Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

droits de l'homme - Page 7

  • L'inquiétant oubli du monde...

    Nous reprpduisons ci-dessous un point de vue de Régis Debray, cueilli sur Le Monde.fr et consacré à la politique étrangère de la France telle qu'elle a été menée au cours du quinquennat  de Nicolas Sarkozy. Régis Debray vient de publier chez Flammarion un court essai intitulé Rêverie de gauche.

     

    Régis Debray.jpg

     

    L'inquiétant oubli du monde

    Agis en ton lieu, pense avec le monde", conseillait l'écrivain Edouard Glissant. Agis pour l'emploi et le pouvoir d'achat, n'oublie pas l'arène planétaire. Que le ring électoral fasse si peu cas du grand large laisse pantois. Voir, à gauche, la bourrée auvergnate remplacer L'Internationale donne à penser que la jeune garde montante ne voit rien à redire, sur le fond, à la politique étrangère du sortant.

    Atlantisme, européisme, ethnicisme et urgentisme caractérisent la diplomatie de nos défuntes années, d'une désastreuse banalité. Elle semble se fondre dans l'air du temps au point d'inhiber le vieux devoir d'examen au pays même de l'esprit critique.


    L'alignement sur les Etats-Unis

    Nous voilà donc phagocytés, via la pleine réintégration dans l'OTAN, par une Sainte-Alliance qui n'a plus d'atlantique que le nom. Son actionnaire majoritaire, seul décideur en dernière instance, tend à se substituer aux Nations unies qu'il instrumentalise ou bien marginalise en tant que de besoin.

    L'abandon symbolique de notre singularité de pensée et de stratégie avait un alibi : faciliter la construction du "pilier européen de l'Alliance". Vaste blague. Les Européens n'en veulent pas (l'Est moins que quiconque), et les Etats-Unis non plus.

    Amor fati (l'amour du destin) ? Certes, "interopérabilité" oblige, et tralalas aidant, le brain-wash des Etats majors est chose acquise et, entre la DGSE et la CIA, plus une feuille de cigarette. L'imprégnation coloniale des réflexes est telle que plus personne ne s'étonne de voir Nicolas Sarkozy mettre la main sur le coeur pour écouter La Marseillaise et Alain Juppé s'exprimer en anglais à l'ONU. Soit.

    Mais, quand on se résigne à un rôle de supplétif, la glissade le long du toit débouche sur des catastrophes mal déguisées quoique prévisibles. Qu'il ait fallu dix ans à nos socialistes pour prendre leurs distances envers l'occupation militaire de l'Afghanistan, où l'inepte le dispute à l'inique, n'est pas de bon augure.

    La superstition européenne

    Passons sur le rouleau compresseur du libéralisme exaspérant de Bruxelles. Le rêve s'est évanoui et la fuite en avant dans le fédéralisme, réflexe classique en histoire lorsqu'une belle cause périclite, ne ferait que précipiter le retour au chacun pour soi. Par-delà la désuétude d'un logiciel entre démo-chrétien et social-démocrate, qui donnerait des rides précoces aux enfants de Jacques Delors, ce qui agonise, c'est la grande illusion selon laquelle il revient à l'économie de conduire la politique, et à une monnaie unique d'engendrer un peuple unique.

    Comment passe-t-on d'une inscription administrative (le passeport européen) à une allégeance émotionnelle ? Pourquoi un habitant de Hambourg accepte-t-il de se serrer la ceinture pour un habitant de Dresde, mais non pour un Grec ou un Portugais ? Le cercle des économistes n'a pas ici compétence. La réponse à la question première, qu'est-ce qu'un peuple ?, relève de l'histoire, de l'anthropologie, de la géographie et de la démographie, voire des sciences religieuses, dont les adeptes, pour leur malheur et le nôtre, ne hantent pas le dîner du Siècle.

    Puisqu'un concert suppose un chef d'orchestre, avec ou sans podium - la Prusse pour le Reich allemand ou le Piémont pour l'unité italienne -, il est normal, si l'époque est à l'économie, que l'Allemagne tienne la baguette. Le vrai problème pour nous, c'est l'engluement dans une géographie mentale en peau de chagrin où une mappemonde avec 195 capitales se réduit à deux clignotants, Berlin et Washington. L'alibi selon lequel la France n'est plus de taille valait-il cette autopunition masochiste : se faire couper le sifflet par un ectoplasme sans voix comme l'Europe des commissaires ? Celle-ci est grasse et grande mais sans vision ni dessein, inexistante à l'international (et notamment aux yeux des présidents américains) et sans ancrage dans les coeurs.

    Qui célèbre en Europe le jour de l'Europe ? Qui entonne l'hymne européen - l'Ode à la joie n'a pas de parole ? Qui s'intéresse à son Parlement, hormis les professionnels de la profession ? Un falot pour éteindre nos Lumières ? Un comble !

    Le marketing communautaire

    Comment un exécutif qui fait sa cour à nos diverses minorités religieuses ou ethniques pourrait-il faire prévaloir l'intérêt à long terme d'un pays et d'une vision du monde ? S'il n'y a jamais eu de mur étanche entre l'intérieur et l'extérieur, chacun sait, depuis François Ier, que c'est en isolant au mieux le géo-stratégique du domestique qu'on agit à bon escient. Ce n'est plus le premier ministre, mais le chef de l'Etat qui se rend aux convocations dînatoires du Conseil représentatif des institutions juives de France.

    Notre Zorro s'empresse auprès de la communauté arménienne, soutenu par des députés qui se prennent pour des représentants de leur seule circonscription, quand ils le sont de la nation. On flatte la communauté pied-noire pour chanter le positif de la colonisation. Et qui sait si demain quelque instance arabo-musulmane ne nous enjoindra pas de rectifier la position sur Israël ?

    Minable méli-mélo tiraillant à hue et à dia. Le modèle américain joue comme leurre : la mosaïque multi-minoritaire d'outre-Atlantique est transcendée par un patriotisme messianique, adossé à un Dieu confédéral, ce que ne permet pas, en France, notre assèchement mythologique.

    Le diktat de l'instant

    Papillonnante et télécommandée, une diplomatie de postures et de "coups" (de gueule, de bluff et de menton), sous projecteurs et sans projection, sied autant à l'ère du zapping qu'à un autodidacte ayant plus de nerf que d'étoffe. Ecervelée, cette façon de coller au fait divers et à la compassion du moment met immanquablement en retard sur les tendances et flux de la mouvante histoire.

