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hervé juvin - Page 35

  • Ni libre-échangisme, ni protectionnisme, pour des échanges choisis !

    Un nouveau texte d'Hervé Juvin cueilli sur son site Regards sur le renversement du monde...

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    Ni libre-échangisme, ni protectionnisme, pour des échanges choisis !

    Le débat sur la liberté des échanges fait une entrée encore discrète, mais puissante, dans la campagne présidentielle. Le constat est largement partagé ; la mondialisation des échanges nous emporte là où nous ne savions ni ne voulions aller. Elle a été engagée par la volonté de Roosevelt et de Churchill, lors du Pacte de l’Atlantique, en 1941, sous le signe de l’ouverture du monde aux entreprises anglo-américaines. Elle ne se réalisera que progressivement, à la faveur de l’occupation idéologique qu’assure le plan Marshall en Europe occidentale, puis de la montée en puissance des institutions supra-nationales et des investisseurs privés. L’affaiblissement parallèle des Nations et de leurs frontières, l’a rendue irrésistible à la fin des années 1970. Elle a tenu certaines de ses promesses. Elle a rempli les rayons des supermarchés, elle a dispensé l’Occident de faire face au vrai prix de son endettement, et elle a permis à une grande partie de ce qui était le Tiers-Monde, notamment en Asie, deux à trois décennies de croissance d’une extraordinaire vigueur ; la transformation de la Chine, réalisée à partir de la décision de Deng-Xiao-Ping en 1978 de faire entrer la Chine dans le marché mondial, est sans précédent dans l’histoire, et pour un pays de cette dimension ! Sortie de la pauvreté et de la peur du lendemain, accès de centaines de millions d’hommes à une aisance, au moins relative, enrichissement inouï des agents, des financeurs et des teneurs de péage des échanges mondiaux, qu’ils soient d’informations, de biens, de services, d’hommes ou de capitaux ; mais à quel prix ! La destruction du monde comme nature, comme gratuité et comme don, est en voie d’achèvement ; les « fake things » chères aux Américains comme aux Chinois, en ont fini avec la beauté du monde. La diversité, qui est l’humanité, se rétablira au prix d’une violence dont les prémices sont déjà là. Et les sociétés occidentales sont des sociétés éclatées, entre une caste qui détient l’accès aux media, fabrique les représentations qui la justifient, prélève sa rente sur tout ce qui bouge, et une caste sans cesse plus nombreuse qui subit la mobilité comme une agression, se voit peu à peu réduite à la survie, dépossédée de tout ce qui la rendait sûre d’elle, confiante dans l’avenir comme dans ses voisins. La décivilisation gagne une France, une Grande-Bretagne, qui ne peuvent nier la tiers-mondisation qui monte. Ceux qui ont parlé du bonheur français devront bientôt parler de l’enfer des classes moyennes, ces classes moyennes qui ont adoré la baisse des prix à la consommation, sans voir qu’elles achetaient la baisse des salaires et des emplois, ces braves gens qui se sont réjoui du développement de la Chine, de la Corée, comme de tant d’autres, grâce au libre-échange, sans voir qu’ils seraient bientôt payés comme un informaticien indien, comme un ouvrier chinois – ou perdraient leur emploi !

    La prise de conscience est rapide. L’interdépendance financière est la clé de l’extension dramatique de la crise, et le monde s’en est sorti grâce aux pays dont les monnaies ne sont pas convertibles, dont le système bancaire est fermé et le marché des capitaux protégé. La spécialisation internationale des cultures est le principe de la famine, et de la situation explosive d’Etats africains riches en terres, riches en actifs, et qui ne produisent pas de quoi nourrir leur population. Le libre échange a été une arme stratégique de destruction massive pour les pays dont une solide préférence nationale, ou un cynisme avéré, ne leur permettaient pas de résister, de défendre, de protéger. La France s’est voulu bon élève de l’Europe ; elle a voté des textes, elle les a même appliqué, ce que maints de ses concurrents se gardaient bien de faire. Elle célèbre le nombre de ses champions mondiaux ou européens, et la fortune de Bernard Arnault, devenu quatrième homme le plus riche du monde, oubliant que les trois quarts de l’activité de ces champions ont lieu loin de France, et qu’ils y paient de moins en moins l’impôt, quand ils en paient. Elle en est probablement à un degré de désindustrialisation qui fait perdre, non seulement des usines, des capacités de production, mais la possibilité même de produire ce qui a été délocalisé. Sa situation stratégique est particulière, y compris par rapport à certains de ses grands voisins européens ; pour un grand nombre de produits de la vie courante, comme de biens d’équipement, la production nationale est nulle, à la différence notable d’une Allemagne qui a conservé, même de manière marginale, une capacité à produire beaucoup plus diversifiée. Si l’indicateur de la capacité d’une économie à produire une part des biens et services nécessaires à sa population est bien un indicateur pertinent de la résilience stratégique, il faut mesurer la fragilité de la position stratégique vers laquelle le libre-échange et la supposée «  loi du marché » nous ont conduits !

