Centre et les Pays de la Loire et regrouper l’Auvergne, le Limousin et l’ancien Berry. La fusion du Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées, celle de la Picardie et de Champagne-Ardennes sont pareillement injustifiables. Mieux aurait valu faire fusionner Midi-Pyrénées et Aquitaine afin de reconstituer l’ancienne Guyenne et Gascogne. Quant à la décision d’isoler Nantes du reste de la Bretagne, entérinant ainsi l’amputation pratiquée en 1941 par le régime de Vichy, c’est un véritable scandale.

    Vous militez de longue date pour une Europe des régions, mais vous avez aussi beaucoup d’amis chez les partisans d’une France souveraine. Ça doit être chaud, chez vous, les débats ! Pensez-vous qu’une synthèse soit plausible entre ces deux positions, a priori pas vraiment conciliables ?

    Je n’oppose pas l’Europe des régions à celle des nations. Je pense qu’il faut les défendre les unes comme les autres, ce qui se fait sans peine dans une optique fédéraliste fondée sur le principe de subsidiarité. Ce fédéralisme n’a évidemment rien à voir avec celui que l’on attribue à tort à l’Union européenne, laquelle ne repose nullement sur le fédéralisme intégral tel que le comprenaient Alexandre Marc ou Denis de Rougemont, mais sur le centralisme bruxellois. Quant à la « synthèse » dont vous parlez, elle pourrait s’établir à partir d’une réflexion commune sur la notion de souveraineté. Mais il y a deux façons de comprendre la souveraineté : à la façon de Jean Bodin (1529-1596), comme allant de pair avec la nation « une et indivisible », ce qui a d’abord abouti à l’absolutisme monarchique, puis au jacobinisme républicain ; ou bien à la façon de Johannes Althusius (1557-1638), fondateur du fédéralisme, qui répartit la souveraineté à tous les niveaux. Dans le premier cas, l’autorité la plus haute (qu’elle soit parisienne ou bruxelloise) est omnicompétente ; dans le second, c’est la règle de la compétence suffisante qui s’impose.

    Au sein de l’« extrême droite », avec tous les guillemets que ce vocable suppose, l’un des principaux reproches faits à Marine Le Pen demeure son « jacobinisme ». Cette critique est-elle légitime et, si oui, est-elle véritablement si importante en une époque où tout paraît se déliter, les régions comme les nations ?

    Laissons de côté l’extrême droite, à laquelle je n’appartiens pas. Il me paraît en effet évident que Marine Le Pen est très hostile au régionalisme et qu’elle assimile l’Union européenne à l’Europe, ce que je trouve dommage. Le jacobinisme se situe dans la perspective d’un jeu à somme nulle : tout ce qui est accordé aux régions serait enlevé à la « nation ». Je pense au contraire qu’une nation n’est forte que de la vitalité et de la liberté de ses composantes, que l’État et la nation ne sont pas la même chose, que nationalité et citoyenneté ne sont pas forcément synonymes, et que les régions devraient même été dotées d’un véritablement Parlement, à l’instar du Landtag existant dans les Länder, lesquels ne menacent en aucune façon l’unité de l’Allemagne. Cela dit, vous n’avez pas tort de dire qu’à une époque où tout paraît s’effondrer, de telles considérations sont assez inactuelles. Leur inactualité relative pourrait justement permettre d’en discuter calmement.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 18 juin 2014)

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  • La publicité, arme de l'idéologie dominante...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la publicité... 

     

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    Le message publicitaire ? Le bonheur réside dans la consommation…

    La réclame a toujours existé, puisqu’un fabricant a besoin de faire savoir que ses produits existent ; mais cela semble être devenu une industrie à part entière. Le faire savoir compterait-il plus désormais que le savoir-faire ?

