Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

erdogan - Page 2

  • A propos des Loups Gris et de leur interdiction...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Xavier Raufer à Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque en particulier la "dissolution" des Loups Gris par le ministre de l'intérieur.

    Criminologue et auteurs de nombreux essais, Xavier Raufer a publié ces dernières années Les nouveaux dangers planétaires (CNRS, 2012) et Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014) et, tout récemment, Le crime mondialisé (Cerf, 2019).

     

                                           

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Gagner la guerre contre l’Islam radical : une question de cohérence...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Jean-Bernard Pinatel, cueilli sur Geopragma et consacré à la nécessaire mise en cohérence de l'action diplomatique de notre pays que devrait imposer une lutte sérieuse contre l'islamisme sur le territoire français... Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Russie, alliance vitale (Choiseul, 2011) et Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

    Islamisme.jpg

    Pour gagner la guerre contre l’Islam radical, une définition précise de la menace et une mise en cohérence de notre politique intérieure et étrangère constituent un impératif vital

    Depuis mars 2012, la France est confrontée à un nombre d’attentats islamistes sans précédent qui ont causé 267 morts et probablement plus de 700 blessés au sein de notre population. Le dernier en date étant la décapitation de Samuel Paty, professeur d’Histoire et de Géographie à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020 qui avait montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. Il faut aussi prendre en compte nos pertes militaires dans des opérations extérieures contre les djihadistes de l’Islam radical :  90 morts et près de 1000 blessés en Afghanistan depuis 2003 et 46 morts et plus de 300 blessés au Sahel depuis le début de l’opération Serval. 

    Ce rappel des morts et des blessés sur notre territoire national et lors d’opérations extérieures démontre clairement que nous sommes en guerre. Après la prise de conscience du Président Macron et ses paroles fortes, se borner à prendre des mesures uniquement sur le territoire national ressemblerait à un coup d’épée dans l’eau. 

    Nos dirigeants doivent d’abord prendre conscience de la nature réelle de la menace. C’est pourquoi la France ne peut se désintéresser de la déstabilisation du pourtour méditerranéen et du Moyen-Orient. Non pas en y contribuant de façon irresponsable en voulant imposer comme en Syrie ou en Libye la démocratie par la force des armes mais en aidant les pays et les peuples de ces régions à conforter leurs structures étatiques et à se développer. La non-intervention militaire dans les affaires intérieures d’un Etat, sauf si les autorités légitimes nous en font expressément la demande, doit redevenir la règle dans les relations internationales. A contrario, l’intervention secrète ou armée dans un but préemptif comme les Etats-Unis de Bush junior l’ont fait en Irak au nom d’une menace potentielle inexistante ont abouti à la destruction des structures étatiques irakiennes et ont fait le lit de l’Islam radical. 

    De même, l’intervention dans un but humanitaire telle que la Grande-Bretagne et la France l’ont menée en Libye et en Syrie doit être bannie. Car ce type d’intervention est susceptible de générer le chaos et de coûter plus de vies qu’il n’en sauve. En conséquence, pour gagner cette guerre et assurer la sécurité des Français, la France doit comprendre la nature réelle de la menace et mettre en cohérence sa politique intérieure et sa politique étrangère : sur le territoire national, en Europe et hors d’Europe.

    Sur le territoire national

    Le préalable à la définition d’une stratégie efficace contre l’islamisme radical n’est pas rempli car l’unanimité est loin d’être totale parmi nos dirigeants sur la nature de la menace à laquelle nous sommes confrontés. Désigner clairement l’ennemi est un préalable pour le combattre. Nos responsables politiques et militaires déclarent à l’envie « nous sommes en guerre ». Mais, pour la plupart d’entre eux, ils n’ont pas compris ou ne veulent pas comprendre la nature du conflit dans lequel nous sommes engagés. Nous ne sommes pas confrontés à une guerre asymétrique, concept si cher aux américains. Nous faisons face à une guerre révolutionnaire mondiale à finalité religieuse, menée par les wahhabites de l’Etat islamique et d’Al-Qaida qui se voient comme des moudjahidines[1] et par les Frères Musulmans qui veulent, par la prédication et par une action coercitive de long terme, installer des Etats islamiques fondés sur le droit (la Charia) et les pratiques de l’Islam du temps de l’Hégire.

    Mais depuis 2012, tant à l’Elysée que sur les plateaux de télévision tout s’est passé comme si le tout Paris politique et médiatique s’était bouché les yeux et les oreilles : « Barbares, énergumènes, psychopathes, tous les qualificatifs étaient bons pour écarter la référence à la foi »[2]. Une grande partie de la classe politique de gauche et de ses maîtres penseurs qui monopolisent la parole dans les médias est responsable de la négation ou la minimisation du fait religieux. Les idéologues athées, matérialistes ou hédonistes qui sont actuellement au pouvoir ne peuvent pas comprendre que les djihadistes préfèrent « une belle mort à une belle vie » et que pour les djihadistes « la mort n’est pas un sacrifice nécessaire à la victoire, elle est la victoire même »[3]. La gauche, encore profondément marquée par Marx, la révolution libertaire de 1968 et Nietzsche, pense que Dieu est mort. Se bouchant les yeux et les oreilles pour ne pas accepter les faits, elle cherche des causes à cette « folie suicidaire » dans l’inadaptation sociale, la pauvreté économique ou une dérive à partir de la petite délinquance. Il est vrai que de nombreux dirigeants de la communauté musulmane préfèrent souvent ce discours simplificateur et erroné. Il leur évite de devoir admettre publiquement que, depuis l’Hégire, la guerre religieuse fait rage au sein même de l’Islam[4]

    Mais une partie de la droite ne fut pas de reste. Les liens particuliers qu’avait établis Nicolas Sarkozy avec l’émir du Qatar ainsi que la politique d’investissements que ce pays réalisait en France ont contribué à occulter l’importance du soutien que le Qatar apportait à l’Islam radical au travers des Frères Musulmans et de la chaine Al Jazeera international. 

    Cette évaluation erronée de la menace a conduit nos dirigeants politiques de gauche comme de droite à bâtir une stratégie d’action inefficace sur le long terme. Ils ont ainsi focalisé leurs actions sur tous les lieux de « radicalisation » : les banlieues sensibles, les prisons, Internet. Ils ont créé des centres de « dé radicalisation » qu’ils ont inondé de subventions d’Etat. Lorsqu’on en fera un vrai bilan honnête, on constatera qu’il est aussi affligeant[5] que le bilan qu’ont fait les américains de leurs centres d’entrainement des rebelles modérés en Turquie. En refusant de considérer les djihadistes comme des convertis à une déviance radicale de l’Islam, ils ont continué d’autoriser les imans salafistes et les Frères Musulmans à poursuivre leur endoctrinement, à condition toutefois qu’ils ne prononcent pas dans les médias des paroles de haine contre les Juifs ou contre l’égalité homme femme, etc. 

    Ainsi la France depuis 15 ans a conduit une stratégie qui a accru la menace au lieu de la réduire. Nicolas Sarkozy a renversé Kadhafi et François Hollande a mené une guerre en Syrie pour déstabiliser Assad. Ces actions militaires ont occasionné leur lot de dégâts collatéraux qui ont renforcé la haine de la France chez les Musulmans. 

    A l’intérieur du territoire national ils se sont contentés d’instaurer un Etat d’exception policier et judiciaire, d’organiser de grandes manifestations compassionnelles pour les victimes des attentats, de grands défilés pour rappeler les valeurs républicaines, et de créer des centres de dé radicalisation. Cette stratégie était condamnée à l’échec et je l’ai dénoncée dans mon dernier livre[6].

    Avec elle, nous ne pourrons pas venir à bout de cette menace. Tout au plus nous pourrons la rendre acceptable encore quelque temps. Ne voulant pas reconnaître que nous sommes confrontés à des convertis et non pas à des radicalisés, nos dirigeants sous-estiment le pouvoir religieux et laissent se propager cet Islam radical dans la communauté musulmane[7]

    Sans cette prise de conscience tardive du Président Macron, qui doit être suivie par des actes concernant les imams propagandistes et les lieux où ils exercent leur daw’a, tout porte à croire que nier le fait religieux déboucherait sur la fin décrite si brillamment par Michel Houellebecq dans son essai « Soumission »[8], ou alors sur une guerre civile.