    La question est posée ; comment en sortir ? Comment sortir d’une idéologie qui, du libre échange, a fait le libre échangisme comme dogme, comme croyance et comme interdit ? Et comment en finir avec les affirmations, aussi fausses que terroristes, qui veulent que tout économiste digne de ce nom soit favorable à la liberté des échanges ? D’abord en rappelant quelques vérités malséantes. Jamais le libre échange n’a été aussi de rigueur dans le monde qu’à la veille de la première guerre mondiale. Union postale internationale, Cour de la Haye, heure universelle GMT, câbles sous-marins, financement de toutes les aventures du globe par les rentiers britanniques et français… chacun connaît la suite de l’utopie planétaire qui régnait alors ! Jamais les Etats-Unis n’ont abandonné quoi que ce soit de leur souveraineté aux principes du libre échange, comme d’ailleurs aux prétendues règles du consensus de Washington, adoptant ce principe pour eux sage ; les institutions internationales sont pour les autres, leurs décisions s’appliquent aux autres, nous nous occupons très bien de nos propres affaires ! Et soyons certains que l’acquisition projetée d’une société de haute technologie par une société d’armement française, objet d’un examen par la commission américaine spécialisée, sera examinée sans préjugé, mais sans complaisance… au moment où un groupe chinois veut racheter Latécoère, il est bon de l’observer ! Jamais non plus le libre-échange n’a été universel, touchant tous les secteurs et tous les domaines ; l’agriculture est l’un des secteurs, avec la terre et l’éducation, dont seule une immense manipulation des esprits et de l’information a pu faire croire qu’il relevait d’un marché mondial !

    Ensuite en affirmant sereinement que le libre-échange actuel annonce la ruine du capitalisme et la destruction de nos démocraties occidentales. Car la question n’est plus, aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, en France comme en Italie, de constater des écarts de revenus et de patrimoines entre membres de la même société, entre concitoyens ; la question est de constater que les écarts de revenus et de patrimoines font vivre les uns et les autres sur le même territoire, mais dans des mondes différents. Car la question est que l’augmentation des revenus et des patrimoines de tous ceux qui participent à l’aventure de la mondialisation, plus encore de ceux qui touchent les rentes de positions inexpugnables de péage sur les flux de la mondialisation – gérants de capitaux, avocats et fiscalistes, intermédiaires de marché et banquiers, etc. – les dispense de faire société avec ceux qui, autour d’eux, voient leur condition se dégrader parce qu’ils sont soumis, de plus en plus durement, et de plus en plus près, à la concurrence des nouveaux entrants sur le marché mondial du travail, des compétences ou de l’énergie. Le modèle n’est pas celui du Moyen-Age, où, comme le rappelait Adam Smith, le seigneur était responsable de tous ceux qui vivaient sur sa seigneurie ; le modèle est celui de l’esclavage, où quelques maîtres disposent des milliers d’esclaves qu’ils vendent, échangent, déplacent à leur guise. Avec les produits du tiers-monde, nous importons aussi le tiers-monde. Le libre-échange à la fois se nourrit et accélère la destruction des cadres institutionnels qui faisaient société entre nous. Incapacité de dire le droit ; incapacité de décider des normes et des règles ; incapacité de choisir de l’extérieur quoi et qui on accepte, quoi et qui on refuse ; le libre-échange entend réaliser concrètement la malédiction de Margaret Thatcher, « There is nothing as a society», qui contient la négation de l’Europe, puisque l’Europe est d’abord la société européenne. Et il le fait en permettant que tout devienne moyen de la concurrence ; tout, c’est-à-dire la destruction de l’environnement, l’esclavage, la manipulation de l’opinion, la vente à perte, etc.

    Enfin, en posant des principes. Le premier s’applique notamment à l’industrie et à l’agriculture ; le libre-échange, ce n’est pas le renard libre dans le poulailler libre ! Le moins-disant réglementaire, environnemental, social, n’est pas un facteur structurel de compétitivité ; ce qui signifie qu’il est parfaitement légitime d’en corriger les effets et de rétablir les bases d’une concurrence juste et non faussée. Le second en appelle à la conscience nationale, et promeut le « buycott » plutôt que le « boycott » ; l’origine des produits, la localisation de la valeur ajoutée, doivent redevenir des motifs d’achat, ils doivent permettre l’expression de la préférence pour soi des Français et des Européens. Il faut, et il suffit, que l’appellation « Fabriqué en France », ou bien « Fabriqué en Europe » et l’indication de la part de la valeur du produit crée en France ou en Europe figure sur l’étiquette. Le troisième ouvre le chantier de la taxe environnementale et sociale. Chantier impossible ? Chantier évident au contraire, puisqu’une hausse de la TVA permet très bien de faire payer aux produits importés une contribution à la protection sociale des Français et à l’amélioration de leur milieu de vie – TVA qui peut être modulée en fonction des engagements sociaux, nationaux et environnementaux des entreprises productrices. Le quatrième chantier commence par l’identification des secteurs stratégiques, ceux qui commandent la résilience de la Nation, ceux dans lesquels une dépendance vis-à-vis de l’extérieur peut limiter ou condamner l’indépendance des choix de la France. Information et spectacle ; alimentation ; énergie ; télécommunications ; marchés financiers, banque et gestion de capitaux ; conseil aux entreprise et audit ; utilities ; dans ces domaines, l’interdépendance est une dépendance, et limite la souveraineté. C’est pourquoi il faut ouvrir, dans chacun de ces domaines, l’analyse et la recherche de modèles de propriété qui allient la propriété du capital, la connaissance des associés, et l’intérêt territorial ou national. A l’évidence, la forme coopérative est l’un des modèles, sinon le modèle à étudier. C’est pourquoi aussi, dans tous les domaines de fournitures aux collectivités publiques, un « small business act » à la française, réservant une part des commandes à des entreprises de taille petite ou moyenne, doit être étudié. Le cinquième chantier est d’une toute autre nature. L’impérialisme de l’économie n’a pu s’affirmer qu’à la faveur de l’individualisme souverain, du désarmement du peuple par le droit, le contrat et le marché. L’identification des Français à un projet collectif, la mobilisation des Français pour la reconquête de leur autonomie collective, la préférence des Français pour ce qu’ils sont et pour ce qu’ils font, est la seule condition d’une véritable maîtrise des échanges. Les Français ne survivront pas qu’ils ne l’aient pas voulu, choisi et mérité.