    Dialoguer avec l'ANC de Mandela, dans les années 1970, vous faisait déjà passer pour un idiot utile. Prendre contact avec les Frères musulmans ou une organisation chiite vous faisait, ces dernières années, regarder de travers. Un suspect devient un interlocuteur quand il a pris le pouvoir - jamais avant. Et il faut un séisme ou un tsunami pour inscrire un pays - Haïti, Indonésie ou Japon - sur l'écran-radar, d'où il disparaîtra une semaine après.

    Qu'une direction élyséenne aussi frelatée ait pu mettre à son service nombre de vedettes "socialistes" ne s'explique pas par un humain désir de gyrophares, huissiers et caméras : à ces appétits charnels s'ajoutait sans doute une communauté de vues plus spirituelle. Supériorité intrinsèque de la civilisation occidentale, seule détentrice de principes moraux universels ; fascination pour les media-events tels que ces sommets aussi rutilants qu'inutiles ; mépris des experts et des compétences géopolitiques du Quai d'Orsay, au bénéfice de BHLeries aussi frivoles que contre-productives ; culte du "réactif" (agir sans anticiper ce qui résultera de son action) et des vanités d'image, au détriment d'un sens élémentaire de l'Etat. Ces conformismes sont à haut risque. Ils se payent par l'évanescence de nos politiques spatiales, aussi bien européenne qu'arabe, latino-américaine et asiatique.

    Au lieu du rebattement de cartes qui s'impose, c'est la benoîte reconduction d'un train-train provincial et crépusculaire que fait craindre le mutisme socialiste. Quitte à ripoliner sa godille avec des grands mots qui chantent plus qu'ils ne parlent : "les droits de l'homme" (couverture impeccable, comme l'Evangile sous l'Ancien Régime), "la communauté internationale" (un Directoire représentant 20 % de la population mondiale) ; "la gouvernance mondiale" (la Cité calquée sur l'entreprise) ; "la Démocratie" avec majuscule (laquelle, de Périclès à la reine Victoria, admet le massacre des âmes et des corps barbares).

    Présentera-t-on ces idées faibles, quand on les regarde de près, en idées-forces pour avaliser un business as usual ? Ce serait sympa mais casse-gueule. Une politique qui prolonge le boy-scoutisme par d'autres moyens (les ONG humanitaires en bras subventionné du Bien) déguise le jeu cru des intérêts mais rend celui-ci encore plus cruel. Aristide Briand a plus de charme que Clausewitz, mais on sait sur quoi a débouché la diplomatie des lacs de l'entre-deux-guerres - juin 1940.

    Rappelons-nous que les interdépendances dérivant de la mondialisation exaspèrent les identités nationales et religieuses au lieu de les éteindre. Le monde qui découvre qu'il fait un ne s'unifie pas pour autant : l'Europe compte seize Etats de plus qu'en 1988. Dire oui à la paix et non aux nations, ignorer les Etats pour défendre les individus, c'est ignorer combien il en coûte d'humilier un peuple et que, partout où la puissance publique s'efface, triomphent l'ethnie, les mafias, le FMI et les clergés. Soit la guerre de tous contre tous.

    Le pire n'est pas toujours sûr. L'envisager comme possible pourrait servir de garde-fou.

    Régis Debray (Le Monde, 16 mars 2012)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • "Toutes les fautes financières de l’UE sont parties de la City"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien accordé par Hervé Juvin à Coralie Delaume, cueilli sur Causeur et consacré à la crise des dettes européennes...

     

     

     

    londres-city.jpg

     

    Coralie Delaume. L’euro vient d’avoir dix ans mais cet anniversaire a été célébré dans l’inquiétude plus que dans la joie. Le dernier « sommet de la dernière chance » a abouti a un accord dit « 17 + ». Cet accord va-t-il contribuer à sauver notre monnaie ou est-ce un leurre ?

    Hervé Juvin. Les sommets dits « de la dernière chance » se suivent et se ressemblent… et la presse anglo-américaine n’a pas tort de considérer qu’aucun sommet n’a apporté la solution à la crise de l’euro ! Pourquoi ? Parce que ce qu’il est convenu d’appeler la crise de l’euro est un effet de la crise américaine et de l’insoutenable explosion financière anglo-américaine.

    Il n’y a donc pas crise européenne à proprement parler ?

    Disons qu’il y a bien un problème d’excès de dépenses publiques en Europe. De même, il y a bien un problème avec l’euro-mark, surévalué pour les pays du Sud. Mais cela seul ne justifie pas la crise actuelle.
    Pour les « eurosceptiques », le mal est dans le principe même de l’Union monétaire, qui serait proche de l’explosion. C’est ce que répètent semaine après semaine les grands quotidiens et magazines anglo-américains, avec une constance qui relève de l’idéologie, ou du rideau de fumée. En réalité, la décomposition politique américaine est probablement bien plus avancée et plus grave que la crise européenne, et les banques américaines bien plus en risque que leurs homologues européennes : si elles avaient à faire jouer les CDS (credit default swap) , la totalité du système bancaire américain exploserait. Pour les « euroconfiants », l’Europe progresse à son rythme et selon ses règles, en prenant son autonomie à l’égard des modèles, des systèmes et des diktats anglo-américains. Si Hermann van Rompuy peut dire que l’année 2011 fut « annus mirabilis » pour l’UE, c’est parce qu’il juge que l’accord de décembre engage celle-ci sur la voie de la convergence fiscale, de la cogestion budgétaire, redonne aux pays fondateurs leur rôle, assure peu à peu l’autonomie de l’Europe à l’égard des agences de notation, des marchés anglo-américains, et éloigne de l’Union les prédateurs comme la Grande-Bretagne, la Tchéquie et quelques autres inféodés à Washington. Crier ainsi victoire demeure toutefois prématuré. Nous verrons en 2012. Car ce qui se joue ici n’est pas économique mais politique.

    Comment analysez-vous la crise européenne de la dette ?

    Les Américains ne veulent pas payer l’impôt, les Européens ne peuvent plus payer l’impôt ! La fuite en avant des dépenses publiques (folie des collectivités territoriales en France, suradministration, multiplication des assistances inconditionnelles, etc.) est insoutenable.
    Elle ne suffit pourtant pas à expliquer la crise de la dette, d’autant que, à la différence de la Grèce, dans la plupart des pays européens, et notamment en France, la machine fiscale fonctionne, et fonctionne bien : peu d’argent échappe à l’impôt.

