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états-unis - Page 21

  • La quatrième guerre mondiale est commencée...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec Michel Geoffroy, à l'occasion de la publication de son essai La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020), réalisé par Jean-Baptiste Mendes pour Sputnik et diffusé le 19 août 2020. Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean Yves Le Gallou, et un essai, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018).

     

                                         

     
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  • Sommes-nous en pleine 4ème guerre mondiale ?...

    Le 10 juillet 2020, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Michel Geoffroy, à l'occasion de la publication de son essai La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020). Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean Yves Le Gallou, et un essai, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018).

     

                                          

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  • En régime d'américanité...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Régis Debray, cueilli sur Marianne et consacré à l'américanisation de la France. Penseur républicain,  se définissant parfois comme "gaulliste d'extrême gauche", Régis Debray est l'auteur de nombreux essais, dont, dernièrement  Civilisation - Comment nous sommes devenus américains (Gallimard, 2017), Le nouveau pouvoir (Cerf, 2017) ou Bilan de faillite (Gallimard, 2018).

     

    Américanisation.jpeg

    Alignez-vous !

    Tournant en 1943, peu avant de mourir, ses yeux vers l’après-guerre, Simone Weil a dit sa crainte qu’une fois le danger hitlérien écarté, ne survienne « une américanisation de l’Europe qui préparerait sans doute une américanisation du globe terrestre ». Elle ajoutait que dans ce cas « l’humanité perdrait son passé ».

    On peut se demander si ce n’est pas la sujétion du globe à la loi du Capital, via le dollar, la world music et le Web, qui a rendu possible la mutation de l’ethos européen, mais peu importe la cause et l’effet, l’admirable Simone avait vu juste. Il n’y a plus lieu de craindre mais simplement de prendre acte que notre présent est désormais au standard, et notre passé (bien au-delà de quelques statues, mortelles comme nous tous) fort mal en point. Le processus séculaire d’absorption entamé en 1919 (avec l’arrivée à Paris du charleston et la version du Traité de Versailles en anglais exigée par le président Wilson, première entaille à la tradition séculaire du français comme langue officielle de la diplomatie) semble être parvenu non à ses fins, car n’ayant rien d’un complot, il n’en avait probablement pas, mais à sa conclusion historique.

    Marée montante

    La séquence américanisation achevée, nous sommes en mesure de jouir d’une américanité heureuse, devenue force tranquille et seconde nature. La romanisation de l’œkoumène entre le premier et le troisième siècle de notre ère – de la Tamise à l’Euphrate en passant par l’Afrique numide – n’a nullement pâti d’un Caligula ou d’un Héliogabale foldingue au Capitole. L’américanisation du monde occidental se moque d’un éphémère Père Ubu à la Maison-Blanche. L’écume politique est une chose, l’attraction de la lune et du soleil sur les us et coutumes en est une autre. Nous parlons ici non d’une loufoquerie passagère, mais des façons de vivre et de penser, de parler et de rêver, de protester et d’acquiescer. D’une marée montante et non d’une vaguelette au bassin des enfants.

    Un phénomène d’ordre et d’envergure anthropologique n’appelle pas plus de jugement de moralité, louange ou condamnation, qu’un solstice d’été ou d’hiver. Il a suscité, dès ses prodromes, chez quelques « nez » prémonitoires, l’intérêt d’un Valéry pour la fin d’un monde en 1945, ou encore l’étonnement d’un Jean Zay (le ministre du Front populaire assassiné par la milice en 1944) débarquant du Normandie à New York en 1939 et notant dans son Journal : « quand on quittait la vieille Europe aux nerfs malades, rongée de folie fratricide, pour aborder cette Amérique éclatante de jeunesse et de puissance créatrice, toute entière tournée vers l’avenir, on comprenait que l’axe de la civilisation se déplaçait peu à peu, pour finir par passer l’Atlantique avec les prochains clippers. » La translatio imperii et studiorum est un passage obligé du devenir historique, depuis Sumer et Babylone jusqu’à l’Angleterre de la reine Victoria et les États-Unis du président Wilson, la Chine attend son tour.

