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alain de benoist - Page 86

  • Croissance et décroissance...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux questions de la croissance et de la décroissance...

    On rappellera qu'Alain de Benoist est l'auteur d'un essai intitulé Demain la décroissance (E-dite, 2007).

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    Croissance et décroissance

    Grande est l’impression d’être gouverné par des comptables – d’ailleurs pas toujours très doués pour la comptabilité. Mais au fait, comment mesure-t-on la croissance ? Et, pour reprendre un slogan de Mai 68, peut-on tomber amoureux d’un taux de croissance ?

    C’est une paraphilie parmi d’autres ! Mais défions-nous pour commencer de ces statistiques qui reflètent davantage la capacité des banques centrales à créer de la monnaie plutôt que celle des nations à créer de la richesse (la Réserve fédérale américaine crée tous les mois de 50 à 85 milliards de dollars de papier, soit ce que François Hollande cherche à économiser annuellement avec son « pacte de compétitivité »). Et n’oublions pas, non plus, que nous ne sommes plus à l’époque où une forte croissance permettait des compromis de classe positifs entre le travail et le capital. Aujourd’hui, la croissance ne profite pas également à tous, puisque beaucoup ne cessent de s’appauvrir tandis que d’autres ne cessent de s’enrichir. Elle n’est donc plus un vecteur de réduction des inégalités.

    La croissance se mesure au moyen du produit intérieur brut : 1 % de croissance en plus, c’est 1 % de PIB de gagné. Le PIB mesure sous une forme monétaire la quantité de biens ou de services produits dans un pays sur une période donnée, mais cela ne veut pas dire qu’il mesure le bien-être ni même la richesse nette. Il est en effet parfaitement indifférent aux causes de l’activité économique, ce qui veut dire qu’il comptabilise positivement les catastrophes ou les accidents pour autant que ceux-ci provoquent une activité engendrant elle-même production et profits. Les dégâts causés par la tempête de décembre 1999, par exemple, ont entraîné une hausse de 1,2 % de la croissance. Il en va de même du nombre de pollutions. D’autre part, le PIB ne prend pas en compte les coûts non marchands (ce qu’on appelle les « externalités »), par exemple ceux qui résultent de l’épuisement des ressources naturelles et des matières premières, alors que la croissance dépend au premier chef des apports énergétiques et des flux d’énergie.

    La croissance, donnée pour infinie, serait-elle un but en soi ?

    Évidemment pas. Mais la question est de savoir si elle est seulement possible. Une croissance matérielle illimitée sur une planète aux ressources limitées est un non-sens, et il en va de même de la croissance démographique. Si tous les habitants de la planète consommaient à l’égal d’un Occidental moyen, il nous faudrait trois ou quatre planètes supplémentaires pour faire face aux besoins. Les « décroissants », menés en France par Serge Latouche, appellent depuis des années à revoir notre mode de vie et à envisager une « décroissance soutenable ». George W. Bush disait en 2002 que « la croissance est la solution, non le problème ». Et si c’était le contraire ?

    Après la chasse au Dahu, celle de la « croissance » qui, décidément, n’est pas « au rendez-vous »… Manuel Valls se fait fort de la faire revenir, mais c’était aussi l’objectif de Montebourg. Qu’est-ce donc qui différencie ce nouveau gouvernement du précédent ?

    Le putsch du 25 août, qui a permis à Manuel Valls de faire sortir du gouvernement ses deux alliés de la veille, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, a eu comme effet remarquable de confirmer l’unité profonde du libéralisme économique, représenté par le nouveau ministre de l’Économie, le banquier Emmanuel Macron (promotion 2012 des « young leaders » de la French-American Foundation), et du libéralisme « sociétal » incarné par Najat Vallaud-Belkacem. On espère, sans trop y croire, que le ralliement officiel du gouvernement à la politique du Medef dessillera les yeux des derniers zozos encore assez candides pour croire que nous sommes dirigés par des « socialistes ». Quant à la droite UMP, elle ne dissimule pas sa gêne puisque, ne pouvant plus proposer une « autre politique », elle se trouve condamnée à dire qu’elle fera la même, mais en mieux. C’est-à-dire en pire.

