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  • La liberté ou la mort ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à l'allergie à la mort dans notre société. Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    La liberté ou la mort ?

    La parabole du maître et de l’esclave constitue pour Hegel la clé de la condition politique. Elle se résume ainsi. La vie est un conflit où ceux qui mettent leur vie en jeu commandent, ceux qui choisissent de vivre à tout prix deviennent esclaves. La liberté a un prix, et c’est celui de la vie. Ceux qui placent la vie au-dessus de tout, ceux qui font des joies de ce monde leur religion, ceux-là qui refusent qu’aucune cause ne vaille qu’on tue ou qu’on meure pour elle, se condamnent à la soumission. La règle connaît peu d’exceptions dans l’histoire. Et les réactions collectives face à l’épidémie de COVID19 ont beaucoup à nous dire sur la parabole du maître et de l’esclave, et sur son actualité.

    Le mensonge de la promesse de ne pas mourir

    Nous choisissons la vie. La promesse implicite de tout gouvernement européen est que chaque femme, chaque homme a droit à plus de 80 ans de vie heureuse, sans souffrance, sans handicap, sans accident. Voilà pourquoi est jugée scandaleuse une épidémie qui a tué des patients dont l’âge médian est de 84 ans — rappelons que dans toutes les sociétés jusqu’à la nôtre, l’immense majorité de la population n’avait aucun espoir d’atteindre cet âge ! Tout ce qui arrive doit trouver une réponse collective, rien ce qui arrive ne doit plus arriver vraiment, et tous les accidents de la vie doivent être corrigés par l’action bienfaitrice et consolante de l’État. Big Mother est là pour tout et pour tous, tout le temps, mère possessive et étouffante, comme l’a merveilleusement décrit Michel Schneider. Voilà pourquoi une pandémie qui touche une faible proportion des moins de 70 ans, presque exclusivement souffrant d’une ou plusieurs pathologies graves, est insupportable. La mort est exclue du tableau moderne, elle est cachée, dissimulée, le plus souvent noyée dans les brumes de l’inconscience et l’isolement de l’hôpital. Qu’il est loin le temps où Greuze montrait le chef de famille mourant entouré de ses enfants, petits enfants, domestiques, dans la conscience de la vie accomplie !

    Le refus de la mort n’est pas qu’une formule. Tout décès devient un scandale. En témoignent ces parents qui portent plainte contre l’armée quand leur fils est mort au combat, parce que le commandement ne l’a pas suffisamment protégé – et que le feu tue. En témoignent ces normes partout imposées pour que tout handicap se voie compensé par les aménagements collectifs — des ascenseurs dans les services publics, chez les médecins ou les dentistes à la demande de tapis roulants au long des sentiers de randonnée. En témoigne plus encore l’extraordinaire effet de sidération causé par une pandémie qui, comme on le dit dans les quartiers, ne tue que des vieux blancs malades — moins de 10 % ont moins de 60 ans et ne sont ni obèses, ni déficients cardiaques ni affectés de maladies respiratoires ou de cancers — bref ; rarement pandémie aura fait perdre moins d’années de vie à ceux qu’elle frappe. Rarement aussi aura-t-elle ouvert de telles espérances aux marchands du contrôle social, du traçage individuel et du pouvoir sanitaire universel — que ne ferait-on pas, non pour une poignée de dollars, mais pour quelques dizaines de milliards de dollars de plus ? Le système de corruption global mis en place par les Fondations nord-américaines peut se réjouir, le choc de la pandémie répète celui du 11 septembre en mettant à bas toutes les protections que l’histoire, les identités et la démocratie avaient érigées contre l’extraterritorialité de la cupidité globale.      

    Démocratie libérale, vraiment ?

    Une fois de plus, les complotistes qui s’agitent ont tort. Car la question n’est pas que certains cherchent à profiter de toutes les occasions, ni que d’autres y voient l’opportunité de museler les mouvements sociaux et leur opposition politique, le problème est que les occasions leur sont données. La trouble fascination des démocraties occidentales, ou de ce qu’il en reste, pour les régimes autoritaires et l’acceptation quasi-totale par les populations françaises et européennes d’une dictature sanitaire hors des lois, du débat et de la raison, exprime un trouble profond et peut-être un changement de nature anthropologique.

