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états-unis - Page 18

  • Le lobby saoudien en France...

    Les éditions Denoël viennent de publier une enquête dirigée par Pierre Conesa et intitulée Le lobby saoudien en France - Comment vendre un pays invendable. Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016) et Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018).

     

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    " L'Arabie saoudite rivalise avec la Corée du Nord en matière d'atteintes aux droits de l'homme ; d'absence totale de droits de la femme ; d'usage de la torture ; d'intolérance religieuse absolue ; d'interventions militaires extérieures (Bahreïn, Yémen) ; d'absence de liberté de conscience, de la presse et de liberté d'opinion, etc. Une spécificité supplémentaire propre à l'Arabie : la peine de mort pour "blasphème" et l'athéisme assimilé à du terrorisme. Longtemps le régime s'est recroquevillé dans sa superbe indifférence avant que la guerre au Yémen ou l'assassinat de Khashoggi ne l'obligent à soigner son image. La solution a donc consisté à contracter avec toutes les sociétés internationales de relations publiques et les cabinets de lobbying, en particulier aux Etats-Unis et en France. "

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  • Une brève histoire de l’Empire américain...

    Les éditions Demi-Lune viennent de publier un nouvel essai de Daniele Ganser intitulé Une brève histoire de l’Empire américain - Le mythe de l’exceptionnalisme. Historien suisse, Daniele Ganser a publié Les armées secrètes de l'OTAN (Demi-Lune, 2007), un ouvrage consacré aux réseaux Stay Behind.

     

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    " De l’avis de beaucoup, les États-Unis ont la plus forte influence déstabilisatrice et représentent donc la plus grande menace pour la paix dans le monde. Cette position n’a pas été acquise par hasard. Aucune autre nation n’a bombardé autant de pays et renversé autant de gouvernements depuis 1945. Ils entretiennent le plus de bases militaires, exportent le plus d’armes et disposent du budget d’armement le plus élevé au monde.

    L’auteur explique les raisons de cette défiance en analysant le contexte, les motivations et les moyens qui ont permis aux États-Unis de s’imposer non seulement comme la première puissance mondiale, mais en tant que seul véritable Empire moderne. Depuis la fondation en 1607 de la première colonie anglaise permanente de Jamestown, en passant par les guerres indiennes, le système esclavagiste, la guerre de Sécession et les campagnes successives contre le Mexique puis l’Espagne qui lui ont permis d’agrandir son territoire national, puis leur projection dans les Caraïbes (Cuba, Porto-Rico) et jusque dans le Pacifique (Philippines, Guam, Hawaï), à leur rayonnement planétaire à la suite des deux guerres mondiales, l’auteur examine une brève histoire de l’hégémonie impérialiste états-unienne.

    Daniele Ganser décrit de façon impressionnante la façon dont les États-Unis poursuivent une politique de domination dans laquelle la violence est un élément central. Il s’agit aussi d’une histoire de propagande et de parfaite maîtrise de la narration qui fait de l’exceptionnalisme américain (la Destinée manifeste) la clé de voûte d’un discours où les valeurs affichées sont clairement inversées par rapport à la réalité. "

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  • OTAN : protectorat contre vassalisation...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la vassalisation de l'Europe par les Etats-Unis par le biais de l'OTAN.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (Pierre-Guillaume de Roux, 2021) et L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021).

     

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    Alain de Benoist : « L’OTAN n’est pas en état de mort cérébrale. C’est l’Europe qui l’est ! »

    Nous avons déjà eu l’occasion de parler de l’, organisation qui aurait dû logiquement être dissoute en même temps que le pacte de Varsovie, puisqu’elle avait été créée à seule fin de résister à l’Union soviétique, aujourd’hui disparue. Mais il n’en a rien été, puisqu’elle s’est muée en une vaste organisation de « défense globale » qui intervient désormais dans le monde entier. Quelles sont, aujourd’hui, ses priorités ?

