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Livres - Page 605

  • Eloge du carburateur !

    Avec Eloge du carburateur - Essai sur le sens et la valeur du travail, publié par les éditions La Découverte, le mécanicien-philosophe Matthew B. Crawford se livre à une réhabilitation du travail artisanal et concret. Pour la très bien-pensante revue Books, "il est aussi à l'unisson [...] d'un mouvement de défense du local contre le global, du petit contre le gros, du lent contre le rapide qui n'est pas dénué d'accents réactionnaires. [...] la nostalgie du monde d'hier flirte avec celle du bon vieux machisme du travail d'autrefois". Voilà qui peut mériter le détour !

    crawford,travail

     

    « La génération actuelle de révolutionnaires du management s'emploie à inculquer de force la flexibilité aux salariés et considère l'éthos artisanal comme un obstacle à éliminer. On lui préfère de loin l'exemple du consultant en gestion, vibrionnant d'une tâche à l'autre et fier de ne posséder aucune expertise spécifique. Tout comme le consommateur idéal, le consultant en gestion projette une image de liberté triomphante au regard de laquelle les métiers manuels passent volontiers pour misérables et étriqués. Imaginez à côté le plombier accroupi sous l'évier, la raie des fesses à l'air. »

    Matthew B. Crawford était un brillant universitaire, bien payé pour travailler dans un think-tank à Washington. Au bout de quelques mois, déprimé, il démissionne pour ouvrir... un atelier de réparation de motos. À partir du récit de son étonnante reconversion professionnelle, il livre dans cet ouvrage intelligent et drôle l'une des réflexions les plus fines sur le sens et la valeur du travail dans les sociétés occidentales.
    Mêlant anecdotes, récit, et réflexions philosophiques et sociologiques, il montre que ce « travail intellectuel », dont on nous rebat les oreilles depuis que nous sommes entrés dans l'« économie du savoir », se révèle pauvre et déresponsabilisant. De manière très fine, à l'inverse, il restitue l'expérience de ceux qui, comme lui, s'emploient à fabriquer ou à réparer des objets - ce qu'on ne fait plus guère dans un monde où l'on ne sait plus rien faire d'autre qu'acheter, jeter et remplacer. Il montre que le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d'un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l'«économie du savoir ».

    « Retour aux fondamentaux, donc. La caisse du moteur est fêlée, on voit le carburateur. Il est temps de tout démonter et de mettre les mains dans le cambouis... »

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  • Football païen !

    "Alors avec l'entrée dans le stade commence l'apothéose. Le terrain fait figure d'arène, d'enceinte sacrée. Un destin véritable se joue sous nos yeux, ouvert, entre deux équipes de champions que l'on s'est choisi : l'avenir se décide en deux mi-temps, qui rangeront les uns dans la honte des vaincus, les autres dans la gloire des vainqueurs. Le stade est un réceptacle populaire où l'on peut voir surgir l'ineffable. L'être biologique isolé est pris dans l'exaltation des spectateurs plus ou moins entassés : l'émotion est là du début à la fin dans un jeu qui opère sur le mode constant de l'intensité maximale. L'investissement est total : pas question de regarder du bout des yeux, il faut chanter, crier, trépigner, exploser de joie, de tristesse ou de colère. Le stade étant, surtout en Europe, un des derniers endroits d'émotion collective active devant un destin qui n'est pas joué d'avance, on mesure sans peine tout ce qui peut s'y investir."

    Cercle Héraclite, La civilisation du football, in Eléments n°59, été 1986 

    La dimension païenne du match de football vécu dans le stade par les supporters, c'est le sujet de Dans les tribunes, un ouvrage de Jean-françois Pradeau, professeur de philosophie à l'université de Lyon III et spécialiste de Platon, que les éditions Les Belles Lettres doivent publier début mai.  