    Folie dépensière, donc. Mais alors, comment expliquez-vous qu’un pays aussi endetté que le Japon, par exemple, ne connaisse pas les mêmes problèmes que l’Europe ?

    Prenons l’exemple de la France. Deux erreurs y ont été commises. D’abord, celle du recours massif aux capitaux extérieurs pour financer la dette. L’Agence France Trésor s’est félicitée que 70 % de la dette publique de la France soit détenue à l’étranger ! C’est oublier qu’une dette détenue par les nationaux n’est rien d’autre qu’un impôt différé, et que l’inflation peut la réduire. A l’inverse, une dette détenue majoritairement à l’extérieur reste une dette, et le défaut est le seul moyen de la diminuer vraiment. En interdisant à nos résidents d’acheter des titres de dette publique, nous avons bradé la souveraineté nationale pour quelques points de base de taux d’intérêt en moins ! Le Japon, bien plus endetté , n’a pas de problème parce que 90 % de sa dette publique est détenu par ses propres résidents ! Seconde erreur : l’achat de la paix sociale par l’argent public, non contrôlé et non administré, comme le démontre la politique du financement associatif aussi bien que celle de l’assistance, avec les effets de rente auxquels les deux donnent lieu, et qui vont être, plus que la dette, à l’origine de la grande colère des classes moyennes à venir.

    Comment doit-on interpréter l’attitude du Royaume-Uni : son comportement de « cavalier solitaire » est-il le fait d’un égoïsme condamnable ou défend-il légitimement ses intérêts nationaux ?

    David Cameron a été élu avec l’argent de la City, notamment des hedge funds, et défend des intérêts particuliers qui se confondent de moins en moins avec ceux de la Grande-Bretagne : ceux de la minorité dont l’argent décide des élections. Toutes les fautes commises par les pays de l’Union en matière financière sont parties de la City, à commencer par les fameux « trois D » – déréglementation, désintermédiation, décloisonnement – du Big Bang de 1986 , qui ont détruit les institutions boursières continentales, et avec elles la confiance des investisseurs. La City est un lieu funeste où la finance criminelle a libre cours, et qui n’a pas sa place en Europe.
    Dans le même temps, la politique traditionnelle anglaise reprend son cours. Elle a toujours consisté à briser tout projet d’union de l’Europe continentale, considéré comme une menace pour l’indépendance britannique. Avec le concours intéressé des Etats-Unis, elle est toujours parvenue à casser l’unité de l’Europe. Nous verrons bientôt si elle y parvient une fois encore.

    Cette attitude a priori égoïste des anglais ne témoigne-t-elle pas d’un échec patent de l’Europe post-nationale ? Paradoxalement, n’assiste-t-on pas, à mesure que les Etats se départissent de pans entiers de leur souveraineté (monétaire, budgétaire), à un réveil des nations d’Europe ?

    Le mouvement est en effet contradictoire, et les débats qui ont pris un tour imprévu autour du « directoire allemand » imposé à l’Union par la seule puissance qui affirme avec constance une stratégie d’autonomie à l’égard de la finance anglo-américaine, sont frappants. La résurgence des sentiments nationaux est brutale, notamment en France à l’égard et de l’Allemagne – Bismarck, les casques à pointe – et de l’Angleterre – Jeanne d’Arc, Toulon. Ceci devrait conduire à réfléchir davantage ceux qui saluent la sortie de l’Angleterre de l’Union et accueillent avec plaisir l’ordre allemand en Europe continentale. Les Français sont-ils gouvernables comme les Allemands ? Il y a quelques raisons d’en douter. Il y a quelques raisons d’estimer que nous nous trouvons devant des choix historiques, devant lesquels nos dirigeants, hommes de tactiques et d’habiletés plus que de vision et de conviction, sont singulièrement démunis. Il y a aussi quelques raisons de considérer que l’état d’apesanteur politique dans lequel la naïveté mondialiste et sans-frontièriste a tenu la majorité des européens – le monde est une grande famille, et autres poncifs – n’aidera guère à répondre à des questions dont il a été répété sur tous les tons qu’elles ne se posaient pas – par exemple, celles de la souveraineté nationale.
    Eh bien si, ces questions se posent ! Et nous n’en avons pas fini avec notre condition politique, malgré les sottises déversées depuis des décennies sur l’unité planétaire et la démocratie mondiale !

    Mais comment l’Europe peut-elle encore renouer avec sa condition politique ? Ne sommes nous pas d’ores et déjà en train de sortir de l’Histoire ?

    Les épreuves, les crises, les guerres, rappellent toujours que l’homme ne vit pas seul et que l’individu n’est rien sans l’infrastructure omniprésente des institutions et des systèmes qui assurent sa survie. C’est le point aveugle de l’idéologie des droits de l’homme : l’homme moderne est certes un homme qui a des droits, mais encore faut-il dire qui assure ces droits, qui organise et qui paie.
    La vérité est que ces droits lui sont assurés par la société politique dont il est membre, dans un cadre défini dans l’espace par la frontière, et dans le temps par l’identité. L’Europe, en devenant la zone la plus ouverte du monde à tous les courants de capitaux, de biens, de services et d’hommes, a voulu rompre avec sa condition politique, refuser de se donner une frontière et d’affirmer son identité. Quel exemple significatif que ces billets sans visage pour l’euro ! Pourtant, l’histoire est en marche. L’Europe va devoir dire ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. Selon l’intuition du philosophe Rémi Brague, elle se fera bien davantage en se séparant de ce qui n’est pas elle qu’en s’unissant à l’intérieur. C’est le défi d’une citoyenneté européenne à venir.

    Hervé Juvin, propos recueillis par Coralie Delaume (Causeur, 9 janvier 2012)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • De l'intelligence de la politique des "Droits de l'Homme"...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue percutant d'Aymeric Chauprade, cueilli sur son blog Carnet de bord, sur les impasses mortelles dans lesquelles nous entrainent les tenants de la politique des "Droits de l'Homme"...