    Formater les autres

    Chaque époque a son caput mundi, sa culture rectrice et directrice, sa civilisation la mieux dotée en capacité d’absorption et d’émission (l’une parce que l’autre), la plus apte, de ce fait, à irradier, informer, formater les autres, soit qu’elles aient vieilli, soit qu’elles peinent à naître. Les captations d’hégémonie, y compris picturale et musicale, épousent les rapports de force monétaires et militaires. Derrière Périclès, il y a l’hoplite, derrière Virgile, le légionnaire, derrière Saint-Thomas, le Chevalier, derrière Kipling, la Royal Navy et derrière Hollywood, la Silicon Valley et Marilyn Monroe, le billet vert et dix porte-avions. Il appartient aux plus gros canons de fixer à chaque reprise le canon universel du Beau, du Vrai et du Juste. Rien de nouveau dans la ritournelle. Jérémiades inutiles. C’est la loi immémoriale du Devenir. Et nous avons assez d’orgueil, ou de pudeur, pour nous voiler la marque du remorqueur qui nous a pris dans son sillage en parlant de « mondialisation ». Dans le vague, l’honneur est sauf.

    Le succès d’une domination par le centre nerveux de la planète à tel ou tel moment se reconnaît à ceci qu’elle est intériorisée non comme une obligation mais comme une libération par les innervés et les énervés de la périphérie ; quand un nous exogène devient le on de l’indigène, sans marque de fabrique, sorti de nulle part et libre d’emploi. Quand M. Macron écoute La Marseillaise en mettant la main sur le cœur, quand M. Mélenchon met un genou à terre, quand Mme Hidalgo donne le plus bel emplacement parisien aux tulipes en bronze de Jeff Koons ou quand un dealer honore ses juges d’un « Votre honneur », ils n’ont pas tous conscience d’imiter qui que ce soit. Ils veulent être dans le ton.

    Quand le lycée Colbert de Thionville, région Grand-Est, se rebaptise, à l’initiative du président « républicain » de la région, Rosa Parks (ou tel autre, Angela Davis), c’est sans doute pour être smart, pour faire comme tout le monde mais c’est d’abord pour vivre avec son temps, parce qu’un monde est devenu le monde. Se rebaptiser, pour ce lycée, Toussaint Louverture, Pierre Vidal-Naquet (qui mériterait le Panthéon) ou bien Sonthonax, le jacobin qui fut l’initiateur de l’abolition de l’esclavage en 1793 (ou pour un autre, Che Guevara), eut été contre-nature. Une emprise est parachevée quand on prend l’autre pour soi et soi-même pour un autre. Quand le particulier peut se faire prendre pour un universel. Quand les journaux de notre start-up nation cessent de mettre en italiques running, cluster, prime time, ou mille autres scies de notre globish quotidien.

    Métamorphose

    Au terme de trois siècles de romanisation, les « Barbares » ont envahi la botte italienne par amour, pour devenir enfin de vrais romains. Le souci des Pères conscrits du Mont Palatin était de freiner ce désir unanime d’assimilation, comme celui de Washington, à présent, d’empêcher les « Barbares » immigrés de devenir Américains, avec un mur au Texas et des rafles ailleurs. Ils ont peut-être tort de regarder seulement vers le Sud, en négligeant leur Occident. Après seulement cinquante ans de séries US à la télé, de Débarquement chaque soir en Normandie et de Young Leaders aux postes de commande, nos traders, nos managers, nos spin-doctors rêvent eux aussi de pouvoir s’installer à Manhattan, tout comme les membres du groupe « Sexion d’assaut » (la France est le pays où le rap, la musique la plus vendue au monde, est le plus écouté), tout comme les fans de Heavy Metal de Clisson, notre Rock City.

    Avec « l’accélération de l’histoire », les délais de la translation d’axe ont raccourci. Il a fallu quatre ou cinq siècles à la Grèce pour devenir romaine (de la mort d’Alexandre à la mort de Philpœmen, « le dernier des Grecs »). Trois siècles pour transformer la romanité en chrétienté. Un siècle à la grand-mère des arts, des armes et des lois pour assimiler les normes et réflexes de l’hyperpuissance, mais comparaison est à demi-raison. Le Grec vaincu a donné pour une très longue durée sa langue aux élites victorieuses. On ne sache pas que les Marc-Aurèle de la Maison Blanche méditent dans la langue de Molière, mais la French theory, les Foucault et Baudrillard, ont trouvé bon accueil dans les universités de pointe du XXe siècle (moyennant de sérieux contresens), tout comme la physique épicurienne et la morale stoïcienne, Zénon de Cittium et Chrysippe sous les portiques romains les plus huppés du IIIe siècle.

    Classer les individus d’après leur « race » ?