    Hervé Juvin, 21 mars 2011

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  • Vers une insurrection des différences ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte de Christopher Gérard consacré à l'essai d'Hervé Juvin, Le renversement du monde, et au roman de Jean Raspail, Le Camp des Saints. Christopher Gérard, ancien directeur de la revue d'études polythéiste Antaios, est l'auteur de plusieurs essais, ainsi que de romans : Le songe d'Empédocle (L'Age d'Homme, 2003), Maugis (L'Age d'Homme, 2005) et La porte Louise (L'Age d'Homme, 2010).

     

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    Vers une insurrection des différences ?

    "N’est homme de culture que celui qui fait passer la vie de son ennemi après sa foi ou les siens. " Hervé Juvin

     

    Deux livres bien différents, un essai d’une rare densité et un roman prophétique, illustrent avec courage et pertinence le basculement du monde auquel les Européens assistent les bras croisés, comme sidérés par un étrange sentiment de dépossession.

    Aux yeux de l’économiste Hervé Juvin la récente crise financière se révèle avant tout morale et politique, puisqu’elle sanctionne des nations anesthésiées par la théologie de la croissance infinie, privées de réelle souveraineté et dociles aux diktats de Wall Street : c’est ce qu’ il appelle le renversement du monde. Dans Le Camp des Saints, roman prophétique publié pour la première fois en 1973, Jean Raspail décrit la liquéfaction d’un peuple soumis à une rapide colonisation de peuplement et qui se résigne à un changement de population aux allures de cataclysme.

    Tous deux, l’intellectuel et l’artiste, trouvent les mots justes pour poser un diagnostic clair sur l’aveuglement d’Européens fatigués de faire l’histoire et qui croient qu’il suffira de payer pour jouir encore d’une paix que nul ne compte plus acheter.

    L’artiste - et de quelle ampleur ! – propose un conte : un matin, une flottille de navires chargés d’un million de miséreux venus du Gange accoste dans le Midi de la France. Faible et pitoyable, cette avant-garde d’autres flottes déjà en route espère avoir atteint la Terre promise. Que feront les Français, que le monde entier observe et juge ? En vingt-quatre heures, le sort de l’Occident est joué. Une sorte de tragédie classique aux personnages hauts en couleurs, comme toujours chez ce sorcier de Jean Raspail. Avec quel brio, avec quelle douloureuse jubilation, l’écrivain analyse à la loupe le lâche abandon d’une civilisation qui accepte d’être submergée. Livre visionnaire, et qui scandalisa les belles âmes dès 1973,  Le Camp des Saints serait impubliable aujourd’hui à cause des lois qui cadenassent la liberté d’expression, d’autant que, dans une préface intitulée Big Other, Raspail met le doigt là où cela fait mal : d’ici une trentaine d’années, si les flux migratoires ne cessent de s’amplifier, une bonne moitié de la population active des villes d’Europe devrait être extra-européenne. Jour après jour, ce basculement démographique, cette mutation anthropologique deviennent une probabilité, un héritage que nous laisserons à nos descendants. D’ici 2050, les Européens de souche, aujourd’hui majoritaires, pourraient se retrouver en minorité sur leur propre sol. Ce que Hervé Juvin exprime quant à lui de la sorte, sans fards : « ceux qui y sont ne sont pas ceux qui y seront ». Cette réalité se trouve niée au nom d’une utopie mixomane faisant du métissage rédempteur – l’ouverture à l’Autre - le dogme central d’un humanisme transgénique. Car, comme le précise Raspail dans préface, Big Other veille : « le Fils unique de la Pensée dominante, comme le Christ est le Fils de Dieu et procède du Saint-Esprit. Il s’insinue dans les consciences. Il circonvient les âmes charitables. Il sème le doute chez les plus lucides. Rien ne lui échappe. (…) Sa parole est souveraine. Et le bon peuple suit, hypnotisé, anesthésié, gavé comme une oie de certitudes angéliques… » Au nom d’une escroquerie historico-sémantique, voilà donc l’Europe et ses racines niées avec un acharnement pathologique, comme si le sacro-saint métissage avait pris la place dans notre imaginaire déliquescent de l’ancien complexe de supériorité …