     

    aymeric_chauprade.jpg

    De l’intelligence de ces « Droits de l’Homme » qui installent l’islamisme dans le monde arabe et nous brouillent avec la Turquie

    J’interromps un long silence, volontaire je dois dire. La raison ? Une série de voyages, en Amérique Latine et dans le monde arabe, mais aussi la volonté de prendre du recul sur les nombreux événements qui ont fait l’actualité géopolitique récente. J’espère ne pas avoir trop déçu les lecteurs qui pouvaient légitimement attendre mes commentaires durant ces dernières semaines. Qu’ils se disent que dans notre société d’immédiateté et de bruit de fond, l’abstinence est parfois aussi un bienfait.

    Le vote par l’Assemblée nationale française d’une loi visant à pénaliser la contestation du génocide arménien, me paraît être, pour quelqu’un qui se réclame de la realpolitik, un bon moment pour revenir au débat.

    Chacun sait que je ne suis pas favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, et cela pour une raison simple : non seulement les Turcs ne sont pas Européens, mais l’idée même d’Europe s’est en partie forgée dans l’opposition aux Turcs ottomans. Le monde turcophone est une aire culturelle qui dispose de ses propres critères de civilisation, et qui ne se limite pas à la différence religieuse avec les Européens. Et si j’étais méchant je dirais que comme je ne leur veux pas de mal, je n’ai aucune raison de leur souhaiter de monter à bord d’un bateau qui coule.

    Pour autant, ni l’affection particulière que l’on peut avoir pour le peuple arménien, ni l’opposition à la candidature turque à l’Union européenne, ni l’hostilité de certains à l’AKP (le parti islamiste turc qui gouverne), ne doivent affaiblir notre sens du discernement.

    J’ai noté, ces derniers temps, que chercher des querelles avec « l’ennemi musulman » était une pente à laquelle cédait facilement nombre de défenseurs des identité française et européenne. Quand on entre dans ce genre de logique, il convient d’observer une règle de bon sens qui consiste à se demander pour « qui roule-t-on vraiment ?». Il est évident que tout ce qui conduit à l’aggravation des relations entre les peuples européens d’un côté, les Iraniens, les Turcs et les Arabes de l’autre, sert les Américains et les Israéliens mais certainement pas les Européens. Que les choses soient dites clairement à ceux qui pensent qu’Huntington a la solution : nous ne règlerons pas le problème de l’immigration extra-européenne par la guerre avec le monde musulman.

    Qu’il soit bien entendu ensuite que le réalisme (la realpolitik) ne signifie pas l’absence de valeurs ou le piétinement de celle-ci. J’établis une distinction entre les « Droits de l’Homme », fabrication révolutionnaire, et la liberté, valeur antique. La liberté, depuis la Grèce, Rome et la chevalerie européenne, est au cœur de ce qu’est l’identité de l’Europe. Les « Droits de l’Homme », droits abstraits d’un homme abstrait, n’ont, quant à eux, rien à voir avec la liberté, et bien au contraire ! C’est au nom des « Droits de l’Homme » que depuis deux siècles, une seule et même politique de Terreur est menée : celle qui terrorise les peuples et les prend pour cible davantage que leurs armées, autant dans la France de 1793, que dans le vieux Sud américain, l’Irak baasiste, la Serbie, la Libye, sans oublier Dresde et Cologne, Hiroshima et Nagasaki.  Demain peut-être en Syrie et en Iran.

    La realpolitik c’est d’abord le rejet de cette politique des « Droits de l’Homme » qui au prétexte de libérer les peuples d’eux-mêmes, n’a cessé de les assassiner et de les livrer à des forces étrangères. La realpolitik c’est ensuite la première protection de l’idée de liberté, valeur essentielle de la civilisation européenne, qui, associée à l’exercice de la raison, est sans conteste le premier facteur du succès historique de l’Occident.

    Les « Droits de l’Homme » sont en train de détruire ce que la liberté et la raison ont construit durant des siècles en Occident. Ils détruisent la puissance des Européens, annihilent leur capacité à établir le diagnostic lucide de leur véritable situation (soumission au mondialisme américain et invasion migratoire), et attisent le ressentiment des vieux peuples qui reviennent dans l’Histoire (Russes, Chinois, Indiens, Iraniens, Turcs…).

    Je ne suis pas en train de contester la loi votée sur le génocide arménien au motif d’intérêts purement économiques qui seraient menacés et en m’asseyant sur mes principes. Je conteste cette mauvaise idée, parce qu’elle est, une fois de plus, le produit de l’aveuglement provoqué par la fiction des « Droits de l’Homme ».

    Et plus cette fiction s’impose dans notre pays, au détriment de la realpolitik, plus la liberté recule.

    Cela fait des années que la liberté d’investigation dans le champ de l’Histoire est fragilisée en France, qu’une politique de Terreur mémorielle règne sur notre pays, et que le débat est écarté au profit de la loi, surtout quand les vérités dominantes commencent à être menacées par des arguments « trop convaincants ».

    Il n’est plus permis d’affirmer librement les conclusions de travaux scientifiques portant sur certaines périodes de l’Histoire (Deuxième Guerre mondiale et époque coloniale surtout) ; il n’est plus possible d’énoncer des faits et des chiffres qui établiraient un lien entre immigration et criminalité. Et, à la différence du monde-anglo-saxon, il n’est plus possible de travailler sur les différences génétiques et biologiques entre groupes ethniques et raciaux.

    Ce n’est plus la science (sciences humaines et sciences exactes), ou du moins la résultante de ses libres débats, qui, chez nous, tend à énoncer la vérité, ce sont des dogmes idéologiques.  Et quand ces dogmes faiblissent face à l’exercice de la raison, des lois viennent immédiatement à leur renfort pour empêcher la raison de progresser. Il existe un exemple consternant de cet effacement de la vérité scientifique, au profit de l’idéologie, un exemple qui normalement devrait réveiller les Français, ceci tout simplement parce qu’il  frappe directement leurs enfants : la théorie du genre (la gender theory) qui postule que la différenciation sexuelle est le produit d’une détermination sociologique et non d’une détermination biologique, et qui est imposée à nos écoliers contre la vérité scientifique, et pas seulement contre les morales juive, chrétienne et musulmane, ou les sagesses asiatiques. Certes, les manuels d’histoire souffrent depuis bien longtemps d’une vision déformée de l’Histoire. Des médiévistes comme Régine Pernoud ou Jacques Heers se sont battus, à juste titre, contre l’image noire que l’enseignement républicain a donnée du Moyen-âge, un Moyen-âge version « Nom de la Rose », ramené aux dents pourries et à la peste, caricaturé à l’extrême pour mieux souligner la césure de la Renaissance, et surtout un Moyen-âge privé de sa dimension fondamentale : « l’enchantement » et la spiritualité. Ce qu’il y a d’essentiel dans le Moyen-âge – la puissance de la foi et l’enchantement du réel- est complètement passé à côté de nos écoliers. Comme la philosophie médiévale d’ailleurs, puisque notre enseignement de la philosophie saute allègrement de Platon à Helvétius.