    Il y a une originalité dans la présente phagocytose. On procédait jusqu’ici, dans tous les cas de figure (y compris, quoi qu’on ait dit du rôle des femmes et des esclaves dans la métamorphose du Romain en chrétien), du fort au faible, des centres vers les marges. La règle du jeu, pour nous, les contemporains, c’eut été qu’Homo œconimicus pour nous convertir à ses vues et ses valeurs, nous délègue ses meilleurs éléments, le haut du panier (disons, pardon pour le prosaïsme, ses Alain Minc, BHL ou Moscovici). Généralement, il y a de la résistance au nouveau, chez les retardataires. Ici, en France, c’est l’enthousiasme qui frappe. Homo academicus, réputé jadis anticonformiste, en rajoute dans le mimétisme avec nos gender et cultural studies, et fait de nos campus des annexes de Harvard ou Stanford.

    La protestation antisystème s’exprime, chez les plus radicaux, dans les termes du système central, où le fin du fin consiste à classer les individus d’après leur « race », leur sexe, leur handicap physique ou leur provenance, une manie jusqu’ici réservée, dans nos provinces reculées, à l’extrême-droite. Maurras a remplacé Jaurès. Montaigne avait raison : l’histoire est une branloire pérenne. Et peu importe aux esprits avancés si la « diversité » peut servir d’alibi au maintien des inégalités économiques, conformément au nouvel esprit du capitalisme. Mettre une femme de plus, un black ou un beur dans un conseil d’administration ne change rien à l’ordre du profit maximal. Et peu importe si au jeu des minorités, tournant le dos à l’idée d’une même citoyenneté pour tous, le petit Blanc majoritaire, misogyne, homophobe et raciste, ne tardera pas à se poser en minorité victimisée, et à sortir, pour nous culpabiliser, une Tea Party de sa poche.

    Mise aux normes

    « L’Europe, disait Valéry dès 1930, aspire visiblement à être gouvernée par une commission américaine, tant sa politique s’y dirige ». Il ne pouvait prévoir que cette Commission serait en fait, cinquante ans plus tard, installée à Bruxelles, siège du quartier général de l’Otan, pour faire respecter les règles de la concurrence libre et non faussée entre les pays et les individus aussi, les desiderata des lobbies et la privatisation des services publics. Ce que nous, nous n’avions pas prévu, c’est que la mise aux normes s’avère aussi irrésistible dans les marges et chez les opprimés que dans le centre-ville et chez les grands patrons. Que la langue du maître – Black lives matter – devienne, sans traduction, celle de l’esclave, et son drapeau aussi. Aux États-Unis, beaucoup de manifestants, Noirs et Blancs réunis, brandissent le drapeau étoilé parce qu’ils sont fiers de leur pays auquel ils demandent d’être fidèle à ses valeurs proclamées. Ils ont encore en tête et dans leur cœur l’Amérique de Roosevelt, si chère à mon ami Stéphane Hessel auquel elle donnait toujours espoir, mais qui m’eût sans doute fait remarquer, s’il était vivant, qu’au moment où George Floyd était ignoblement asphyxié, un handicapé palestinien sur sa chaise roulante seul dans une rue de Jérusalem, était tué par balle, ce qui n’a ému personne en France. Il s’en serait, lui, ému mais sans illusion, car il est dans l’ordre des choses que ce qui se passe à New York fasse un gros titre à Paris, mais que ce qui se passe à Paris, à peine un entrefilet à New York.

    Il y a une géopolitique à la verticale des événements, des mots et des images ; le haut déverse les siens vers le bas, ceux des contrebas ne remontent pas. On ne voit pas les émeutiers du Deep South brandir le drapeau tricolore, mais c’est le Star and Stripes qu’on voit brandir à domicile. Martin Luther King a mené son combat en tant que Noir et en tant que patriote, indissolublement. Là est la différence entre un centre qui aspire et des pourtours qui s’inspirent. C’est comme si, chez nous, Spartacus se dressait contre son ennemi Cassius, le consul romain, avec les codes, les images et les enseignes de Cassius (qui fera crucifier 6000 révoltés le long de la route). Les voies de la suprématie – en l’occurrence de la Manifest Destiny – sont décidément impénétrables, encore que l’Ambassade US à Paris sait donner des coups de pouce à la divine Providence en allant recruter dans les banlieues, pour des camps d’été décoloniaux et des séminaires de formation à l’antiracisme en métropole, tous frais payés. Le Nord ne perd pas le nord. Il veille à son image et à l’avenir en draguant côté Sud. Le contrôle préventif des éléments possiblement contestataires témoigne d’un remarquable sens stratégique.

