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hervé juvin - Page 6

  • Qui isole qui ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la recomposition du monde provoquée par la guerre russo-ukrainienne...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Qui isole qui ?

    Le conflit engagé à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie est planétaire. Son enjeu est la fin de la prétention occidentale à définir un ordre du monde au-dessus des Nations, des civilisations, et du droit des peuples à décider de leurs lois, de leurs mœurs et de leur régime politique. C’est la fin de l’occidentalisation du monde. Et son enjeu est l’avenir de l’Europe, une Europe que l’Union tire vers la soumission, une Union qui sacrifie le dur effort vers l’autonomie au confort de l’occupation américaine.

    Le 25 mars 2022, la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la Conférence islamique s’est réunie à Islamabad, au Pakistan, en présence du ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. Réunissant 57 Nations, soit plus du quart des Nations représentées à l’ONU, elle a publié une déclaration qui condamne les sanctions contre la Russie et refuse de s’y associer. Déclaration appuyée lors de la rencontre des Premiers ministres malais et vietnamien à Hanoï ; les seules sanctions légitimes sont celles imposées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

    Dans un entretien accordé à l’Humanité (publié le mardi 15 mars), Macky Sall, le Président du Sénégal, également président de l’Organisation de l’Unité africaine, a expliqué le choix de s’abstenir lors du vote condamnant la Russie, au nom de son pays, mais aussi de tous ces pays africains qui savent ce qu’ils ont dû à l’Union soviétique, ce qu’ils doivent encore à une Russie qui demeure présente, qui distribue de l’aide alimentaire et remporte un soutien populaire marqué.

    La même semaine, les Émirats arabes unis recevait le Président de la Syrie, Bachar El Assad, annonçait que son pétrole pouvait être payé en roubles, et refusait de recevoir l’envoyé américain.

    De son côté, l’Inde négociait un contrat d’approvisionnement en énergie « roubles contre roupies », tandis que pour la première fois depuis des décennies, le ministre des affaires étrangères chinois annonçait se rendre en Inde, et que le ministre indien des Affaires étrangères se rendra à Pékin, l’un et l’autre balayant les provocations auxquelles se livrent les États-Unis et les Anglais complices pour réanimer le conflit marginal à la frontière himalayenne, ou pour susciter des incidents avec cet État-frère que fut le Pakistan.

    Pendant ce temps, l’Union européenne accueille un Boris Johnson hilare du bon tour joué à l’Europe en choisissant le grand large et en rejoignant des États-Unis fermement décidés à renforcer leur occupation de l’Europe, ouverture de bases militaires, par exemple en Bulgarie, et arrivée massive de militaires américains faisant foi. Peu importe ce qu’un Joe Biden cacochyme pourra dire, par exemple reprocher à Poutine d’envahir la Russie, confondre l’Ukraine et l’Iran, ou saluer sa mère morte depuis quinze ans (trois preuves récentes de la sénilité d’un Président par défaut). Le plus grave n’est pas que l’Union européenne se plie à l’alliance que la peur, l’histoire et les traités lui imposent. Le plus grave est que nul ne semble capable de comprendre ce qui se passe, et qui se dit en trois mots.

    Racisme. L’analyste indien Bhadrakumar a dit tout haut ce que tous pensent tout bas. Cinq cents, sept cent mille, peut-être un million de victimes irakiennes de l’invasion américaine et britannique n’ont pas ému les belles consciences occidentales. Les dizaines de milliers de victimes de l’agression illégitime contre la Libye n’ont pas ému les belles âmes et les généreuses fondations. Et pas davantage les centaines de milliers de victimes afghanes de l’occupation américaine, ou les milliers de victimes serbes de l’agression otanienne. La crise humanitaire qui a frappé le Liban, qui frappe la Syrie du fait des sanctions n’empêche aucun activiste des ONG et Fondations américaines de dormir. Ne parlons même pas des millions de morts au Congo, en partie victime de l’entretien des groupes armés par les compagnies minières occidentales. La réalité est irrecevable de ce bon côté du monde, mais elle est ; les victimes blondes aux yeux bleus ukrainiennes mobilisent une fraternité dont les Européens ne mesurent pas à quel point elle est insultante pour tous ceux qui n’ont jamais eu le droit à la moindre compassion — pas même quand une Mme Allbright déclarait ne pas se soucier des milliers d’enfants irakiens morts faute de médicaments ! Il y a les bonnes victimes, et il y a les victimes dont nul ne se soucie. Le problème est qu’ils le savent, et qu’ils ont compris la leçon formulée par un dirigeant américain ; « on nous accuse de massacres, mais n’oubliez pas que les victimes n’étaient pas des Américains » !

    Injustice. Les avoirs de la Banque centrale russe ont été saisis. Une telle saisie n’est pas sans précédent. Les avoirs de la Banque centrale d’Iran avaient été saisis et un immeuble propriété de l’Iran à New York, acquis en toute légalité, volé. Les avoirs du Venezuela ont également été volés. Plus récemment, après la déroute américaine en Afghanistan, les avoirs de la Banque centrale ont été saisis, à hauteur de 7 milliards de dollars. Cette saisie, qui représente une part significative du PIB d’un des pays les plus pauvres du monde, contribue à une crise humanitaire de grande ampleur, qui menace de famine des millions d’Afghans — mais, c’est vrai, ils ne sont pas Américains. Iran, Venezuela ou Afghanistan sont à la fois des acteurs marginaux des échanges monétaires et financiers mondiaux, et les cibles prévisibles de sanctions américaines dont ils sont les adversaires directs.

    La saisie des avoirs de la Banque centrale russe est de toute autre conséquence. La Russie n’est pas en guerre avec les États-Unis. Ces avoirs correspondaient à des échanges légaux, et étaient légitime propriété de la Russie. Au sens propre, ils ont été volés. La Russie, membre du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, vraie civilisation et pays-continent étendu sur 12 fuseaux horaires est une puissance nucléaire qui peut tenir en respect les États-Unis. Passons sur les impacts techniques potentiels, et sur l’infinie complexité des relations entre Banques centrales elles-mêmes, banques commerciales et marchés financiers.

    L’unilatéralisme américain vient de passer la ligne rouge, une ligne rouge qui signifie que c’en est fini de la suprématie du dollar, de l’addiction mondiale au dollar, et de la capacité des pays occidentaux de vivre au crédit du reste du monde. Il n’est plus aujourd’hui dans le monde un seul pays qui ne s’interroge ; et si les États-Unis décidaient de saisir les avoirs de ma Banque centrale ? La propagande écrasante à laquelle nous sommes soumis nous empêche de nous poser la question, voire de comprendre la réponse qui s’impose, d’Asie en Afrique ; le monde serait meilleur sans les États-Unis d’Amérique du Nord.

    Sans doute, la Russie est coupable d’agression contre l’Ukraine, la Russie n’est pas un régime démocratique selon la définition qu’en donnent les États-Unis et l’Union européenne, la Russie n’accepte pas la propagande LGBT, les Fondations et les ONG qui sont autant de lobbys américains, désignent la Russie qui les expulse comme un « rogue State », la Russie est coupable de ne pas accepter l’extension de l’OTAN à ses frontières, la Russie est coupable d’entretenir des relations étroites avec les peuples européens de religion orthodoxe. Qui a parlé de souveraineté, de non-ingérence, ou, simplement de diplomatie ?

    La Russie est bannie de la communauté bancaire internationale — ou de ce que la tribu financière anglo-américaine désigne comme telle. Situation sans précédent. Même au temps de la Seconde Guerre mondiale, les banques centrales, dont la Banque d’Allemagne, continuaient de travailler ensemble en Suisse. Ce que les États-Unis et leurs collaborateurs veulent légitimer au nom du Bien, un Bien dont ils disposent à leur convenance, est pur et simple vol. Aucune règle internationale ne couvre leur décision unilatérale. Certains voudront voir un progrès dans ce qui est une régression de la civilisation, cette civilisation des mœurs qui veut que même quand la guerre fait rage, il faut se parler, il faut échanger, et il faut que les populations vivent. Bien sûr, ceux qui ne rêvent que d’ajouter de la guerre à la guerre et de se battre jusqu’au dernier Ukrainien n’ont que faire du mot « civilisation ».  