    Tout le monde le sait, ses ennemis désignés sont aujourd’hui la Fédération de Russie en premier lieu, la en second. Le fait nouveau est qu’avec l’élection de Joseph (« Joe ») Robinette Biden, le parti de la guerre est de retour. Les États-Unis ont déjà recommencé à bombarder la , Poutine se fait traiter de « tueur » par Biden et de nouvelles sanctions viennent d’être adoptées contre la Chine. Parallèlement, une vaste offensive de propagande est en cours pour « cimenter la centralité du lien transatlantique », c’est-à-dire pour faire croire aux Européens que les ennemis des Américains sont nécessairement les leurs. On en revient au chantage à la protection de l’époque de la guerre froide : les Européens sont sommés de s’aligner sur les positions de Washington en échange de la protection américaine, et donc de faire allégeance au commandant suprême des forces alliées en qui est, comme toujours, un général américain. En clair : protectorat contre vassalisation.

    C’est aussi ce que dit la tribune publiée tout récemment dans le mensuel Capital, qui a été signée par plusieurs hauts gradés militaires. Le moins qu’on puisse dire est que ses signataires ne mâchent pas leurs mots, puisqu’ils disent que la de la France est directement menacée par les projets de l’OTAN…

    La lettre ouverte adressée à Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, par les membres du Cercle de réflexion interarmées est en effet un véritable réquisitoire contre le projet « OTAN 2030 », qui définit les missions de l’Organisation pour les dix prochaines années. Ce projet est qualifié de « monument de paisible mauvaise foi », ce qui a le mérite d’être clair. Mais il faut aller plus loin si l’on veut comprendre ce qui est en jeu.

    Le fait important est que la doctrine de l’OTAN n’a cessé d’évoluer, ces dernières années, vers l’intégration du combat à toutes les étapes de la bataille. En 2008, l’OTAN avait déjà refusé de signer le Pacte européen de sécurité proposé par Moscou. En 2010, au sommet de Lisbonne, la défense anti-missiles balistiques américaine mise en place en Europe avait pris un caractère clairement dirigé contre « l’ennemi russe ». À partir de 2015, les premiers missiles antimissiles américains en packs de 24 lanceurs Mk 41, implantés tout autour de la Russie, n’ont plus été conçus comme permettant seulement des tirs défensifs, mais aussi des tirs offensifs. En 2019, les États-Unis ont déchiré le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) qui avait été signé en 1987 par Gorbatchev et Reagan. Tout récemment encore, un groupe de dix experts nommé par Stoltenberg s’est prononcé, dans son livre OTAN 2030: United for a New Era, pour le déploiement en Europe de nouveaux missiles nucléaires à moyenne portée équipés de bombes nucléaires B61-12. On en revient, ainsi, au concept de « bataille nucléaire de l’avant ». Cela signifie que le concept de frappe nucléaire tactique de théâtre est à nouveau scénarisé et que l’OTAN considère désormais l’Europe comme son futur champ de bataille, les États-Unis restant bien entendu seuls maîtres de l’engrenage vers l’option nucléaire.

    En déclarant, il y a deux ans, que l’OTAN était « en état de mort cérébrale », Emmanuel Macron avait fait sensation, cette déclaration ayant été interprétée comme un appel lancé aux Européens pour qu’ils se dotent d’une défense commune qui leur soit propre. Apparemment, ça n’a pas été le cas.

    Dans l’entretien auquel vous faites allusion, Macron disait aussi que « si nous acceptons que d’autres grandes puissances, y compris alliées, y compris amies, se mettent en situation de décider pour nous, notre diplomatie, notre sécurité, alors nous ne sommes plus souverains ». Le chef de l’État parlait d’or. Mais hélas ! il s’est contenté de jouer du pipeau, puisque le sursaut attendu n’a pas eu lieu. Quand, en 2009, avait décidé de réintégrer la structure militaire de l’OTAN, il avait également claironné qu’il levait ainsi un obstacle à la mise en place d’une Défense européenne. C’était tout aussi illusoire. Ou tout aussi mensonger.