    Au-delà du seul Moyen-âge, et pour renforcer sa légitimité, la République n’a cessé d’inculquer à ses petits écoliers une vision manichéenne de l’Ancien Régime. Cette vision grossière et contraire à la vérité s’est étendue ensuite à l’époque coloniale, durant les trois dernières décennies, avant d’englober toute l’histoire de la civilisation européenne. Dans les derniers manuels d’histoire, ce qui a été grand est dominateur (Louis XIV, Napoléon) y est volontairement effacé au profit d’empires africains incertains. Mais ce qui est nouveau, c’est que les manuels de Sciences et vie sont maintenant également rattrapés par les dogmes de l’idéologie dominante. Le fait d’être un homme ou une femme est désormais aussi une construction sociologique, et par voie conséquence il devient légitime de pouvoir changer de sexe et de sexualité. Pour donner une légitimité au résultat de la démonstration, on a tordu les prémisses. Le contraire même de la démarche scientifique. Le sexe n’est plus un fait naturel qui s’impose à nous dès notre naissance. Il y a eu d’abord la négation des races, puis celle des nations ; il y a maintenant la négation des sexes. Et la loi est désormais chargée de nous faire entrer dans le crâne cette nouvelle religion mondialiste et ses dogmes si le conformisme n’y parvient naturellement.

    La nouvelle religion a sa nouvelle histoire, laquelle est ponctuée de catastrophes incontournables, l’Holocauste des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, dans une moindre mesure celui des Arméniens, puis le « petit Holocauste » du 11 septembre. Certains holocaustes, mais pas tous quand même ! On n’imagine guère en effet nos députés votant une loi pénalisant la négation du génocide des Indiens d’Amérique lequel est au fondement pourtant de la création des… Etats-Unis d’Amérique, ou une loi visant à pénaliser la négation de la dispersion palestinienne en 1948 et 67.  Il faut dire qu’il y a peu d’Indiens qui voteront à la prochaine élection présidentielle française. Peu de Palestiniens non plus, même s’il y a pourtant beaucoup d’Arabes. Le jour où la proportion de Français rendue à l’évidence deviendra trop importante, on peut s’attendre aussi à une loi pénalisant la contestation de la version officielle du 11 septembre.

    Aujourd’hui en France, un universitaire est emprisonné (après avoir été détruit socialement) non parce qu’il a attaqué une banque, mais parce qu’il a osé contester des vérités historiques établies. A l’inverse, ceux qui martyrisent de façon quotidienne les Français (Français de souche ou nouveaux Français qui ont fait l’effort de le devenir), ceux qui les volent, les insultent, bousculent leurs Anciens, giflent leurs ados maigrichons et terrorisent leurs filles, ceux-là n’intéressent pas la représentation nationale. Non, pour nos députés, ce qui est essentiel, c’est de protéger la mémoire arménienne, comme ils ont cru protéger hier la mémoire juive. Manifestement, ils pensent avoir été élus pour ployer le genoux devant les minorités, plutôt que de s’occuper d’une masse de braves Français qui, inexplicablement, renouvelle leur mandat depuis plus trois décennies.

    Je reviens à cette mauvaise idée de loi sur le génocide arménien.

    1/ Ce débat doit rester celui des historiens. Les Parlementaires, dont l’immense majorité est ignare et n’a jamais lu un seul livre sur le sujet, n’ont pas à s’en mêler. Ils n’ont pas plus à légiférer sur la question arménienne, qu’ils n’avaient hier à légiférer sur les drames concentrationnaires de la Deuxième Guerre mondiale.

    2/ Cette question appartient aux Arméniens et aux Turcs. Elle regarde la Turquie et non la France. Il ne faut pas venir se plaindre si les Turcs rétorquent en se penchant sur notre passé colonial. C’était tellement prévisible. Parler de l’Algérie pour les Turcs c’est à la fois semer la discorde chez nous, mais c’est aussi rehausser un peu plus le prestige de la Turquie dans le Maghreb.

    3/ Puisqu’ils se déchaînent maintenant sur notre Histoire, j’avoue que les Turcs m’amuseraient davantage s’ils s’occupaient de légiférer sur la contestation du génocide des Vendéens. S’ils ne les connaissent pas encore, qu’ils se précipitent sur les ouvrages de l’historien français Reynald Secher, spécialiste des guerres de Vendée. Ils y trouveront les textes de la Convention qui donnèrent l’ordre explicite d’éradiquer une population toute entière, hommes, femmes et enfants, parce qu’elle était, « ethniquement contre-révolutionnaire ». Ils y découvriront des massacres de grande ampleur qui ne furent pas le résultat de débordements de la part des exécutants, mais bien d’une politique criminelle planifiée au plus haut niveau, utilisant des méthodes préindustrielles (noyades de Carrier à Nantes) et la Terreur (tannage des peaux humaines, cannibalisme, nourrissons cuits dans des fours à pain) comme stratégie militaire.

    J’imagine même combien il serait intéressant pour une élite turco-musulmane anti-kémaliste de découvrir combien leurs adversaires « jacobins » kémalistes doivent à cette Révolution française, qui fut aussi la matrice des grands totalitarismes du XXe siècle (bolchévisme et nazisme) et des grandes idéologies modernistes du monde musulman auxquels s’opposent islamistes turcs et Frères musulmans arabes !

    Si nos gouvernants ont décidé de nous faire détester par des pays émergents qui comptent de plus en plus, comme le Mexique (avec l’affaire Cassez) ou la Turquie, qu’ils nous le disent clairement. De ce point de vue, les résultats engrangés durant l’année 2011 sont exceptionnels !