    Pour le reste, ils sont tous d’accord : la solution, c’est la croissance ! Politique de l’offre ou politique de la demande, invocation des mânes de Keynes ou de Milton Friedman, aide aux ménages ou politique d’austérité propre à transformer les Français en Grecs comme les autres, tous les moyens sont bons pour « aller la chercher », la « débusquer », la « retrouver », etc. Nicolas Sarkozy se faisait même fort de la « décrocher avec les dents ». Emmanuel Macron a lui-même appartenu à la Commission Attali pour la « libération de la croissance ». Les hommes politiques sont des « true believers » : la croissance, c’est leur croyance rédemptrice, leur planche de salut, la condition de la « reprise » et de la baisse du chômage, la sortie du tunnel, la fin de la récession. On connaît la chanson.

    Et si c’était fini ? Et si la croissance telle qu’on l’a connue à l’époque des Trente Glorieuses était tout simplement terminée ? Cette question iconoclaste, certains, comme les économistes Robert Gordon et Paul Krugman, commencent à la poser. Le déclin de la productivité, la raréfaction des ressources énergétiques, la baisse tendancielle des taux de profit, nourrissent la thèse d’un essoufflement de la dynamique expansive du capitalisme, la financiarisation croissante du capital constituant une sorte de réponse fonctionnelle à la stagnation des économies occidentales. Sous l’influence de l’idéologie du progrès et de l’obsession productiviste, l’imaginaire contemporain s’est habitué à l’idée que la croissance est un phénomène normal, naturel en quelque sorte, ce qui n’a jamais été le cas pendant des siècles, et même des millénaires. Or, on constate aujourd’hui qu’entre 1990 et 2011, 54 % des pays ont déjà connu une croissance négative. Ce n’est pas terminé.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 5 et 7 septembre 2014)

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  • Le féminisme veut-il encore dire quelque chose ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au féminisme ...

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    Le féminisme veut-il encore dire quelque chose ?

    Après des années de lutte, quel bilan peut-on tirer du féminisme ?

    Un bilan nécessairement contrasté, pour l’excellente raison que le féminisme, en soi, ne veut pas dire grand-chose. Il y a, en effet, toujours eu deux grandes tendances à l’intérieur du mouvement féministe. La première, que j’appelle le féminisme identitaire et différentialiste, cherche avant tout à défendre, promouvoir ou revaloriser le féminin par rapport à des valeurs masculines imposées par des siècles de « patriarcat ». Non seulement le féminin n’est pas nié, mais c’est au contraire son égale valeur avec le masculin qui est proclamée. Cette tendance a, certes, connu des excès, allant parfois jusqu’à tomber dans la misandrie (dans les années 1960, certaines féministes américaines aimaient à dire qu’« une femme a autant besoin d’un homme qu’un poisson d’une bicyclette » !). Au moins ne remettait-elle pas en cause la distinction entre les sexes. Je trouve ce féminisme plutôt sympathique. C’est à lui que l’on doit d’avoir réellement fait avancer la condition féminine.

    La seconde tendance, qu’on peut appeler égalitaire et universaliste, est bien différente. Loin de chercher à revaloriser le féminin, elle considère que c’est, au contraire, la reconnaissance de la différence des sexes qui a permis au « patriarcat » de s’imposer. La différence étant ainsi tenue comme indissociable d’une domination, l’égalité est à l’inverse posée comme synonyme d’indifférenciation ou de mêmeté. On est, dès lors, dans un tout autre registre. Pour faire disparaître le « sexisme », il faudrait faire disparaître la distinction entre les sexes (tout comme, pour faire disparaître le racisme, il faudrait nier l’existence des races) – et surtout nier leur naturelle complémentarité. Dès lors, les femmes ne devraient plus concevoir leur identité sur le mode de l’appartenance (au sexe féminin), mais sur leurs droits en tant que sujets individuels abstraits. Comme l’a dit l’ultra-féministe Monique Wittig, « il s’agit de détruire le sexe pour accéder au statut d’homme universel » ! En d’autres termes, les femmes sont des hommes comme les autres ! C’est évidemment de cette seconde tendance qu’est née la théorie du genre.

    Est-il forcément besoin d’être féministe pour être une vraie femme ?