    Plus significatif encore : après les déclarations de Donald Trump laissant planer le spectre d’un désengagement de Washington, on aurait pu penser que les Européens se seraient souciés plus sérieusement de pourvoir par eux-mêmes à leur sécurité. C’est le contraire qui s’est passé. Tous les gouvernements européens ont, au contraire, rivalisé en gestes d’allégeance dans l’espoir d’infléchir la position des États-Unis. Tous ont fait assaut de surenchère atlantiste sur des sujets comme la désignation de la Chine et de la Russie comme nouveaux ennemis communs, l’inclusion de l’espace parmi les théâtres d’opérations de l’OTAN ou l’accès des États-Unis aux programmes d’armement européens. La France elle-même s’est finalement alignée sur les positions américaines et ne fait plus entendre une voix originale sur aucun sujet. Si tel n’était pas le cas, elle commencerait par se désolidariser des sanctions contre la Russie et rétablirait ses relations diplomatiques avec la Syrie !

    Une Défense européenne n’est pas près de voir le jour pour la simple raison que la majorité des États européens, à commencer par l’Allemagne, n’en veulent pas, non seulement parce qu’ils trouvent que cela coûte trop cher et qu’ils s’imaginent que les bons sentiments suffisent à régler les rapports de force, mais aussi parce qu’ils savent très bien qu’il est impossible de défendre l’Europe sans prendre la place de l’OTAN, dont c’est la gardée. Comme le dit le général Vincent Desportes, « plus le parapluie américain est une chimère, plus les Européens s’y accrochent ». Alors que les États-Unis disposent d’un budget militaire de près 750 milliards de dollars (contre moins de 70 milliards pour la Russie), les budgets militaires de la plupart des pays européens sont indigents, ces mêmes pays préférant de surcroît acquérir des avions de guerre et des systèmes balistiques américains plutôt qu’européens pour complaire au complexe militaro-industriel américain.

    Macron a eu grand tort de parler de «  cérébrale » à propos de l’OTAN. L’OTAN n’est nullement en état de mort cérébrale. C’est l’Europe qui l’est, puisqu’elle refuse de se doter des moyens de la puissance. Le général Vincent Desportes le dit également sans ambages : « L’OTAN est une menace pour l’Europe », avant d’ajouter que « l’avenir de l’Europe est eurasiatique, pas euro-atlantique ». Une évidence que personne ne veut apparemment reconnaître. Le réveil sera terrible.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 28 mars 2021)

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  • Tout détruire par les flammes...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Raphaël Doan, cueilli sur Figaro Vox et consacré à ces universitaires américains "progressistes" qui veulent éradiquer l'enseignement de l'héritage gréco-latin. Un nouveau front pour la cancel culture...

    Agrégé de lettres classiques, Raphaël Doan est l'auteur de Quand Rome inventait le populisme (Cerf, 2019).

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    Raphaël Doan: «Ces historiens de l’Antiquité qui haïssent l’Antiquité»

    Faut-il brûler l’héritage gréco-romain? Cette question saugrenue n’émane pas d’un Wisigoth du Vème siècle, mais des meilleures universités américaines du XXIème.

    Un professeur d’histoire romaine de Stanford, Dan-el Padilla Peralta, a ainsi qualifié ce que les Anglo-saxons appellent les classics, à une conférence de la Society of Classical Studies de janvier 2019, de matière «mi-vampire, mi-cannibale». «Loin d’être extérieure à l’étude de l’Antiquité, affirmait-il, la production de la blanchité réside dans les entrailles même des classiques.» Aussi concluait-il, sous les applaudissements: «j’espère que la matière va mourir, et le plus tôt possible.»

    Padilla est loin d’être seul dans cette croisade. Pour un autre professeur de Stanford, Ian Morris, «l’Antiquité classique est un mythe de fondation euro-américain. Est-ce qu’on souhaite vraiment ce genre de choses?» Johanna Hanink, professeur associé de lettres classiques à l’université de Brown, voit dans la discipline «un produit et un complice de la suprématie blanche.» Donna Zuckerberg, classiciste et fondatrice du site Eidolon, se demande si l’on peut sauver une «discipline qui a été historiquement impliquée dans le fascisme et le colonialisme, et qui continue d’être liée à la suprématie blanche et à la misogynie.»