    En Europe

    La question migratoire et le contrôle de ses flux doivent devenir le premier des sujets de préoccupation et d’action des instances et des chefs d’Etat européens. L’Europe-passoire qui accueille sans contrôle des flux de migrants non identifiés et dont on ne connait ni les intentions ni le niveau d’adhésion à cette déviance de l’Islam n’est plus acceptable.

    Cela passe par la renégociation des accords de Shengen et la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes à la hauteur de cet enjeu afin d’être à même de résister au chantage d’Erdogan. Le rattachement et les moyens de cette organisation devront dépendre directement des chefs d’Etats européens qui en fixeront les règles. Durant le temps nécessaire à la mise en place de ces moyens nous devons fermer nos frontières, l’épidémie COVID nous en fournit le prétexte.

    Comment accepter en effet ce constat d’impuissance de Loïc Garnier, chef de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, estimant que 200 « revenants » de Syrie[9] sont déjà en janvier 2017 sur le territoire national parce qu’ils « sont sortis de nos radars en prenant des routes improbables » et qu’ils sont arrivés à tromper la vigilance de nos services de police.[10]

    Il s’avoue incapable d’évaluer dans cette population le nombre de ceux qui sont missionnés pour commettre des attentats ou encore de ceux qui restent à un niveau dangereux plus ou moins élevé. Evidemment cette action doit être menée aussi au niveau de la Cour européenne de justice pour signifier que la France refuse de se soumettra à ses condamnations. Et cela va arriver vite quand le gouvernement au lieu de libérer les terroristes qui arrivent en fin de peine les placera dans un centre de rétention de son propre chef ou sous la pression populaire.

    Hors d’Europe 

    Il n’est pas possible de gagner une guerre sans avoir créé le contexte international qui conditionne la victoire. Il doit être clair pour tous que le seul ennemi de la France est aujourd’hui l’Islam radical et la guerre qu’il nous mène. Sont donc également nos ennemis ceux qui n’ont pas condamné explicitement ses actes ou qui diffusent une idéologie qui les justifie. 

    Notre politique étrangère doit donc être définie en appliquant comme premier critère que nos ennemis sont aussi les Etats, les organisations publiques ou privées, terroristes ou non, les personnes qui aident de quelque façon que ce soit ces organisations ou ces cellules terroristes dont le discours et les actes permettent de les rattacher à la mouvance wahhabite, salafiste ou à celle des Frères Musulmans. Cela signifie à contrario que tous ceux qui les combattent directement ou indirectement sont « de facto » nos alliés. C’est vrai en premier lieu pour la Fédération de Russie qui est confrontée sur son sol à la même menace. Les Frères Musulmans sont interdits sur son territoire et considérés comme une organisation terroriste depuis 2003[11]. La France devra donc demander la suspension immédiate de toute sanction à son égard. C’est également vrai pour les régimes syrien et irakien, quelles que soient nos réserves sur leur fonctionnement interne.

    Il faudra aussi signifier clairement au Président Erdogan qui revendique son appartenance aux Frères Musulmans en faisant leur signe de ralliement (la Rabia) dans ses apparitions publiques que nous n’accepterons plus son double jeu. La politique néo-islamiste et pan-Ottomane qu’il déploie avec la complicité passive des Etats-Unis et de l’OTAN en Méditerranée orientale, menaçant deux pays de l’Union européenne (la Grèce et Chypre) intervenant directement en Libye et dans le Haut-Karabagh en y injectant des milliers de djihadistes et des forces spéciales, ne peut plus être tolérée. La France doit désormais durcir sa pression pour que l’Union européenne prenne des sanctions contre la Turquie et sur les Etats-Unis pour qu’elle l’exclue de l’OTAN. Nous avons un moyen de pression : c’est la menace de retrait de la France de l’organisation militaire comme l’avait fait en son temps le général de Gaulle.

    De même nous devons nous adresser fermement à l’Arabie Saoudite et au Qatar en leur demandant de prendre des mesures efficaces pour que tous leurs sujets, qu’ils appartiennent ou non à la famille princière, ainsi que les banques saoudiennes et qataries stoppent leur aide financière ou de tout autre nature à ces organisations, à leurs combattants, à leurs imans, et à la diffusion de leur daw’a. 

    Il faudra également signifier aux Etats-Unis et à nos alliés européens que nous considérerons désormais comme hostile toute action secrète qui, pour quelque raison que ce soit, apporterait une aide directe ou indirecte à ces organisations. En effet, comment un chef d’Etat ou un ministre pourrait-il à l’avenir prononcer des paroles de réconfort à des familles de victimes et les regarder dans les yeux en sachant que par son inaction ou par sa vassalisation à des intérêts qui ne sont pas ceux des français, il est co-responsable de leur malheur. L’indignité, le mensonge, le cynisme et l’indifférence affective au sommet de l’Etat ne sont plus acceptables et les Français l’ont enfin compris.

    Pour triompher de cette guerre révolutionnaire mondiale à finalité religieuse que mène l’Islam radical, il est essentiel et de mettre fin à l’évaluation erronée de la menace et des risques qu’elle fait courir à la France et à notre République et de réaliser la mise en cohérence totale de notre politique intérieure et étrangère.

    Général (2s) Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 26 octobre 2020)

     

    Notes :

    En arabe : combattant de la foi qui s’engage dans le Djihad

    [2]Un silence religieux, Jean Birnbaum, la gauche face au djihadisme, seuil janvier 2016

    [3]Un silence religieux, op.cit. page 2014

    [4]La division entre chiites et sunnites est apparue dès la mort du prophète et s’est encore accentuée au milieu de XVIIIème siècle avec l’apparition du wahhabisme. Comment, pour un croyant modéré, ne pas être tenté d’occulter les millions de morts musulmans que cette guerre religieuse et en particulier la daw’a mortifère, des wahhabites a entrainé parce que les islamistes radicaux considéraient ces musulmans comme des shirks, des takfirs ou des Kanaris.

    [5]http://www.marianne.net/deradicalisation-quand-amateurisme-tourne-arnaque-100245770.html

    [6]Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent, Lavauzelle ; Mai 2017, 315 pages

    [7]En leur temps les vizirs ottomans avaient nié pendant près d’un demi-siècle tout caractère religieux aux «révoltés » du Nedj.  Ils considéraient le wahhabisme comme un discours justificatif de leurs razzias et de leurs conquêtes.

    [8]J’ai lu, 2015

    [9]Sans parler des terroristes dans nos prisons qui en fin de peine doivent être placés dans des centres de rétention et s’ils sont étrangers ou double-nationaux être expulsés de notre territoire

    [10]Le Figaro, 18/1/2017 page 2.

    [11]. C’est aussi le cas en Egypte, en Cisjordanie et en Syrie où les Frères Musulmans ont toujours eu une branche armée secrète et ont commis des centaines d’attentats notamment contre Israël

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Islamisme : séparatisme ou recherche de l'hégémonie ?...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque, notamment, la volonté affichée par le président de la République de lutter contre le séparatisme islamique. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019) et La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020).

    Alain de Benoist 2.jpg

    Alain de Benoist : « Emmanuel Macron se berce d’illusions sur le séparatisme islamiste ! »

    Avec son discours des Mureaux, et son intention d’afficher d’engager la lutte contre le « séparatisme islamique », semble avoir découvert des réalités qu’il ne voyait pas auparavant. Est-ce à mettre à son crédit ? Peut-on dire qu’il est en train de reprendre la main ?

    Macron a beaucoup de défauts, mais il n’est pas totalement idiot. Il y a certainement beaucoup de choses dont il s’est rendu compte depuis le début de son mandat, et surtout il a mesuré les attentes de l’opinion sur certains sujets. Cela dit, je ne crois pas un instant que ses déclarations des Mureaux vont lui permettre de reprendre la main. Au départ, il y a déjà un problème de vocabulaire. Le mot « séparatisme » est généralement synonyme d’« indépendantisme ». Or, les islamistes ne veulent nullement se séparer territorialement de la France. Ce qu’ils veulent, c’est y instaurer une contre-société conforme à leurs croyances à leurs mœurs, et l’étendre autant qu’il est possible, ce qui n’est pas la même chose. N’oublions pas qu’en France, c’est l’État qui est laïc, pas la société. L’islamisme vise la société civile pour y établir une hégémonie culturelle. Il a d’autant moins de mal à la viser que l’État libéral fait de la laïcité un principe de dépolitisation, ce qui fait que les pouvoirs publics se retrouvent impuissants face à une influence métapolitique. On a longtemps cru que l’intégration était seulement une affaire politique, économique et sociale. On a oublié le paradigme civilisationnel.