    Le Maroc a interdit ce 24 décembre un numéro de L’Express figurant Mahomet. Début de scandale dans notre presse bienpensante. Et alors ? Nouvelle leçon de Droits de l’Homme à attendre ? Il ne suffit pas de la Tunisie, du Mexique, de la Turquie, il nous faut maintenant nous fâcher avec le Maroc ? Nous ne sommes pas en train de parler d’un titre de presse français sur le territoire français mais d’un titre français sur le territoire marocain. Les Marocains n’ont-ils pas le droit de faire ce qu’ils veulent chez eux ? Ils seraient donc obligés de distribuer L’Express ? Ils n’auraient pas le droit d’estimer que ce numéro peut constituer un trouble à l’ordre public ? Le PJD (parti islamiste) n’est-il pas encore assez fort (il gouverne) à nos yeux qu’il faudrait lui donner encore un coup de main ? Il y a un très bon historien du Maroc (je ne peux que recommander son excellente et tout récente Histoire du Maroc), Bernard Lugan qui ne doit pas en revenir en ce moment ! Il y a quelques jours, l’émission qu’il enregistrait pour I-Télévision avec Robert Ménard, afin de présenter un décapant essai « Décolonisez l’Afrique ! » (paru aux éditions Ellipses début décembre) a été purement et simplement censurée, c’est-à-dire enregistrée mais jamais diffusée. Nos amis marocains devraient poser la question à la France : si vous interdisez de parole votre plus grand historien de l’Afrique, pourquoi alors ne pourrions-nous pas (de temps en temps mais c’est tellement rare !) bloquer la distribution de l’un de vos titres de presse sur notre territoire ?

    A la vitesse à laquelle la France multiplie les querelles, il faut maintenant se poser une question. La bêtise suffit-elle à tout expliquer ? Ou bien y-a-t-il une force plus profonde qui pousse dans cette direction ?

    Aymeric Chauprade (Carnet de bord d'Aymeric Chauprade, 24 décembre 2011)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Carl Schmitt, penseur de la rupture...

    Les éditions Gallimard viennent de publier dans leur collection Tel un essai de Jean-François Kervégan intitulé Que faire de Carl Schmitt ?. Professeur de philosophie à l'université de Paris I et spécialiste de Carl Schmitt, Jean-François Kervégan souligne la fécondité de la pensée du grand juriste allemand, notamment dans une période de rupture comme celle que nous traversons... 

     

    Carl Schmitt Kervégan.jpg

    "L'affaire est entendue, et Karl Jaspers l'a résumée : Cari Schmitt fait partie avec Heidegger de "ces professeurs [...] qui ont tenté de prendre intellectuellement la tête du mouvement national-socialiste". Depuis lors, nonobstant, des contradicteurs distingués, Strauss, Löwith, Peterson, Kojève, Blumenberg, Habermas, Derrida..., ont discuté âprement ses thèses, souvent pour les rejeter, comme il en va avec tous les classiques intéressants, de Platon à Wittgenstein. Aussi l'heure est-elle venue de "partir de Carl Schmitt", au double sens de reformuler des questions essentielles à partir de certains de ses travaux et de lui donner congé lorsqu'il ne nous aide plus à penser. Certains de ses concepts (le nomos de la terre, la constitution comme décision "existentielle"...) ou des concepts sur lesquels il a apposé son empreinte (le pouvoir constituant, l'Etat de droit "bourgeois") éclairent différemment des questions telles que le rapport entre décision et rationalité ; l'enracinement des normes juridiques dans les institutions ; le statut de l'ordre constitutionnel et ses présuppositions ; les effets pervers du retour de la morale en politique internationale (droits de l'homme et démocratie forment-ils le couple uni que l'opinion dominante nous décrit ?). Mais cette fécondité se heurte à une limite fondamentale : Schmitt est plus efficace pour penser des ruptures et des instaurations que pour décrire le fonctionnement normal de l'ordre juridique établi. A jamais, il demeure un penseur du dissentiment."

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • La gauche et la préférence immigrée...

    Nous vous signalons la parution aux éditions Plon, dans la collection Tribune libre, d'un essai décapant d'Hervé Algalarrondo, journaliste au Nouvel Observateur, intitulé La gauche et la préférence immigrée. Nous reproduisons une critique ce ce livre, puliée sur le site de l'hebdomadaire Marianne, qui en fait une excellente analyse.

     

    Un journaliste du Nouvel Obs tacle les « bobos »

     

    Un journaliste du Nouvel Obs tacle les bobos

    Dans son dernier livre, le journaliste Hervé Algalarrondo dénonce le fait que la gauche ait abandonné la classe ouvrière au profit des immigrés. Une stratégie politique qui symbolise la « boboïsation » d'une gauche en rupture avec le peuple.

    Mais que fait Hervé Algalarrondo au Nouvel Obs ? C’est la question qui réside à la lecture de son dernier livre La gauche et la préférence immigrée (les bonnes feuilles sont dans le dernier numéro de Marianne), tant son contenu paraît éloigné de la ligne du magazine phare de la gauche bobo. Sa thèse : cette gauche a abandonné les ouvriers,  qu’elle voit comme des réactionnaires séduits par le FN, au profit des immigrés devenus les nouveaux damnés de la Terre. Pourtant, malgré l’émergence du problème des banlieues et des discriminations, les classes populaires sont toujours aussi précaires, elles vivent reléguées dans les espaces ruraux ou péri-urbains, (comme le souligne le géographe Christophe Guilluy, cité dans le livre) sans émouvoir grand monde sur les terrasses du 3e arrondissement de Paris. 

    Le livre d’Algalarrondo illustre à merveille une mutation politique. Au PS, à la représentation des ouvriers dans les instances de direction du parti, on préfère celle des « personnes issues de la diversité », SOS Racisme devient l'association de référence, le PCF et les syndicats déclinent, les mouvements étudiants, féministes, remplacent le mouvement ouvrier. La « préférence immigrée » n'est que la conséquence de la rupture de la gauche en général et du PS en particulier avec le peuple.

    Pour l’auteur du livre, cette rupture s’explique notamment à travers le mouvement de mai 68, lorsque les syndicats ont négocié les accords de Grenelle et cessé le mouvement contre la position des étudiants les plus radicaux. Daniel Cohn-Bendit, ex-leader de Mai 68 devenu porte-étendard de la gauche libérale et libertaire (et chouchou du Nouvel Obs), en est le parfait exemple. De même, l’émergence du « je » et d’un individualisme pervers a entrainé « une suspicion excessive envers ce que l’on nommait naguère les ‘masses’ » (page 117) et une rupture avec la fierté nationale au profit de l’image du « citoyen du monde ». 
     