    Quoique différent, le propos d’ H. Juvin rejoint l’apocalypse de Jean. Pour cet économiste à la solide culture historique et philosophique, le krach de 2008 constitue la première phase d’une révolution et la fin d’un conte de fées, celui d’une unification planétaire sous l’égide de l’individualisme marchand. Aux sources du désastre, la croyance que l’économie constitue le destin et l’oubli de l’antique règle d’airain des civilisations classiques, énoncée il y a vingt-cinq siècles par Héraclite : « Le conflit est le père de toutes choses ». La négation ou le refoulement par des intelligences atrophiées des antagonismes fondateurs désarme et asservit les peuples ahuris par un catéchisme mondialiste seriné sur tous les tons par des myriades d’experts, de technocrates, et de politiciens naïfs ou stipendiés. Ses dogmes ? Le marché comme horizon indépassable (« il Mercato ha sempre raggione »), la croissance infinie comme seul avenir concevable, la singularité comme obstacle au doux commerce et, partant, la nécessaire déconstruction des mœurs et des héritages comme panacée. Bref, l’économisme contre la civilisation. Ou le formatage des âmes, des corps et des esprits par un crédit comparable au Dieu de Pascal, dont le centre est partout, et la circonférence nulle part, comme tactique de contrôle des masses, plus efficace que les mises au pas totalitaires. La liquidation (Juvin parle aussi de gazéification) des sociétés humaines « par l’utopie des droits de l’homme, par l’effacement des frontières et la négation des identités ». Juvin fait d’ailleurs remarquer que seule l’Europe, par un masochisme qui lui est propre, refuse d’accorder son système économique à ses valeurs ancestrales, au contraire de l’Inde ou de la Chine, atelier et banque du monde (OPA en cours) qui ne tourne pas le dos à son héritage confucéen. Même la Russie de Poutine, sinistrée par des fous sanguinaires puis par des pirates sans scrupules, suit désormais ses propres pas, et redécouvre sans complexe son héritage orthodoxe et eurasien. Seule l’Europe accepte de se laisser occuper, espionner, rançonner, et déposséder de son héritage au nom d’une prétendue gouvernance, terme ambigu qui tend à usurper la place de démocratie, sans doute suspect d’ethnocentrisme en raison de ses origines helléniques. Seule l’Europe admet de voir systématiquement critiquées par les idéologues du sans-frontiérisme (Big Other) sa souveraineté, sa légitimité et son unité millénaire. Seule l’Europe se complaît dans cet état d’apesanteur né d’une fuite du réel, d’une amnésie programmée notamment par des escouades de pédocrates gagnés aux dogmes égalitaires autant que travaillés par un ahurissant complexe de haine de soi, opportunément grimée en amour de l’Autre, version postmoderne du Veau d’Or, devant lequel se prosternent nos élites. Ni les Américains du Nord, ni les Chinois, ni les Mahométans n’entendent nier leur identité avec pareil zèle. Face au retour d’empires autocentrés, qui savent déjà que la frontière et la discrimination constituent des conditions de survie, les Européens continuent de nier la prépondérance de cette triade fondamentale: le sang, le sol et l’esprit. Négation de l’histoire au profit d’abstraites constructions juridiques, négation de la géographie par un étouffant conformisme qui interdit de désigner les menaces, et enfin négation des racines spirituelles au nom d’un nihilisme satisfait. Big Other veille. Décérébré, extrait de force de toutes ses déterminations, le citoyen cède la place à l’homme de marché, zombie inculte, ignorant et amnésique; désarmé et captif d’une bulle empoisonnée, le voilà asservi : telle est la mutation anthropologique du néo-libéralisme, qui dissout les liens religieux, ethniques et familiaux au profit d’un dogme unique, celui de l’intérêt individuel (et immédiat) comme seule priorité acceptable par la doxa dominante, celle des usuriers et des marchands d’illusions irénistes (« l’abondance, c’est la paix »). Avec lucidité, Juvin commente cette métamorphose : « le nouveau projet libéral mondialiste conduit au dépassement des structures collectives au nom des droits de l’homme, devenus les droits de l’individu absolu, c’est-à-dire la capacité illimitée de l’individu à se désengager, à se délier, à se défaire de la relation avec les autres, avec la nature et avec lui-même. » Ou, presque lyrique : « Non, les hommes ne sont pas les mêmes, et nous n’en avons pas fini avec la terre qui est sous nos pieds, avec la couleur de la peau et la langue de nos rêves*. (…) Non, nous n’en avons pas fini avec la puissance, le pouvoir et l’ennemi ».

    Alors que, dans Le Camp des Saints,  Raspail décrit avec brio la résistance d’une phalange de résistants qui meurent avec panache (le syndrome « casoar et gants blancs »), Juvin propose des pistes pour sortir de la crise et préparer l’insurrection des différences ou le retour du divers. Tout d’abord un travail pédagogique de réveil à l’histoire, de retour au réel (sang, sol et esprit tous trois équilibrés pour éviter le péril totalitaire, qui réduit souvent la triade à un couple bancal), de rétablissement des limites, des portes et des distinctions (à commencer par celle, vitale, entre l’ami et l’ennemi). Bref, un retour au politique ; une exaltation de la diversité réelle et non fantasmée : « si le monde est fini, compté, et petit, la politique redevient l’effet de la puissance, et le fondement de la société politique est la survie de ses membres, à côté, ou bien contre, celle des autres. »

    Juvin plaide aussi pour une décolonisation de l’Europe sous peine de voir un jour s’éteindre un type d’homme, en rappelant que l’immigration incontrôlée qui modifie le visage de nos villes n’a jamais fait l’objet d’un choix démocratique, puisque décidée d’en haut au nom d’un économisme à courte vue qui peut se traduire en langue cynique par  « il faut des esclaves pour que la plantation prospère ».

    Il en appelle au retour des frontières comme limites bien plus que comme barrières (l’autarcie absolue étant un fantasme), à la proximité culturelle et économique comme critère de choix politique, à rebours des modes et des utopies vénéneuses.

    Esprits libres, Raspail et Juvin nous exhortent à décoloniser notre imaginaire et à nous réapproprier notre légitime volonté d’être et de durer.

     

    Christopher Gérard

     

    Publié dans La Libre Belgique le 15 mars 2011

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  • Eléments : 40 ans et toutes ses dents !...

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    Une très belle nouvelle formule de la revue Eléments vient de paraître !

    Sur le front du combat des idées depuis 40 ans, le magazine, pour son numéro 139, s'offre une nouvelle jeunesse avec notamment une maquette plus nerveuse, un retour en force des illustrations et des articles à la fois plus nombreux et plus courts.

    Le contenu concocté par le nouveau rédacteur en chef, Pascal Eysseric, qui succède à Michel Marmin, est à la hauteur des attentes avec un dossier consacré au déclin de l'Occident, dans lequel on peut découvrir les signatures de l'historien Dominique Venner, du philosophe Jean-François Mattéi, de l'essayiste Hervé Juvin, de l'économiste et ancien ministre libanais George Corm et du penseur italien Costanzo Preve.