    Le refus de la mort, l’idée que rien ne vaut une vie, la conviction que rien n’est de trop pour ajouter des jours aux jours, et un autre souffle au dernier souffle, ont conduit les gouvernements à des décisions aberrantes au regard des libertés publiques, incohérentes par rapport au discours libéral, mais furieusement pertinentes par rapport à cette croyance ; la mort n’a plus de place dans la société du bien-être ; l’État est comptable d’une assurance de longue vie pour tous. Voilà ce qui fait des industries du corps, de la pharmacie au voyage, la première activité mondiale ; les aliments deviennent une annexe de la pharmacie, et les loisirs, l’occasion de remplir les prescriptions du médecin ; quant à l’amour, l’exercice est recommandé, hygiénique et contrôlé. Voilà ce qui sépare les pays où l’on sait pourquoi tuer ou mourir, de ceux où il s’agit seulement d’en profiter tant qu’on peut, à tout prix. Voilà ce qui sépare l’Europe de ces pays, des États-Unis à l’Afrique, où la population s’insurge contre les fermetures imposées, la mort forcée de la vie sociale et la suppression des libertés publiques. Voilà une soumission qui ne ressemble pas à la France et aux Français. Auraient-ils perdu jusqu’à leur identité, tétanisée par l’indécente propagande des chiens de garde du pouvoir sanitaire qui saturent les écrans ? Et voilà qui promet l’Europe, qui ne sait plus se battre qu’à distance, par drones ou robot interposés, et sans souffrir chez soi, à toutes les défaites.

    Le vieux cri révolutionnaire, la liberté ou la mort, résonne étrangement en ces temps de défaite de la vie. Quand il faut donner son mot de passe, il ne s’agit plus de jouer d’identités multiples et de minorités ignorées, il s’agit de savoir qui est ami, qui est ennemi, et qui tue qui. Nul ne peut souhaiter que revienne le temps où donner le mot de passe est affaire de vie ou de mort. Du Liban au Soudan, du Yémen à la Syrie, du Pakistan à l’Inde ou l’Iran, ils sont des millions à vivre en ce temps-là. Mais nul ne peut douter que le temps est déjà proche où ceux qui ne savent reconnaître leurs amis et les distinguer de leurs ennemis se condamnent eux-mêmes à la confusion d’abord, où nous sommes, à la soumission ensuite, où nous plongeons sans frémir, et enfin à la défaite et à la mort, qui déjà nous font signe sous le masque.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin,14 mai 2020)

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  • Ehpad, un si discret gérontocide...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur le site de la revue Eléments et consacré au traitement de la vieillesse et de la mort dans notre société. Journaliste et essayiste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a notamment publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017) et Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2019).

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    Biopolitique du coronavirus (10). Ehpad, un si discret gérontocide

    Ce gouvernement aura été dégoûtant jusqu’au bout. Alors qu’il ouvrait les prisons, il fermait à double tour les Ehpad. Alors qu’il lâchait dans la nature 10 000 détenus, il claquemurait les vieux. Alors qu’il déconfinait les maisons d’arrêt, il confinait les maisons de retraite, toutes placées au régime de l’isolement, on n’ose dire carcéral. Deux poids, deux mesures. Choix commode pour Macron et son gouvernement. Aucun risque de mutinerie dans les Ehpad, aucune chance de voir les vieux prendre en otage leurs geôliers. C’est bien dommage. Ils auraient dû, au moins auraient-ils été entendus, au moins seraient-ils morts en famille. La révolte des vieux, qui n’en a rêvé. On l’appellerait le mouvement des Gilets jaunis.

    Savez-vous qu’il y a un précédent, certes romanesque ? La fable énorme, pétaradante, hilarante, d’Olivier Maulin, dans Gueule de bois (2014). Martyrisés par le personnel, les retraités foutent le feu aux poubelles, créent un comité de libération, couvrent les murs d’inscriptions vengeresses – et passent à l’attaque. Et une table de nuit dans la gueule des auxiliaires de vie, pif ! Et une chaise roulante dans la face du directeur, paf ! Et un tribunal révolutionnaire dans l’espace de vie, poum ! Ah, le bonheur ! Ah, l’honneur retrouvé ! Les vieux de la vieille, ça doit dynamiter, disperser, ventiler. Un peu de Raoul Volfoni n’a jamais fait de mal, surtout à ces âges canoniques, et dans canonique il y a canon. Mais encore aurait-il fallu qu’on n’ait pas bourré les papis et les mamies d’anxiolytiques, de comprimés, de purée-compote-suppositoire, d’animations puéridébilitantes. La camisole chimique et les activités godiches, c’est le meilleur des gardes-chiourme. Avec cela, comment s’étonner que, faute de papis flingueurs, on ait eu les papis flingués. Par milliers. Réveillez-vous, les vieux, avant de mourir, sinon on finit comme Don Diègue, enragé mais impuissant et désespéré. Quitte à partir, autant partir en fumée.