    Macron n’a pas la même attitude vis-à-vis de tous les séparatismes. Il condamne le séparatisme corse ou le séparatisme catalan, mais il accepte de soumettre à référendum les exigences des séparatistes kanaks. Il encourage même le séparatisme à Hong Kong ou au . En France, en parlant de « séparatisme », il vise en fait le « communautarisme » – les « appartenances communautaires militantes », comme disait Luc Ferry lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale –, terme qui n’est pas moins équivoque. Mais comme il veut aussi « construire un islam des Lumières dans notre pays » (l’espoir fait vivre), il se garde bien de s’en prendre à l’islamisme tout court. Macron dit que son projet « a vocation à faire le lien entre l’insécurité liée au terrorisme et l’insécurité du quotidien ». Mais cette « insécurité au quotidien, à quoi est-elle liée ? » Le chef de l’État n’a même pas prononcé le mot « immigration », ce qui montre qu’il n’a nulle intention de s’attaquer aux causes profondes de de ce qu’il dénonce. S’il le faisait, il sait d’ailleurs très bien qu’il se heurterait immédiatement au veto des juges constitutionnels et de ceux de la Cour européenne des droits de l’homme.

    Le politologue Frédéric Saint Clair dit très justement que « le rôle de la République n’est pas de distinguer le bon islam du mauvais islam, ou de faciliter l’émergence d’un islam des Lumières. C’est aux musulmans de le faire, s’ils le souhaitent. La République, elle, doit définir le cadre politique et culturel de la nation ». Il est tout à fait douteux qu’on y parvienne en favorisant l’enseignement de l’arabe dans les jeunes classes, en s’en prenant indistinctement aux écoles hors-contrat (catholiques incluses), ou en remettant en cause les prérogatives familiales en matière d’éducation à domicile. Il est tout aussi maladroit de s’en prendre à ceux qui pensent qu’il existe des lois « supérieures à celles de la République » : pour les chrétiens, qui placent la « loi naturelle » au-dessus de la loi civile, l’avortement ne saurait être légitime au seul motif qu’il est devenu légal. Pour l’instant, on en est aux effets d’annonce. Il y aura quelques mesures plus contraignantes prises ici et là. Mais on n’ira pas plus loin.

    Macron semble aussi se rendre compte que la France est cruellement absente sur la scène internationale. En Europe, il n’a pratiquement enregistré que des échecs ? Est-ce la raison pour laquelle il tente de façon voyante de « sauver le Liban », sans oublier le soutien qu’il apporte aux opposants de Loukachenko, le président de la Biélorussie ?

    Ici, c’est la naïveté du chef de l’État qui apparaît stupéfiante. Prenons l’exemple du Liban qui, aujourd’hui, se trouve effectivement au bord du gouffre. Le Liban est un beau pays, avec lequel la France entretient depuis longtemps des liens privilégiés. Mais c’est aussi un pays qui, quasiment depuis sa naissance, en 1920, est divisé entre des clans rivaux, qui sont tous sans exception (à l’exception notable du Hezbollah) objectivement dirigés par des trafiquants ou des mafieux. S’imaginer qu’on va remettre de l’ordre dans tout cela en incitant ingénument les Libanais à adopter de bonnes règles de « gouvernance » à l’occidentale revient, non seulement à les humilier publiquement, ce qui n’est jamais recommandé au Proche-Orient, mais aussi à prêter aux intéressés un comportement rationnel qui est aux antipodes des règles qui régissent dans ce pays les relations religieuses, sociales et politiques des familles et des clans.

    La France est pareillement démunie devant la Turquie d’Erdogan, qui joue les matamores en Méditerranée, intervient militairement en Libye, combat les Kurdes en Syrie, viole la souveraineté terrestre et maritime de la Grèce et de Chypre. Elle l’est d’autant plus qu’elle ne peut compter ni sur la diplomatie européenne, qui a toujours été inexistante, ni sur l’Allemagne, qui est l’otage de sa minorité turque, ni sur l’OTAN, dont la Turquie est membre. Là encore, face à l’islamo-nationalisme turc, l’État français en est réduit à une pure agitation.

    Macron ne connaît en fait de l’intérieur aucun des grands dossiers internationaux dans lesquels il tente de s’immiscer pour redorer son blason. Le contraste est frappant avec Poutine. La Russie joue déjà au Proche-Orient le rôle déterminant que l’on sait. C’est sous son égide que l’avenir de Loukachenko va se déterminer. Et c’est aussi à l’initiative de Poutine qu’il y a quelque chance de voir l’Azerbaïdjan (aujourd’hui soutenu à la fois par la Turquie et par Israël) et l’Arménie parvenir à un quelconque modus vivendi. Macron, lui, a son avenir derrière lui.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 octobre 2020)

     

     

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Jusqu’où Erdogan veut-il pousser ses pions ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Jean-Bernard Pinatel cueilli sur Geopragma et consacré aux frictions entre la Turquie et la Grèce, appuyée par la France, en Méditerranée orientale... Officier général en retraite et docteur en sciences politiques, Jean-Bernard Pinatel a déjà publié plusieurs essais dont Russie, alliance vitale (Choiseul, 2011) et Carnet de guerres et de crises 2011-2013 (Lavauzelle, 2014).

     

    Turquie_Erdogan.jpg

    Jusqu’où Erdogan veut-il pousser ses pions ?

    La France, Chypre, la Grèce, et l’Italie, ont lancé le 26 août l’initiative Eunomia, afin de « contribuer à la baisse des tensions en Méditerranée orientale ». Eunomia se traduira par une série d’exercices interarmées. Le premier se tiendra sur trois jours, entre Chypre et la Grèce, et rassemblera les quatre pays de l’initiative. La France a déployé dès le 24 août trois Rafale de la 4e escadre de chasse de Saint-Dizier. La France aligne en outre la frégate La Fayette, actuellement en mission MEDOR (Méditerranée orientale). Deux Rafale et le La Fayette avaient déjà participé à un exercice commun avec Chypre début août. Les chasseurs s’étaient ensuite posés en Crète, en forme de soutien à la Grèce. L’Italie a déployé une frégate, Chypre des hélicoptères et un navire, et la Grèce des F-16, des hélicoptères, et une frégate. Furieux de cette initiative, Erdogan a insulté la France et son Président qu’il a jugé « en état de mort cérébrale », et le 30 août il s’en est pris ouvertement à Athènes déclarant à propos des ressources gazières qu’il convoite illégalement : 

    « Le peuple grec accepte-t-il ce qui va lui arriver à cause de ses dirigeants cupides et incompétents ? Lorsqu’il s’agit de combattre nous n’hésitons pas à donner des martyrs. Ceux qui s’érigent contre nous en Méditerranée sont-ils prêts aux mêmes sacrifices ? »                               
     

    Erdogan veut retrouver le leadership spirituel et temporel que la Sublime Porte a exercé sur le pourtour méditerranéen, en Irak, et sur la péninsule arabique.

    Sa stratégie se déploie à plusieurs niveaux sur lesquels il est, plus ou moins, en position de force.

    Au niveau spirituel, il se voit incarner le renouveau islamique que voulait promouvoir Al Banna lorsqu’il créa les Frères Musulmans en 1933, et il veut s’en servir comme levier pour reconstituer l’Empire ottoman. La transformation de Sainte-Sophie en mosquée dans l’ancienne capitale de l’Empire byzantin constitue la preuve éclatante de son objectif islamique. Pour le mettre en œuvre, Erdogan s’appuie à l’intérieur de la Turquie sur le « Parti de la justice et du développement » ou AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi) qui, malgré une érosion récente due aux difficultés économiques, reste le socle de son pouvoir. 

    Au niveau diplomatique, Recep Tayyip Erdogan se comporte comme le successeur des califes ottomans, agissant comme si le XXème siècle n’avait pas existé. Il développe une stratégie révisionniste, qui consiste à s’affranchir de tous les traités internationaux comme celui de Lausanne de 1923, et de ceux qui établissent le droit maritime international. Il vient de concrétiser cette stratégie près de l’île grecque de Kastellórizo, située à trois kilomètres de la Turquie, en y envoyant prospecter un bâtiment de recherche sismique escorté par des navires de guerre. La nature grecque de cette île a été reconnue par le Traité de Lausanne que la Turquie n’a d’ailleurs pas ratifié. Cette stratégie est habile car créant un fait accompli, il rend ainsi responsables d’escalade les grecs si ceux-ci décidaient d’employer la force pour l’obliger à se retirer de leur Zone économique exclusive (ZEE). A Ankara le 13 août, il menace de nouveau : « Nous disons que si vous attaquez notre Oruc Reis (le bâtiment de recherche sismique), vous aurez à payer un prix très élevé ».