    Au sommaire, outre les excellentes pages Cartouches, on trouve aussi l'analyse coup de poing d'Alain de Benoist sur « l'immigration, armée de réserve du capital », un entretien avec Pierrick Guittaut pour son polar Beyrouth-sur Loire, un article de François Bousquet sur Malaparte, de Thibaud Isabel sur l'ordre moral néo-bourgeois, de Ludovic Maubreuil sur le cul militant, de Jean-François Gautier et aussi de Frédéric Guchemand sur Wagner et de Robin Turgis sur Céline... Bref que du bon !

    Le magazine peut être acheté en kiosque ou commandé sur le site Eléments. Il est possible de s'abonner au prix de 25 euros pour 5 numéros.

    Contact : http://www.revue-elements.com/index.php

     

     

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  • Où comment le gaz de schiste incarne la menace du néocolonialisme...

    Un texte absolument remarquable d'Hervé Juvin, cueilli sur son site Regards sur le renversement du monde, qui souligne le caractère emblématique de la question de l'exploitation du gaz de schiste en France...

     

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    Où comment le gaz de schiste incarne la menace du néocolonialisme

    Nant, Saint-Jean du Bruel, Sauclières… qui aurait dit que ces villages de l’Aveyron, entre Causses et Cévennes, feraient la une de journaux télévisés et seraient cités dans les colonnes du Wall Street Journal ou du Financial Times ? C’est qu’on y vit bien, dans ces villages nichés au creux de la vallée de la Dourbie, au pied du Saint-Guiral, d’autant bien et d’autant mieux que le monde s’arrête, quelque part du côté de Millau et du fameux viaduc, à l’ouest, ou bien de la plaine à vignes des grandes migrations du travail ou du soleil, là-bas, vers Montpellier ou Béziers. C’est qu’on y vit d’autant mieux que, depuis les guerres de religion qui ont dévasté la région, les grands tumultes du monde ont pour l’essentiel épargné la zone, malgré les coupes sombres dont témoignent les monuments aux morts de 14-18.
    Nant, Saint-Jean-du-Bruel ou Sauclières se retrouvent, sans l’avoir voulu, aux avant-postes du combat qui vient, et qui n’épargnera pas un pays comme la France, des régions comme le Midi-Pyrénées, les Causses ou les Cévennes. Les permis d’exploration de gisements de gaz de schistes, accordés à des sociétés pétrolières, dont Total, suscitent d’abord l’inquiétude de populations ni consultées, ni informées, et qu’effraient les images de ces Montagnes Rocheuses éventrées par l’exploitation de gisements analogues. Ils suscitent ensuite le combat de ceux qui n’entendent pas laisser coloniser leurs Causses par les géants pétroliers, les fonds d’investissements et la logique du marché mondial. Et ils provoquent surtout cette prise de conscience ; nous aussi sommes concernés par la nouvelle colonisation du monde, nous aussi sommes des indigènes en lutte pour leurs terres, leurs mœurs et leur liberté d’être et de demeurer.
    Ce combat annonce un affrontement planétaire, celui qui va opposer, partout dans le monde, les colons et les indigènes. Nous n’en sommes qu’au début. Pensez-y un instant ! Chaque année, c’est l’équivalent de la surface agricole utile de la France qui est achetée par des fonds d’investissements ou des industriels de l’agro-alimentaire étrangers au pays où ils investissent. Ce combat est celui qui oppose les droits de l’exploitant, au nom de la valorisation économique, et les droits de l’occupant, au nom de ses racines, de ses liens, et de son bien-être. Nous n’en avons pas fini avec la quête d’autonomie des sociétés humaines, une quête d’autonomie qui est le moteur des révolutions arabes actuelles, une quête d’autonomie qui ne se tourne plus contre le missionnaire ou le soldat, mais contre cette forme moderne de colonisation qu’est le marché international des droits de propriété, d’exploitation et de vente. Et ce combat est ce qui oppose une économie de marché dont l’extension aux hommes et à la terre promet des bouleversements géoéconomiques et des affrontements géopolitiques violents, à des sociétés qui savent ce qu’elles se doivent, qui se préfèrent à la croissance et à l’argent, et qui n’entendent pas céder à la loi du rendement maximal et de l’actionnaire tout puissant. Bandung, c’est pour demain, l’insurrection des peuples libres contre la colonisation interne du taux de rendement et du retour sur investissement. Car liberté s’appelle gratuité, frontières, et séparation.