    Arrogance. Le Bien est ce que les États-Unis et leurs complices ont déterminé qu’il soit. Des ONG et des Fondations décident quel est le bon régime, quel est le mauvais et choisissent selon les intérêts de leurs financeurs les « abus manifestes » et les « entraves insupportables » aux droits de l’homme qu’elles oublient si bien de dénoncer ailleurs. Tout cela au nom d’un universalisme de pacotille qui ramène les États-Unis au temps de la conquête du Far West !

    Répondant à une arrogante journaliste anglaise de la BBC — en est-il d’autres ? — qui l’accusait de réprimer la presse, le Président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, lui a justement retourné la question ; quel est le sort fait par la justice britannique à Julian Assange, qui a seulement révélé les crimes de l’Amérique, et pour cela paie de sa vie en dehors de toute légalité ? « Vous n’avez aucun droit de prétendre à une quelconque supériorité morale » ; ce que le Président de l’Azerbaïdjan dit à une blonde journaliste anglaise, le monde le dit à l’Occident (ceci écrit sans aucune prétention à défendre la politique de l’information en Azerbaïdjan !)

    S’il suffisait de tuer tous les méchants ! et s’il était si simple de distinguer les bons des méchants ! La question a peu de chances de perturber le fonctionnement binaire des « stratèges » de Washington, elle a moins de chance encore de refonder la diplomatie, cet art d’entendre l’adversaire, de comprendre les raisons de l’ennemi, ses buts de guerre, d’entretenir le dialogue et la conversation, qui sont les seuls moyens de paix durables et de traités viables. L’arrogance américaine est partout ressentie, surtout dans ces pays d’immense civilisation que sont l’Inde, la Chine, les Etats islamiques, qui n’ont que mépris pour des pays comme l’Australie ou les États-Unis, déversoirs de l’Europe. Pour une fois, il convient d’être fier d’être Français ; le Président Emmanuel Macron a été le seul à relever l’indécence des propos tenus par Joe Biden à l ’encontre du Président Vladimir Poutine.

    Combien de siècles, de guerres, de défaites et de morts faudra-t-il aux États-Unis pour peut-être construire une civilisation ? La question est de savoir s’il restera encore des États-Unis pour y prétendre édifier — tant s’y sont essayés, qui ont disparu sans laisser de traces ! Et la question est désormais ; cette grande civilisation qu’a été l’Europe, cette civilisation qui est la nôtre, choisira-t-elle de s’abîmer avec un allié américain qui lui apporte l’illusion de sa sécurité au prix de sa soumission, ou choisira-t-elle d’en finir avec une dépendance dont chaque jour montre un peu plus qu’elle l’éloigne du monde, et qu’elle la prive de sa plus grande force; l’intelligence du monde ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 27 mars 2022)

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  • Machiavel, toujours…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à l'élévation des enjeux de la guerre russo-ukrainienne...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Machiavel, toujours…

    Au moment où des édiles français proposent de changer le nom d’un lycée nommé Soljenitsyne parce qu’il est russe — savent-ils seulement quel dissident a été Soljenitsyne ? — au moment où la propagande se déchaîne jusqu’à désigner coupables ceux qui cherchent seulement à comprendre les raisons de l’invasion russe de l’Ukraine — essayer de comprendre, c’est déjà être complice ! — encore et encore, revenons-en à Machiavel. Chercher « la verita effettiva de la cosa », voilà la seule ligne que tout élu, tout stratège plus encore, devrait adopter. Et si nous essayions de regarder ce qui est, au lieu de nous remplir de bonne conscience en proclamant ce qui devrait être ?

    Un enjeu qui va au-delà des populations russophones

    La guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine n’a plus pour enjeu la sécurité des populations russophones du Donbass et d’ailleurs, ni le respect de leurs droits, tels qu’ils étaient prévus dans les accords de Minsk. Nous en sommes loin. Ce que le pouvoir russe s’obstine à nommer « opération » est devenu une guerre à signification mondiale, qui échappe largement à la Russie elle-même. Tel qu’il se dessine avec une précision croissante, l’enjeu est la fin de la domination anglo-américaine sur le monde. Cette domination s’exerce aujourd’hui à travers le monopole du dollar dans les transactions internationales, à travers le monopole des marchés de la City de Londres, de Wall Street et du Nasdaq aux États-Unis, plus encore d’une financiarisation insoutenable de l’économie mondiale, et par une instrumentalisation constante des prétendues « institutions internationales » par la tribu anglo-américaine, l’Union européenne n’y échappant pas.

    Cette domination se justifie par une prétention arrogante à détenir le « Bien » et à faire le Bien du monde sans lui, voire contre la volonté exprimée des peuples. Cette domination explique le : « deux poids, deux mesures » qui, par exemple, dispense de toutes sanctions et de tout embargo les puissances coupables des agressions sans mandat des Nations-Unies contre la Libye (le mandat se limitait à la protection de Benghazi), contre l’Irak ou les complices des terroristes islamistes, par exemple en Afghanistan (la CIA contractant avec Ben Laden à Peshawar) ou en Syrie (l’invention britannique des « Casques Blancs »), et paralyse toute enquête sur la responsabilité américaine dans les pandémies échappées des laboratoires sous son contrôle, dans vingt-cinq pays, en Ukraine comme en Chine, en Bulgarie comme en Géorgie ou au Kazakhstan — et à Wuhan.

    Sujet majeur ; des Nations représentant 3 milliards d’habitants exigent du Conseil de Sécurité de l’ONU une enquête indépendante, qu’une administration américaine en panique refuse, mais que le sénateur Rand Paul appelle, incarnant ce peu qui demeure de liberté en Amérique. Et elle explique un fait constaté, de Dakar à Delhi et de Téhéran à Pékin ; 8 milliards d’êtres humains qui sont autant de citoyens d’une Nation, d’héritiers de cultures et de civilisations toutes différentes, liés par leur identité collective et par cette liberté qui s’appelle souveraineté, ne seront pas conduits par cinq ou six cents millions de protestants arrogants et désormais, ignorants. Ajoutons notre lecture à l’emploi à deux reprises des missiles hypersoniques par la Russie ; la cause est entendue, et la sentence est sans appel. Les militaires ont entendu le message. Les mercenaires aussi, qui quittent l’Ukraine quand ils le peuvent.

    L’économie compte

    Le dirigeant historique de la Malaisie, Mohammad Mahathir, l’avait déclaré ; « l’Occident a tout pour être heureux, pourquoi veulent-ils vivre au-dessus de leurs moyens ? » Déclaration modérée, venant du dirigeant d’un pays un temps ruiné par l’attaque organisée par Georges Soros et ses complices contre le ringgit, la monnaie malaise. Saturé par la propagande à quoi se réduit la prétendue « économie » libérale, les Occidentaux ne mesurent pas à quel point l’aisance qu’ils croient devoir à leur travail, leurs entreprises et au génie de leurs dirigeants doit une part décisive au monopole du dollar. À de très rares exceptions près, le prix de toutes les matières premières qui comptent est libellé en dollar, et les marchés à terme de Chicago font les cours des céréales comme celui de Londres manipule les prix de l’or. À de très rares exceptions près, toute grande entreprise poursuivant une croissance mondiale cherche à lever des capitaux sur les marchés américains, à se faire coter sur ces marchés, et utilise les services de banques, d’auditeurs et de consultants américains — sans se rendre compte qu’elle tombe sous le coup des lois américaines.

    Faut-il l’écrire au passé ? Il faut l’écrire au passé. En faisant disparaître quelques semaines Jack Ma, le milliardaire fondateur d’Alibaba au moment de l’introduction en Bourse de sa filiale, Ant, le gouvernement chinois a fait savoir que l’argent ne gouvernait pas la politique de la RPC. En négociant avec la Russie un contrat d’approvisionnement d’énergie à bon compte, en rouble contre roupie, l’Inde envoie un signal que renforce la décision des Émirats arabes unis de vendre du pétrole en yuan, hors dollar — au moment même où le nouveau maître des destinées de l’Arabie Saoudite refuse de prendre Joe Biden au téléphone. Le fait est que le dollar est en train de perdre sa fonction de référence sur les marchés de l’énergie.