    Au niveau militaire, il dispose une armée de terre importante presque entièrement déployée dans les zones de peuplement kurdes et aux frontières de la Syrie et de l’Irak. Et d’une bonne aviation mais d’une marine qui n’est pas compétitive face aux grandes marines occidentales car elle ne possède ni SNA ni porte-avion. La France seule, avec ses 5 SNA[1] dont trois sont opérationnels en permanence, est capable d’envoyer par le fond la flotte turque de méditerranée orientale. Ainsi, Erdogan n’a pas les moyens maritimes de ses ambitions. Néanmoins, la très grande proximité de la côte turque d’une vingtaine d’îles grecques comme Kastellorizo rend leur conquête possible par surprise sans réelle supériorité maritime, alors que leur reprise demanderait aux Grecs des moyens sans commune mesure avec ceux utilisés pour les occuper. 

    Au niveau économique, même si récemment la Turquie cherche à diversifier ses échanges vers la Russie, l’Irak et les pays du Golfe, elle reste très vulnérable à des sanctions économiques européennes. En effet, L’Union européenne à 28 demeure le premier partenaire commercial de la Turquie avec une part de marché stable (42% en 2018 et 41% en 2019). La Turquie a exporté pour $ 83 Mds de biens vers l’UE, qui absorbe ainsi 48,5% des exportations turques (contre 50% en 2018), et a importé pour $ 69 Mds de biens en provenance de l’UE (34,2% des importations turques), soit une baisse de 14% par rapport à 2018[2] .

    Quelles sont les cartes diplomatiques dans la main d’Erdogan pour mener à bien sa stratégie pan-Ottomane ?

    Erdogan est conscient qu’il ne peut bénéficier de l’appui des USA dans sa stratégie de reconquête. 

    Ses attaques contre les Kurdes en Syrie ont été très critiquées au Sénat et à la Chambre des représentants outre-Atlantique. Aussi dès le coup d’état manqué, il s’est tourné vers Poutine qui y voit une opportunité conjoncturelle pour son industrie de la défense.   Ainsi, le 5 avril 2018, la Turquie a acheté 4 systèmes S-400 à la Russie (contrat de $ 2,5 Mds) plus performants que le Patriot américain. Et le 12 juillet 2019, Ankara recevait les premiers composants du système de défense russe S-400. 

    La réponse américaine ne s’est pas fait attendre. Mi-juillet 2019, les États-Unis ont annoncé la décision d’exclure la Turquie du programme de chasseur-bombardier de 5e génération F-35 Lightning II[3]. De plus, des voix se sont élevées au Congrès pour exclure la Turquie de l’OTAN car son achat des S-400 russes est une violation de l’embargo sur les armes [4]

    Cette stratégie de renversement d’alliance militaire a des limites car il est évident que compte tenu du rôle que joue l’église orthodoxe en Russie, Poutine n’abandonnera pas la Grèce en cas de crise militaire. Ses liens actuels avec Erdogan lui permettront probablement de jouer une fois de plus le rôle de médiateur pour une désescalade en Méditerranée orientale.

    Ne pouvant bénéficier d’un appui ni de la Russie ni des Etats-Unis pour sa stratégie révisionniste et de reconquête, Erdogan a-t-il la capacité de dissuader l’UE de réagir face à une agression contre la Grèce ? 

    La communauté turque en Europe représente environ 6 millions de personnes dont presque la moitié résident en Allemagne (2.7 millions) et 600.000 en France. Erdogan essaie de se servir de cette diaspora tant sur le plan religieux que politique, pour dissuader les Européens de toute condamnation, sanction, et voire une réaction militaire, à sa politique. Mais sa capacité d’influencer la politique des Etats européens est limitée notamment parce qu’une partie de cette immigration est Kurde (1 million en Allemagne, 250.000 en France). Par ailleurs, la communauté turque en France est bien mieux intégrée que la communauté d’origine arabe ; la preuve : la délinquance y est beaucoup moins élevée. Les accusations et les mots d’ordre prononcés par des mouvements fascistes turcs seront peu suivis par les citoyens franco-turcs. En revanche, Erdogan entretient un réseau d’activistes nationalistes capables d’actions violentes comme ceux qui ont saboté les kiosques à journaux lorsque le Point avait comparé Erdogan à Hitler.  Ces activistes sont manipulés par les services secrets turcs et sont capables de mener des assassinats ciblés contre les Kurdes et les Arméniens, mais ils sont bien suivis par la DGSI et ne sont pas capables de dissuader le Président français d’agir. Cette diaspora n’est qu’un des facteurs qui explique la modération d’Angela Merkel vis à vis de la Turquie, les liens historiques et économiques étant plus déterminants. En revanche, la menace d’une nouvelle vague de migrants n’est plus aussi crédible, la Bulgarie et la Grèce ayant fermé leurs frontières avec la Turquie, et renforcé leurs moyens de contrôle depuis la pandémie. De plus l’UE, non sans mal, a officiellement décidé de renforcer Frontex, qui disposera d’un contingent permanent de 10.000 garde-frontières et garde-côtes d’ici 2027 pour assister les pays confrontés à une forte pression migratoire.

    Quelles peuvent être les options militaires d’Erdogan et les ripostes possibles de l’UE et donc les objectifs stratégiques d’Erdogan ?

    Option 1 

    Il a les moyens militaires de s’emparer par surprise et par la force d’une ou plusieurs îles grecques qui sont à seulement 3-5 kilomètres de la côte turque, et probablement de les conserver, car la Grèce ne disposera pas des alliés nécessaires pour les reconquérir, le prix humain étant trop élevé. 

    En revanche, son exclusion de l’OTAN serait inévitable. Déjà, depuis le coup d’état en 2016 et l’achat de plusieurs batteries S-400 à la Russie, des voix s’élèvent aux USA comme celles du sénateur Lindsay Graham et du représentant Eliot Angel, et au Canada, pour exclure de l’OTAN les états qui ne partagent pas les valeurs « démocratiques ». 

    La France trouverait des alliés pour bloquer le soutien qu’il fournit actuellement aux milices islamiques qui contrôlent Misrata et Tripoli en Lybie, et interdire tout mouvement aux navires de commerce et à la marine de guerre turque en Méditerranée orientale. 

    Sur le plan économique, il est difficile de voir comment l’UE pourrait justifier des sanctions économiques contre la Russie à cause de la Crimée, et ne pas sanctionner économiquement la Turquie. Cette option militaire semble être déraisonnable car le prix à payer serait supérieur au bénéfice tiré, et Erdogan ne l’envisagerait que s’il était assuré d’une neutralité allemande et anglo-saxonne. 

    Option 2 

    Erdogan pourrait poursuivre la recherche et la production illégale de gaz dans les ZEE qui, selon le traité de Lausanne et le droit maritime international, appartiennent à la Grèce et à Chypre[5], faisant porter à ses deux états la responsabilité d’une escalade militaire. 

    Ainsi, lorsque Chypre a annoncé le 8 novembre 2019 avoir signé son premier accord d’exploitation de gaz, d’une valeur de $ 9,3 Mds avec un consortium regroupant les sociétés anglo-néerlandaise Shell, l’américaine Noble, et l’israélienne Delek[6], Ankara lui a contesté le droit de procéder à des explorations et à de la production dans sa ZEE, arguant que les autorités chypriotes-grecques, qui contrôlent le sud de Chypre, ne peuvent exploiter les ressources naturelles de l’île, tant qu’elle n’est pas réunifiée. Mais, presque simultanément en juin 2019, la Turquie annonçait l’envoi d’un second navire de forage pour explorer les fonds marins au nord de Chypre à la recherche de gaz naturel. Chypre a immédiatement délivré un mandat d’arrêt pour les membres d’équipage du bateau de forage turc, le Fatih. 

    Dès avril 2019, le département d’Etat américain avait exprimé sa préoccupation et demandé à la Turquie de ne pas poursuivre ses projets visant à entamer des activités de forage de gaz dans la “ZEE de Chypre”.