    Le débat vient de loin. La terre appartient à ceux qui l’exploitent ; l’égoïsme des uns ne peut entraver le progrès des autres ; les peuples primitifs doivent céder à la loi du colonisateur venu leur apporter la civilisation, la morale et l’efficacité… En Ethiopie, voici deux mois, j’entendais des représentants de fonds d’investissement justifier ainsi le déplacement de quelques 60 000 membres de tribus du Sud pour construire un barrage… Il faut bien éclairer les tours que construisent les Chinois, et fournir du courant aux ordinateurs ! Ce n’est pas d’aujourd’hui que s’affrontent des logiques, des raisons et des principes. Mais cet affrontement prend un tour différent. C’est que, pour la première fois avec cette violence, ce sont des terres de France, parmi les plus emblématiques de la France de toujours, à moutons et bergers, à jambon et à Roquefort, qui sont touchées. C’est que, dorénavant, c’est la France et c’est l’Europe qui se sentent frappées par le choc en retour des chiens de l’universel qu’elles ont lancés sur le monde. C’est qu’il s’agit de fouiller les entrailles de la terre, de faire exploser des montagnes et d’ouvrir la terre pour y trouver des sources d’énergie, cette énergie dont l’abus manifeste par ailleurs détruit la vie. C’est qu’il s’agit de concéder à des sociétés privées quelques uns des derniers espaces de gratuité, de liberté et de beauté français.
    La raison est simple. La course aux matières premières, à la terre, à l’eau, à l’énergie, à l’espace, ne fait que commencer. La seule phrase qu’il faut retenir en ce début d’année est celle de Bruno Lemaire, prévenant les Français que la baguette de pain, le kilog de riz ou de pâtes vont coûter plus cher, beaucoup plus cher dans les années à venir. Se chauffer, s’éclairer, se nourrir, va redevenir un problème pour une partie de la France et pour des Français qui n’échapperont pas à la tiers-mondisation que produit le libre-échange. Et le mouvement est rendu irrésistible par l’abaissement des frontières, des limites et des priorités qu’une Nation pouvait opposer aux prédateurs étrangers, aux envahisseurs affamés ou aux pillards financiers. Ce ne sont pas les Safer et ce ne sont pas les baux ruraux qui préserveront la terre de France des fonds d’investissement, ce ne sont pas les coopératives qui maintiendront le revenu de l’agriculteur et le pouvoir d’achat des Français, comme ce ne sont pas les conseils généraux ou les fonctionnaires chargés des territoires qui bloqueront l’accès aux pétroliers texans ou aux gaziers chinois. Nous nous sommes gorgés depuis trois siècles des bénéfices du trafic colonial, du monopole de la détention du capital et de l’emploi du travail gratuit en Chine et ailleurs, nous allons être confrontés aux retours d’une mondialisation qui a changé de sens, et qui fait de nous une cible, de nos systèmes publics une proie convoitée et de nos territoires des ressources à exploiter.
    Serons-nous, dans nos vallées du Tarn et de la Dourbie, sur nos Causses et nos Cévennes, ces Indiens déportés en masse, parqués et enfermés dans des réserves pour laisser le colon exploiter leurs terres, détruire toute la diversité qui s’y trouvait, pour assurer le meilleur rendement au capital investi ? L’image est tentante, mais attention !  Le débat est moins simple qu’il n’y paraît. Car la quête de l’autonomie, le retour de la souveraineté, passent par une indépendance énergétique et par un accès à la puissance industrielle dont l’exploitation de gaz de schistes pourrait bien être l’un des moyens. Car l’opposition entre colon et indigène est bien vite dépassée, quand ce sont les indigènes dont l’intérêt sonnant et trébuchant les conduit à concéder leur terre aux plus offrants, ou à rêver de transformer leurs champs en lotissements ; quel paysan proche de la retraite n’a pas cédé à la tentation !
    Car il se pourrait bien que le débat soit plus fondamental. Le sacrilège symbolique est au fond de la rébellion ; on n’a pas le droit de faire ça ! Pas le droit d’éventrer les montagnes pour faire rouler des voitures, pas le droit de détruire des paysages pour que plus d’avions transportent plus de voyageurs qui ne vont nulle part, puisque tout sera bientôt pareil, dans les endroits où se posent les avions. Pas le droit de toucher ce qui est plus que l’homme, plus que les vies humaines qui se succèdent, et qui se nomme le sacré d’un lieu, d’une terre, d’un lien. Un pays n’est pas une marchandise ; une société humaine ne s’achète pas au prix du marché ; et ce qui n’a pas de prix est au-dessus de ce que les prédateurs apatrides et les marchands coloniaux peuvent toucher. Et voilà ce qui pourrait bien être la clé d’une identité de projet et d’une nouvelle civilisation. Ce qui fait aujourd’hui l’identité d’un Cévenol, d’un Caussenard, ce n’est pas la naissance, ce n’est pas même l’accent, c’est la volonté de se battre et d’agir pour que Cévennes et Causses ne soient pas seulement une marchandise, un calcul de rendement, une ressource promise à qui l’exploitera au mieux.