    Conclusion logique: une colonne régulière sur son site pour appeler à «tout détruire par les flammes» une expression courante de ce mouvement. Bref, résume Nadhira Hill, doctorante en histoire de l’art et archéologie à l’université du Michigan, «les classiques sont toxiques

    Ce n’est bien sûr pas la première attaque subie par les études anciennes. Mais elle est inédite par son caractère kamikaze - de la part de spécialistes de l’Antiquité - et par son ambition explicitement destructrice.

    Longtemps, le débat public sur l’intérêt de ces études, cristallisé dans la question de l’enseignement du latin et du grec, a porté sur l’utilité de ces disciplines. Est-il encore nécessaire, au XIXème, XXème ou XXIème siècle, d’étudier ces civilisations mortes il y a deux millénaires? Nos élèves n’ont-ils pas mieux à apprendre? Le monde n’a-t-il pas changé ?

    À la limite, certains y voyaient une matière élitiste, bourgeoise, un peu snob, justement parce qu’elle semblait inutile. Toutefois, même chez les adversaires du latin et du grec, on affichait une déférence polie: on les jugeait superflus, mais il ne serait venu à l’idée de personne d’y voir une influence néfaste. Tout au plus débattait-on de la nature de notre lien à ces civilisations anciennes.

    Face à ceux qui voyaient dans les Grecs et les Romains la source d’une grande tradition dont nous étions les héritiers, et qui méritait d’être étudiée en tant que telle, d’autres affirmaient s’y intéresser au contraire comme à de riches mondes perdus, sans aucune ressemblance avec le nôtre, et pour cette raison même intéressants car fortement exotiques.

    Parmi les premiers, la plus importante figure française a été Jacqueline de Romilly, qui a consacré la plupart de sa carrière à défendre une «certaine idée de la Grèce» propre à inspirer le monde contemporain ; dans le camp d’en face, on compte des savants comme Jean-Pierre Vernant ou Paul Veyne, qui se plaisent à révéler l’étrangeté des mondes antiques. Mais cette opposition intellectuelle, au demeurant parfaitement amicale, se dissipait sur un point: tous étaient d’accord pour défendre l’extrême intérêt de l’étude des civilisations classiques, et aucun ne la jugeait dangereuse.

    La nouvelle guerre qui fait rage en Amérique est de tout autre nature. Il s’agit de spécialistes de l’Antiquité, ayant consacré leur vie à ces études, et qui pourtant les condamnent et aspirent à les voir brûler. Comme ce qui s’invente dans les universités aux États-Unis surgit souvent chez nous quelques temps plus tard, il n’est pas inintéressant de chercher les raisons d’une telle manie destructrice.

    Les motivations de ces chercheurs activistes ne sont pas toujours d’une parfaite clarté, mais on peut en identifier deux principales.

    1) Selon eux, l’étude du monde gréco-romain aurait servi les mauvaises causes: l’imitation de l’Antiquité aurait justifié, à travers les siècles, l’esclavage, la colonisation, le racisme, le fascisme, le nazisme, la «domination blanche», et même récemment les émeutes du Capitole.

    2) Plus profondément, les mondes grec et romain eux-mêmes n’auraient rien d’admirable, étant esclavagistes, misogynes et inégalitaires, et ne mériteraient pas plus d’attention, voire moins, que d’autres mondes anciens.

    Premier résultat: à force d’expliquer que notre monde n’avait aucun lien de filiation avec les Grecs et les Romains et que ces civilisations n’avaient aucun intérêt particulier, certains chercheurs se sont eux-mêmes plongés dans de véritables crises existentielles.