    Il faudrait déjà s’entendre sur ce qu’est une « vraie femme » ! Raymond Abellio distinguait trois grands types de femmes : les femmes « originelles » (les plus nombreuses), les femmes « viriles » et les femmes « ultimes ». Il interprétait le féminisme comme un mouvement de mobilisation des premières par les secondes. Ce qui est sûr, c’est qu’on peut être féministe au sens identitaire sans l’être au sens universaliste. La question se pose, d’ailleurs, de savoir si la seconde tendance évoquée plus haut peut encore être qualifiée de « féministe ». S’il n’y a plus d’hommes et de femmes, si le recours au « genre » permet de déconnecter le masculin et le féminin de leur sexe, on voit mal en quoi la théorie du genre peut encore être considérée comme « féministe ». Qu’est-ce en effet qu’un féminisme qui nie la réalité d’une spécificité féminine, c’est-à-dire de ce qui caractérise les femmes en tant que femmes ? Comment les femmes pourraient-elles rester femmes en se libérant du féminin ? Telles sont précisément les questions que n’ont pas hésité à poser les féministes les plus hostiles à l’idéologie du genre, telles Sylviane Agacinski ou Camille Froidevaux-Metterie.

    Aujourd’hui, les Femen… Suffit-il de montrer ses seins pour faire avancer la cause féminine ?

    Si tel était le cas, la condition féminine aurait, depuis quelques décennies, fait d’extraordinaires bonds en avant ! Mais dans le monde actuel, l’exhibition d’une paire de seins est d’une affligeante banalité. Même sur les plages, le monokini est passé de mode ! En exhibant des poitrines dans l’ensemble plutôt tristounettes, les Femen, venues d’Ukraine, ont naïvement imaginé qu’elles allaient faire impression. Elles ont seulement fait sourire. Disons qu’elles ont cru que, pour se faire entendre, il leur fallait recourir à ce que certains sociologues appellent la « nudité hostile », une nudité qui n’est plus conçue comme un moyen d’attirer, de séduire ou de provoquer le désir, mais comme un défi agressif, une sorte de proclamation à l’ennemi. Ce genre de pratique relève de cet exhibitionnisme pauvre à quoi se résume actuellement une grande partie de la sociabilité occidentale, laquelle consiste à user de son corps comme d’une marchandise. Les malheureuses Femen seront d’autant plus vite oubliées que tout le monde se fout de leurs nichons !

    Mais ce serait aussi une erreur de croire qu’elles ont le soutien des féministes. Mis à part Caroline Fourest, notoirement tombée amoureuse d’Inna Shevchenko, la plupart des féministes ont très vite pris leurs distances vis-à-vis de ces exhibitionnistes, auxquelles elles ont reproché d’utiliser leur corps et de faire appel à une « politique de la télégénie » pour mobiliser l’attention médiatique, au risque de légitimer indirectement la reconnaissance des différences de sexes – en clair, de faire de leurs glandes mammaires un usage propre à conforter les « stéréotypes ». D’autres ont objecté aux activistes aux seins nus qu’au lieu d’affirmer la supériorité de la nudité, elles feraient mieux de défendre la liberté des femmes de s’habiller comme elles le veulent. Lisez, à ce propos, l’article de Mona Chollet paru dans Le Monde diplomatique de mars dernier, qui s’intitulait « Femen partout, féminisme nulle part ». Quant aux revendications proprement féministes des Femen, on les cherche encore !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 17 août 2014)

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  • Proche-Orient : incohérence et cynisme de la politique américaine...

    Vous pouvez écouter ci-dessous un court entretien accordé par Alain de Benoist à la radio francophone iranienne IRIB le 13 août 2014 à propos des frappes américaines contre les positions des miliciens djihadistes de l'Etat islamique d'Irak et du Levant. Il souligne l'incohérence et le cynisme de la politique américaine et le suivisme de la France...

     

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  • La France n'a plus de politique étrangère autonome !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'alignement, désormais systématique, de la politique étrangère française sur celle des Etats-Unis...

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    Les États-Unis ont désigné Poutine comme leur ennemi. C’est un fait capital.

    Une certaine intelligentsia de gauche a longtemps révéré l’URSS. Mais ce n’est pas forcément pour cela qu’elle aimait la Russie. La preuve par Soljenitsyne naguère ou Poutine aujourd’hui ?