    Morts sur ordonnance gouvernementale

    Ce qu’il y a eu de terrible dans ce huis clos à l’intérieur du huis clos du confinement, c’est que nos vieux ont eu le sentiment de mourir abandonnés dans des Ehpad en sous-effectif, et les familles de les laisser partir comme si elles les avaient abandonnés pour de bon, au moment fatal. Ce n’est qu’un au revoir, jurait Olivier Véran. Tu parles ! Il n’aura pas fallu un mois pour transformer les Ehpad en tombeau du résident inconnu et du soignant pas reconnu.

    Le gouvernement, toujours en avance d’une bévue, courant après son mois de retard – en retard, toujours en retard, comme dit le Lapin blanc – a ajouté la solitude à la solitude, l’abandon à l’isolement, l’enfermement à l’enfermement, le silence à l’effacement des traces et des responsabilités. C’est la fonction des acronymes, tout effacer, pour ne conserver de la mort que sa dimension neutre, administrative. Ehpad, qui sait ce que ça signifie ? L’acronymisation du monde est encore pire que son anonymisation.

    Charles Quint dormait chaque nuit dans un cercueil : définition de l’Ehpad. L’Ehpad, c’est une chambre d’hôtel médicalisé, et d’un hôtel qui ne s’appelle pas Terminus. On lui préfère les noms fleuris, des résidences de, des clos, des rivages, des jardins, des clairières. Dans notre souci d’aseptisation du réel, d’euphémisation, de marchandisation douceâtre, nul doute qu’on les rebaptisera bientôt Maison de vermeil ou Demeure du karma. On aura l’impression d’aller voir le Dalaï-Lama et on tombera sur Matthieu Ricard. La bonne blague. Un idéal de plante verte, une philosophie de la camomille et du transit intestinal. Si on n’est pas en coma dépassé, impossible d’avaler ces infusions spirituelles.

    Par ici l’or gris

    Tout est tabou ici. C’est un deuil avant le deuil, un pied dans la tombe, pour les résidents, pour les familles. Qui veut aller en Ehpad ? Les trois quarts des résidents n’ont pas choisi d’y vivre. C’est un crève-cœur d’y placer ses parents. Aucun d’entre nous n’y consent sans être envahi d’un sentiment de honte diffus. Cette honte qui ne dit pas son nom, les marchands de sommeil éternels nous la font payer très cher. À eux la cupidité, à nous la culpabilité. À eux l’or gris, aux vieux la grisaille des jours qui s’embrouillent et se confondent. Toute la sordidité du capitalisme vous saute au visage quand vous abordez cet archipel gris. Comment maximiser les mourants ? En trayant jusqu’au bout leur épargne, en rognant sur tout, l’alimentation, les pansements, pour dégager des marges de rentabilité, jusqu’au moment où maintenir en vie des corps cacochymes coûtera plus cher que les laisser pour morts. Capitalisme et pulsion de mort, comme disait feu Bernard Maris.

    Comment faire autrement ? Je sais bien. Il y a tant de maladies incurables, tant d’Alzheimer en stade avancé, tant de comorbidité, tant de distance, sociale, géographique, qui séparent les uns des autres, les actifs des inactifs, les inactifs des improductifs, les improductifs des indigents. Qui pour s’occuper de ces derniers ? La société de services évidemment. On a tout sous-traité, tout externalisé – au privé et au public –, même la mort. Ehpad : ci-gît les solidarités perdues, premières, organiques, familiales.