    La conclusion pourrait être : avec le monopole des transactions sur les matières premières, le dollar perd sa centralité dans le système monétaire mondial. Elle s’exprime autrement ; depuis le coup d’État monétaire de Nixon, le 15 août 1971, rendant le dollar non convertible en or, depuis une série d’escroqueries américaines, la moins commentée et la plus décisive étant sans doute la substitution de la comptabilité à valeur de marché (« market value ») à la comptabilité à valeur historique au début des années 2000, les États-Unis et, dans une moindre mesure, leurs alliés européens, bénéficient d’un niveau de vie surévalué de quelques 30 %. Qu’ils en profitent tant qu’il est temps !  

    La finance compte

    Qu’il s’agisse de l’allocation mondiale des capitaux ou des systèmes de paiement internationaux, Britanniques et Américains se sont approprié l’essentiel de services financiers qui conditionnent les échanges mondiaux et contribuent à faire du dollar la monnaie d’échange et de réserve mondiale. Cette situation a pu se créer et perdurer à la faveur de trois éléments.

    D’abord, la prétention à l’impartialité ; du WTO au FMI et aux marchés boursiers, le marché, rien que le marché, ses forces anonymes et ses mécanismes universels assurent seuls les échanges et les valorisations. Ensuite, l’absence de concurrence ; pourquoi créer à grands frais ce qui fonctionne déjà ? Enfin, l’acceptation passive d’une forme de supériorité anglo-américaine en matière de finance et de commerce ; eux, ils savent ! Voilà ce qui s’achève, pour autant de raisons décisives. Le mythe de la compétence américaine n’a pas survécu au naufrage de 2008 et d’une faillite bancaire américaine exportée au reste du monde.

    La confiscation des avoirs de la banque centrale russe, après le vol des réserves de la banque centrale d’Iran (et d’immeubles détenus à Manhattan) ou d’Afghanistan, met fin à l’illusion d’impartialité du marché ; la conditionnalité, qui devient le mot d’ordre d’un pouvoir américain désireux d’en finir avec la montée en puissance de la Chine, n’a rien à voir avec le marché, tout avec la politique — et légitime du coup les dispositions analogues prises par d’autres pays, sur d’autres continents. La suspension de grandes banques russes du système Swift réalise ce que de nombreux pays envisageaient comme possibilité extrême ; celle d’une instrumentalisation politique du système de paiement international basé au Luxembourg — et provoque la mise en place de solutions alternatives, comme la Chine en propose déjà.

    Enfin, et surtout, l’extension mondiale des relations financières sous l’égide des fonds d’investissement et des banques anglo-américaines impose des rendements financiers supérieurs à 15 %, incompatibles avec l’industrialisation des pays en croissance, incompatible avec le maintien d’entreprises artisanales, familiales, indépendantes, incompatibles tout autant avec la présence de banques de proximité, finançant l’activité locale par crédit à long terme à faible taux (6 à 7 %), et plus encore, avec l’autonomie stratégique des Nations et la résilience de l’environnement. Bref ; la mobilité internationale des capitaux et des services détermine des abus de droit qui entravent sans cesse davantage la liberté des Nations, prétend leur interdire d’adopter le système économique qui leur convient (par exemple, le financement public des entreprises stratégiques). Voilà pourquoi la globalisation conduit à la guerre, puisqu’elle appelle une uniformisation des règles incompatible avec la liberté des peuples. Voilà pourquoi tout ce qui permet l’application des lois américaines, des principes juridiques, comptables et commerciaux américains suscite non seulement un rejet, mais des alternatives qui auront bientôt marginalisé une puissance qui se prenait pour le monde, et qui devient une Nation provinciale, intolérante et décomposée, dont le monde se dispenserait volontiers.

    La politique compte

    Il est du plus haut intérêt de constater combien de « journalistes » concluent des événements récents à l’isolement de la Russie. Les faits sont pourtant là, établis par les votes à l’ONU lors de la résolution condamnant la Russie, établis aussi par les déclarations des dirigeants. La moitié des pays de l’Union africaine se sont abstenus, son Président, le Président du Sénégal, Macky Sall, s’abstenant lui-même, ce qui illustre le naufrage de la France en Afrique. Si la Chine s’est opposée, l’Inde s’est abstenue, comme la Turquie elle-même, membre de l’OTAN. En Asie, quelques-unes des puissances montantes, comme le Vietnam peu suspect d’allégeance à la Chine, s’est également abstenu.

    Et le Mexique, comme l’Argentine, comme le Brésil, ont fait savoir leur opposition aux sanctions. Le calcul est vite fait ; ce sont des pays représentant plus des deux tiers de la population mondiale qui ont voté contre la condamnation de la Russie, ou se sont abstenus. Et ce sont des dizaines de pays qui entendent bien continuer à commercer avec la Russie, et le font savoir. Et c’est l’Inde qui examine son retrait du « Quad », cette officine des intérêts anglo-américains dans le Pacifique. Et ce sont des dirigeants de partout, en Afrique comme en Asie et en Amérique latine, qui interrogent ; si le Tribunal Pénal International existe, comment se fait-il que les Donald Rumsfeld, Tony Blair, Colin Powell, Madeleine Allbright, Victoria Nuland, parmi d’autres, n’aient jamais été traduits devant le procureur ?

    Sans doute ne savent-ils pas que les États-Unis n’ont jamais reconnu le Tribunal Pénal International, ni les conventions internationales sur le droit de la guerre. Mais que sait encore une Union européenne qui, pour avoir célébré la chute du Mur de Berlin et faute d’assurer elle-même sa défense, n’a pas su faire tomber le Mur de l’Ouest, a chéri une occupation américaine qui la dispensait de tout effort stratégique, comme l’a justement dénoncé Donald Trump ? Victoire rapide ou enlisement des forces russes changeront peu de chose à un renversement du monde en cours, et que l’Asie attend avec gourmandise, laissant aux Russes leur incertaine aventure militaire — elle a le temps d’en finir avec le péril blanc. Abandonnant toute notion d’autonomie stratégique, courant piteusement se réfugier à l’abri théorique de l’OTAN, l’Union européenne pourrait bien se retrouver entraînée dans la chute de l’empire américain, trop soumise, trop muette, et trop assoupie dans un confort usurpé, pour pouvoir aider son allié à reprendre pied dans un monde qu’il ne comprend plus.

    La seule véritable urgence stratégique pour l’Europe est de regarder la réalité en face. Nous ne sommes plus les maîtres du monde.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 20 mars 2022)

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  • L'Europe en tant que cible...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux trois questions auxquelles l'Europe doit impérativement se confronter sous peine d'impuissance stratégique : celle du Brexit et de sa véritable signification, celle de l'Eurasie et celle des Etats-Unis...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    L'Europe en tant que cible

    Pendant que la mécanique à produire de la règle, de la norme et du règlement fonctionne à plein régime au sein de l’Union européenne, l’Europe est en proie à une guerre qui ne dit pas son nom, livrée par des ennemis qui ne disent pas leur nom et que nul en son sein n’ose désigner.

    Pour que la boussole stratégique ait quelque chance d’être autre chose qu’une machine à cacher le réel, mieux vaudrait sortir du non-dit et regarder en face trois réalités éclatantes.

    D’abord, le Brexit. Le choix incontestable de sortir de l’Union européenne décidée par les Britanniques à une nette majorité à l’occasion d’un referendum marqué par une très forte participation n’a pas été vu pour ce qu’il était et pour ce qu’il entraînait. Ce qu’il était ? Le choix du grand large, le choix d’une puissance maritime rejoignant les États-Unis dans la défiance à l’égard d’un continent qui pourrait disputer aux Anglo-saxons la suprématie mondiale. Ce qu’il entraînait ? La mobilisation de la diplomatie et des services britanniques contre une Union européenne qu’après l’avoir quittée, après s’être jugée mal traitée par les négociateurs européens, la Grande-Bretagne n’a aucune raison de ménager.

    Dans les Balkans comme en Ukraine, en mer Baltique comme dans l’Indo-Pacifique, en Afrique subsaharienne comme aux Proche et Moyen Orients, nous commençons seulement à voir les effets d’un jeu britannique qui retrouve avec bonheur ses constantes ; diviser pour régner, semer les graines de la discorde et de la guerre à l’extérieur pour avoir la paix chez soi, confronter les Unions bricolées à leur inconsistance et à leur faiblesse existentielle. Inutile d’ajouter que l’Union dans ses dérives prête le flanc aux opérations britanniques !