    Le mode de domination du XXIe siècle n’est plus militaire (sauf en cas d’urgence, au Moyen-Orient ou en Amérique latine), mais culturel. Préventif et non répressif. Surveillance en amont des communications et formatage des mentalités (les GAFA). L’imprégnation visuelle, en vidéosphère, est décisive. Aucun médiologue ne peut s’étonner de voir Minneapolis à Paris, et le Bronx dans le quartier des Grésilles, à Dijon. L’Est européen fut jadis kidnappé par l’Empire des Soviets ; l’Ouest européen est médusé par l’empire des images. Rencontrant la fibre communautaire, la fibre optique libère une charge émotionnelle, un choc catalyseur que n’auront jamais un imprimé ou un discours savant avec notes en bas de page. Elle le fait sur l’instant, en live, ce qui est irrésistible, et réduit encore plus les frais de transport et de traduction. Là où il a fallu trois décennies pour importer le identity politics (expression forgée en 1977 par des Afro-Américains), encore une dizaine d’années pour déployer à Paris la Gay Pride (inaugurée à New York en 1979), mais seulement un mois pour traduire le #metoo en #balancetonporc, c’est à présent en 24 heures que nous sont fournis le slogan et le geste qui s’imposent. Nos maîtres et magistères locaux sont ainsi pris à revers par les outils de leur maîtrise, le clip, le spot, les flashes et les news en direct. Inversion du jour et de la nuit.

    Les people confisquaient la visibilité sociale à leur profit – à eux le buzz et les caméras –, et voilà que les paumés jusqu’ici invisibles, ont trouvé, en surdoués du visuel, les moyens de la voyance, et l’art de passer au journal de 20 h, avec le show-biz en garant. Les gilets jaunes et les peaux noires, les femmes à la maison et les aides-soignants, les livreurs de pizza et les derniers de cordée, les réfugiés et les sans-papiers avec leur smartphone en poche, retournent l’impolitesse aux premiers de cordée. Vous gouvernez en mode image ? Nous nous soulevons en mode image. Un prêté pour un rendu. Chapeau.

    Épidémie de mea-culpa

    C’est l’intelligence des exclus. Quand une nation a été construite par un État et que l’État démissionne, la nation se disloque. Plus de peuple mais des populations, c’est-à-dire des communautés, c’est-à-dire des clientèles. Les ex-colonisés, victimes de violences policières, sont alors fondés à se mettre sur les rangs, et à réclamer le respect dû autant à leurs épreuves actuelles qu’aux souffrances ancestrales, blessures inscrites au fond de l’âme des descendants d’esclaves. L’Élysée et Matignon vont avoir un agenda chargé, ironiserait un chroniqueur un peu cynique. Déjà requis par le CRIF pour s’asseoir sur la sellette et rendre des comptes aux représentants officiels de la communauté, nos gouvernants doivent désormais prévoir, outre l’assistance déjà obligatoire au Nouvel an chinois et à la rupture du jeûne, le dîner du CRAN (conseil représentatif des associations noires), celui du CFCM (conseil français du culte musulman), celui du CCOAF (conseil de coordination des organisations arméniennes de France), celui du CNEF (conseil national des évangéliques de France), en attendant les Manouches et les Tchétchènes en voie d’organisation. Épidémie de mea-culpa. Les communautés vont-elles faire la chaîne ? Du online shaming en perspective (en patois, du pain sur la planche).

    L’heure n’est pas à l’ironie mais à l’embarras, du moins pour les rescapés du monde ancien encore en vie. L’anti-impérialiste aux poils blancs, toujours de mèche avec Franz Fanon et les damnés de la Terre, ne peut pas, dans un pays qui dénie son passé colonial, ne pas soutenir, dans leur colère, les brimés et les humiliés, mais il ne peut s’empêcher de voir que l’émancipation des parties s’effectue de telle façon, dans les pas et les mots du World leader, qu’elle accélère et renforce l’asservissement cybernétique du tout. Le progressiste ne peut pas ne pas voir une fieffée régression dans le remplacement de la classe par l’ethnie, des arguments de Raison par des cris du cœur, et dans son ethnie à lui, (sa petite zone de confort), du militant par le pénitent. Le laïque ne peut pas se satisfaire que ce soit la mosquée, et non la mairie, qui scelle un armistice au nom d’Allah miséricordieux entre Maghrébins et Tchétchènes. Ni voir d’un bon œil les confessions religieuses redevenir ce qu’en disait Marx – « l’expression de la misère et la protestation contre la misère, le soupir de la créature accablée, le cœur d’un monde sans cœur » –, les meetings remplacés par des réunions de prière et les programmes politiques par des sermons évangéliques, comme c’est l’usage outre-Atlantique.