    La mort « laide, sale et cachée »

    Comment mourir ? Vieille question. La plus belle des morts, hors la mort des héros au champ d’honneur, c’est celle de Fontenelle, qui s’en est allé quasi centenaire, en 1757, « d’une difficulté d’être », doucement, sans heurt, dans un nuage de coton et de douceur, dans un état d’apesanteur d’où toute douleur s’est évanouie, entouré des siens, en paix. Le rêve. On dirait adieu comme dans un film, d’une petite pression de la main, les yeux mi-clos déjà aspirés par le néant. Tout sauf la mort solitaire, la pire des morts, comme dans La Mort d’Ivan Ilitch, atroce nouvelle de Tolstoï, Ivan Ilitch enfermé dans le champ clos de sa douleur, coupé du monde qui ne lui parvient qu’au travers de la frivolité des siens. Seul dans son coin, déjà loin. La surmédicalisation nous condamnerait-elle tous à la mort d’Ivan Ilitch ? Trois décès sur quatre à l’hôpital (la moitié des décès s’y déroule) se font sans la présence d’un proche.

    C’est ce qui devait arriver, à trop éloigner la mort, à la tenir à distance parce qu’elle se tient à distance l’essentiel de notre vie, à renvoyer les indigents dans le monde des morts, à repousser le plus loin des villes les cimetières. Ce que Philippe Ariès dit de la mort – « laide et cachée, et cachée parce que laide et sale » – vaut de la grande vieillesse. Elle a trouvé refuge dans ces établissements spécialisés.

    Le mythe de l’« âge d’or » de la vieillesse

    Il ne s’agit pas de courir après un « âge d’or » de la vieillesse. Il n’a jamais existé, c’est une légende rustique. On ne révérait pas plus les vieux autrefois qu’aujourd’hui, et même moins. Molière les a couverts de tous les ridicules, du barbon à l’avare. La Renaissance les a méprisés ostensiblement. Avant, ce n’était ni mieux ni pire. Sur ce point, Simone de Beauvoir a raison. On a traité les vieillards de toutes les manières possibles, quelles que soient les époques : en les tuant, en les abandonnant, en les honorant. Nous sommes moins cruels et plus hypocrites.

    C’est seulement au XVIIIe siècle que le statut de la vieillesse a gagné en prestige. Pour s’en faire une idée, Philippe Ariès nous invite à comparer le traitement de la vieillesse dans les tableaux de Rembrandt (XVIIe siècle) et ceux de Greuze (XVIIIe siècle). La différence est saisissante : là il est seul, ici il est entouré, en noble patriarche et chef d’une famille à son chevet. Foutons la paix au maréchal pour une fois, c’est la Révolution, pas la nationale, qui a instauré des fêtes pour à peu près tout, qui en a dédié une aux Vieillards.

    Les historiens des mentalités ont pu parler de la naissance de l’enfance, peut-être nous faudrait-il parler de la naissance de la vieillesse. On nous dira : Cicéron et Sénèque ne nous ont pas attendu pour célébrer le grand âge. Certes. Mais la vieillesse est un phénomène relativement nouveau, du moins sa démocratisation, conséquence de l’accroissement de l’espérance de vie. Nouveau et bref. On ne l’aura finalement chérie que deux siècles, guère plus. Les nouvelles technologies l’ont subitement dévaluée. Branchée en bas débit, la vieillesse est redevenue une antiquité.

    Ni grandir ni vieillir

    La vieillesse en nom propre, celle qui s’inscrit dans nos artères, ne se rappelle à nous que quand les deux grands mythes de la société marchande ont cessé d’être agissants sur nous, les deux plus à même de susciter un intense désir de consommation : Peter Pan, celui qui ne veut pas grandir, et Dorian Gray, celui qui ne veut pas vieillir (seniors inclus). Comme dans Le meilleur des mondes. Dans le roman de Huxley, il n’y a plus de vieux. La vieillesse a disparu. Partout, l’adolescence (à ne pas confondre avec les adolescents) a pris le pouvoir. Nous voici un peu comme les homosexuels au sens où Paul Morand, homophobe échevelé, entendait l’homosexualité, passant sans transition de la jeunesse à la vieillesse. Dans notre monde, le fruit n’arrive jamais à maturité, il est longtemps trop vert et dans un dernier souffle trop blet (que les amoureux de Morand se rassurent, il ne le dit pas en termes aussi ternes).

    Paul Yonnet, dont il va être question, fait remarquer que si l’esthétique rock est aussi prégnante dans nos vies, c’est précisément parce que c’est une « culture de l’intro ». Cette incapacité à finir est un trait de l’adolescence, prolongée ou pas. L’épilogue, le point de non-retour, l’oraison sont renvoyés dans le très grand âge.