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    "Le football est le sport le plus pratiqué au monde. Il est aussi et surtout le plus commenté, le plus observé et le plus regardé. Chaque semaine, en France comme ailleurs, des centaines de milliers de supporters viennent peupler les tribunes des stades pour encourager leur équipe, chanter, danser, crier, deux heures durant. Dans les tribunes est une réflexion sur la vie des tribunes, sur ce qui s'y dit et s’y fait, sur la manière dont on y chante et on y danse. Une réflexion qui part du principe qu’en dénonçant souvent la violence ou la bêtise des supporters, on ne comprend rien à la célébration très particulière qui se déroule dans les tribunes et qui est l’une des particularités du football. Une célébration qui mêle l’amour et le savoir.
    Car dans les tribunes des matchs de football, la cérémonie qui se déroule a bien quelque chose de sacré. Non pas qu’elle ressemble à une messe, mais parce que ceux qui s’y rendent accomplissent en son sein un rituel dont l’issue est à chaque fois une véritable révélation, ce que les anciens Grecs appelaient une « apocalypse » : une danse et une transe collectives à la faveur desquelles les hommes et les dieux se rencontrent. Les tribunes sont aujourd’hui l’équivalent de ce qu’étaient dans l’Antiquité les cultes à mystère.
    Il fallait réunir le supporter et l’antiquisant pour le comprendre."
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  • Michel Audiard romancier

    Les éditions Denoël rééditeront début juin le roman de Michel Audiard, intitulé La nuit, le jour et toutes les autres nuits, initialement publié en 1978. Nous reproduisons ici un article qu'Olivier Maison avait consacré à ce livre dans l'hebdomadaire Marianne en 1998.

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    La nuit, tous les cous sont gris
     
    Michel Audiard est un dialoguiste hors pair. C'est entendu. Il a aussi écrit un roman d'anthologie: La Nuit, le jour et toutes les autres nuits (1). C'est moins connu. Le Audiard romancier mérite pourtant qu'on s'y arrête, même si la renommée des oeuvres de ce La Rochefoucauld des faubourgs ne dépasse pas le cercle des initiés: «Mes projets, déclarait-il (2), continuer d'écrire un genre de films que tout le monde va voir et un genre de livres que personne ne lit. C'est étudié pour.» Qui a vu les films d'Audiard avance cependant en terres familières dans ses romans où il «usine dans le sarcasme». On y retrouve la saillie virile, le raccourci métaphorique, la périphrase décapante. Mais la référence au dialoguiste fait de l'ombre au romancier. Ce stakhanoviste du dialogue ciselé prenait son temps avec les romans, jusqu'à réécrire cinq fois les mêmes pages. Lui qui pouvait finir un dialogue entre deux parties de boules...


    Au cinéma, il écrivait sur commande, pour des acteurs qu'il connaissait. Il s'imprégnait de leurs mimiques, de leur phrasé. Voulait les rencontrer avant de les faire parler. Quitte à tout réécrire au cas où le casting changeait. «Pour Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages, raconte André Pousse, l'ami des débuts, l'intime, une actrice lui avait fait faux bond. Je lui ai proposé Marlène Jobert qui débutait à l'époque. Il lui a fixé rendez-vous et suite à cette rencontre, il a totalement réécrit son rôle.»


    Mais pour ses derniers livres, c'est avec sa jeunesse que Michel Audiard avait rendez-vous. Celle de l'insouciance, malgré les putasseries de la guerre. Cette drôle d'époque qui était l'occasion de drôles de rencontres. Le P'tit Cheval de retour, que Julliard a la bonne idée de rééditer, et la Nuit, le jour et toutes les autres nuits sont ses deux derniers romans largement autobiographiques. Les deux plus aboutis aussi. Ils constituent un diptyque sur deux périodes troubles de notre Histoire: la débâcle et la Libération. Dans le premier, Audiard force le trait pour rappeler que la nuit, tous les cons sont gris et surtout pas très résistants. Que les réseaux de contrebande furent plus rapides à s'installer que ceux de la Résistance. Il exécrait ceux qui, à la Libération, tournèrent francisques dès que le vent changea de direction. Ces «Atrides de pissotières» ne voulaient rien perdre de la grande braderie de la veulerie.