    À l’époque de la guerre froide, les États-Unis s’opposaient, certes, à l’Union soviétique au nom de l’anticommunisme (ce qui leur permettait d’exercer sur leurs alliés une forme inédite de racket à la protection) mais, avertis des réalités de la géopolitique, ils s’opposaient tout autant, voire plus encore, à la Russie « éternelle ». La preuve en est que l’écroulement du système soviétique n’a pas modifié leur attitude en profondeur. La Russie est toujours, pour eux, une puissance à « contenir » par tous les moyens, toute leur politique étrangère visant à l’encercler, à pousser l’OTAN jusqu’à ses frontières et à empêcher les Européens de s’allier aux Russes, comme il serait tout naturel qu’ils le fassent s’ils avaient conscience de la nécessité de penser en termes continentaux. La guerre froide a donc maintenant repris ses droits. Cela va peser sur toute la politique mondiale pour les vingt ans qui viennent.

    En politique, on devient un ennemi dès lors que l’on est désigné comme tel. Les États-Unis ont aujourd’hui désigné Poutine comme leur ennemi. C’est un fait capital. Dans l’affaire ukrainienne, profitant du conditionnement médiatique qui joue en leur faveur, ils sont parvenus à ce résultat prodigieux de faire adopter par l’Union européenne une politique allant directement à l’encontre des intérêts européens. Je fais évidemment allusion ici aux lamentables et très contre-productives sanctions antirusses (mais évidemment pas anti-israéliennes !) que les Européens ont accepté de soutenir – gouvernement français en tête – alors que les inévitables représailles qui s’ensuivront vont leur coûter extrêmement cher. Lorsque ces sanctions ont été annoncées, le ministère russe des Affaires étrangères a simplement déclaré : « Nous avons honte pour l’Union européenne qui, après avoir longuement cherché sa propre voie, a adopté celle de Washington, rejetant ainsi les valeurs européennes fondamentales. » C’est très exactement cela, hélas ! L’Union européenne s’est alignée sur l’Amérique parce qu’elles partagent l’une et l’autre la même idéologie libérale. Le drame est que tout cela se déroule dans l’indifférence générale, alors qu’il s’agit d’un événement de première grandeur.

    A contrario, la classe politique française n’en finit plus d’être fascinée par le « modèle américain ». Jean Lecanuet se présentait comme le JFK français, et même Jean-Marie Le Pen se voulait l’équivalent hexagonal de Ronald Reagan…

    L’UMP ressemble aujourd’hui de plus en plus à l’ancien MRP, et le PS de plus en plus à l’ancienne SFIO. Ces deux partis de la IVe République, l’un de droite et l’autre de gauche, communiaient dans la même soumission aux Américains. Seule l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle a permis, à partir de 1958 (et surtout de 1966), d’imposer une politique d’indépendance nationale qui n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir. Nicolas Sarkozy, qui a fait revenir la France dans la structure intégrée de l’OTAN, était en adoration hystérique devant le modèle américain. François Hollande et Laurent Fabius renouent, pour leur part, avec l’atlantisme inconditionnel d’un Guy Mollet. D’où l’inertie que l’on constate de la part du Quai d’Orsay, tant à propos de l’Ukraine que de la Palestine, de l’Irak ou de la Syrie. Aujourd’hui, la France n’a tout simplement plus de politique étrangère autonome. Elle se contente de relayer les consignes d’Obama.

    Les États-Unis ont, par ailleurs, toujours été très attentifs à placer sous influence la classe politique française. Le programme phare de la French-American Foundation, créée en 1976 et qui rassemble aujourd’hui plus de 400 dirigeants issus du monde de l’entreprise, de la haute administration et des médias, consiste à sélectionner chaque année un certain nombre de Français âgés de 30 à 40 ans jugés outre-Atlantique particulièrement « prometteurs ». Parmi ces « Young Leaders » dont on attend à Washington qu’ils s’emploient à « renforcer les liens entre la France et les États-Unis », on trouve aussi bien François Hollande (promotion 1996) qu’Alain Juppé (promotion 1981), mais aussi Jean-Marie Colombani, Laurent Joffrin, Guy Sorman, Jacques Toubon, Najat Vallaud-Belkacem, Christine Ockrent, Alain Minc, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, François Léotard, Marisol Touraine, Anne Lauvergeon, Jean-Noël Jeanneney, Bruno Le Roux, Valérie Pecresse, Fleur Pellerin, sans oublier Yves de Kerdrel (promotion 2005), qui vient de saborder le mensuel Le Spectacle du monde pour mieux mettre l’hebdomadaire Valeurs actuelles au service exclusif de Nicolas Sarkozy.