    Ensuite, l’Eurasie. L’avertissement de Mackinder est dans toutes les consciences américaines et britanniques ; qui contrôle l’océan de terre qu’est l’Eurasie contrôle le monde. Chacun connaît la constante de la politique britannique à l’égard du continent ; semer la division et la discorde pour que jamais aucune puissance terrestre européenne ne puisse menacer la suprématie britannique sur les mers ; les familiers de la thèse de doctorat de Kissinger se rappelleront que c’est à une science consommée de l’équilibre européen que Metternich et Castelreagh, avec l’aimable appui de Talleyrand, doivent de rétablir très vite la France de 1815 dans l’intégrité de son territoire afin de prévenir une suprématie de la Russie tsariste incontrôlable — une science qui fera totalement défaut à Woodrow Wilson et aux Alliés quand ils imposeront à l’Allemagne une paix introuvable en 1918.

    Moins nombreux sans doute sont ceux qui distinguent les forces à l’œuvre. Et chacun devrait voir que la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne a changé le jeu, ce que l’alliance Aukus signifie — pas une affaire de sous-marins, une affaire de puissance dominatrice dont l’Europe est exclue. Ajoutons cette conviction rappelée par Kissinger ; un système ternaire est par nature instable, tôt ou tard les « non -alignés » doivent choisir leur camp. Dans l’affrontement déjà en cours entre l’hyperpuissance américaine fondée sur l’attractivité unique d’un modèle de société qui promettait à chacun d’avoir toutes ses chances, et un « rêve chinois » qui prend une consistance imprévue et largement sous-estimée en Europe, Russie comme Europe sont les variables d’ajustement que ne sont pas l’Afrique, l’Amérique latine ou même l’Inde.

    Tout le jeu anglo-américain consiste à éviter l’émergence d’une Europe libre comme troisième puissance mondiale, une place qui lui reviendrait à bien des égards (à l’exception du militaire), tout en s’assurant que jamais l’Europe ne puisse lier son destin à l’Eurasie et à son indépendance. Cette position suit le mot d’ordre du premier patron de l’OTAN, Lord Jenkins ; «  tenir l’Allemagne en bas et la Russie dehors ». Elle est aussi justifiée par l’attitude de la majorité des pays européens, fort heureux d’avoir financé un luxe social sans équivalent dans le monde en faisant payer leur sécurité extérieure par les États-Unis, et en abandonnant le soin d’y veiller à l’OTAN (la France représentant une partielle et remarquable exception).        

    Enfin, les États-Unis. Tout citoyen d’une Nation européenne sait ce qu’il doit aux États-Unis — ou devrait savoir qu’il leur doit bien moins la victoire sur le nazisme, remportée par la Russie soviétique au prix d’inconcevables sacrifices, que la libération de l’Europe de l’Est du joug soviétique, provoquée par une pression stratégique intense aboutissant à l’explosion interne du régime. Sans guerre, faut-il rappeler à ceux qui s’obstinent à voir dans la Russie une puissance belliqueuse ; un Empire qui se dissout sans conflit est une exception dans l’histoire trop peu signalée. Tout Européen doit aussi savoir que pour l’Europe notamment, les États-Unis ont été une puissance d’ordre et de progrès, maître pendant cinquante ans (jusqu’au bombardements de la Serbie) de la paix sur un continent recru de guerres civiles.

    Mais tout citoyen européen devrait aussi savoir que le moralisme dévoyé qui continue de dominer la posture stratégique américaine — nous le Bien, les autres, le Mal, revu et corrigé par le mouvement LGBT, l’idéologie « Woke » et le racialisme — ne laisse que peu de place au réalisme, à des alliances entre égaux, ou à la définition d’ententes partielles et d’accords limités. « Vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous » ; l’oukaze de Georges Bush jr exprime une position constante de la diplomatie américaine dont les Européens devraient tirer toutes les conséquences ; les États-Unis n’ont pas d’alliés, ils n’acceptent que des supplétifs — ou des mercenaires.

    A l’exception incertaine de la Grande-Bretagne, les pays européens qui se reposent sur l’alliance américaine ne doivent pas s’y tromper ; ils peuvent être requis à tout moment de s’engager dans des guerres qui ne sont pas les leurs, pour des enjeux qui ne sont pas les leurs, au nom de choix qui ne sont pas les leurs, et d’ailleurs qu’ils ne comprennent pas. Et ils sont instrumentalisés par des campagnes de désinformation d’une exceptionnelle violence notamment contre la Russie et désormais contre la Chine, destinée à faire oublier cette réalité ; sur les cinquante ans écoulés depuis la décision de Nixon de suspendre la convertibilité du dollar en or, le plus constant adversaire de l’indépendance européenne et de l’avènement d’une Europe puissance d’équilibre dans un monde multipolaire, aura été les États-Unis, malgré, ou en raison même de la dépendance consentie à leur égard.

    S’il est un thème qui sonne juste dans le discours d’Emmanuel Macron, c’est celui de l’autonomie européenne, au prix d’un effort de défense dont chacun voit qu’il s’inscrit en dehors de l’OTAN — mais un thème qui résonne dans le vide, aucun des États membres de l’Union ne le reprenant à son compte.

    Ces trois facteurs déterminent la situation actuelle ; l’Union européenne est attaquée de l’extérieur. Ceux qui l’attaquent pour la diviser et l’affaiblir sont ses alliés désignés qui entendent la ranger à leurs côtés dans la lutte naissante pour un nouveau partage du monde. La lecture la plus vraisemblable de l’épisode ukrainien est simple ; provoquer la Russie en multipliant les bases américaines à ses frontières immédiates, et en ignorant au nom de grands principes sa légitime préoccupation de sécurité (principe de liberté des alliances et d’immuabilité des frontières, au mépris en Crimée et dans le Donbass ou à Donetzk de la volonté des peuples) a d’abord pour effet d’assurer la dépendance stratégique des pays d’Europe, une dépendance marquée aussi bien par les achats démesurés au complexe militaro-industriel américain que par l’absence totale de sens critique à l’encontre des manipulations de l’information — allant jusqu’à reprocher à la Russie de faire manœuvrer ses troupes sur son propre territoire, mais ignorant la présence coloniale de troupes américaines en Europe !

    Combien de collaborateurs de l’occupation américaine au sein du Parlement européen ? Combien s’empressent de saper les volontés françaises d’autonomie affirmées dans la PFUE au nom des soumissions confortables au parti de l’étranger ?

    Il est clair que l’Union européenne est la grande perdante de l’affaire ukrainienne. Elle en sort marginalisée, dépendante, et apeurée. Il est clair que, malgré les réserves allemandes et françaises, un suivisme européen béat a dégradé les conditions du dialogue stratégique entre la Russie et les pays de l’Union européenne. Et des pays ont accepté les bases américaines et les systèmes d’armes américains qu’ils refusaient jusque là, l’exemple de la Bulgarie parlant de lui-même !

    Comme il est clair que les tensions régionales réveillées à cette occasion, y compris avec la Serbie, la Bosnie et Républika Srpska ou avec l’importation de djihadistes de Syrie vers les foyers de crise européenne préparent déjà les opérations de déstabilisation qui permettront de couper les « Routes de la Soie » et de réaliser ce « containment » de la Chine qui, sous prétexte de « conditionnalité », est l’obsession actuelle des « puissances de la mer » pour diviser, opposer et affaiblir l’Europe.  

    L’Union européenne est sur le reculoir. La haute prétention du Haut représentant, Josep Borrell — représentant de quoi ? — ne fera pas longtemps illusion. En Europe comme en Afrique, aux Moyen et Proche-Orient comme en Asie, l’Union européenne réalise la sentence de Kant ; elle a les mains propres, mais elle n’a pas de mains ! Et répond en écho la question de Staline ; l’Union européenne, combien de divisions ?

    Que ce soit aux Balkans ou dans le Donbass, la Grande-Bretagne et les États-Unis n’auront aucun mal à provoquer les conflits locaux qui feront éclater l’inconsistance stratégique de l’Union. Pour améliorer sa situation, elle doit au plus vite intégrer les conséquences géopolitiques du Brexit, reconnaître sa condition continentale et eurasiatique, accepter qu’à la fois le « toujours plus d’Union » et le bénéfice de l’adhésion à l’Union ne vont plus de soi. Elle doit plus encore reconnaître que l’intérêt national ne commande plus l’adhésion à l’Union comme par le passé. Aujourd’hui, pour nombre de pays et pas seulement à l’Est, entre la sujétion à une Union intrusive et punitive, et la sécurité fournie à bas prix par les États-Unis, le calcul est vite fait !