    Le piège des sans-papiers

     
    Par ricochets, la figure du « beauf » s’est développée au sein de la gauche, comme symbole du prolétaire, forcément réactionnaire, raciste et blanc. Mais au lieu de chercher à se réconcilier avec les ouvriers, la gauche a préféré se trouver une nouvelle clientèle. La fameuse note de Terra Nova (dézinguée par Algalarrondo), appelant la gauche à abandonner les ouvriers, devenus trop réactionnaires, au profit des immigrés n’a fait que acter un long processus.

    Pour l’auteur, un des principaux exemples de cette « préférence immigrée » est bien sûr la question des sans-papiers. Il explique que même si, en apparence, le PS a un discours plus ferme à ce sujet, il reste toujours sous la pression d’une gauche radicale, partisane de la régularisation de tous les sans-papiers. Et d’une manière générale, c’est la « droit-de-l’hommisation de l’immigration » qui est dénoncée par Algalarrondo, qui est, on le rappelle, journaliste au Nouvel Observateur et non à Rivarol. Comme quoi, au sein de la gauche, certains savent regarder les choses en face.

    Car l’auteur estime que la question des droits de l’Homme n’est pas forcément la plus pertinente pour aborder les flux migratoires, il faut encore s’interroger sur les conséquences de l’immigration sur les salariés locaux les plus vulnérables. Algalarrondo note avec justesse que le rôle du vrai humaniste « devrait être de donner du boulot aux travailleurs déjà présents dans l’Hexagone, quelle que soit leur date d’arrivée » plutôt que d’ouvrir les frontières au tout venant. (page 37). On ne peut réclamer la libre circulation des immigrés, si on n'est pas capable d'intégrer notamment par le travail les immigrés déjà présents, rappelle l’auteur. Dommage qu’une partie de la gauche ait oublié cette évidence. 
     

    La « droit-de-l’hommisation de l’immigration »

    En cela, Algalarrondo rappelle qu'« admettre toujours plus d'étrangers, sans réel contrôle, est dans ces conditions irresponsable ». Car si « les nouveaux arrivants trouvent un travail, parfois très pénible, (...) c'est souvent au détriment de postulants hexagonaux sans formation particulière » (page 28). Ainsi, réclamer la régularisation de tous les sans-papiers serait un « mot d'ordre anti-ouvriers »

    Le combat pour les sans-papiers est donc une parfaite illustration de ce changement de clientèle. On défend l'ouverture des frontières au détriments de l'emploi des classes populaires. Très pertinent, l’auteur note d'ailleurs que les meilleurs partisans de l’ouverture des frontières sont ceux qui ont les postes les plus à l’abri de la concurrence des immigrés : « Ceux qui militent dans des associations de défense des droits de l’Homme exercent souvent des métiers – fonctionnaires, médecins, avocats – qui sont loin d’être complètement ‘ouverts’. Ils sont protégés de la concurrence étrangère » (page 89).

    La conclusion est cinglante : « Les conseillers ne sont pas les payeurs. Quand la gauche d’en haut clame que la France doit rester un pays ‘ouvert’, il faut comprendre : la Seine-Saint-Denis et les zones assimilées peuvent accueillir davantage d’immigrés. Pas terrible cette générosité » (pages 88-89). Certains militants, prompts à réclamer la venue d’une concurrence déloyale pour les emplois des autres et installée dans les beaux quartiers de Paris grâce aux judicieux articles immobiliers du Nouvel Obs, ont dû sentir leurs oreilles chauffer.
     

    « L’immigration à gogo, c’est un credo de bobos »

    Ceux qui ont intérêt à une immigration massive ne sont donc pas ceux que l'on croît. On oublie trop souvent qu’un des meilleurs supporters de l’ouverture des frontières n'est autre que le Medef,  ravi d’avoir à disposition une main d’œuvre moins chère et non syndiquée. L'auteur le souligne, il est risible de voir une partie de la gauche partager les même vues que le grand patronat. La lutte des classes n'aura pas survécu à l'ode à la diversité. Un regret cependant : l’auteur soutient les politiques de discrimination positive, notamment l’ « initiative bienvenue » du programme ZEP à Sciences po, qui relève pourtant plus de la démagogie que d’un réel souci de progrès social. 

    Malgré tout, la thèse reste juste et frappe la gauche là où il faut. Et pour aggraver son cas, Algalarrondo donne (en partie) raison à… Claude Guéant, horresco referens : « La proposition faite par Guéant de limiter l’immigration légale,  pour faciliter l’intégration des immigrés déjà présents, n’a en soit rien de choquant » arguant que « l’immigration à gogo, c’est un credo de bobos » (page 39).  Pire, l’auteur écrit sur le même sujet : « Ce qui est choquant, en l’occurrence, c’est que Nicolas Sarkozy n’ait pas mis en œuvre cette mesure dès le début de son quinquennat  ». Attaquer Sarkozy sur son incapacité à réguler les flux migratoires plutôt sur ses atteintes aux droits de l'Homme, une chose que le PS n'a jamais su faire.
     

    « Lepénisme à rebours »

    Algalarrondo s’en prend donc à tout un pan de la gauche parlant même de « prolophobie  » à son égard. Une façon courageuse de dire que le rejet de la gauche vis à vis des prolétaires non immigrés n’est ni plus ni moins qu’une discrimination, pas plus acceptable que la « préférence nationale » du FN. « La ‘préférence nationale’, martelée par le FN, est fondée sur la xénophobie. La ‘préférence immigrée’ est l’envers de la ‘prolophobie’ qui a saisi les élites de la gauche » (pages 12), écrit-il. 

    En cela, le journaliste explique que  « la prolophobie a un pendant : la xénophilie. Naturellement, elle est très préférable à la xénophobie. Elle n’en est pas moins le signe d’une discrimination, c’est le mot qui convient, dans l’attitude de la gauche à l’égard des classes populaires ». (page 22). Il va même jusqu'à évoquer un « lepénisme à rebours ». « En qualifiant de lepénisme à rebours, la propension de la 'gauche bobo' à privilégier les immigrés, parmi les différentes classes populaires, nous ne cherchons pas à choquer. La gauche n'a rien à gagner à user à tort et à travers du patronyme du fondateur du Front national », ajoute-t-il toutefois.