    Un Français, last but not least, ne peut pas sacrifier de bon cœur ses traditions provinciales de galanterie et d’amour courtois, son goût des mots à double sens, ses clins d’œil et ses bises, ses sourires ambigus à la transparence morale du puritain, et à la surveillance du vocabulaire désormais de mise dans les multinationales, pour le marketing, et bientôt dans nos rues et nos mails. C’est le malheur de la France, « la patrie de la politique », disait Marx, que d’être le pays d’Europe qui, étant donné son passé, avec ses barricades et ses salons mixtes, a le moins à gagner et le plus à perdre dans l’acculturation en voie d’achèvement.

    Régime d’américanité

    En régime d’américanité, il y aura comme dans ceux qui l’ont précédé, des gains et des pertes, et l’optimiste pourra nous appeler à voir, dans chaque renoncement recommandé, une mesure d’économie. On s’adapte à tout. Perdre son passé, comme dit Simone Weil, c’est sans doute embêtant pour la musique classique, une musique de Blancs, et pour l’Europe aussi. Continent habité plus qu’un autre par le temps. Il se définit usuellement par la confluence de trois héritages – le romain, avec le Droit, le grec, avec la Science et le chrétien, avec la Conscience. Voilà de bien douteux antécédents car le monde antique, un millénaire d’histoire lourd à porter, était férocement et fièrement esclavagiste et patriarcal. Rappelons-nous que le Code noir avait pour fin et premier but de forcer les esclaves des Îles à aller à la messe. Mais après tout, ne faut-il pas laisser les morts enterrer les morts, et avons-nous vraiment besoin, à l’heure du tube et de la house, du clavecin et du violoncelle, de latin et de grec, et de droit romain là où devra régner la common law ?

    Perdre l’avenir sera un peu plus déprimant mais on doit l’envisager avec la même sérénité. Là où l’Origine fait un nœud coulant et rend inutile tout espoir de Dénouement, à quoi bon s’occuper du bonheur des générations futures si, born this way, les jeux sont joués dès la naissance ? Plus de deuxième chance. Le stigmate du bourgeois oppresseur n’était pas irrémédiable. On pouvait encore s’inscrire au parti communiste, rejoindre la CGT ou un maquis au Mozambique. Mais avec le « privilège de l’homme blanc » – comment se racheter ? Le dermatologue, le psychanalyste ? Et si me vient l’envie de prendre à cœur, moi, mâle blanc hétérosexuel cisgenre, la cause et les luttes de mes frères en humanité autrement équipés, je peux craindre d’être accusé de m’approprier et confisquer des souffrances qui ne me regardent pas, dans le seul but de renforcer ma pole position, dans une parfaite inauthenticité. Mais réfléchissons bien : vu les effets dévastateurs de la croyance au Progrès, et le coût en vies humaines des messianismes séculiers, n’est-il pas salutaire de renoncer au sens de l’histoire et aux utopies fatales ? De s’en tenir à l’aménagement de ce qui est, et non à la vaine poursuite de ce qui devrait ou pourrait être ?

    La vision politique du monde a eu beaucoup d’inconvénients. Voyons donc le bon côté des choses. Il fallait bien refermer un jour l’ère judéo-chrétienne, avec son temps fléché, son éternelle attente d’un Messie qui ne vient jamais, ses prétentions à l’universel (dont l’entracte socialiste aura été une variante), pour la restituer à sa vérité, comme un bref moment du quaternaire supérieur. Et parmi les avantages du New deal, la nouvelle donne, n’en n’oublions pas un, dont un certain nombre d’entre nous, férus de belles phrases et d’envolées un peu creuses, pourront se féliciter : être dispensé de tout apprentissage rhétorique. Chacun devant rester sur ses rails, inutile de vouloir le convaincre d’autre chose que de ses choses à lui, sous peine d’appropriation culturelle.