    D’autant que le Brexit change la stature de l’Union, et son intérêt. D’abord parce que la France demeure la seule puissance dont la diplomatie est mondiale et l’empreinte présente sur cinq continents et quatre océans — oublions même sa force nucléaire. La capacité d’intelligence du monde dont peut faire preuve l’Union n’en sort pas grandie. Le départ de la Grande Bretagne prive l’Union de bien plus qu’un État membre de 60 millions d’habitants ; d’une conscience du monde et d’une présence au monde.

    Est-ce un hasard si les accords de coopération militaire de Lancaster House ont laissé plus de bons souvenirs à nos armées que les accords de coopération franco-allemands ? Ensuite, parce que la dynamique britannique qui a abouti au Brexit donne à réfléchir ; plus la pression post nationale, intégratrice, destructrice des libertés nationales augmente, plus les bénéfices concrets de l’Union doivent être tangibles, plus l’Union doit délivrer de la valeur pour faire passer ses « valeurs » frelatées — la dissolution des Nations qui livre les peuples sans résistance aux élites du capital. Des Pays-Bas à la Pologne et de la Grèce à la Bulgarie, chaque Nation fait la balance des coûts et des bénéfices, chaque Nation compare les coûts de l’Union et ses avantages. Voilà ce qui est en jeu derrière les débats avec le groupe de Visegrad, et voilà ce qui devrait rendre prudente l’Union dans ses menaces et ses sanctions à l’encontre de la Pologne et de la Hongrie.

    Car elles sont loin d’être seules à se poser la question ; cette Union qui prétend décider d’un modèle de société et d’un type de vie, où en sera-t-elle demain ? Le Pacte de Migration, la soumission au lobby LGBT, les injonctions touchant aux mœurs et à la parentalité n’ont jamais été dans les traités. Le coup d’État permanent qu’entendent conduire les Cours européennes insulte l’histoire et la civilisation européennes. Et les Nations européennes sont nombreuses à envisager une réponse détonante ; si la sécurité extérieure est fournie par les États-Unis à bas prix, si les accords commerciaux sont mondiaux, globalisés et le marché intérieur européen inconsistant, le rapport coût-avantage ne joue plus en faveur de l’Union. Un Polexit, avant et avec d’autres, devient d’autant plus possible que la diplomatie britannique et l’empreinte américaine se font plus présentes, plus engageantes et plus pressantes.

    Et l’alliance de la diplomatie britannique et de l’argent américain peut faire merveille en ce domaine. La boussole stratégique en parlera-t-elle ? Nous vivons un moment semblable à celui de 1974, quand tout le poids des États-Unis se porta sur une Europe qui faisait semblant de diverger de la voie qui lui était tracée, entre Michel Jobert, Willy Brandt, Edward Heath, et qu’une autre génération de dirigeants, dont Valéry Giscard d’Estaing, ramena bien vite à la soumission. La Communauté européenne avait vécu son moment gaullien ; il reviendra aux travaillistes d’abord, puis aux socialistes, de la plier à l’agenda américain.   

    Le grand jeu qui oppose la Chine et les États-Unis lui aussi va peser lourd sur l’Union. Bien sûr, les États-Unis souhaitent isoler, contrôler et enrôler l’Union dans leur combat, comme ils l’expriment sans fards avec cette « conditionnalité » généralisée des échanges qui est un autre nom du protectionnisme intelligent. Mais il faudrait être naïf pour s’enfermer dans la vieille équation ; «  les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». La Chine elle non plus ne fait pas preuve d’un immense respect pour la souveraineté des Nations européennes, comme elle le montre face à la Lithuanie, elle ne manifeste pas une admiration révérencielle pour l’Union, et son soutien à l’affirmation d’une Europe puissance est pour le moins réservé.

    La réalité est que la Chine s’accommode bien du face à face avec les États-Unis, et de la simplicité d’un système binaire qui conduit au partage du monde — toute la question étant ; qui contient l’autre, des États-Unis qui multiplient les bases militaires et les laboratoires de guerre biologique aux confins de la Russie (Géorgie, Bulgarie, etc.) ou de la Chine qui étend ses « Routes de la Soie » à l’Argentine et à l’Équateur ? Les provocations américaines en Ukraine ont eu pour premier effet que la Russie tourne le dos à l’Union européenne et même, qu’elle ferme ses portes à ses vieux interlocuteurs qu’étaient la France et l’Allemagne — mieux vaut parler au maître qu’au serviteur, doit penser le Kremlin.

    Ont-elles un autre objectif que l’abaissement de l’Europe, aussi bavarde qu’impuissante ? Et la Chine ne peut que se réjouir du reclassement en cours depuis bientôt quinze ans, qui attire la Russie à l’Est et fait du Pacifique le cœur géopolitique du moment. L’Union européenne comme la Russie devraient se souvenir qu’à l’origine, le rapprochement sino-américain s’est fait contre l’Union soviétique, et que l’histoire coloniale oppose bien davantage la Chine à l’Europe et la Russie qu’à des États-Unis qui ont longtemps soutenu la lutte anticoloniale puis antisoviétique de la République populaire de Chine !        

    Dans le grand jeu du renversement du monde qui s’engage, l’Europe est une cible. Comme l’industrie automobile allemande a été une cible désignée à maintes reprises par Donald Trump, désormais réduite à dépendre à 80 % des USA pour le soft et à 80 % de la Chine pour les batteries. Comme l’industrie européenne et d’abord française de l’armement est une cible, qui doit être privée de sa capacité à exporter des matériels non soumis aux contraintes américaines — et la coalition allemande de s’y employer. Le mode de vie européen est une cible, que les Verts émargeant aux Fondations américaines agressent avec une énergie punitive que rien ne justifie sur le continent le plus respectueux de l’environnement qui soit, et qui a vu la pollution dans ses villes se réduire par un facteur 5 en cinquante ans (d’où l’absurdité des mesures qui frappent des millions d’automobilistes) !

    Le commerce européen est une cible, qui doit se plier aux conditions imposées par Washington, aux embargos et sanctions unilatérales frappant les pays non alignés, et à la dictature financière des géants de Wall Street et de la City. L’Europe doit être réduite à la dépendance du GNL américain, donc Nordstream2 doit être coupé et plus encore, le nucléaire Européen doit être fragilisé pour que la précarité énergétique réduise l’Europe à l’obéissance. L’Europe est une cible, et tout l’intérêt de la manœuvre ukrainienne est d’avoir réduit à rien le dialogue stratégique de l’Europe avec la Russie, malgré les efforts pour une fois méritoires d’Emmanuel Macron et les arrière-pensées manifestes de l’Allemagne.

    Qui a envie de dépendre du gaz de schiste et du GNL américain ? Le recul stratégique de l’Europe est considérable, et il faudra des années pour le rattraper. La Chine a pris conscience de la faiblesse et de l’inconsistance européenne ; qu’il lui sera facile de diviser pour régner ! La Russie ne croit plus que soit utile le dialogue avec l’Europe, et l’Europe ne mesure pas ce qu’elle a perdu en souscrivant aux manipulations américaines — et d’abord, tout respect pour son intelligence stratégique.

    Car voilà le vrai jeu, le grand jeu du moment. La recomposition de l’Eurasie est en cours. Elle est d’importance mondiale. Aukus en est un signe, comme en sont tant d’autres, par exemple ces « five eyes » dont la France est exclue. L’arbitraire des sanctions économiques et commerciales comme celui des embargos, la menace de rupture des relations financières à travers Swift, comme la montée en puissance des contrats en yuan gagés sur le marché de l’or de Shanghaï (de l’or physique, pas du papier or !), ont pour effet de coaliser les cibles, des cibles qui représentent les deux tiers de la population et la moitié de l’économie mondiale.