    Paradoxe français, nous vantons notre exception nationale, mais n’en finissons pas non plus de nous référer à des modèles étrangers, qu’ils soient allemands, suisses ou anglo-saxons…

    L’herbe du voisin paraît toujours plus verte, c’est bien connu. Les Français, qui sont très xénophobes, mais pas du tout racistes, aiment bien en effet se référer à des modèles venus d’ailleurs. Pourquoi ne le feraient-ils pas lorsque cela est justifié ? Ce qui est dommage, c’est que les modèles français, qui existent aussi, semblent désormais appartenir au passé. À moins, bien sûr, qu’on ne prenne en compte aussi les modèles négatifs ; auquel cas, la France actuelle serait incontestablement en tête de classement !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 14 août 2014)

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  • Sur l'euthanasie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au débat sur l'euthanasie...

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    Euthanasie : il vaudrait mieux abandonner le langage des droits…

    Le débat sur l’euthanasie fait rage. Mais il y a plusieurs manières de mettre fin à ses jours. Demander au corps médical d’abréger les souffrances d’une longue maladie, se suicider par désespoir (dépressif profond), par sacrifice (kamikaze japonais) ou aspiration héroïque (Dominique Venner)… Comment y voir plus clair ?

    La frontière est parfois mince également entre la mort voulue (le suicide) et la mort acceptée (le martyre)… Mais pour y voir plus clair, il faut d’abord ne pas confondre suicide et euthanasie, même si cette dernière peut parfois prendre la forme d’un suicide assisté. À l’instar des Vieux Romains, je respecte et admet parfaitement le suicide, y compris le suicidé assisté, mais le problème de l’euthanasie va très au-delà dans la mesure où l’on peut se donner la mort quand on est en bonne santé, tandis que l’euthanasie (étymologiquement la « bonne mort ») a nécessairement trait à une fin d’existence déjà programmée.

    C’est en tout cas un problème dont on ne peut sous-estimer l’importance, compte tenu de la finitude humaine. La seule chose dont chacun d’entre nous peut être sûr, c’est qu’il mourra : l’homme est cet être qui sait qu’il est « être-vers-la-mort » (Sein zum Tode), comme le dit dans Etre et temps Martin Heidegger, pour qui se savoir voué à la mort est la manière spécifiquement humaine d’assumer authentiquement ce que l’on possède en propre. La conscience de la mort ne relève en effet pas tant d’une anticipation prévisionnelle (puisque dès qu’un humain vient à la vie, il est déjà assez vieux pour mourir), mais d’une réflexion sur le sens même de l’existence stimulée par la possibilité toujours présente d’une mort indépassable. Cela dit, il n’y a pas besoin d’être philosophe pour s’en rendre compte ! D’après l’INED, il y aurait déjà en France près de trois mille euthanasies par an. La durée moyenne de la vie augmentant, on peut même s’attendre à une demande d’euthanasie de plus en plus forte.

    Vous-même, que pensez-vous de cette fameuse question de la « fin de vie » ?

    Tous les sondages montrent qu’une immense majorité de Français (92 %) sont favorables à l’euthanasie active pour les personnes qui en font la demande et qui souffrent de « maladies insupportables et incurables », à commencer par eux-mêmes, ce que l’on a également pu constater dans les débats engendrés par toute une série de faits-divers et de procès retentissants. Je fais partie de cette majorité. Je pense que mettre fin dans des conditions paisibles à une vie qui s’achève sous une forme végétative ou dans des souffrances indescriptibles relève de la simple humanité. Et je pense aussi qu’il n’y a pas de plus grande preuve d’amour (ou d’amitié) que d’aider à mourir un proche qui l’a demandé. Personnellement, je ne souhaiterais pas être prolongé artificiellement si ma fin de vie devait s’accompagner d’un état végétatif ou de souffrances insupportables. En matière d’acharnement thérapeutique, il faut fixer des limites. Des limites que veulent justement abolir les adversaires de l’euthanasie (il ne doit pas y avoir pour eux de limite à l’acharnement thérapeutique), alors qu’ils invoquent la nécessité d’en respecter lorsqu’il s’agit de la PMA ou de la GPA.