    Hervé Juvin – Le 2 mars 2012

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  • L'Europe en voie de colonisation ?...

    Vous pouvez lire ci-dessous ce texte d'Hervé Juvin, publié sur son site Regard sur le renversement du monde.

     

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    L’Europe en voie de colonisation ?

    C’est un politologue américain qui l’affirme (1) ; dans les dix années à venir, dix grandes villes européennes verront la majorité de leur population être de confession musulmane, et devenir de fait terre d’Islam : Marseille est dans la liste. Ce sont ces maires de la banlieue parisienne qui le confirment ; Mohammed est le prénom le plus donné en Ile de France.  Ce sont d’autres maires qui préviennent ; des colonies chinoises fermées se multiplient, qui reproduisent les modes de vie de leurs provinces d’origine, dans des conditions impénétrables à la République. Et c’est en Espagne qu’un professeur de géographie (2) est poursuivi pour avoir parlé de jambon dans son cours, et choqué un élève musulman qui a dénoncé cette agression manifestement raciste et xénophobe…

    Il est permis de s’en réjouir, il est permis de le déplorer, le fait est éclatant ; la composition de la population européenne change. Ceux qui sont dans la rue, les métros et les trains ne sont pas ceux qui y étaient voici vingt, quarante ou cent ans. La France était blanche, elle était chrétienne, elle ne l’est plus. Il est permis de dire beaucoup de choses à ce sujet, sauf nier l’évidence ; un fait historique majeur s’est produit.  Dans cinquante ans, ou dans cinq siècles, les livres d’histoire accorderont à ce fait une importance similaire à la victoire d’Isabelle la Catholique et de Ferdinand d’Aragon, en 1492, mettant à la colonisation musulmane de l’Espagne une fin alors jugée définitive… Il faut être aveugle pour nier qu’il se passe quelque chose dans les mœurs, les lois, la civilisation européenne. C’est pourtant ce à quoi s’attachent les niais, les Tartuffe, et les escrocs. Les niais ne voient rien parce qu’on leur dit qu’il n’y a rien à voir. Les Tartuffe savent bien qu’il se passe quelque chose, que ce quelque chose est de grande importance, mais s’arrangent pour se mettre à l’écart, eux et leur famille, et ne veulent surtout pas qu’un sujet pour lequel ils n’ont pas de réponses toutes prêtes entre dans le débat public. Les escrocs  servent leurs intérêts. Ils savent que l’immigration de peuplement, avec l’éclatement des structures et des cadres collectifs qu’elle entraîne est la voie la plus rapide de l’isolement individuel,  de la privatisation généralisée de l’espace public, et qu’elle ouvre la voie à tous les prédateurs. Ils savent qu’importer la misère rend peu à peu insensibles aux questions d’inégalité, de dignité et de solidarité ; l’éloge de la mobilité réintroduit l’esclavage dans nos sociétés. Et ce n’est pas un hasard si tant de dirigeants de banques, de sociétés du CAC 40, rejoignent les chantres du sans frontiérisme et de la diversité individuelle ! Leurs actionnaires s’en trouvent bien, tant mieux pour eux.

    La réalité est que l’immigration de peuplement est bien loin de provoquer le bonheur universel et la paix du genre humain qui étaient annoncés.  Et nous n’en sommes qu’au début de l’inventaire des dégâts faits dans nos sociétés européennes par une méconnaissance organisée ! La misère symbolique, identitaire et sociale que provoque la colonisation interne de l’Europe par ses anciennes colonies, est générale, et partagée. Le recul du niveau de civilisation des rapports humains s’apprécie dans les rapports homme-femme, dans le durcissement des relations publiques et privées, dans la défiance qui devient condition de survie. Le sentiment d’invasion qui grandit ici ou là est de plus en plus partagé par ceux qui se sentent année après année étrangers dans leur propre pays, déracinés sur leur terre et dépossédés d’eux-mêmes. Ceux qui se choquent du mot doivent relire l’histoire ; ce n’est pas la guerre, le choc des armées et le triomphe des stratèges qui marquent la plupart des grandes invasions que le monde a connu. C’est tout simplement la pression démographique, la supériorité du nombre ou la force de la jeunesse qui expliquent cette situation tant de fois répétée ; sur le même territoire, à dix ans ou un siècle de distance, ce ne sont plus les mêmes lois, les mêmes mœurs, le même peuple, et peu importe qu’il y ait eu ou non bataille, affrontement, ou substitution progressive, l’invasion est faite. Ceux qui y sont ne sont pas ceux qui étaient, et voilà tout.

    Nous en sommes là, dans une France, une Europe, qui ne savent plus se dire depuis qu’elles ont renié leur origine chrétienne – nous sommes les enfants de Jérusalem, d’Athènes et de Rome. Une chose est de décrire et de nommer une situation, autre chose est de l’expliquer. C’est la première misère de l’approche politique de l’immigration ; fuir les causes que nous chérissons tellement. Car il ne faut pas se tromper sur les causes !  C’est une chose de faire observer que les pharmaciens, les pompiers ou les chauffeurs de taxi ont peu à craindre des blonds aux yeux bleus, comme c’est une chose que de chiffrer la part très majoritaire de la population carcérale d’origine africaine ou maghrébine. C’en est une autre de s’interroger ; pourquoi ? Pourquoi veut-on que des familles qui vivent depuis des siècles une existence pauvre, mesurée et digne, sur leurs terres, dans leurs villes ou leurs villages du Mali, de l’Algérie, du Congo ou du Sénégal, voient leurs enfants devenir pillards, voleurs ou trafiquants ? Qu’est-ce qui transformerait des familles de paysans, d’artisans, de commerçants estimés, respectés et dignes, en mafia, en bandes et en sauvages ? La réponse ne tient pas à de quelconques singularités de leur personne ou de leur lignée, elle tient au déracinement. L’indignité du trafic des êtres humains, du nomadisme et du sans-frontiérisme, apporte la réponse qu’il ne faut surtout pas apporter – les trafiquants d’esclaves, ceux qui castraient les esclaves chrétiens pour les livrer aux harems, ceux qui finançaient les bateaux du trafic triangulaire, n’en veulent pas ! La City et Wall Street pourraient s’inquiéter !

    L’aveuglement collectif, dicté par le néolibéralisme et le libre-échangisme, sur les conséquences du déracinement, est l’un des crimes politiques de notre temps, comme l’individualisme méthodologique est l’intoxication morale de l’Europe. Car la misère sociale, morale, est considérable, elle n’a pas fini de peser sur les sociétés européennes. Misère des migrants, victimes d’un rêve pour lesquels beaucoup paient, parfois de leur vie, pour l’atteindre, et qui les laisse pris au piège d’un quotidien médiocre, dans un monde qu’ils ne comprennent pas et qui ne les comprend pas, parce qu’il n’est pas le leur et qu’ils ne sont pas les siens. Misère de populations dites d’accueil, auquel sont imposés un voisinage et une promiscuité qu’ils subissent sans l’avoir choisi, qui se voient bousculés dans leur milieu de vie de manière brutale, inexplicable et jamais débattue ni annoncée. Qui se souvient de ces paisibles villages d’Ile-de-France qu’étaient Chanteloup-les-Vignes ou Sarcelles, de la brutalité avec laquelle ils ont été arrachés à eux-mêmes, pour obéir à la loi de l’industrialisation, accueillir les esclaves du travail à la chaîne, et se voir colonisés de l’intérieur par l’impératif économique ? Cette misère sociale n’est jamais évoquée, jamais traitée, elle est pourtant à l’œuvre partout en France et en Europe, elle explique à elle seule une grande part du pessimisme ambiant, dont seuls s’étonnent ceux qui croient que l’économie remplace la société et qu’un ventre plein n’aie plus ni croyance, ni passion, ni dignité.