    Matt Simonton, professeur à l’université de l’Arizona, explique avec candeur s’être «beaucoup demandé récemment la justification de son propre travail comme historien de la Grèce antique.» Il rappelle avec le ton de l’évidence que ce n’est «pas pour révéler un lien supposément continu» entre la Grèce antique et «l’Occident moderne» (expression qu’il récuse). Il ajoute que ce n’est pas non plus pour «explorer la supériorité de certaines civilisations par rapport à d’autres».

    Bref, ce n’est ni parce que les Anciens seraient nos ancêtres, ni parce qu’ils seraient particulièrement brillants. Alors, pourquoi étudie-t-il l’histoire grecque? Réponse embarrassée: «je ne peux pas l’articuler en termes pragmatiques.» Certains spécialistes ont tenté, par bonne conscience, de briser les liens qui pourraient unir l’extrême-droite américaine avec l’Antiquité: ils ont par exemple cherché à montrer que les mondes anciens n’étaient pas des modèles de «domination blanche.»

    Tentative louable qui les a cependant poussés à des excès inverses, par exemple en s’efforçant de démontrer que la polychromie des statues antiques aurait constitué un symbole de non-blanchité dissimulé à dessein par les historiens de l’art modernes.

    D’autres, comme l’historienne britannique Mary Beard, ont insisté sur les qualités d’ouverture à l’autre du monde romain, afin de combattre leur récupération par les xénophobes contemporains. Bref, des classicistes ont pensé sauver leur matière, et le monde gréco-romain avec, en montrant que l’extrême droite avait tort d’y chercher un modèle de civilisation.

    Toutefois, l’objet des plus radicaux de ces chercheurs n’était pas de sauver l’Antiquité gréco-romaine, mais bien d’en faire la purge. Selon Dan-el Padilla Peralta, le but même de son engagement est de «briser à la hache» l’idée que notre civilisation serait l’héritière du monde gréco-romain.

    Son parcours personnel ressemble pourtant à un conte de fée méritocratique, tout à l’honneur des études classiques: un jeune élève, fils d’immigrés sans papiers, repéré par ses professeurs et propulsé dans le monde universitaire par son goût pour le latin, le grec et l’histoire ancienne. Ses premiers travaux portaient sur la classe sénatoriale romaine, un sujet on ne peut plus traditionnel. Mais un beau jour, explique-t-il, il s’est senti le besoin de «déconstruire le cadre de suprématie blanche dans lequel les lettres classiques et moi avions été enfermés. Je devais m’engager activement dans la décolonisation de mon esprit.»

    En pratique, et au-delà des slogans appelant à «tout brûler», en quoi consiste cette entreprise? D’abord, ses partisans préconisent d’abandonner le mot même de classics ainsi que les départements spécialisés qui y sont consacrés. À les en croire, il ne devrait plus y avoir que des départements d’histoire, de linguistique ou d’archéologie, sans prédominance particulière de la civilisation gréco-romaine. Car c’est là l’autre ambition: briser la suprématie des Grecs et des Romains, pour les remplacer par l’étude d’autres peuples soi-disant «invisibilisés»: Numides, Phéniciens, Carthaginois, Hittites…

    Par suite, ces chercheurs se refusent à exiger une bonne connaissance du grec et du latin chez leurs étudiants. Katherine Blouin, professeur associé d’histoire romaine à l’université de Toronto, a appelé à abandonner «l’orthodoxie selon laquelle tous les classicistes devraient avoir une maîtrise de niveau philologique de ces deux langues», jugeant qu’il y avait de la «violence» et de la «cruauté» à attendre des chercheurs en lettres classiques qu’ils connaissent bien le latin et le grec - au motif que la version latine constituerait un «héritage colonial».

    Imagine-t-on dispenser les chercheurs en mathématiques de maîtriser l’algèbre, sous prétexte qu’elle aurait aussi été enseignée dans les écoles coloniales? Mais peu importe, l’objectif est de marginaliser les langues classiques, éventuellement au profit d’autres langues des mondes antiques, et peu importe si aucune d’entre elles ne compte de littérature aussi riche et abondante que le grec et le latin.