    Trois ans séparent l'écriture de ces deux derniers romans. Mais, entre les deux, une tragédie: une voiture jaune, conduite par son fils de 26 ans, «le petit garçon» comme il l'appelle pudiquement, s'écrase sur la pile d'un pont de l'autoroute du Sud, à quelques kilomètres de Dourdan où son père l'attendait. Lui, dont le dernier film s'intitule On ne meurt que deux fois, est mort sans doute la première fois ce jour-là.


    Les tribulations picaresques du jeune Audiard dans le P'tit Cheval se sont transformées en errance dans la Nuit, le jour et toutes les autres nuits. Et le cynisme de circonstance en un cri strident. Les «z-héros», dont l'unique obsession était de se ravitailler, deviennent soudain des cloportes qu'il veut voir engloutir. Une écriture crépusculaire, jusque dans les rares pages consacrées à son fils mais qui irradient toutes les autres: les phrases commencent, douloureuses, pour s'achever par des points de suspension, par des silences. Dans la nuit... la verve est devenue assassine: l'incorrigible enfant de choeur du P'tit Cheval est devenu un chevalier de l'Apocalypse. Il appelle de ses voeux, au début de la Nuit, le jour et toutes les autres nuits, «l'aube enchanteresse où la fusée porteuse larguera l'ogive qui piquera, dans un hululement de chouette hystérique, sur quatre milliards cinq cents millions d'enfoirés». Ce roman, qui fut salué par les critiques le plus réfractaires, marque une rupture. Audiard sort de son rôle d'amuseur. Il renonce aux facilités de son talent pour devenir un grand écrivain. L'insouciance a disparu, mais ses souvenirs le hantent. Audiard s'y enfonce avec obstination, à peine perturbé par les figures dérisoires du présent qui l'arrachent à ses rêveries. Les rares personnages qui provoquent encore sa compassion sont des épaves de la vie, échouées sur un trottoir ou derrière un comptoir, poussées là par les ressacs de l'alcool.


    «Aucun sujet ne justifie qu'on s'emmerde indéfiniment dessus, écrivait Audiard. Ou alors c'est un sujet à vous. Mais dans ce cas, je serais beaucoup plus tenté d'écrire un livre.» Et pourtant, la Nuit, le jour... fut son dernier roman. Pourquoi cet homme si cultivé, qui soulevait sa casquette à la seule évocation de Céline ou d'Antoine Blondin, n'a pas écrit davantage ? Pourquoi ne continua-t-il pas son oeuvre après le succès de son dernier roman ? La réponse est un joyau de banalité: parce qu'il n'en a pas eu le temps ! «Le cinéma est un piège, résume Alphonse Boudard. Il a écrit des livres qui n'ont pas marché, puis a vivoté grâce au cinéma avant qu'il lui apporte la reconnaissance mais aussi l'argent.» Et Audiard en avait besoin: cet homme généreux fut victime de ses largesses... et des bassesses du fisc. «Quand on entrait dans son bureau, se souvient André Pousse, il y avait deux piles: les scenarii qu'il travaillait, et ceux qu'il réécrivait. Au noir.» Pour donner un peu de consistance à des textes insignifiants et pour calmer les ardeurs des impôts.


    «Hors des cimetières, les jours sont vides»

    Reste la légende rimbaldienne à la mode des faubourgs. L'alchimie qui transfigure la tragédie en une écriture sublime le temps d'un livre. Pour Boudard, son dernier roman était «un point final», une oeuvre testamentaire. André Pousse n'est pas loin de partager ce point de vue. L'homme brisé qui a dit ce qu'il avait à dire et préfère se réfugier dans ses souvenirs, vers le parc Montsouris de son enfance. L'Abyssinie d'Audiard: «Hors des cimetières, les jours sont vides», écrivait-il.