    A l’issue du sommet des sept pays d’Europe du Sud à La Valette, le 14 juin 2019, une déclaration commune a été publiée enjoignant la Turquie de « cesser ses activités illégales » dans les eaux de la ZEE de Chypre. « Si la Turquie ne cesse pas ses actions illégales, nous demanderons à l’UE d’envisager des mesures appropriées »[7], ont-ils ajouté. 

    Le ministère turc des Affaires étrangères a estimé samedi que cette déclaration était « biaisée » et contraire aux lois internationales.

    Enfin, le 23 juillet 2020, en présence de son homologue chypriote Nicos Anastasiades à l’Élysée, le Président Macron a tenu « à réaffirmer une fois de plus l’entière solidarité de la France avec Chypre et aussi avec la Grèce face à la violation par la Turquie de leur souveraineté. Il n’est pas acceptable que l’espace maritime d’un État membre de notre Union soit violé ou menacé. Ceux qui y contribuent doivent être sanctionnés. »

    Conclusion

    La déclaration du Président Macron ouvre une nouvelle étape dans les relations de l’UE et de la France avec la Turquie : celle des sanctions.

    Le premier stade des sanctions serait des sanctions économiques ciblées. Elles accentueraient les difficultés économiques de la Turquie et éroderaient la base électorale de l’AKP, mais pourraient inciter Erdogan à choisir l’option militaire plutôt que de le calmer, car visiblement il est condamné à une sorte de fuite en avant. 

    L’autre option serait évidemment l’arraisonnement des bâtiments d’exploration et de production turcs dans les ZEE de la Grèce et de Chypre, ces derniers faisant partie de l’UE et de l’OTAN. 

    Cette option légitime risquerait de transformer ce différend en crise militaire aigüe.  Néanmoins, si la diplomatie échouait, on ne voit pas comment à long terme la Grèce et Chypre pourraient accepter sans réagir cette violation de leur ZEE. Rien ne dit qu’ils ne le feront pas, même sans l’appui initial diplomatique de l’UE et militaire d’au moins une grande puissance navale comme la France. 

    En revanche si la Turquie décidait de s’emparer par surprise d’iles grecques en espérant l’absence de réaction militaire à court terme, l’UE serait obligée d’infliger à la Turquie les mêmes sanctions qu’elle a infligé à la Russie pour son coup de force sur la Crimée ; l’exclusion de l’OTAN serait alors en jeu.

    Les récentes élections en Turquie ont montré la fragilisation de la base du pouvoir d’Erdogan notamment du fait des difficultés économiques. Il ne faut pas exclure que la fuite en avant nationaliste puisse lui paraître comme une solution pour sécuriser son pouvoir.

    Général (2s) Jean-Bernard Pinatel (Geopragma, 7 septembre 2020)

     

    Notes :

    [1] Le SNA à l’inverse des sous-marins classiques turcs est capable de rester en plongée tout le temps de s’y déplacer à grande vitesse ; alors qu’un sous-marin classique déchargerait ses batteries en quelques heures et devrait remonter son schnorkel pour les recharger. La furtivité d’un SNA est incomparable à celle d’un sous-marin classique. Pour mémoire, lors des manœuvres interalliées de Péan en 1998, le SNA Casabianca réussit à “couler” le porte-avions USS Dwight D. Eisenhower et le croiseur de classe Ticonderoga qui l’escortait. Lors de COMPTUEX 2015, un exercice mené par l’US Navy, le SNA Saphir a vaincu avec succès le porte-avions USS Theodore Roosevelt et son escorte, réussissant à “couler” le porte-avions américain

    [2] Le poids des trois principaux clients de la Turquie (Allemagne, Royaume-Uni et Italie, qui représentent respectivement 15,4 Mds USD, 10,9 Mds USD et 9,3 Mds USD) recule en 2019 de même que les exportations vers les Etats-Unis (8,1 Mds USD, qui demeure le 5ème client et vers l’Espagne (7,6 Mds USD) qui demeure le 6ème client de la Turquie. La part de la France (7ème client) parmi les clients de la Turquie est passée de 4,3% en 2018 à 4,5% en 2019, soit une progression constante depuis 2017.  A l’inverse, les exportations vers l’Irak (4ème client) augmentent de 7,8% (9 Mds USD) de même que celles vers la Hollande (8ème client, +14,4%), vers Israël (+11,9%) qui devient le 9ème client et vers la Russie (+13,4%) qui devient le 11ème client de la Turquie. In fine, on notera que les exportations des principaux fournisseurs de la Turquie ont toutes enregistré des baisses importantes en 2019 par rapport à 2018, sauf la Russie.     

    [3]  Ergodan au Salon international de l’aéronautique et de l’espace MAKS qui s’est tenu dans la région de Moscou du 27 août au 1er septembre 2019 se fait présenter Su-57 « Frazor », le nouveau chasseur-bombardier russe de 5e génération. D’après plusieurs agences de presse dont Associated Press le président turc a demandé à M. Poutine si cet appareil était « disponible à la vente pour des clients et Poutine a répondu oui. 

    [4] Le 20 aout 2020, Monsieur Cardin un haut administrateur de la commission des affaires étrangères du Sénat a envoyé une lettre au secrétaire d’État Rex Tillerson et au secrétaire au Trésor Steve Mnuchin au sujet de l’achat des S-400 par la Turquie où il indique : « La législation impose des sanctions à toute personne qui effectue une transaction importante avec les secteurs de la défense ou du renseignement de la Fédération de Russie », a déclaré M. Cardin dans la lettre. M. Cardin a également demandé à l’administration Trump d’évaluer comment l’achat turc pourrait affecter l’adhésion de la Turquie à l’OTAN et l’aide américaine à la sécurité à Ankara.

    [5] L’indépendance de l’île est proclamée en 1960. En 1974 le régime des colonels au pouvoir en Grèce fomente un coup d’Etat afin d’annexer l’île. Des soldats turcs débarquent alors dans le nord. Ils créent la République Turque de Chypre du Nord (38% du territoire), reconnue uniquement par la Turquie, soumise à un embargo et trois fois plus pauvre que le sud de l’île. Les Chypriotes grecs réfugiés dans le sud sont expropriés. L’armée turque est présente dans le Nord de l’Ile. 

    [5] La licence d’exploitation, d’une durée de 25 ans, concerne le champ gazier Aphrodite, le premier découvert au large de l’île méditerranéenne, par la société Nobel en 2011. Ses réserves sont estimées à 113 milliards de mètres cubes de gaz.

    [7] « Nous réitérons notre soutien et notre entière solidarité avec la République de Chypre dans l’exercice de ses droits souverains à explorer, exploiter et développer ses ressources naturelles dans sa zone économique exclusive, conformément au droit de l’UE et au droit international. Conformément aux conclusions précédentes du Conseil et du conseil européen, nous rappelons l’obligation incombant à la Turquie de respecter le droit international et les relations de bon voisinage. Nous exprimons notre profond regret que la Turquie n’ait pas répondu aux appels répétés de l’Union européenne condamnant la poursuite de ses activités illégales en Méditerranée orientale et dans la mer Égée et nous manifestons notre grande inquiétude au sujet de réelles ou potentielles activités de forage au sein de la zone économique exclusive de Chypre. Nous demandons à l’Union européenne de demeurer saisie de cette question et, au cas où la Turquie ne cesserait pas ses activités illégales, d’envisager les mesures appropriées, en toute solidarité avec Chypre ». https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/06/14/sommet-des-pays-du-sud-de-lunion-europeenne

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Erdogan n'est fort que parce que nous sommes faibles !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Renaud Girard à Figaro Vox à propos de la crise provoquée par la Turquie et qui implique la Syrie, la Russie et maintenant l'Europe... Renaud Girard est correspondant de guerre et chroniqueur international du Figaro.

     

    Erdogan_Europe.jpg

    «Vague migratoire: le seul moyen de faire reculer Erdogan, c’est de lui tenir tête»

    FIGAROVOX.- Pouvez-nous nous expliquer la situation à Idlib et le lien avec la crise migratoire?

    Renaud GIRARD.- La Syrie est plongée dans une guerre civile qui, depuis 2012, oppose une rébellion majoritairement islamiste (soutenue, entre autres, par la Turquie) au gouvernement laïc baasiste de Bachar el-Assad (soutenu par la Russie et l’Iran). En septembre 2015, le Président Vladimir Poutine a décidé d’engager directement les forces russes aux côtés du gouvernement syrien. Cet appui a permis au camp loyaliste de gagner la guerre et de reconquérir l’essentiel du territoire syrien.