    Et le moment est venu pour chaque Nation d’Europe de s’interroger ; son intérêt est-il de rester lié à un système parasité par les monopoles et par une finance tentaculaires, qui se mue en économie de rente, et à une puissance qui ne sème que le chaos et la destruction sur son passage, ou bien de se tourner vers le soleil qui se lève à l’Est, et promet à l’Europe le beau destin d’une puissance d’équilibre, capable de faire la balance entre toute puissance qui entendrait dominer le monde, capable de se tenir debout, et fière, et seule, entre terre et mer, entre Est et Ouest, sans dépendance, sans soumission, et sans collaboration ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 18 et 20 février 2022)

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  • Vous avez dit « national libéral » ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré à la question du national libéralisme.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Vous avez dit « national libéral » ?

    Est-ce par hasard ? Les débats d’idées, qui sont aussi des débats de principes, n’ont pas leur place au Parlement européen. Tout est fait pour spécialiser, cantonner, séparer les sujets. Le jeu des commissions, les procédures qui président aux rapports, et jusqu’aux modalités de leur rédaction. Le terrain est bien balisé pour les experts et les sachants en lieu et place du suffrage universel, et pour des élites autodésignées sans responsabilités ni comptes à rendre, d’abord soucieuses d’éviter tout débat proprement politique. Pas question par exemple de lier protection de l’environnement et préférence nationale. Pas question d’interroger le lien entre montée de la pauvreté et totalitarisme du capital. Ni de lier destruction des syndicats et des corps intermédiaires avec recours massif à l’immigration.

    Le débat est relancé

    Ces débats autour du libéralisme, de la forme politique, de la souveraineté, de la démocratie, qui ne pourront être évités, nous les retrouvons au niveau national. La politique de Victor Orban assure la sécurité énergétique des Hongrois parce qu’elle lie organisation du marché et autonomie stratégique. La Bulgarie, dont la population comme le Premier ministre y étaient hostiles, accepte l’ouverture d’une base militaire américaine en vertu de promesses qui ne peuvent être refusées — seront-elles tenues ? Et le débat présidentiel français ouvre un nouveau chapitre dans le grand débat entre la droite et la gauche, le peuple et l’élite, le nationalisme conservateur et le nationalisme libéral.

    Un débat renouvelé par un constat largement imposé ; gauche et droite ne seraient plus l’axe de partage de l’électorat. L’analyse est portée notamment par ceux qui, tel Jérôme Sainte-Marie, voient dans l’affrontement d’un bloc élitaire et d’un bloc populaire la clé des élections à venir. Elle se nourrit en grande partie, des travaux de l’essayiste britannique établissant que la séparation entre les « nowhere », ceux qui n’ont plus d’attache déterminante avec un territoire, et les « anywhere » ceux qui sont de quelque part, à la fois se radicalise et reclasse les appartenances politiques ; on y retrouve sans surprise le diagnostic de la trahison du socialisme au nom du globalisme, un ralliement dont des « socialistes » comme Henri Weber ou Jacques Attali sont en grande partie responsables, au bénéfice exclusif des trusts financiers et des minorités appelées à dissoudre la conscience de classe aussi bien que le sentiment national.

    Mais il est aussi permis de la rapprocher du regard posé par Marcel Gauchet sur une aventure macroniste qui emploie sans le dire et sans l’admettre une grande partie des ressorts populistes, ignorant les partis, adoptant les postures du moment sans souci de ligne politique — le fameux « en même temps » — et usant avec bonheur des transgressions qui permettent d’opposer le « moderne » et le « dépassé », le mouvement et l’arrêt, bref, le bien et le mal.

    À l’évidence, l’évolution actuelle du débat présidentiel donne quelque consistance à la thèse. France d’en haut contre France d’en bas ; les Gilets Jaunes, et jusqu’au « Convoi de la Liberté », rejouent une scène connue, et dont malheureusement les résultats sont également connus. Il faut ici en revenir aux grands moments de l’histoire de France, et notamment à l’analyse de l’historien britannique (et trotskyste) Perry Anderson sur les effets sociaux de la Révolution française ; le peuple a fait le travail pour la bourgeoisie, il s’est battu pour qu’une nouvelle élite remplace l’ancienne, ou parfois la rejoigne, sans que grand-chose change pour lui. Le constat est rude, mais vaut d’être examiné ; un mouvement populiste qui n’est que populaire est condamné à être trahi par l’élite qu’il ne peut manquer de mettre en place.

    D’ailleurs, la plupart des mouvements populistes dans l’histoire n’ont ils pas été dès le départ mobilisés et utilisés par les élites montantes pour détrôner l’élite en place ? Le naufrage des nobilités socialistes et républicaines laminées par le macronisme et ses dévots en serait un bon exemple, récent et toujours actuel !     

    La thèse n’épuise pas le débat. D’abord parce que, comme l’analysent aussi bien Alain de Benoist que l’analyste conservateur chrétien et américain Gladden Pappin, gauche et droite sont d’abord des repères spatiaux sans contenu défini. En d’autres termes ; la facilité intellectuelle comme la nécessité de répartir les élus dans les assemblées continuera de faire vivre les notions de droite et de gauche — à moins de leur substituer celle d’en haut et d’en bas, mais pour changer quoi ? Ensuite et surtout, parce que la nouveauté du débat fait émerger sans l’épuiser la nouveauté de la question démocratique. Que deviennent en ce premier quart du XXIe siècle ces démocraties qui étaient tellement sûres de détenir les clés du monde ?

    À l’évidence, les clés sont brouillées. De la confusion qui monte, l’historien Ran Halévy donne un spectaculaire exemple dans l’essai ; «  La crise démocratique aux États-Unis » (Le Débat, 2022) ; prétendant analyser les troubles de la démocratie américaine, il semble attribuer une grande valeur démocratique au fait que Twitter ait censuré le Président en exercice Donald Trump ! Nous considérons tout au contraire que c’est l’absence de sanctions contre les censeurs privés, à peu près tous pro-démocrates, qui fausse le jeu démocratique — et les élections, de la même manière que l’emploi politique de l’argent des Soros, Gates, Bezos, et cie est une agression permanente contre la démocratie, c’est-à-dire la volonté des peuples, de la même manière que les pratiques américaines qui détournent l’argent des sanctions infligées aux entreprises par le Department of Justice vers les caisses des Fondations liées au parti démocrate (faites une donation, vous éviterez de payer l’amende !) portent gravement atteinte à la sincérité du scrutin.

    Que les milliardaires qui se vantent, comme Elon Musk, de pouvoir renverser n’importe quel gouvernement, soient toujours en liberté, est la plus sûre preuve de l’état post-démocratique des États-Unis — et de ceux qui, bon gré mal gré, sont contraints de les suivre.

    Et voilà où le débat s’emballe. Allons-nous vivre la première élection présidentielle entièrement commandée par l’argent, la corruption de l’argent étranger et l’achat des votes et des opinions par l’argent ? Sans y répondre pour l’instant, il est permis de considérer trois évolutions majeures.

    Patriotisme VS libéralisme

    D’abord, la séparation devenue radicale entre patriotisme et libéralisme. La révolution numérique et le totalitarisme du capital s’unissent pour détruire la Nation, la famille et l’enracinement comme les trois forces qui résistent encore à la fabrique de l’homme hors sol, l’homme de nulle part, l’homme de rien. Le libéralisme économique a désaccordé l’ambition personnelle et l’ambition collective, quand leur accord a été le secret de Rome, de l’empire britannique, comme des États-Unis jusqu’aux années 1990.

    L’atomisation de la société à laquelle œuvrent si bien les minorités bruyantes du « woke » élimine la possibilité même d’une résistance au règne absolu du capital. Voilà pourquoi tant de milliardaires financent un mouvement de destruction interne de la société américaine. Voilà pourquoi parler de national libéralisme insulte la réalité, comme la vie. La Nation ne peut pas être libérale au sens économique du terme, qui suppose qu’elle donne les clés de ses échanges, de ses territoires, de ses industries, à un marché mondial des capitaux, des changes et des droits de propriété qui ne joue qu’en faveur de la Nation la plus puissante.