    Au delà des questions de sémantique, pour Algalarrondo, cette méfiance des « bobos » envers les « beaufs » est bien la porte ouverte à toutes les dérives. « En privilégiant les immigrés sur les autres catégories populaires, la ‘gauche bobo’ suggère que les ‘petits Blancs’ constituent la lie de la société française. Comment se dire de gauche (…) et cautionner pareil racisme social ? » (page 145). Les bobos, toujours prêts à voir le racisme partout, en prennent pour leur grade.
     
     

    Une leçon pour le Nouvel Obs ?

    Plus qu’un pamphlet contre les positions du PS sur les questions de société, ce livre est donc un réquisitoire politique contre cette gauche social-libérale, embourgoisée, vantant l’ouverture des frontières, rejetant le protectionnisme, pour qui le travailleur n’a de valeur que s’il est sans-papiers. Autre icône de la gauche bobo, Edwy Plenel,  qui voit Laurent Blanc comme le nouveau Comte de Gobineau, fait aussi partie des cibles de l’auteur.
    Au final, on a envie d'offrir le livre d'Algalarrondo à la direction du  Nouvel Obs, incarnation par excellence, avec Libération ou les Inrocks, de cette gauche boboïsée, tant du point de vue de son lectorat que de sa ligne éditoriale. Pour l'anecdote, le Nouvel Obs est également partenaire de Terra Nova, la think tank auteur de la note appelant la gauche à rompre avec les ouvriers. Le magazine de Laurent Joffrn (ex-patron de... Libération) est décidément bien ancré dans la mouvance bobo.

    La gauche est la préférence immigrée
    est donc un livre d’autant plus salutaire qu’il vient d’un journaliste d’un des plus éminents magazines du courant politique dénoncé, ce qui le rend sans doute plus légitime pour provoquer un choc interne. Mais le chemin est encore très long. Espérons toutefois que Laurent Joffrin  y trouve une source d’inspiration pour ses prochains éditos.
     
    Tefy Andriamanana (Marianne, 25 septembre 2011) 
     
     
    Lien permanent Catégories : Livres, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Les plus avisés et les plus lucides...

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Philippe Bilger, cueillie sur son site Justice au singulier et consacrée à l'enlisement de notre pays dans le conflit libyen ainsi qu'à ceux qui, contre l'opinion médiatique dominante, avaient prévu cette situation...

     

    Bombardements-Tripoli.jpg

     

    Rony Braumann avait raison

    Il ne fait pas de doute que la continuation de l'intervention française en Libye va être approuvée à l'Assemblée nationale et au Sénat, par l'UMP évidemment mais aussi par les socialistes qui se trouvent dans un étau politique pour l'avoir admise dès l'origine à partir du moment où elle était validée par l'ONU (Le Figaro, Le Monde, nouvelobs.com, Marianne 2).

    On entend et on lit de plus en plus, ici ou là, des considérations formulées notamment par des militaires à la retraite ou des universitaires passionnés par la matière. Ils mettent en cause les modalités des opérations menées en Libye, le caractère aujourd'hui ambigu de leur but et doutent de leur réussite si elles continuent à s'enliser avec un Kadhafi toujours là et négociant peut-être en douce grâce à l'entremise d'un fils (jdd.fr). Les opposants malgré l'aide exclusivement apportée par la France donnent l'impression de piétiner alors que, nous dit-on, ils avanceraient et menaceraient le Pouvoir de Kadhafi et donc lui-même.

    Ce qui m'importe, c'est de faire valoir à quel point certains, qu'on juge pessimistes, trop peu cocardiers dans l'instant ou le coeur sec et insensible aux possibles malheurs du monde, apparaissent souvent, devant les développements de la réalité guerrière, comme les plus avisés et les plus lucides.

    Je me souviens d'un dîner-débat organisé le 26 avril par un club de réflexion auquel j'envisageais de m'affilier. C'était ma première expérience. J'ai compris que ce genre de réunion n'était pas pour moi même si en l'occurrence cette soirée s'est déroulée sous l'égide bienveillante de Jean-Claude Guillebaud et qu'elle m'a permis d'entendre, notamment, Régis Debray et l'une des deux personnes invitées à débattre qui était Rony Braumann.

    J'ai encore dans l'oreille toutes les réserves exprimées par ce dernier au sujet de l'intervention française en Libye. Même s'il tenait compte de l'aval de l'ONU, il dénonçait le manque de préparation, l'absence de données sur la structure de ce pays et au moins sur sa division profonde entre Tripoli et Benghazi, les finalités floues de l'expédition - s'agissait-il d'éviter un massacre et il affirmait que rien ne permettait de le croire certain ou de se débarrasser de Kadhafi ? - et le risque d'enlisement et de délitement de celle-ci. Il était moins convaincant à mon sens dans les propositions mais affirmait cependant qu'il existait mille autres moyens, mais de nature politique et avec une contrainte internationale excluant la force, pour aboutir à la sauvegarde des droits de l'homme et à terme à l'effacement de Kadhafi.

    Même si la majorité des convives n'était pas éloignée de sa vision, je me rappelle que j'ai eu du mal à résister à un mouvement qui me conduisait immédiatement à dénoncer la frilosité, voire le trop peu de patriotisme de Rony Braumann ! Au fil de la soirée, sa réplique toujours mesurée et intelligente aux interrogations formulées a emporté la conviction de beaucoup, même parmi les rares rétifs de prime abord. Je ne me disais plus que Rony Braumann avait forcément tort mais qu'il y avait du courage à avoir raison, peut-être, comme lui.

    La suite des événements a montré que son analyse était absolument pertinente. A nouveau j'ai perçu le danger de ces intellectuels, philosophes ou autres qui au nom des droits de l'homme, invoqués sans cesse comme un étendard magique qui dispenserait de toute réflexion , étaient prêts à jeter les autres sur les sentiers d'une guerre qu'ils décrétaient juste. Et il fallait se contenter, si j'ose dire, de cet imprimatur !

    Bernard-Henri Lévy, vibrion guerrier et inspirateur de la politique française en Libye avant qu'Alain Juppé reprenne les choses en main, plaît par son enthousiasme naïf et sa conviction vite faite : en 24 heures, les troupes de Kadhafi, des mercenaires, se débanderaient ! On s'aperçoit vite que ces va-t-en guerre abstraits ont tort !

    Après viennent les Rony Braumann.

    Trop tard.

    Philippe Bilger (Justice au singulier, 12 juillet 2011)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!