    Le problème ne tient pas à l’existence de ce qu’on appelait autrefois la« réclame ». Il tient à ce que la publicité envahit tout et mobilise les esprits dans des proportions dont les gens ne sont même pas conscients. Un enfant connaît aujourd’hui beaucoup plus de marques publicitaires qu’il ne connaît d’auteurs classiques. Les paysages urbains sont défigurés par des panneaux publicitaires qui prolifèrent comme des métastases. Les campagnes n’y échappent pas non plus. La télévision ne propose plus des programmes financés par la publicité, mais des messages publicitaires entrelardés de programmes qui ne sont là que pour inciter à regarder les premiers. Rappelez-vous les déclarations de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, en juillet 2004 : « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. »Même chose dans la presse, puisque les principaux titres ne peuvent plus survivre qu’en accumulant les pages de publicité. Dans tous les cas, la publicité se voit dotée d’un pouvoir qui va bien au-delà du « faire savoir » – d’autant qu’elle n’est pas la dernière à véhiculer des images, des slogans (de plus en plus fréquemment proposés en anglais, d’ailleurs), des situations, des rapports sociaux, voire des types humains, qui sont en stricte consonance avec l’idéologie dominante. Autrefois, on parlait de propagande. Aujourd’hui, on parle de communication. La publicité est devenue la forme dominante de la communication (y compris, bien sûr, de la communication politique) dans la mesure où elle tend à s’instaurer comme la forme paradigmatique de tous les langages sociaux.

    Dans un entretien précédent, vous disiez considérer la publicité à la télévision comme infiniment plus obscène que n’importe quel film pornographique. Etait-ce une allusion à l’habitude des publicitaires de dénuder des femmes pour vendre des yaourts ou des voitures ? Ou bien vouliez-vous dire que le point commun de la publicité et de la pornographie est qu’elles suscitent l’une et l’autre de la frustration ?

    Ce qui est obscène ne se rapporte pas seulement à la sexualité, mais aussi à la morale sociale, à tout ce qui choque la « décence commune » chère à George Orwell. Étymologiquement, l’« ob-scène » est ce qui n’appartient pas à la scène, ou ne devrait pas lui appartenir. La publicité est obscène, non seulement parce qu’elle est mensongère (toutes les publicités sont mensongères), mais parce qu’elle véhicule implicitement un seul et unique message : le bonheur réside dans la consommation. La raison d’être de notre présence au monde est réduite à la valeur d’échange et à l’acte d’achat, c’est-à-dire à un acte performatif qui voue nécessairement à la frustration (car toute possession dans l’ordre de la quantité appelle nécessairement le désir de posséder plus encore). Jean Baudrillard l’avait bien montré dans ses travaux pionniers sur le système des objets : la publicité est le principal vecteur d’une logique inhérente au système capitaliste qui consiste, d’un côté, à persuader les individus qu’ils éprouvent réellement tous les besoins qu’on veut leur inculquer, et de l’autre à susciter en eux des désirs que la consommation ne peut satisfaire.

    Le pouvoir de la publicité est de faire oublier qu’un produit est issu avant tout d’un travail, c’est-à-dire d’un certain type de rapport social, et de le faire percevoir comme un simple objet consommable, c’est-à-dire une commodité. L’expérience économique réelle est remplacée par des signaux visuels inhérents à un message conçu en termes de séduction. En dernière analyse, l’individu ne consomme pas tant le produit qu’on l’incite à acheter que la signification de ce produit telle qu’elle est construite et projetée dans le discours publicitaire, ce qui l’infantilise et occulte la capacité du produit acheté à revêtir une véritable valeur d’usage. La publicité, enfin, contribue au conformisme social – et à un ordre social obéissant aux modèles diffusés par la mode – dans la mesure où elle se fonde sur une forme de désir purement mimétique : en cherchant à nous convaincre de consommer un produit au motif qu’il est consommé par (beaucoup) d’autres, la publicité nous dresse à calquer notre désir sur le désir des autres, en sorte qu’en fin de compte la consommation est toujours consommation du désir d’autrui. Conscience sous influence !

    De plus en plus de cinéastes – Ridley Scott au premier chef – viennent de la publicité. Simple effet du hasard ?

    Même les réalisateurs qui ne viennent pas de la publicité sont touchés. La porosité de la frontière entre la publicité et le cinéma n’a rien pour surprendre, puisque l’une et l’autre relèvent du système du spectacle, mais le plus caractéristique est que la publicité influe de plus en plus sur l’écriture cinématographique. De plus en plus de films destinés au grand public – et non des moindres – ressemblent à une suite de clips publicitaires, ces derniers étant d’ailleurs de plus en plus conçus eux-mêmes comme de très brefs courts-métrages.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 mai 2014)

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