    Enfin, le but ultime est de faire de cette discipline un lieu de contestation et d’expression pour les «communautés qui ont été dénigrées par elle dans le passé.» Par exemple, faire des textes anciens un champ de laboratoire pour la «théorie critique de la race» ou pour des «stratégies d’organisation militante».

    En réalité, cela signifie que l’ambition est principalement raciale: «quand les gens pensent aux classics, affirme Padilla, je veux qu’ils pensent à des gens de couleur.” Mais si cela ne fonctionne pas, prévient-il, il faudra supprimer purement et simplement la discipline. «Je me débarrasserais carrément des lettres classiques», affirme Walter Scheidel, autre historien de Stanford, «je ne pense pas qu’elles devraient exister comme champ académique.»

    Pour le moment, ces chercheurs militants ne sont pas parvenus à détruire les départements de classics des universités américaines. Mais ils sont devenus très influents dans le contenu des enseignements qui y sont dispensés et des recherches qui y sont menées.

    Le mois dernier, l’université de Wake Forest, en Caroline du Nord, a annoncé que tous les étudiants du département seront désormais contraints de suivre un cours appelé «les classiques au-delà de la blanchité», qui portera sur «les préjugés selon lesquels les Grecs et les Romains étaient blancs, la race dans les sociétés gréco-romaines, le rôle des classiques dans les politiques raciales modernes, et les approches non-blanches des lettres classiques.» Petit à petit, l’enseignement du grec, du latin et de l’histoire ancienne dans les universités américaines est donc rabaissé, minimalisé et détourné, au nom d’une pureté morale intransigeante.

    Impossible, pour l’observateur extérieur, de ne pas voir une part de délire dans cette attaque en règle contre les études classiques. Qu’on puisse vouloir bannir l’enseignement du grec et du latin sous prétexte que les fascistes ont affiché des références antiques - comme toutes les sociétés occidentales depuis le Moyen-Âge, dans tous les camps et à toutes les époques - est passablement absurde: à ce compte-là, il ne faudrait pas non plus célébrer Rousseau ni la Révolution française, qui ont fait des républiques antiques leurs sources explicites d’inspiration. On pourrait également bannir les études médiévales, dès lors que l’alt-right américaine se revendique des chevaliers croisés.

    Qu’on juge problématique l’étude de la philosophie antique parce que les textes d’Aristote ont un jour servi à justifier l’esclavage américain est tout aussi ridicule. Mais le véritable fondement de cette idéologie doit être pris au sérieux, car il est plus répandu et moins extravagant: c’est l’idée que la civilisation gréco-romaine ne serait qu’une époque historique parmi d’autres, ni plus ni moins significative pour nous que le Japon féodal ou l’Empire inca.

    Or, si l’étude de l’Antiquité classique est, en Occident, plus nécessaire que d’autres, c’est précisément parce que nos sociétés se sont construites, siècles après siècles, en référence à cette civilisation modèle: des rois médiévaux qui voulaient recréer l’Empire romain au néoclassicisme du XVIIIe siècle, en passant par la querelle des Anciens et des Modernes du Grand Siècle ou la prière sur l’Acropole d’Ernest Renan.

    Si les lettres classiques sont importantes, c’est parce que nos sociétés, nos littératures, nos vies politiques ont été construites en référence explicite aux civilisations grecque et romaine, restées omniprésentes dans nos imaginaires, contrairement à l’Assyrie antique ou à l’Egypte.

    Il faut donc espérer que nos propres universités résistent à l’influence américaine en la matière ; on a déjà vu qu’une représentation des Suppliantes d’Eschyle a été censurée à la Sorbonne au nom d’un antiracisme dévoyé, alors que son metteur en scène, Philippe Brunet, ne cherchait que la fidélité à la tradition théâtrale antique.