    L’enrichissement des plus riches

    Ensuite, le conflit qui va devenir explosif entre l’enrichissement sans limites du plus petit nombre, le pouvoir de l’argent privé quand il se compte en milliards, dizaines ou centaines de milliards de dollars, et l’autonomie des peuples, ce qui s’appelle souveraineté. Le libéralisme économique prétend en finir avec toutes les limites quand le libéralisme politique les instaure et les tient comme condition de la paix. Dans les débats qui montent sur le pouvoir de corruption des dirigeants européens et français dont disposent les « Big Pharma », une chose est certaine, comme pour les cigarettiers, comme pour les pétroliers ; les milliards de dollars que peuvent mobiliser les Big Pharma donnent un pouvoir inouï de diffuser de fausses nouvelles, de payer des études falsifiées, d’acheter les experts, les commissions et les autorités, de réduire au silence les critiques, sans aucun contre-pouvoir capable de s’y opposer réellement. Autrement dit ; les démocraties se sont laissées mettre sous la tutelle de l’argent au nom d’un libéralisme dévoyé, qui a tout perdu en devenant libéralisme de l’individu et en oubliant d’être libéralisme politique — la faute à Benjamin Constant, parmi et avec tant d’autres !

    La technique

    Enfin, la pratique de l’économie comme science des moyens de la vie, de la technique comme moyen du progrès des conditions de vie, et l’autonomie des peuples, cet autre nom de la démocratie éclairée des Lumières. Nous en sommes au moment où l’autonomie, si longuement et durement conquise contre les Dieux, les seigneurs et les Rois, doit être reconquise contre la technique et contre l’économie. Chacun voit bien que le national libéralisme n’a qu’un projet, faire dévorer la Nation par l’entreprise, et assurer aux détenteurs du capital la bonne conscience de jadis ; les ouvriers sont mal payés mais ils vont à la messe le dimanche écouter les promesses de l’éternité ! Et s’il y a des pauvres, ils sont d’une grande Nation ! 

    Chacun sait qu’il n’a qu’un programme ; derrière les plis du drapeau, organiser la privatisation de tout ce qui peut l’être, la liquidation des systèmes de protection sociale, des mutualités nationales et des contrôles aux frontières, comme des politiques nationales d’aménagement du territoire, de relocalisation des industries stratégiques et le contrôle du capital des entreprises — proclamer son attachement à une Nation que l’on vide de tout contenu concret, à un État que l’on prive de tout moyen d’agir, pour en faire les trompes l’œil d’une occupation financière qui ne dit pas son nom. A chacun de méditer sur ce concours qu’on dit soumis à des rabbins du Moyen Age sur ce qui est le plus sacré, et qu’aurait gagné celui qui déclara ; « le pain ».

    Bien sûr, la naïveté n’est pas de mise. Jusqu’à un certain point l’intérêt de la Nation passe par l’intérêt des entreprises, qui créent les emplois, dont la productivité assurent les hauts salaires qui irriguent les territoires, et qui par l’innovation appliquée, gagnent les revenus mondiaux qui confortent le site national. Quand elles paient l’impôt. Quand elles ne délocalisent qu’en dernier choix. Quand elles servent l’intérêt national et le progrès territorial. Bien sûr, l’intérêt de la Nation passe aussi par les Fondations qu’établissent les milliardaires qui financent ce que l’État ne veut pas, ne peut pas ou ne pense pas à financer. Mais bien sûr aussi, l’État doit redéfinir les règles du jeu. Réinstituer les marchés contre les monopoles. Assurer que l’enrichissement de quelques-uns profite à tous. Rétablir des règles comptables qui confrontent l’entreprise à toutes les parties prenantes, et pas seulement au marché financier. Et, plus encore, assurer cette sécurité identitaire qui passe par la frontière, la famille, la citoyenneté et la stabilité du cadre de vie. Rien d’autre que le libéralisme politique. Si loin de ce que libéralisme économique a fait en tuant la liberté nationale, la liberté citoyenne, la seule qui vaille et qui dure. Celle de décider avec les siens d’un destin partagé.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 14 février 2022)

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  • Contre la privatisation du monde !...

    Le nouveau numéro de la revue Éléments (n°194, février - mars 2022) est en kiosque!

    A côté du dossier consacré à la privatisation du monde, on découvrira l'éditorial d'Alain de Benoist, les rubriques «Cartouches», «Le combat des idées» et «Panorama» , un choix d'articles variés, des entretiens, notamment avec les hellénistes Andra Marcolongo et Louise Guillemot ... Et on retrouvera également les chroniques de Xavier Eman, d'Olivier François, de Laurent Schang, d'Hervé Juvin, de Nicolas Gauthier, de Bruno Lafourcade, de Guillaume Travers, d'Yves Christen, de Bastien O'Danieli et de Slobodan Despot, ainsi que celle d'Ego Non consacrée à la philosophie politique...

    Eléments 194.jpg

    Éditorial

    Les limites de la puissance. Par Alain de Benoist

    Agenda, actualités

    L’entretien

    Totem et tabou de l’État de droit : l’analyse de Ghislain Benhessa

    Cartouches

    L’objet politique : le Minitel, une histoire française, si française l’école. Par Nicolas Gauthier

    Une fin du monde sans importance. Par Xavier Eman

    Cinéma : attention, enfants méchants ! Par David L’Épée

    Carnet géopolitique : Que se cache-t-il derrière la puissance ? Par Hervé Juvin

    Champs de bataille : Hohenlinden, chant du cygne du général Moreau (II). Par Laurent Schang

    Les succubes volants (1/2). Par Bruno Lafourcade

    Économie. Par Guillaume Travers

    La révolution Maulin. Le regard d’Olivier François

    Bestiaire : À la rencontre des orangs-outans dessinateurs. Par Yves Christen

    Sciences. Par Bastien O’Danieli

    Le combat des idées

    Andrea Marcolongo et Louise Guillemot : elles vont vous faire aimer le grec. Propos recueillis par Anne-Laure Blanc

    Giacomo Boni, le magicien du mont Palatin. Par Adriano Scianca

    Du postmodernisme au wokisme, aux origines d’une contagion intellectuelle. Par David L’Épée

    Mort d’Edward O. Wilson : la sociobiologie ne fait plus peur ! Par Yves Christen

    Le grand retour de l’inflation : le prix de la rareté. Par Guillaume Travers

    Lire Bernanos avec François Angelier. Propos recueillis par Pascal Eysseric et Rémi Soulié

    Eau : le retour aux sources avec Olivier Rey. Propos recueillis par Thomas Hennetier

    La Samaritaine, porteuse d’eau outragée : un rêve de touriste et de milliardaire. Par Christophe A. Maxime

    Concevoir l’architecture du XXIe siècle avec Grégoire Bignier. Propos recueillis par Fabien Niezgoda

    Renaud Camus, l’esthète et le philosophe. Par François Bousquet

    Morand-Chardonne, la correspondance de deux affranchis. Par Christopher Gérard

    Jacqueline de Romilly, pour l’amour du grec. Par Anne-Laure Blanc

    Dossier
    La privatisation du monde

    Le public et le privé en débat, origines et enjeux d’une distinction. Par Guillaume Travers

    Anatomie du gouvernement mondial : la mégamachine planétaire. Par Guillaume Travers

    La privatisation des conflits aura bien lieu : avec Sean McFate, Hajnalka Vincze, Patrick Manificat et Georges-Henri Bricet des Vallons. Propos recueillis par Laurent Schang

    Vie Inc. : les 13 cercles de l’enfer privatisé. Par Hervé Juvin

    Panorama

    L’œil de Slobodan Despot

    Reconquête : le secret le mieux gardé des cryptomonnaies. Par Slobodan Despot

    La leçon de philo politique : Gustave Le Bon. Par Ego Non

    L’autisme piégé par la psychanalyse, voyage au pays des « neuro-atypiques ». Un reportage de Daoud Boughezala

    Bande dessinée : Ulysse avait un but. Par Patrice Reytier

    Un païen dans l’Église : le sexe de l’âne bâté dans l’Allier. Par Bernard Rio

    C’était dans Éléments : Jean Cau passe à l’Est ! Par Jean Mabire

    Éphémérides

     

     

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  • Et le virus américain ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux origines du coronavirus.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    Laboratoire P4 de Wuhan

     

    Et le virus américain ?