    Il y a sans doute une part de vrai dans cette légende, mais la vérité est ailleurs. Car cet homme secret, qui parlait peu de ce qu'il écrivait, même à ses proches, se consacrait de plus en plus à la littérature. Il mettait d'ailleurs la dernière main à un manuscrit avant d'être fauché brutalement par la maladie à 65 ans. Juste une question de temps... Lui qui n'était pas homme à cultiver le regret nous en laisse quelques-uns. Mais le p'tit Audiard est de retour. Faites passer...
     
     
    Olivier Maison (Marianne, 2 février 1998, disponible sur Marianne2.fr)

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  • Tout sur Wagner !

    Les éditions Acte sudviennent de publier un monumental Dictionnaire encyclopédique Wagner. Le cas Wagner est abordé sous tous les angles : l'homme, l'oeuvre, les interprètes, l'idéologie, la critique, etc...
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    "Depuis Charles Baudelaire, qui lui écrit : "Je vous dois la plus grande jouissance musicale que j'aie jamais éprouvée", jusqu'à Pascal Quignard, qui avance que "la cour du tribunal de Nuremberg aurait dû demander de faire battre en effigie la figure de Richard Wagner, une fois l'an, dans toutes les rues des cités allemandes", aucun compositeur n'a suscité autant d'engouements ni autant de réticences que celui de L'Anneau du Nibelung, de Tristan et Isolde ou de ParsifaL Aucun, non plus, n'a exercé une telle influence, ni été à l'origine de tels accaparements - au point que son nom ait été dérivé en mouvement, le "wagnérisme", qui rend compte à la fois de la somme des propositions formulées par lui dans les domaines les plus divers, mais aussi, via la réussite éclatante de son oeuvre, des échos multiples que son nom et ses créations ont pu provoquer à travers le monde entier. Montrer à quel point, pour reprendre le mot visionnaire de Nietzsche, "Wagner résume à lui seul la modernité", tant dans ses composantes les plus légères que dans ses manifestations les plus graves, tel est le projet de ce Dictionnaire encyclopédique Wagner, dans lequel les auteurs ont également souhaité, autant que possible, mettre en oeuvre le précepte de Thomas Mann : "La passion est lucide ou, sinon, ne mérite pas son nom." Cet ouvrage, d'une ampleur et d'une ambition inédites, réunit une trentaine des meilleurs spécialistes de Wagner et du wagnérisme, et présente l'homme, l'oeuvre et sa postérité en quelque mille quatre cents entrées."

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  • Soliloque du prisonnier

    Les éditions de l'Herne, dans leur collection des carnets, rééditent un texte oublié de Charles Maurras, Soliloque du prisonnier,avec une préface de François l'Yvonnet. Une entreprise courageuse, qui mérite d'être soutenue.

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    "Le Soliloque du prisonnier est un texte à part. Ni écrit de combat, ni essai littéraire, il était destiné à être publié en espagnol dans un  journal  sud-américain. D’où la clause de  style,  Maurras  y  fait  parler Maurras. Il défend la « latinité » ou plutôt une certaine idée  de la « latinité », alors qu’à la même époque, l’Europe se construisait sur des bases marchandes.

    Une « méridionalité » plus spirituelle que géographique, aux vastes contours mais sans ambition impériale, qu’illuminerait le soleil d’Apollon. Rien à voir avec l’« abominable utopie » d’une « Europe confédérée sous la direction de l’Allemagne », chère à Déat et autres Luchaire."

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  • La caste des 500...

    Le journaliste Yvan Stefanovitch vient de publier aux éditions Jean-Claude Lattès La caste des 500 - Enquête sur les princes de la République, livre qui dénonce la transformation progressive de la classe politique professionnelle en un pouvoir oligarchique de fait.