    Le latin, le grec et leurs littératures sont déjà suffisamment mal en point aujourd’hui, où l’on supprime des heures d’enseignement par mesure d’économie et où l’apprentissage sérieux des langues anciennes tend à être remplacé par de vagues activités pluridisciplinaires, pour ne pas, en plus, accabler l’héritage gréco-romain d’une condamnation morale infondée et franchement stupide.

    Raphaël Doan (Figaro Vox, 11 mars 2021)

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  • Survivre à la guerre économique...

     

    Le 1er mars 2021, Pierre Bergerot recevait, sur TV libertés, Olivier de Maison Rouge pour évoquer la guerre économique que mène contre nous l'"allié américain". Avocat, Olivier de Maison Rouge est spécialiste des questions juridiques liées à l'intelligence économique et au secret des affaires. Il a publié deux ouvrages sur le sujet, Penser la guerre économique (VA éditions, 2018) et, récemment, Survivre à la guerre économique (VA éditions, 2020).

     

                                               

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  • Extraterritorialité du droit américain : que doit faire l’Europe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen, cueilli sur Geopragma et consacré à la question cruciale de l'extraterritorialité du droit américain. Secrétaire général de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique. 

     

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    Extraterritorialité du droit américain : que doit faire l’Europe ?

    Alors que l’administration Biden s’installe au pouvoir aux Etats-Unis, un sujet stratégique revient au centre des relations transatlantiques : l’extraterritorialité du droit américain et de fait, son illégitimité. 

    Ironiquement, cette histoire commence en 1977, lorsque le Congrès vote la loi du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) pour combattre et sanctionner les pratiques frauduleuses de certaines sociétés américaines dans l’attribution de marchés ou contrats internationaux. Depuis, cette loi a évolué pour définir des standards internationaux en conférant aux USA la possibilité de définir des normes applicables à des personnes, physiques ou morales, non américaines, sur leur propre territoire. Cette pratique a été enrichie au fil du temps par les lois Helms-Burton et D’Amato-Kennedy ou encore l’International Traffic in Arms Regulations (ITAR).

    Celles-ci permettent aux autorités américaines, notamment le Department of Justice (DOJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC), de sanctionner des entreprises ayant commis, véritablement ou non, des faits de corruption internationale pouvant se rattacher au pouvoir juridictionnel des Etats-Unis. Le lien peut être une cotation de l’entreprise sur les places boursières new-yorkaises du NYSE ou du NASDAQ, le transit d’emails ou de données via des serveurs situés aux USA, ou même un simple paiement en dollars direct ou même par effet de change subreptice au cours d’un transfert de fonds. 

    Chacun mesure bien aujourd’hui que l’extraterritorialité est un outil juridique mais surtout géopolitique, diplomatique et économique sans commune mesure, dont seuls les Américains sont détenteurs jusqu’à présent, en l’utilisant à des fins purement hégémoniques et d’interdiction d’accès à certains marchés, l’imposition de l’extraterritorialité du droit américain jouant ici le rôle d’un redoutable avantage concurrentiel. Car ils possèdent aussi une arme redoutable au travers du dollar : à l’échelle planétaire, la moitié des échanges commerciaux se font en USD, 85% du change de devises inclue le dollar, 75% des billets de 100 dollars en circulation le sont hors des Etats-Unis, et le dollar représente toujours 60% des réserves de devises des banques centrales ; à noter que l’euro se positionne fortement en deuxième place avec 20% de ces réserves (source : FMI).  

    Les Etats-Unis décident unilatéralement et en toute impunité d’interdire aux autres Etats ou personnes, quels qu’ils soient de commercer avec un Etat tiers, comme c’est le cas avec l’Iran aujourd’hui et comme ce fut le cas pour Cuba en 1996. Avec potentiellement de lourdes amendes et l’exclusion du marché américain à la clé. Ces lois ont permis aux Etats-Unis de sanctionner abusivement plusieurs entreprises européennes : Siemens, Technip, Alstom, Daimler, ou encore BNP Paribas et son amende record de 8,9 milliards de dollars en 2015. En 2018, Sanofi a été contrainte de régler une amende de plus de 20 millions de dollars au titre du FCPA. Dernière affaire en date, Airbus a été sommé de payer une amende de 3,6 milliards de dollars en 2020.