    "Il n’est nul besoin d’aimer le monde qui vient pour le voir venir"

    Il est clair qu’il nous faut mettre à profit l’interrègne entre notre statut actuel d’État libre associé, 2020, et notre futur statut d’État fédéré de plein droit, 2120, pour se réinventer courageusement. Et commencer à mettre au point une nouvelle économie psychique, un nouvel agenda pratique, dussent-ils heurter nos préjugés, qui nous éviterait de gaspiller nos énergies dans des occupations, notamment civiques, devenues obsolètes. La class action est acquise. La discrimination positive s’impose de toute évidence ; également la fixation, dans chaque profession, de quotas ethniques, comme Charles Maurras l’avait déjà recommandé, mais aussi l’utilisation de tests génétiques préalables par les compagnies d’assurances et les entreprises, pour les avertir de toute modification chromosomique susceptible de reconsidérer les droits et avantages des assurés et employés. Des biologistes s’attellent déjà à une clarification des frontières entre peuplades – tâche difficile compte-tenu des sang-mêlés ultra-marins et autres. Nos chercheurs peuvent s’inspirer, il est vrai, des juristes allemands qui ont eu naguère à fixer les frontières exactes entre juif, demi-juif, et quart de juif. Il y a, dans ce domaine, côté national-socialiste, une expérimentation de l’infâme à ne pas négliger. Voilà quelques-unes des tâches dévolues, horresco referens, à ceux et celles qui n’hésiteront pas à tirer les saumâtres conséquences de la définition médiologique de la culture : une réponse adaptative à un milieu technique en plein chamboulement.

    « Il n’est nul besoin d’aimer le monde qui vient pour le voir venir », annonçait Chateaubriand, l’enchanteur aux bonnes jumelles. Des paroles à méditer, par quiconque entend, bon gré mal gré, se mettre en ligne avec le temps assez peu aimable qu’on aimerait ne pas voir arriver jusqu’à nous.

    Régis Debray (Le Carnet des médiologues, 30 juin 2020)

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  • La nouvelle guerre des mondes...

    Les éditions Via Romana viennent de publier un essai de Michel Geoffroy intitulé La nouvelle guerre des mondes. Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean Yves Le Gallou, et un essai, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018).

     

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    Nous sommes en guerre, déclare Michel Geoffroy, et ce quatrième conflit succède à la guerre froide.
    Une véritable guerre des mondes car elle voit s’opposer différentes représentations du monde incarnées chacune par sa civilisation et parce qu’elle a le monde pour enjeu.
    Cette quatrième guerre oppose les États-Unis, bras armé de la superclasse mondiale et nation messianique, aux civilisations émergentes de l’Eurasie, qui contestent de plus en plus leur prétention à diriger le monde, rejetant un Occident aux valeurs décadentes.
    Car ce que l’on nomme aujourd’hui l’Occident, correspond à un espace dominé et formaté par les États-Unis, et n’a plus qu’un rapport lointain avec la civilisation qui l’a vu naître, la civilisation européenne. Et les « valeurs » qu’il se croit en droit de promouvoir partout par la force, sont en réalité des antivaleurs, poisons mortels.
    Monde unipolaire versus monde polycentrique, civilisations renaissantes contre la dé-civilisation occidentale : voilà la matrice de cette quatrième guerre mondiale.
    Pour notre auteur, cette guerre des mondes se déroule pour le moment principalement dans l’ordre géoéconomique, mais on ne peut exclure qu’elle finisse par déboucher sur un affrontement armé direct entre les puissances émergentes et l’unilatéralisme américain, qui instrumente au surplus l’islamisme à son profit.
    La quatrième guerre mondiale constitue donc aussi un défi européen. Parce que les pseudo-valeurs occidentales détruisent l’Europe. Et parce qu’alignés sur les États-Unis – du fait de la trahison de leurs élites – les Européens se trouvent emportés dans son belliqueux sillage, alors que les États-Unis ne gagneront pas, pour de multiples raisons développées ici, la quatrième guerre mondiale en cours.
    L’Europe doit-elle donc sortir de sa dormition pour relever le défi du monde multipolaire, en devenant à son tour un pôle de puissance indépendant et souverain ?  Les nations d’Europe connaîtront-elles le destin des cités grecques désunies : la soumission à la Macédoine, puis à Rome et finalement au Grand Turc ?

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  • Vers le démantèlement de l'Etat régalien ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 27 juin 2020 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Xavier Raufer, pour évoquer l'explosion des violences communautaristes... Criminologue et auteurs de nombreux essais, Xavier Raufer a publié ces dernières années Les nouveaux dangers planétaires (CNRS, 2012) et Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014) et récemment, Le crime mondialisé (Cerf, 2019).