    Le recul de la mort

    Sur la mort, sur l’individualisme, Paul Yonnet a écrit un livre immense et génial que sa mort brutale, ironiquement, a laissé inachevé, Famille, tome I, Le recul de la mort : l’avènement de l’individu contemporain (2006). Sa thèse est des plus originales et des plus convaincantes, elle tient en un mot : « le recul de la mort ». C’est un phénomène sans précédent, qui survient à bas bruit dans la très longue histoire des hommes, dit-il, comme la découverte du feu. Il y a un avant, prédéfini, et un après indéfini qui s’est diffusé un peu à la manière d’un tremblement de terre sourd mais aux répliques en série. Deux chiffres, pas plus, pour illustrer cette révolution anthropologique : du milieu du XVIIIe siècle à nos jours, la mortalité maternelle a été divisée par 131, et la mortalité infantile par 69. Le résultat, c’est que la mort s’est progressivement retirée du théâtre de la vie quotidienne. Les conséquences qui découlent de cette disparition, toutes très lourdes de sens, sont innombrables. La première d’entre elles qui conditionne les autres, c’est la naissance d’un nouveau sentiment, parce que, sauf accident, tous les enfants seront appelés à vivre et toutes les mères à ne pas mourir : l’enfant du désir d’enfant, l’enfant aimé, choyé, bientôt divinisé, déjà individualisé. In-di-vi-du-a-li-sé : le mot est central parce que l’individu devient le centre du monde, en amont du droit qui ne fera qu’en donner une traduction juridique.

    Si l’homme contemporain éprouve un tel sentiment d’invulnérabilité, c’est très précisément en raison même de ce recul de la mort, mort que la plupart d’entre nous ne croiserons pour ainsi dire jamais dans la plus grande partie de notre existence. C’est cet oubli de la mort qui fonde nos vies, leur l’« exceptionnalité ». Hors temps de guerre, nous sommes en bonne santé l’essentiel de notre vie. Nous mourrons de vieillesse, autre conséquence. Au début du XIXe siècle, les décès au-dessus de soixante ans ne représentaient qu’un mort sur trois. De nos jours, 80 % des décès surviennent après 70 ans. Mais on meurt seul, fatalité de l’individualisme.

    Hausse de la désespérance de vie

    Nonobstant cela, la vie se résumera toujours au titre du livre de Gabriel García Márquez, Chronique d’une mort annoncée. Mais on en différera le plus longtemps le terme, on le repoussera, on l’étirera sans fin. Prolonger, tel est le mot d’ordre. Il faut prolonger. Le verbe dans sa forme intransitive dit la crudité de la chose. On nous prolonge, on nous fait durer, combien de fois a-t-on entendu cette complainte de la vieillesse. Mais qu’est-ce qu’on prolonge ? Un état dépressif (40 % des vieux placés en institution souffrent de dépression), une somnolence de l’être, des courbes de la désespérance de vie ?

    Bientôt peut-être la mort se présentera comme dans Ubik, le roman de Philip K. Dick. On nous conservera dans des états de semi-mort cérébrale, végétatifs, cryogénisés, momifiés, avec pour chacun de nous un reliquat de conscience mis en veille, une poignée d’heures, pas plus, portées au solde d’une carte de crédit qui permettra à nos familles de venir nous parler quelques minutes à la Toussaint jusqu’à épuisement des jetons. Après quoi, les lumières s’éteindront définitivement.

    François Bousquet (Eléments, 16 mai 2020)

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  • Le chant du bouc...

    Les éditions de la Reine Grenouille ont publié récemment un essai de Christophe Lavigne intitulé Le chant du bouc. Ancien membre du renseignement militaire français, Christophe Lavigne vit retiré dans le vignoble bordelais.