    L’idéal est bien entendu qu’il y ait accord entre l’intéressé, ses proches et les médecins. Quand cela n’est pas possible, il peut au moins y avoir, en général, concertation entre les médecins et les proches. Mais il faut évidemment être attentif aux risques de dérapage, qui sont réels. À l’inverse, il faut aussi en finir avec les fantasmes (du style « on veut tuer tous les vieillards », on va mettre en place une « extermination programmée », etc.) que l’on agite d’autant plus volontiers que l’on n’a jamais été confronté personnellement à des situation douloureuses de ce genre. C’est la raison pour laquelle il faut bien légiférer, alors même que dans le passé ces choses-là se passaient souvent dans le secret des familles et la bienheureuse opacité des sociétés traditionnelles. Seule une législation adaptée peut permettre d’éviter au maximum les dérives ou les abus. La loi Leonetti (2005) n’est pas une mauvaise loi. Elle pourrait cependant être encore améliorée.

    Chez les médecins, il y a ceux qui entendent « préserver la vie » à tout prix. Et d’autres qui estiment avoir quasiment droit de vie ou de mort sur leurs patients. N’existerait-il pas une voie médiane ?

    La voie la plus raisonnable est de ne pas raisonner dans l’absolu. On ne peut éluder un tel problème en s’abritant derrière de grands principes qui ne prennent pas en compte des situations concrètes qui sont toujours particulières, difficiles, tragiques, voire abominables. J’ai pour ma part le plus grand respect pour la vie, mais je ne la confonds pas avec ses formes les plus dégradées. Pour un être humain, « vivre » ce n’est pas seulement respirer ou avoir le cœur qui bat, c’est avoir conscience de son existence. Lorsqu’il n’y a plus de conscience (ou de possibilité de conscience), on ne « vit » déjà plus. Ce qui est remarquable, c’est que le débat autour de l’euthanasie montre clairement les limites du discours des droits, puisque ceux qui proclament le « droit à la vie » s’opposent à ceux qui en tiennent pour le « droit de mourir dans la dignité ». En ce domaine comme en beaucoup d’autres, il vaut décidément mieux abandonner le langage des droits.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 juillet 2014)

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  • L'Europe ne pourra se faire que contre les Etats-Unis !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux États-Unis et à leur place de grande puissance...

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    L'Europe ne pourra se faire que contre les États-Unis !

    Après la chute du Mur de Berlin, les États-Unis sont devenus une « hyperpuissance ». Où en est aujourd’hui la puissante Amérique, entre crises financières et guerres erratiques ?

    Le débat sur le « déclin américain » a été lancé aux États-Unis dès la fin des années 1980, par Paul Kennedy, dont le livre (Naissance et déclin des grandes puissances) est aujourd’hui célèbre dans le monde entier. Beaucoup de ceux qui partagent son point de vue raisonnent à partir de l’adage selon lequel « tout Empire périra ». Les États-Unis n’ont pourtant jamais créé un véritable Empire, mais une zone d’influence, ce qui n’est pas la même chose. Les alliés y sont considérés comme des vassaux, les ennemis comme des figures du Mal (le dernier en date étant Vladimir Poutine). Ces dernières années, la montée en puissance des pays émergents, à commencer par la Chine, le bilan catastrophique des guerres en Irak et en Afghanistan, l’affaiblissement du système du dollar, aujourd’hui ouvertement contesté par les Chinois et les Russes, l’accumulation depuis Reagan de déficits d’une ampleur encore jamais vue, voire l’évolution démographique (la population d’origine européenne ne représente déjà plus qu’une minorité des naissances), ont donné une certaine crédibilité à cette thèse. Cela dit, les États-Unis sont encore la principale puissance du monde, d’autant que la mondialisation crée un environnement favorable au développement de leur « soft power », théorisé en 1990 par Joseph Nye dans Bound to Lead.

    Le fait que l’Amérique du Nord soit la seule nation au monde à avoir vu le jour à la suite d’un génocide peut-il expliquer sa psychologie si spécifique et l’idée que certains Américains puissent se faire de cette « destinée particulière » ?