    L’erreur politique majeure est de penser « nous »contre « les autres ». Car nous sommes tous ces « autres » promis à l’invasion par la quête du rendement financier, Français, Malgaches, Indonésiens, Algériens, tous en proie à la colonisation de nos terres, de nos projets et de nos vies par le triangle impérial de l’avènement de l’individu, du droit et du marché.  Car ce n’est pas contre eux qu’un mouvement de libération de la loi du colon et de l’Empire doit se tourner, c’est avec eux, pour entreprendre le nouveau Bandung de sortie du libre échange, de la colonisation financière et marchande et de la liquidation morale et environnementale. Car c’est « l’insurrection de la différence » qui doit s’organiser, c’est-à-dire la capacité de chaque société humaine, de chaque communauté, à résister à la banalisation, à affirmer sa différence collective et à défendre son unité interne contre tout ce qui, institutions internationales, ONG, fondations, ingérences, prétend lui dicter son destin. De leur misère partagée, ni les migrants déracinés, ni les indigènes colonisés ne sont responsables, pas plus qu’ils ne sont responsables de la violence qui monte et du conflit qui va redevenir irréversible. Le drame serait qu’ils s’opposent au lieu de se retourner contre leur ennemi commun ! Et la faute politique est de tourner la colère qui monte contre les hommes alors qu’elle doit d’abord s’organiser pour détruire un système et ses manipulateurs de l’ombre. La responsabilité est dans un système économique qui fait du nomadisme, du sans frontiérisme et de l’esclavage la dernière ressource de la croissance.  Un système qui traite les hommes comme une marchandise, organise au nom des Droits universels la rupture de tout lien, de toute appartenance, qui livre l’individu isolé au marché et, au nom de ses droits, en fait un pur consommateur désirant sans fin, est un système qui bafoue la dignité humaine au nom du droit et appauvrit chacun au nom de la croissance.

    Le fait nouveau, éclatant, est que nous aussi Français, Européens, sommes confrontés à un mouvement de colonisation qui n’épargnera aucune terre, aucune mer, et qui entend réduire tout ce qui vit, bouge, respire, existe, à son utilité. La loi du colon s’étend sur l’Europe comme elle s’est étendue sur le monde ; l’exemple de la misère qui s’étend dans le monde rural, pendant que les fonds d’investissement reconvertis dans les matières premières agricoles voient exploser leurs rendements, doit nous donner à réfléchir. Le business de la faim marche à plein régime. Et ce fait interpelle les indigènes de l’Europe qui n’entendent pas être parqués dans leurs réserves, se réfugier dans des quartiers de haute sécurité, pas plus que voir leur quartier ou leur cité réduits à l’état de banlieue américaine par les colons de la City ou de Wall Street, pas plus que par ceux de Pékin ou de Hong-Kong.

    Pour en sortir, un principe doit guider toute politique ; aux Français d’en décider. Les Français, eux seuls, ont le droit de décider des conditions d’accès au territoire et d’accession à la nationalité. Eux seuls, qui se sont battus pour eux, qui les ont conquis et fait progresser, dans la rue, dans les urnes et dans la douleur, ont le droit de déterminer qui peuvent être les bénéficiaires de leur système de protection sociale, dont nul ne dit assez à quel point il est imité et copié partout dans le monde, notamment en Chine. Et eux seuls ont le droit de déterminer les règles du jeu économique applicable sur leur territoire, à tous biens, marchandises ou capitaux qui entrent ou transitent par leur territoire. Ce qui est en jeu n’est pas la fin des échanges, mais celle de l’idéologie libre échangiste ; pas la fin de l’immigration, mais la prévention d’une invasion contre laquelle le gouvernement actuel s’interdit d’agir, au nom d’un individualisme qui désarme la conscience et la volonté. Et ce qui est en jeu n’est pas l’isolement délétère de la société française, une fermeture qui la tuerait, mais le retour au réel ; comme tout être vivant, la France sera d’autant plus ouverte, forte et rayonnante qu’elle saura rejeter tout ce qui la menace, l’appauvrit ou la contamine, pour prendre de l’extérieur tout ce qui renforce son unité interne, concourt à sa particularité remarquable et affirme son destin singulier. Et voilà le prochain et grand travail politique qui vient ; nous allons devoir réapprendre ce que signifie l’unité interne d’une société qui ne peut vivre en paix, en confiance et en fraternité si elle tolère une trop grande diversité individuelle. Nous allons devoir affirmer  les règles, les mœurs et les comportements qui sont nôtres, et hors desquels il n’est ni accès à la nationalité, ni accès aux systèmes sociaux, ni permis de résider sur notre territoire. Et nous allons réapprendre, dans le tumulte, la douleur et la difficulté, qu’une société devient libre quand elle sait nommer, compter les siens, les reconnaître, et les préférer à tout autre.

     

    Hervé Juvin

    Rédigé le 12 mars 2011, à Anvers

    (1):  La crise des années 2020

    (2) :  Le jambon de la discorde

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  • L'Europe après la globalisation, l'effet boomerang ?...

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