    Cependant, la ville d’Idlib, au nord-ouest du pays, près de la frontière turque, est encore aux mains des rebelles. Les Accords de Sotchi, conclus en septembre 2018 entre Russes et Turcs, faisaient de cette ville une «zone de désescalade», sécurisée par l’armée turque qui est censée y protéger les civils.

    Mais les Syriens et les Russes ont décidé de reprendre la ville, car ils considèrent que le Président Erdogan a trahi ses engagements. En effet, la zone devait uniquement servir à protéger les civils. Cependant, les Turcs y ont accueilli en masse des djihadistes, syriens et étrangers, qui fuyaient la reconquête des autres provinces syriennes par les forces gouvernementales.

    Or, Erdogan n’accepte pas cette reconquête et ses troupes se heurtent à l’armée syrienne. Par ailleurs, au lieu de s’en prendre frontalement à la Russie, qu’il sait forte, il menace l’Union européenne (UE), qu’il sait faible. Il encourage des centaines de milliers de migrants musulmans à se précipiter sur les frontières de l’Europe. Tout cela parce que 33 soldats turcs eurent trouvé la mort dans un bombardement effectué à Idlib (sur le sol syrien donc) par les forces de Bachar el-Assad. Erdogan a ainsi rompu unilatéralement l’engagement qu’il avait pris envers l’UE de garder en Turquie les migrants (Afghans, Syriens, Irakiens...) et de les empêcher de passer en Europe, engagement pour lequel les Européens l’ont généreusement payé. Erdogan punit les Européens, alors qu’ils n’y sont strictement pour rien dans le bombardement d’Idlib.

    Le Président turc sait que l’immigration est devenue le talon d’Achille des sociétés européennes et qu’elle risque de faire imploser l’Union européenne. Et ce d’autant plus que les sociétés européennes n’ont jamais été consultées démocratiquement sur la question migratoire alors qu’elles ont depuis longtemps constaté, chez elles, l’échec du multiculturalisme.

    Par ailleurs, Erdogan cherche à négocier avec Poutine, qui est en position de force, mais sans perdre la face. La rencontre des deux dirigeants, le 5 mars à Moscou, vient de déboucher sur un cessez-le-feu provisoire, qui prévoit qu’Idlib ne sera pas réoccupée par les Syriens pour le moment mais que les organisations islamistes (soutenues par la Turquie) y seront démantelées.

    Quels sentiments vous inspire cette décision du Président Erdogan d’encourager des centaines de milliers de migrants à forcer les frontières de l’Union européenne?

    Premier point, il s’agit là d’une forme d’invasion. Les frontières de l’Europe sont attaquées. Ainsi, le 1er mars 2020, on a pu voir de solides jeunes barbus, criant «Allah Akbar!», portant un tronc d’arbre en guise de bélier et essayant de défoncer le portail d’un poste-frontière grec. Ces musulmans, résidant en Turquie mais natifs de différents pays du Moyen-Orient, avaient été gratuitement transportés en autobus par les autorités turques vers la frontière grecque.

    Deuxième point. Erdogan est en grande partie responsable du chaos qui règne en Syrie. Jusqu’en 2010, il avait choisi comme ligne de politique étrangère «zéro problème avec nos voisins», et maintenait d’excellentes relations avec tous les pays de son entourage géographique. Mais en 2011, éclatent les printemps arabes: Erdogan tente alors de les récupérer à son profit et rêve d’en prendre partout le leadership. Pour cela, il appuie les Frères Musulmans. Il intervient dans la guerre civile syrienne, contre le régime baasiste d’Assad, dont il avait été pourtant l’ami personnel. Son service secret, le MIT, accueille les djihadistes venus du monde entier et les fait passer en Syrie. Il les arme et les soigne, sur le territoire turc. Erdogan se sent alors pousser des ailes et fanfaronne, annonçant en 2012 que d’ici quelques semaines le régime de Bachar sera tombé et qu’il viendra lui-même prier à Damas à la grande mosquée des Omeyaddes. Mais les alliés islamistes arabes d’Erdogan ont perdu. Si le Président turc n’avait pas joué à l’apprenti sorcier, la guerre civile syrienne aurait été terminée plus tôt et aurait fait moins de victimes et de réfugiés. Pourquoi les Européens paieraient-ils le prix des graves imprudences d’Erdogan?

    Troisième point, lorsque l’on regarde le choix d’Erdogan de sanctionner l’UE, il y a là matière à être surpris deux fois. D’abord, les Turcs ne sont pas chez eux à Idlib. La Turquie n’est ni envahie ni attaquée. C’est elle qui, au contraire, occupe une portion du territoire syrien, territoire que le gouvernement de Damas cherche à reconquérir, ce qui est dans la nature d’un gouvernement, quel qu’il soit. Quand on envoie des soldats en expédition dans un autre pays que le sien, ne prend-on pas le risque qu’ils s’y fassent tuer? Ensuite, pourquoi punir les Européens, alors que ce ne sont pas eux - mais des avions syriens ou russes - qui ont tué ces malheureux soldats turcs?

    Mais alors pourquoi Erdogan s’en prend-il à l’UE? Et comment doivent répondre les Européens?

    La seule manière de comprendre le geste d’Erdogan est que ce Frère musulman a toujours, dans sa diplomatie extérieure comme dans sa politique intérieure, préféré s’en prendre à des faibles qu’à des forts. Erdogan n’a aucune difficulté à insulter Macron. Avant d’insulter Poutine ou Trump, il y réfléchira à deux fois. Erdogan vit de nos faiblesses et de nos renoncements. Il n’est fort que parce que nous sommes faibles. Et nous sommes faibles par notre propre faute.

    Erdogan ne comprend que la force. Trump l’a bien saisi, comme le montre l’attaque sur la livre turque en août 2018 pour faire libérer le pasteur américain Andrew Brunson, emprisonné en Turquie. Poutine aussi l’a compris. Ainsi Erdogan a dû se réconcilier avec lui en 2016 après les sanctions russes suite à la mort d’un pilote russe, dont l’avion avait été abattu par les Turcs.

    La Russie et les États-Unis ne sont pas des pays que l’on fait chanter. L’Union européenne, c’est différent. Depuis la crise des migrants de 2015, les Turcs ont compris qu’ils pouvaient la faire chanter à leur guise: «Tu ne veux pas faire ce que je désire, tu ne veux pas me donner plus d’argent ou me soutenir dans ma politique? Alors, je vais t’envoyer quelques centaines de milliers de migrants musulmans supplémentaires.» C’est, en substance, le langage que tient tous les jours à l’égard de Bruxelles notre nouveau sultan néo-ottoman. Là, il vient de passer à la vitesse supérieure en révoquant unilatéralement des accords qu’il avait signés alors que l’UE lui a déjà versé plusieurs milliards d’euros pour empêcher l’arrivée de migrants. Et au moment même où Erdogan donne l’ordre à sa police de pousser les migrants vers la frontière grecque, la Commission européenne annonce qu’elle va lui verser 500 millions d’euros supplémentaires. C’est surréaliste.

    Plus nous serons faibles avec Erdogan, plus il sera méprisant et exigeant. C’est une grave erreur de croire qu’il sera bienveillant si nous nous montrons complaisants et cédons à ses menaces. Il en voudra alors toujours plus. Céder face à lui serait un nouveau Munich, comme lorsque nous avons cédé face à Hitler en pensant ainsi acheter la paix. Le seul moyen de faire reculer Erdogan est au contraire de lui tenir tête.

    Pourquoi la BCE ne spécule-t-elle pas contre la livre turque (comme le firent les USA avec succès pour libérer le pasteur Brunson)? Pourquoi ne surtaxons-nous pas les exportations turques (acier, aluminium, noisettes...)? Pourquoi ne prenons-nous pas des sanctions économiques - sur le commerce et le tourisme - contre la Turquie (comme le firent Trump et Poutine) afin qu’Erdogan cesse son chantage migratoire? La justice française vient de mettre en examen quatre personnes soupçonnées d’avoir collecté des fonds pour le PKK (organisation politico-militaire indépendantiste kurde, hostile à Erdogan). Pourtant les Kurdes nous ont rendu de grands services contre Daech. Erdogan ne fait pas la police pour nous (avec les migrants), pourquoi la ferions-nous pour lui, en arrêtant des Kurdes appartenant à un mouvement, le PKK, qu’il juge terroriste.?