     

                                          

    " Depuis plusieurs semaines, la France sombre dans toujours plus d’anarchie. L’Etat régalien, visiblement si insignifiant pour Emmanuel Macron, est littéralement démantelé.
    Après la mort de George Floyd aux Etats-Unis, le Collectif Justice pour Adama reprend du poil de la bête et organise des manifestations interdites. Christophe Castaner applaudit, au mépris des lois dont il devrait être l’un des garants. La Police est accusée de racisme, et Castaner fait allégeance, contre ces forces de l’ordre dont il a usé et abusé contre les Gilets Jaunes.

    Nicole Belloubet, le garde des Sceaux, viole pour sa part le principe de séparation des pouvoirs.

    Dans ce nouveau numéro du Samedi Politique, le criminologue Xavier Raufer revient d’abord sur les racines du communautarisme américain qui aboutissent à une situation proche de l’apartheid aux Etats-Unis. De quoi comprendre l’illégitimité des mouvements tels que Black Lives Matter en France, importés à grand renfort de subsides injectés par des mondialistes tels que George Soros et son Open Society. L’objectif : fracturer les sociétés pour les affaiblir et en faire des proies faciles.

    Un objectif qui ne semble pas déplaire à la Macronie qui laisse s’installer l’anarchie dans les banlieues et quartiers « dits » difficiles, où les gangs de criminels, tantôt tchétchènes, tantôt d’origine maghrébine s’affrontent en toute impunité. "

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  • Confrontation Etats-Unis/Chine : la France ne doit pas tomber dans le suivisme...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question de la confrontation entre les États-Unis et la Chine du point de vue européen et français. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : « Les États-Unis sont en guerre contre la Chine. La France ne doit pas tomber dans le suivisme… »

    Autrefois, le centre de gravité géopolitique du monde connu était la Méditerranée, avant de basculer vers l’Atlantique, découverte des Amériques oblige. Aujourd’hui, ce rôle semble revenir au Pacifique, le fait dominant, à en croire la plupart des observateurs, étant la montée en puissance de la . Réalité ou fantasme ?

    La Chine n’est pas encore la première puissance économique mondiale, mais elle a de bonnes chances de le devenir dans les dix ans qui viennent. Depuis 2012, elle est, en revanche, la première puissance industrielle, devant l’Europe, les États-Unis et le Japon (mais elle retombe au quatrième rang si l’on considère la valeur ajoutée par habitant). Elle est également la principale puissance commerciale du monde et la principale importatrice de matières premières. Elle dispose d’un territoire immense, elle est le pays le plus peuplé de la planète, sa langue est la plus parlée dans le monde, et elle possède une diaspora très active dans le monde entier. Elle possède la plus grande armée du monde et ses moyens militaires se développent à une vitesse exponentielle. Elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, elle possède l’arme nucléaire, elle est depuis 2003 une puissance spatiale. Elle s’implante massivement en Afrique noire, elle achète des infrastructures de premier plan dans le monde entier et son grand projet de « nouvelles routes de la soie » va encore renforcer ses capacités d’influence et d’investissement. En 1980, le PIB chinois représentait 7 % de celui des États-Unis. Il a bondi, aujourd’hui, à près de 65 % ! Enfin, les Chinois déposent deux fois plus de brevets que les Américains. Cela fait beaucoup.

    En 1993, dans son livre sur le choc des civilisations, Huntington anticipait le concept de « modernisation sans occidentalisation ». C’est là le point essentiel. Modèle d’un type inédit, combinant le confucianisme, le nationalisme, le communisme et le capitalisme, le modèle chinois diffère radicalement du modèle occidental de « développement ». Les libéraux croient généralement que l’adoption du système du marché entraîne immanquablement l’avènement d’une démocratie libérale. Les Chinois démentent tous les jours cette prédiction. Toutes ces dernières années, ils n’ont cessé de renforcer le rôle du marché, mais sans jamais cesser de l’encadrer de façon rigoureuse. Résumer ce système à la formule « capitalisme + dictature » est une erreur. La Chine donne plutôt l’exemple surprenant d’un capitalisme qui fonctionne sans subordination du politique à l’économique. L’avenir dira ce qu’il faut en penser.

    Les Chinois sont des pragmatiques qui raisonnent sur le long terme. L’idéologie des droits de l’homme leur est totalement étrangère (les mots « droit » et « homme », au sens que nous leur donnons, n’ont même pas d’équivalent en chinois : « droits de l’homme » se dit « ren-quan », « homme-pouvoir », ce qui n’est pas spécialement limpide), l’individualisme également. Pour les Chinois, l’homme doit s’acquitter de ses devoirs envers la communauté plutôt que de revendiquer des droits en tant qu’individu. Durant l’épidémie de Covid-19, les Européens se sont confinés par peur ; les Chinois l’ont fait par discipline. Les Occidentaux ont des références « universelles », les Chinois ont des références chinoises. Grande différence.