    J’ai plutôt l’impression que c’est, à l’inverse, cette psychologie qui explique l’extermination méthodique des Indiens. La mentalité américaine est marquée par une conception économique et commerciale du monde, par l’omniprésence des valeurs bibliques et par l’optimisme technicien. Les États-Unis ont une histoire courte, qui se confond avec celle de la modernité ; la civilisation américaine est une civilisation qui se déploie dans l’espace plus qu’elle ne se déploie dans le temps. Au cours de leur brève histoire, les États-Unis n’ont connu qu’un seul grand modèle politique, pratiquement inchangé depuis les origines – d’où leur conformisme (Céline, en 1925, parlait de la « platitude accablante de l’esprit USA »). La pensée des Pères fondateurs est pour l’essentiel inspirée de la philosophie des Lumières, qui implique le contractualisme, le langage des droits et la croyance au progrès. Christopher Lasch dit à juste titre « qu’aux États-Unis, la suppression des racines a toujours été perçue comme la condition essentielle à l’augmentation des libertés ». Les États-Unis sont nés d’une volonté de rupture avec l’Europe. Tocqueville écrivait : « Les passions qui agitent les Américains sont des passions commerciales, non des passions politiques. Ils transportent dans la politique les habitudes du négoce ». La « démocratie en Amérique » n’est que le règne d’une oligarchie financière.

    Mais les premiers immigrants entendaient aussi créer une société nouvelle qui serait susceptible de régénérer l’humanité entière. Ils ont voulu fonder une nouvelle Terre promise qui pourrait devenir le modèle d’une République universelle. Ce thème biblique, qui est au centre de la pensée puritaine, revient comme un véritable leitmotiv dans toute l’histoire des États-Unis. Il constitue le fondement de la « religion civile » et de l’« exceptionnalisme » américains. Dès 1823, James Monroe avait placé sous le signe de la Providence la première doctrine américaine en matière de politique étrangère. Interventionnistes ou isolationnistes, pratiquement tous ses successeurs adopteront la même démarche. Et c’est aussi la théologie puritaine du « Covenant » qui inspire la doctrine de la « destinée manifeste » (Manifest Destiny) énoncée par John O’Sullivan en 1839 : « La nation d’entre les nations est destinée à manifester à l’humanité l’excellence des principes divins […] C’est pour cette divine mission auprès des nations du monde… que l’Amérique a été choisie ». Autrement dit, si Dieu a choisi de favoriser les Américains, ceux-ci ont du même coup le droit de convertir les autres peuples à leur façon d’exister, qui est nécessairement la meilleure.

    Les « relations internationales » ne signifient alors rien d’autre que la diffusion à l’échelle planétaire du mode de vie américain. Représentant le modèle à la perfection, les Américains n’ont pas besoin de connaître les autres. C’est aux autres d’adopter leur façon de faire. On ne peut s’étonner, dans ces conditions, que les déboires rencontrés par les États-Unis dans leur politique extérieure résultent si souvent de leur incapacité à imaginer que d’autres peuples puissent penser différemment d’eux. En fait, pour beaucoup d’Américains, le monde extérieur (le « rest of the world ») n’existe tout simplement pas, ou plutôt il n’existe que pour autant qu’il s’américanise, condition nécessaire pour qu’il devienne compréhensible.

    Le plus frappant chez les Américains, c’est leur incontestable capacité de rebond…

    Cette capacité de rebond s’explique à la fois par le fait que les Américains n’ont pas d’états d’âme sur la valeur de leur modèle, par l’omniprésence de la violence dans leur culture, et aussi par le fait qu’ils n’ont pas subi au XXe siècle les abominables saignées qu’ont subies les Européens. Les États-Unis ont eu 117.000 morts pendant la Première Guerre mondiale (1,7 million pour la France), 418.000 morts pendant la Deuxième (au moins neuf millions pour l’Allemagne), environ 40.000 au Vietnam, soit au total moins que les pertes humaines enregistrées lors la guerre de Sécession. Les États-Unis ne doivent pas être sous-estimés, non seulement parce que leurs moyens restent considérables, mais parce qu’ils n’ont pas été vidés de leur énergie. Il n’en reste pas moins que, de même que les États-Unis sont nés d’un refus de l’Europe, l’Europe ne pourra se faire que contre les États-Unis.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 21 juillet 2014)

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