    Surtout, il faut d’urgence aider financièrement et militairement la Grèce et la Bulgarie à défendre les frontières de l’Europe et arrêter cette immigration musulmane de masse, dangereuse pour la cohésion de l’UE. Nous devons mobiliser les armées et polices européennes pour bloquer le flux de migrants et neutraliser le chantage turc. Voilà qui permettrait de donner aux peuples européens une image positive et protectrice de l’UE.

    Le Président turc est-il plus faible qu’on ne le croit?

    Oui. Sa politique étrangère a été contre-productive. Nous sommes à l’opposé de la ligne «pas de problème avec les voisins» des années 2002-2010. Aujourd’hui, en plus de ne pas avoir pu renverser Bachar, Erdogan est isolé diplomatiquement. Il s’est fâché avec de nombreux pays musulmans moyen-orientaux (dont l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats, qui - bien que sunnites comme la Turquie - considèrent les Frères Musulmans comme une organisation terroriste).

    À l’intérieur, le Président turc est aussi en position de faiblesse. Sa cote de popularité est en baisse. Son parti, l’AKP (islamo-conservateur), a perdu la ville d’Istanbul (principale ville et capitale économique du pays, dont Erdogan fut longtemps maire). Son économie connaît des difficultés. Sa population est excédée par la présence de millions de migrants arabes, africains et afghans.

    En se lançant dans une opération militaire pour stimuler le sentiment nationaliste et en tentant de se débarrasser des migrants, Erdogan espère relancer sa popularité auprès de son opinion publique. Mais si sa politique aboutissait à des sanctions économiques, son pari se retournerait contre lui.

    À Idlib, les civils sont pris entre les Turcs (et leurs alliés djihadistes) et les forces de Bachar el-Assad. Face à la guerre, au froid et à la famine, ils vivent une véritable crise humanitaire. Vous êtes l’auteur d’un livre intitulé Quelle diplomatie pour la France? (Le Cerf, 2017), ouvrage dans lequel vous critiquez la position de la présidence Hollande sur le dossier syrien. Pour vous, que doit faire la France pour Idlib?

    La France continue (depuis 2011!) de refuser tout dialogue avec Bachar el-Assad alors qu’il est désormais manifeste que cette ligne est tout à fait erronée.

    Car, qu’on le veuille ou non, Bachar el-Assad a aujourd’hui gagné la guerre et reconquis l’essentiel de son territoire. Même les Émirats Arabes Unis (puissance sunnite qui a longtemps soutenu et armé les rebelles) ont pris acte de la victoire de Bachar et rouvert leur ambassade à Damas! En agissant comme elle le fait, la France se prive de toute influence sur le règlement politico-humanitaire de la crise d’Idlib.

    Le réalisme seul nous permettra d’avoir un impact politique et humanitaire positif là où notre moralisme nous condamne à l’impuissance. Pour pasticher la formule de Charles Péguy sur la morale de Kant, nous pouvons dire que: «la diplomatie française a les mains propres parce qu’elle n’a pas de mains». Notre position n’est d’aucun secours aux civils d’Idlib là où une posture réaliste de rapprochement avec Bachar el-Assad nous permettrait au contraire de peser sur lui. Pour pacifier la Bosnie et mettre fin aux massacres grâce aux accords de Dayton, il a bien fallu parler à Milosevic.

    Depuis le début de l’année 2012, les gouvernements occidentaux ont cessé de parler au régime Assad, estimant que sa chute n’était plus qu’une question de semaines. Ils se sont trompés. Il est temps de prendre les réalités telles qu’elles sont et de comprendre qu’Assad est -qu’on le veuille ou non- un acteur incontournable, qui jouit du soutien d’une partie non négligeable de la population syrienne. Ça ne nous plaît peut-être pas mais ce sont les faits. On ne fera donc pas taire les armes à Idlib sans lui parler. Notre diplomatie moralisatrice et droit-de-l’hommiste n’a servi à rien et n’a pas fait avancer d’un pouce les Droits de l’Homme ou la démocratie. Elle a au contraire abouti à des résultats immoraux, à savoir des souffrances horribles pour les populations. On refuse de se compromettre en parlant à Bachar, mais ce sont les civils syriens qui endurent les conséquences terribles de notre position. «La vraie morale se moque de la morale», disait Pascal.

    Nous avons commis deux grandes erreurs au Moyen-Orient. La première a été de rompre avec Bachar el-Assad et de prendre les rebelles syriens pour des «démocrates» alors que la majorité d’entre eux étaient islamistes. La seconde a été d’abandonner nos amis: les Chrétiens d’Orient et les Kurdes. Or, dans cette région du monde, les gens - y compris vos ennemis - ne vous respectent que si vous n’abandonnez pas vos amis. Ainsi Poutine est respecté par tous les peuples orientaux, y compris par les Turcs et les Saoudiens, parce qu’il n’a pas abandonné son ami Bachar. À cause de ces deux erreurs, la voix de la France ne compte aujourd’hui pour rien en Syrie, alors que nous en sommes pourtant l’ancienne puissance mandataire: dans les négociations du 5 mars, Poutine a décliné la demande d’Erdogan de convier également Emmanuel Macron à une rencontre sur la Syrie. Nous payons là neuf années d’erreur et d’aveuglement.

    Faut-il condamner les frappes russes sur Idlib?

    Pour répondre, regardons les chiffres. La guerre en Syrie a fait 73 000 morts en 2013 et 75 00 en 2014, mais 20 000 en 2018 et 11 000 en 2019 (c’est-à-dire un chiffre divisé par 7 par rapport à 2014). Donc l’intervention russe (qui remonte 2015) et les succès russo-syriens sont synonymes d’une baisse du nombre de morts sur le terrain.

    Surtout, les frappes russes visent des djihadistes, c’est-à-dire notre ennemi principal, le même qui massacre les Chrétiens d’Orient, tue nos enfants dans nos rues et que nous combattons en France et au Mali. D’ailleurs, la chaîne France 24 a publié des images dans lesquelles des djihadistes français se filment fièrement à Idlib parmi les rebelles. Notre attitude est donc incohérente: en France ou au Sahel, nous combattons ces gens. Mais en Syrie, nous déplorons que Poutine les bombarde.

    Les rebelles d’Idlib, protégés par la Turquie, appartiennent à Hayat Tahrir al-Cham, conglomérat djihadiste dont la principale branche est Fatah al-Cham, nouveau nom du Front Al-Nosra, c’est-à-dire de la branche syrienne d’Al Qaeda. N’oublions pas qu’Al Qaeda est à l’origine des attentats du 11 septembre de 2001 (les plus meurtriers de l’histoire du terrorisme). C’est elle que nous affrontons dans le Sahel (sous le nom d’Aqmi). Depuis 20 ans, cette nébuleuse a aussi tué des milliers de civils dans le monde arabe.

    Pendant toute la guerre syrienne, la filiale Al-Nosra est restée fidèle à la réputation de sauvagerie de sa maison-mère Al-Qaeda. Elle s’est tristement illustrée, entre autres exactions, par des massacres de druzes, de chrétiens et d’alaouites, mais aussi de sunnites. Par exemple, le 11 décembre 2013, Al-Nosra a infiltré la ville d’Adra: au moins 32 civils ont été massacrés, certains décapités. La victoire d’Al Nosra en Syrie, empêchée par les Russes, aurait signifié l’extermination de toutes les minorités religieuses, l’instauration de la charia et la constitution d’un État islamiste et terroriste au coeur du Moyen-Orient et de la Méditerranée. Si les bombardements sur Idlib tuent hélas aussi des civils, c’est parce que les djihadistes prennent la population en otage et se mêlent à elle.

    En septembre 2015, j’écrivais «il faut aider les Russes en Syrie». Si nous l’avions fait, nous pourrions jouer un rôle dans la crise syrienne au lieu d’être ravalés au rang de spectateurs passifs.

    Renaud Girard (Figaro Vox, 6 mars 2020)

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Géopolitique 0 commentaire Pin it!
  • Tensions en Méditerranée : le retour de la Turquie ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan, cueilli sur son blog et consacré à l'annonce de l'engagement l'armée turque en Libye. Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont  Histoire de l'Afrique du Nord (Rocher, 2016), Algérie - L'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2017), Atlas historique de l'Afrique (Rocher, 2018) et Les guerres du Sahel (L'Afrique réelle, 2019).