    Dès la chute du mur de Berlin, des rapports de la CIA annonçaient que la Chine était appelée à devenir le principal adversaire stratégique des États-Unis. Ces dernières années, les rapports entre Pékin et Washington n’ont cessé de détériorer, et pas seulement sur le plan commercial. Une véritable guerre entre la Chine et les États-Unis est-elle concevable ?

    Les Américains ont toujours voulu uniformiser le monde selon leurs propres canons identifiés à la marche naturelle du progrès humain. Depuis qu’ils ont atteint une position dominante, ils ont constamment fait en sorte d’empêcher l’émergence de toute puissance montante qui pourrait mettre en danger cette hégémonie. Depuis quelques années, les livres se multiplient aux États-Unis (Geoffrey Murray, David L. Shambaugh, etc.) qui montrent que la Chine est, aujourd’hui, la grande puissance montante, alors que les États-Unis sont sur la pente descendante. Dans un ouvrage dont on a beaucoup parlé (Destined for War), le politologue Graham Allison montre qu’au cours de l’Histoire, à chaque fois qu’une puissance dominante s’est sentie menacée par une nouvelle puissance montante, la guerre s’est profilée à l’horizon, non pour des raisons politiques, mais du simple fait de la logique propre aux rapports de puissance. C’est ce qu’Allison a appelé le « piège de Thucydide », en référence à la façon dont la peur inspirée à Sparte par l’ascension d’Athènes a abouti à la guerre du Péloponnèse. Il y a de bonnes chances qu’il en aille de même avec Washington et Pékin. À court terme, les Chinois feront tout pour éviter une confrontation armée et pour ne pas donner prise aux provocations dont les Américains sont familiers. À plus long terme, en revanche, un tel conflit est parfaitement possible. La grande question est, alors, de savoir si l’Europe basculera du côté américain ou si elle se déclarera solidaire des autres grandes puissances du continent eurasiatique. C’est, évidemment, la question décisive.

    Il ne faut pas s’y tromper, les États-Unis sont d’ores et déjà en guerre contre la Chine. La guerre commerciale qu’ils ont engagée se double d’un volet politique dont témoigne, par exemple, leur soutien aux séparatistes de Hong Kong (présentés sans rire comme des « militants pro-démocratie »). Dans les documents de l’administration américaine, la Chine est d’ailleurs désormais qualifiée de « rivale stratégique ». Cette agressivité manifeste moins l’arrogance que la peur. Mais les Chinois n’ont nulle intention de se laisser faire, pas plus qu’ils ne toléreront indéfiniment un ordre mondial régi par des règles dictées aux États-Unis. Comme l’a dit Xi Jinping, « la Chine ne cherche pas les ennuis, mais elle ne les craint pas ». Il ne faut jamais oublier que, pour les Chinois, il existe non pas quatre mais cinq points cardinaux : le nord, le sud, l’est, l’ouest et le milieu. La Chine est l’empire du Milieu.

    Dans ce combat de titans, précisément, l’Europe a-t-elle encore une stratégie ? Et la France dispose-t-elle encore de quelques cartes à jouer ?

    Il ne fait pas de doute que l’on va voir se multiplier, dans les mois qui viennent, les campagnes antichinoises orchestrées par les Américains afin de s’assurer du soutien de leurs alliés, à commencer par leur « province » européenne, le but étant de recréer à leur profit un nouveau « bloc occidental » opposé à Pékin comparable à celui qui existait face à Moscou durant la guerre froide. Il serait dramatique que la France et l’Europe tombent dans ce piège, comme elles l’ont déjà fait en se ralliant aux sanctions édictées contre la Russie. Nous n’avons pas vocation à être sinisés, mais ce n’est pas une raison pour continuer d’être américanisés, surtout à un moment où les États-Unis accumulent chez eux des problèmes qu’ils ne parviennent plus à régler. La France qui, à l’époque du général de Gaulle, a été la première à reconnaître la Chine populaire devrait se souvenir, au lieu de sombrer à nouveau dans un atlantisme contraire à tous ses intérêts, qu’à cette époque, en pleine guerre froide, elle recherchait avant tout un équilibre entre les puissances respectant l’indépendance des peuples. Maurice Druon disait alors que le français était la « langue des non-alignés » ! C’est à ce rôle qu’elle doit revenir.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 juin 2020)

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