    Ces mesures prises par les Etats-Unis sont évidemment contestables au regard du droit international parce qu’elles étendent la juridiction de leurs lois à tout autre pays. C’est en fait de l’abus de position dominante, l’importance du marché américain permettant à Washington de faire du chantage politico-économique. Pour revenir à l’exemple iranien, les sanctions affectent directement la souveraineté de tous les Etats tiers. Y compris des entités supranationales comme l’Union européenne, contraintes de respecter des sanctions qu’elles n’ont pas décidées et qui sont le plus souvent contraires à leurs intérêts. Le retrait capitalistique et opérationnel de Total des champs gaziers de South-Pars au profit des Chinois en est le plus parfait exemple.

    A cet effet et en réaction à la réimposition des sanctions américaines sur l’Iran, l’Union européenne a lancé un mécanisme de paiement par compensation dit “INSTEX”. Ce montage financier isolerait tout lien avec le système monétaire américain, de manière à n’exposer aucune transaction aux sanctions américaines. En théorie, il pourrait à terme permettre aux entreprises européennes de poursuivre librement des échanges commerciaux avec l’Iran. Cependant, en pratique, il semble aujourd’hui sans grande portée, n’ayant été utilisé que très rarement et pour des opérations de troc. Afin de préserver leur rôle dans le commerce international, les entreprises européennes ont jusqu’à maintenant préféré se conformer aux sanctions américaines. Et elles redoutent aussi un désintérêt des investisseurs américains ou étrangers qui peuvent constituer une part importante de leur actionnariat.

    Par contraste, les lois européennes n’opèrent des blocages visant des sociétés américaines que dans le cadre d’opérations de fusions ou d’acquisitions qui ont une influence directe sur le marché européen et sur la concurrence européenne. Ce fut le cas en 2001 entre General Electric et Honeywell. Lorsque des décisions sont rendues, elles le sont au même titre qu’à l’encontre des entreprises européennes, sans traitement différencié. Et elles ne prévoient pas de sanctions. L’effet en est donc limité, proportionné et conforme au droit international.

    Sur ce sujet aussi, l’Europe doit arrêter de se laisser faire, cesser d’être la vassale des Etats-Unis et opérer un grand sursaut. Elle a plusieurs options pour le faire.

    Elle peut mettre en place un arsenal juridique équivalent – un OFAC européen – qui sanctionnerait les personnes morales ou physiques américaines, et protègerait les sociétés et personnes physiques européennes d’amendes ou de sanctions extraterritoriales d’outre-Atlantique. 

    Elle doit utiliser pleinement le RGPD qui protège les données de personnes morales ou physiques européennes en déjouant ainsi l’extraterritorialité des lois US, et contrecarrer les lois « Cloud Act I et II » adoptées par le Congrès qui permettent l’accès aux données des utilisateurs européens via des sociétés américaines, notamment dans le secteur numérique. Compte tenu des parts de marché écrasantes des GAFAM, et de l’importance croissante des données visées par les lois américaines, ceci est nécessaire et frappé au coin du bon sens.

    Enfin, l’Europe et les groupes européens doivent mettre la pression dans le cadre de leurs échanges commerciaux en exigeant le règlement des contrats en euros et non plus en dollars.

    Ce n’est donc plus une question de « pouvoir faire », mais de volonté et d’urgence, bref de « devoir faire ». L’Europe doit s’armer et démontrer sa souveraineté, en prenant notamment au pied de la lettre l’intention déclarée du 46ème président des Etats-Unis de renouer avec une politique étrangère multilatérale et équilibrée avec ses alliés transatlantiques. Si ce ne sont pas là que des déclarations d’intentions lénifiantes, alors nous pouvons légitimement invoquer la réciprocité comme première marque de respect.  

    Christopher Coonen (Geopragma, 22 février 2021)

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