    Armée turque.jpg

    Et si son intervention militaire en Libye était d’abord pour la Turquie un moyen de pression pour obtenir la révision du Traité de Lausanne qui fixa ses frontières maritimes en 1923 ?

    Trois événements de grande importance rebattent le jeu géopolitique méditerranéen :

    1) Le 7 novembre 2019, afin de contrôler le tracé du gazoduc EastMed par lequel se feront les futures exportations de gaz du gigantesque gisement de la Méditerranée orientale vers l’Italie et l’UE, la Turquie a signé avec le GUN (Gouvernement d’Union nationale libyen), l’un des deux gouvernements libyens, un accord redéfinissant les zones économiques exclusives (ZEE) des deux pays. Conclu en violation du droit maritime international et aux dépens de la Grèce et de Chypre, cet accord trace aussi artificiellement qu’illégalement, une frontière maritime turco-libyenne au milieu de la Méditerranée.

    2) La sauvegarde de cet accord passant par la survie militaire du GUN, le 2 janvier 2020, le Parlement turc a voté l’envoi de forces combattantes en Libye afin d’empêcher le général Haftar, chef de l’autre gouvernement libyen, de prendre Tripoli.

    3) En réaction, toujours le 2 janvier, la Grèce, Chypre et Israël ont signé un accord concernant le tracé du futur gazoduc EastMed dont une partie du tracé a été placée unilatéralement en zone maritime turque par l’accord Turquie-GUN du 7 novembre 2019.

    Ces évènements méritent des explications:

    Pourquoi la Turquie a-t-elle décidé d’intervenir en Libye ?

    La Libye fut une possession ottomane de 1551 à 1912, date à laquelle, acculée militairement, la Turquie signa le Traité de Lausanne-Ouchy par lequel elle cédait la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Dodécanèse à l’Italie (voir à ce sujet mes deux livres Histoire de la Libye  et Histoire de l’Afrique du Nord des origines à nos jours).

    Depuis la fin du régime Kadhafi, la Turquie mène un très active politique dans son ancienne possession en s’appuyant sur la ville de Misrata. A partir de cette dernière, elle alimente les groupes armés terroristes sahéliens afin d’exercer un chantage sur la France : « Vous aidez les Kurdes, alors nous soutenons les jihadistes que vous combattez  »…

    A Tripoli, acculé militairement par les forces du général Haftar, le GUN a demandé à la Turquie d’intervenir pour le sauver. Le président Erdogan a accepté en échange de la signature de l’accord maritime du 7 novembre 2019 qui lui permet, en augmentant la superficie de sa zone de souveraineté, de couper la zone maritime économique exclusive (ZEE) de la Grèce entre la Crête et Chypre, là où doit passer le futur gazoduc EastMed.

    En quoi la question du gaz de la Méditerranée orientale et celle de l’intervention militaire turque en Libye sont-elles liées ?

    En Méditerranée orientale, dans les eaux territoriales de l’Egypte, de Gaza, d’Israël, du Liban, de la Syrie et de Chypre, dort un colossal gisement gazier de 50 billions de m3 pour des réserves mondiales de 200 billions de m3 estimées. Plus des réserves pétrolières estimées à 1,7 milliards de barils de pétrole.

    En dehors du fait qu’elle occupe illégalement une partie de l’île de Chypre, la Turquie n’a aucun droit territorial sur ce gaz, mais l’accord qu’elle a signé avec le GUN lui permet de couper l’axe du gazoduc EastMed venu de Chypre à destination de l’Italie puisqu’il passera par des eaux devenues unilatéralement turques… Le président Erdogan a été clair à ce sujet en déclarant que tout futur pipeline ou gazoduc nécessitera un accord turc !!! Se comportant en « Etat pirate », la Turquie est désormais condamnée à s’engager militairement aux côtés du GUN car, si les forces du maréchal Haftar prenaient Tripoli, cet accord serait de fait caduc.

    Comment réagissent les Etats spoliés par la décision turque ?

    Face à cette agression, laquelle, en d’autres temps, aurait immanquablement débouché sur un conflit armé, le 2 janvier, la Grèce, Chypre et Israël ont signé à Athènes un accord sur le futur gazoduc EastMed, maillon important de l’approvisionnement énergétique de l’Europe. L’Italie, point d’aboutissement du gazoduc devrait se joindre à cet accord.

    De son côté, le maréchal Sissi a déclaré le 17 décembre 2019 que la crise libyenne relevait de « la sécurité nationale de l’Egypte » et, le 2 janvier, il a réuni le Conseil de sécurité nationale. Pour l’Egypte, une intervention militaire turque qui donnerait la victoire au GUN sur le général Haftar représenterait en effet un danger politique mortel car les « Frères musulmans », ses implacables ennemis, seraient alors sur ses frontières. De plus, étant économiquement dans une situation désastreuse, l’Egypte, qui compte sur la mise en chantier du gazoduc à destination de l’Europe ne peut tolérer que ce projet, vital pour elle, soit remis en question par l’annexion maritime turque.

    Quelle est l’attitude de la Russie ?

    La Russie soutient certes le général Haftar, mais jusqu’à quel point ? Quatre grandes questions se posent en effet quant aux priorités géopolitiques russes :

    1) La Russie a-t-elle intérêt à se brouiller avec la Turquie en s’opposant à son intervention en Libye au moment où Ankara s’éloigne encore un peu plus de l’OTAN ?

    2) A-t-elle intérêt à voir la mise en service du gazoduc EastMed qui va fortement concurrencer ses propres ventes de gaz à l’Europe ?

    3) Son intérêt n’est-il pas que la revendication turque gèle la réalisation de ce gazoduc, et cela, pour des années, voire des décennies, compte tenu des délais impartis aux cours internationales de justice ?

    4) A-t-elle intérêt à affaiblir le partenariat qu’elle a établi avec la Turquie à travers le gazoduc Turkstream qui, via la mer Noire, contourne l’Ukraine et qui va prochainement être mis en service. ? D’autant plus que 60% des besoins en gaz de la Turquie étant fournis par le gaz russe, si Ankara pouvait, d’une manière ou d’une autre profiter de celui de la Méditerranée orientale, cela lui permettrait d’être moins dépendante de la Russie…ce qui ne ferait guère les affaires de cette dernière…

    Et si, finalement, tout n’était que gesticulation  de la part du président Erdogan afin d’imposer une renégociation du Traité de Lausanne de 1923 ?

    La Turquie sait très bien que l’accord maritime passé avec le GUN est illégal au point de vue du droit maritime international car il viole la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) que la Turquie n’a pas signée. Cet accord est également illégal au regard des Accords de Skrirat du mois de décembre 2015 signés sous les auspices des Nations Unies et qui constituèrent le GUN car ils ne donnent pas mandat à son chef, Fayez el-Sarraj, de conclure un tel arrangement frontalier. De plus, n’ayant que le Qatar pour allié, la Turquie se trouve totalement isolée diplomatiquement.

    Conscient de ces réalités, et misant à la fois sur l’habituelle lâcheté des Européens et sur l’inconsistance de l’OTAN effectivement en état de « mort cérébrale », le président Erdogan est soit un inconscient jouant avec des bâtons de dynamite soit, tout au contraire, un calculateur habile avançant ses pions sur le fil du rasoir.

    Si la seconde hypothèse était la bonne, le but de la Turquie serait donc de faire monter la pression afin de faire comprendre aux pays qui attendent avec impatience les retombées économiques de la mise en service du futur gazoduc EastMed, qu’elle peut bloquer le projet. A moins que l’espace maritime turc soit étendu afin de lui permettre d’être partie prenante à l’exploitation des richesses du sous-sol maritime de la Méditerranée orientale. Or, pour cela, il conviendrait de réviser certains articles du Traité de Lausanne de 1923, politique qui a déjà connu un début de réalisation en 1974 avec l’occupation militaire, elle aussi illégale, mais effective, de la partie nord de l’île de Chypre.

    Le pari est risqué car la Grèce, membre de l’OTAN et de l’UE et Chypre, membre de l’UE, ne semblent pas disposées à céder au chantage turc. Quant à l’UE, en dépit de sa congénitale indécision, il est douteux qu’elle acceptera de laisser à la Turquie le contrôle de deux des principaux robinets de son approvisionnement en gaz, à savoir l’EastMed et le Turkstream.

    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 5 janvier 2020)

    Lien permanent Catégories : Décryptage, Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!