     

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    " La catastrophe s’est déjà produite. Le monde évolue. Est-ce bien ou mal? Peu importe. Quoi qu’il en soit, il faut s’adapter et faire face à de nouvelles contraintes et de nouveaux dangers.Pour affronter la médiocrité, Christophe Lavigne nous propose de revenir aux origines en interrogeant la civilisation grecque et sa définition de la tragédie. Inégalité, violence et mort, trois notions clés que nos contemporains cherchent, en vain, à écarter de leur chemin. Or plutôt que de fuir le tragique ne devrions pas plutôt faire corps avec lui? C'est sur ces pistes, affranchies de toute rhétorique pompeuse et intellectualisante, que nous mène l'auteur. Le Chant du bouc s’invite au milieu des considérations sur le monde contemporain, un monde devenu complexe et difficilement lisible, et nous propose des clés pour s'affranchir et, pourquoi pas, s'accomplir.Plus qu'un livre de réflexion, un manuel de vie."
     
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  • La mort, l'au-delà et les autres mondes

    Les éditions Imago ont publié en début d'année une nouvelle étude de Claude Lecouteux intitulée La mort, l'au-delà et les autres mondes. Professeur de civilisation du Moyen-âge à la Sorbonne, Claude Lecouteux s'est spécialisé dans les mythes, les contes et les légendes et a publié de nombreux ouvrages comme Démons et Génies du terroir au Moyen Âge (Imago, 1995), Fées, Sorcières et Loups-garous au Moyen Âge (Imago, 2012) ou son Dictionnaire de mythologie germanique (Imago, 2014).

     

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    " Squelette creusant une tombe, spectre aux yeux caves ou créature encapuchonnée dérobant son visage, la mort, armée d’une faux ou d’une lance, peut surgir à tout moment. Chacun le sait, tôt ou tard, il faut lui payer son tribut. Mors certa, hora incerta, disaient les Anciens.
    Depuis longtemps, Claude Lecouteux s’est attaché à étudier la mort et ses représentations dans les mentalités médiévales. Dans cet ouvrage, il nous entraîne cette fois dans une exploration de l’outre-tombe, et suit les défunts dans leurs différents périples. De l’Antiquité à nos jours, s’appuyant sur les mythologies, les contes, les traditions populaires et les romans de chevalerie, il met au jour la permanence d’antiques croyances sous une vision plus chrétienne de l’au-delà.
    Il souligne en outre — et nul ne l’avait établie jusqu’alors — l’étonnante proximité des images venues d’un lointain passé avec les témoignages de ceux qui, lors de comas ou de catalepsies, ont vécu des expériences de mort imminente (Near Death Experience), montrant ainsi que l’homme n’a jamais cessé d’imaginer son ultime voyage… "

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  • L'agriculture industrielle, une agriculture de mort ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Hervé Juvin sur TV Libertés consacré aux conséquences mortelles pour l'homme du développement de l'agriculture industrielle...

    Économiste de formation, Hervé Juvin a publié des essais essentiels tels que Le renversement du monde (Gallimard, 2010), La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013) ou, dernièrement, Le gouvernement du désir (Gallimard, 2016), qui font de lui un des penseurs les plus pertinents du moment.

     

                                       

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  • Pathologies...

    Les éditions des Syrtes rééditent Pathologies, un roman de Zakhar Prilepine consacré à la guerre de Tchétchénie, dans laquelle il a été engagé. Journaliste, combattant et homme politique russe, Zakhar Prilepine est également un écrivain célèbre dans son pays. Une partie de son œuvre est disponible en traduction française, dont ses romans San'kia (Actes sud, 2009), Le Péché (Syrtes, 2009) ou Une fille nommée Aglaé (Actes sud, 2015), et dernièrement Journal d'Ukraine (La Différence, 2017).

     

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    " Un détachement militaire russe est envoyé à Groznyï et prend ses quartiers dans une école abandonnée. Parmi eux, Egor Tachevski qui trompe la peur, l’ennui et la mort en se replongeant dans son enfance et l’amour de Dacha. Le soldat ne se fait pas d’illusions au milieu de ce carnage : c’est une injustice pour tout un peuple, une boucherie, et s’il ne tue pas le premier, il sera tué à son tour…

    Zakhar Prilepine est né en 1975 dans un petit village près de Riazan. En 1996 et 1999, durant les deux guerres en Tchétchénie, il est mobilisé puis volontaire. Quatre ans après, il écrit son premier roman publié en Russie, Pathologies, salué à l’unanimité par les vétérans de cette guerre. Prilepine n’explique pas ce conflit, il le décrit de l’intérieur avec justesse, à travers des images fortes et une langue concise. Le public français a été le premier à découvrir ce roman en 2007 aux éditions des Syrtes. "

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