    Les informations contradictoires qui nous viennent du Kazakhstan mélangent allègrement revanche du clan Nazarbaiev, complot d’un escroc qui aurait détourné 3 milliards de dollars et bénéficié de l’aide du MI6, et conjuration de la CIA, d’Endowment for democracy, de la Rand Corporation et des habituels suspects des « révolutions orange »…

    La guerre bactériologique

    Au moment où l’ordre règne à Astana et s’en vont les Spetsnaz de la 3è brigade, une information suscite encore le trouble ; qu’est-il advenu du laboratoire de recherche biologique financé par les États-Unis au Kazakhstan, et qui aurait pu subir les conséquences des troubles récents quand les chercheurs s’en sont enfuis précipitamment ? Si certains s’en inquiètent, c’est qu’ils ont de quoi s’inquiéter. Tout laisse en effet penser que, selon une pratique dont l’ampleur apparaît seulement, les États-Unis font réaliser et financent dans des pays lointains, à l’abri des regards, des expérimentations impossibles à conduire sur leur sol ou sur celui d’alliés plus regardants, ou plus méfiants — dans probablement pas moins de 40 sites dans le monde.

    La Russie n’a pas tardé à dénoncer des essais de guerre biologique ciblant les particularités génétiques des différentes populations russes et aussi chinoises — chacun pouvant vérifier à cette occasion que l’affirmation ; « les hommes sont tous les mêmes » est biologiquement aussi fausse  que celle qui prétendait définir des races différentes. La science décidément sert à tout, et souvent au pire.

    Et si le virus de la pandémie qui fait trembler l’Occident, promet aux participants des Jeux olympiques d’hiver l’enfermement dans des « bulles sanitaires » et referme les villes chinoises était américain ?

    Et si c’étaient les expériences américaines visant à développer des armes biologiques de destruction massive loin des regards et hors de tout contrôle des autorités scientifiques qui étaient responsables de la pandémie qui paralyse nos économies, renverse toutes les prétentions libérales, et révèle la face d’ombre des démocraties saisies de la peur de mourir ?

    Les auditions du Docteur Anthony Fauci, officiellement directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID), prétendu spécialiste des pandémies et conseiller successif des Présidents Trump et Biden, sont à cet égard du plus grand intérêt. Interrogé sous serment par le sénateur Roger Marshall, comme il l’a été par Ron Paul, lors d’échanges tendus, le Docteur Fauci paraît avoir ouvertement et délibérément menti sur ses revenus et son patrimoine, malgré… 2500 pages de documents communiqués à ce sujet par ses avocats ! Peu importe.

    Le point décisif est que le Comité de Surveillance de la Chambre des Représentants (House oversight comittee) a rendu public plusieurs mails indiquant que le docteur Fauci était au courant depuis le début que le COVID19 était issu d’une fuite de laboratoire, et que ce virus avait été volontairement manipulé afin d’obtenir le fameux “gain de fonction” le rendant plus virulent que le virus naturel, sans doute issu de chauves-souris. Le biologiste chinois dirigeant ces manipulations aurait été spécialement formé dans une Univerité américaine, et son unité de recherche aurait reçu quelques 189 millions de dollars pour stimuler ses recherches. Et le docteur Fauci a tout fait pour que la vérité ne sorte pas.

    Le point décisif est la mise en évidence des financements apportés par le NIAID dont Fauci est directeur, et deux autres organisations américaines, le NIH et Ecohealth Alliance, au fameux laboratoire de Wuhan d’où le virus serait issu (Tyler Durden, sur le site Zerohedge, a publié le détail de ces investigations le 12 janvier 2022).

    Pas par hasard ! Alors qu’un moratorium international aurait été décidé sur les recherches de “gain de fonction” des virus du SARS-COVID, les unes destinées à préparer des vaccins ou des traitements efficaces, les autres destinées à préparer des virus tueurs pour des opérations de guerre biologique ciblant des populations génétiquement distinctes, ou des territoires entiers, les unes et les autres jugées trop dangereuses pour être poursuivies, le financement du laboratoire de Wuhan aurait permis à Ecohealth Alliance de contourner le moratorium. Selon la logique même de la globalisation, les capitaux américains auraient permis à une unité de recherche américaine de faire en Chine au secret de Wuhan ce qu’elle ne pouvait pas faire aux États-Unis, en Europe, ou ailleurs.

    Le biais individuel

    A ce niveau d’interrogation, la pente est aisée. Dénoncer Fauci et ses complices, accuser la cupidité de chercheurs cherchant la fortune au risque de la santé humaine et de pandémies ravageuses… Certes. Tout le système tend à imputer d’écrasantes responsabilités aux individus, pour mieux s’immuniser lui-même contre les critiques. Désignons au plus vite des coupables, pour que rien ne change et que tout continue comme avant ! Les bûchers des sorcières ont servi la cause de la science. Les écologistes sont experts d’une manipulation qui rend chacun coupable d’un bain trop chaud ou d’une entrecôte, mais n’interroge jamais les fondements du libre-échange, des mouvements de population et de la sanctuarisation du capital, et ignore les règles comptables et l’emprise du droit de propriété qui vident de leur portée toutes les dispositions écologiques — hormis celles qui culpabilisent les individus !

    Bien sûr, le maintien en fonction du Docteur Fauci est un mystère ; sera un jour éclairé, comme le sera le suicide en prison de Jeffrey Epstein ? La question évitée est simple ; qu’est-ce qui a permis que dans ce laboratoire de Wuhan, ait lieu l’insertion dans un virus de chauve-souris ou son équivalent, exactement au même moment, de 4 acides aminés et de 12 nucléotides, seule capable de déclencher le gain de fonction recherché — rendre le virus beaucoup plus rapidement transmissible à l’homme (selon un échange de mails entre Mike Farzann découvreur du porteur du SARS, et le chercheur Bob Garry) ?

    Elle est rendue plus simple encore par les multiples pressions, intimidations et opérations de désinformation qui ont pendant plusieurs mois interdit à tout chercheur de faire part de ses doutes sur l’origine naturelle du virus ; du Lancet au Nature Médicine, des dizaines d’articles ont été retirés de la publication, pendant que d’autres sans comité de lecture ni sources scientifiques, interdisant d’évoquer une fuite de laboratoire, notamment ceux de Peter Daszak, étaient publiés sans recul, sans contradiction, ou simplement débat.

    Voilà qui dépasse de loin la culpabilité d’un homme ou de quelques complices. Le système des publications scientifiques, ces fameuses revues à comité de lecture, a failli. L’intérêt a fait loi ; les financements des Big Pharma sont si confortables ! Le système de financement de la recherche a lui aussi failli. Comment admettre que des capitaux privés puissent financer en Chine des recherches interdites aux USA et en Europe parce que trop dangereuses ? Et comment ces capitaux pouvaient-ils espérer tirer bénéfice d’opérations interdites, potentiellement criminelles, voire génocidaires ?

    Et, à la fin, comment tolérer que la santé humaine, et plus encore la peur de la mort, puissent constituer des sources de revenus pour les entreprises des “Big Pharma” qui jouent de la vie comme de la mort, et savent faire payer ce qu’il faut pour accorder à ceux qui ont peur de mourir “encore une minute, Monsieur le bourreau” ?

    Un fait aurait du alerter les oreilles fines ; la rapidité avec laquelle l’accusation américaine désignant la Chine comme responsable du “virus chinois” s’est dissipée. Pas par hasard, ni par générosité face à l’ennemi désigné. Faut-il en conclure que l’administration américaine si bien renseignée était au courant de la compromission de capitaux américains, de chercheurs américains et d’entreprises américaines dans le chaudron des sorcières de Wuhan ? Faut-il en déduire que beaucoup ont su, qui ont jugé plus prudent de se taire, et de ne pas poursuivre des accusations qui à tout moment pouvaient se retourner contre leurs accusateurs ?     

    La question reste ouverte. En l’état actuel des auditions au Sénat et à la Chambre des Représentants, beaucoup incite à conclure que le virus de Wuhan est un virus financé, développé, préparé par les chercheurs américains. Beaucoup d’éléments incitent donc à affirmer que le virus qui ravage le monde est un virus américain, le fruit empoisonné du vertige technologique, de l’appât du gain et de la fuite en avant d’une recherche que plus personne ne contrôle vraiment.

    A ce stade, une question demeure. Que faisaient à l’inauguration de laboratoire de Wuhan l’ancien Premier ministre français M. Cazeneuve, et le mari de la ministre de la Santé, M. Buzyn ? Aux côtés de l’éminent Docteur Fauci, du tourisme sans doute. Il est vrai que Wu Han étant l’un des sites de repos hivernal du Président Mao, c’est là que l’on déguste le meilleur gras de porc de toute la Chine. Et cela vaut bien un voyage chez les sorciers du vivant.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 14 janvier 2022)

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