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    La République des princes
    "Le principe fondamental du gouvernement démocratique et populaire, c’est-à-dire le ressort essentiel qui le soutient et le fait mouvoir (…), c’est la vertu (…)." C’est en ces termes qu’en 1794 Robespierre définissait les principes de morale politique devant présider à la conduite des affaires publiques. Ce n’est pas pêcher par anachronisme que d’affirmer que cette logique garde, aujourd’hui encore, toute sa validité. Pourtant, le dernier ouvrage d’Yvan Stefanovitch, La caste des 500. Enquête sur les princes de la République, tend à mettre en lumière la tendance de la classe politique hexagonale à former un microcosme de plus en plus fermé et fort de privilèges exorbitants. Quelles sont la signification et les implications de l’existence même de la "Caste", cette excroissance que l'on ne retrouve pas sous une telle forme dans les autres démocraties occidentales? S’il est difficile de contester que cette "Caste" existe en soi, existe-t-elle pour soi ? Si à l’évidence les "500 princes de la République" ont en commun divers vues, parcours et intérêts, partagent-ils réellement une conscience de "Caste" ? 

    La politique, un métier à part entière ?

    Yvan Stefanovitch renforce le constat selon lequel la politique est devenue un métier. Il n’est d’ailleurs pas le seul à le penser et à l’écrire, à l’étranger comme dans l’Hexagone. C’est, par exemple, le cas de Peter Oborne en Grande-Bretagne. Ce journaliste politique a, en effet, publié en 2007 un livre au titre éloquent : The triumph of the political class. Cette professionnalisation de la vie politique est allée de pair avec une certaine oligarchisation, laquelle n’est toutefois ni un phénomène récent ni propre à la politique. Elle représente la tendance manifestée par un groupe social restreint, collectivement défini à travers la naissance, la fonction et les possessions, à se réserver l’essentiel du pouvoir, sous la forme d’une oligarchie. En grec, d’ailleurs, oligarchia signifie commandement de quelques uns. L’oligarchie s’oppose, par définition, à la fois à la monarchie et à la démocratie. Pourtant, c’est ce qui semble se passer en France avec l’émergence de véritables dynasties républicaines, avec tous les paradoxes que l’expression suppose et toutes les virtualités antidémocratiques que la généralisation du phénomène implique.

    Particulièrement discrète, cette "Caste" compterait environ 500 membres cumulant mandats parlementaires et territoriaux. Ils vivent pour et de la politique. Certes ils incarnent la Nation, mais depuis les années 1970 les membres de ladite caste ne font l’objet d’aucune forme de contrôle. "Conjuguant la visibilité de leurs fonctions avec l’opacité de leurs moyens, de leurs privilèges et de leur pouvoir"  , les informations les concernant ne sont pas pléthore. Bien qu’opaque et relativement officieuse, la "Caste" serait incontournable. L’essence de son pouvoir est "monarchique". Yvan Stefanovitch avance, à cet égard, deux éléments explicatifs : d’une part, les évolutions de la législation n’ont pas suffi à enrayer la montée en puissance du cumul des mandats ; de l’autre, les lois de décentralisation adoptées depuis 1982 ont élargi les champs de compétence des collectivités territoriales et ont permis aux parlementaires de se hisser à la tête d’exécutifs locaux. "Ainsi débarrassés du contrôle tatillon des préfets, continue Y. Stefanovitch, ces énarques, fonctionnaires et apparatchiks de parti sont devenus les princes de la République, parlementaires respectés à Paris, voire ministres, et roitelets féodaux dans leur lointaine province."  
    Le cumul des mandats, cancer de la démocratie française

    Ces "cinq cents féodaux confisquent le pouvoir, l’argent et la parole"  . Aujourd’hui, le cumul de mandats parlementaire et local concerne 81 % des sénateurs et 85% des députés. Dans la plupart des autres démocraties occidentales, le cumul des mandats est soit interdit soit inusité. "416 parlementaires, 12 eurodéputés et 24 ministres et secrétaires d’Etat sur 38 du gouvernement Fillon IV cumulaient leur fonction avec un mandat exécutif local."  . Ce cumul des mandats a pour corollaire un très grand absentéisme au Parlement, lequel d’après la lettre des alinéas 1 et 2 de l’article 24 de la Constitution "vote la loi, contrôle l’action du Gouvernement, évalue les politiques publiques".

    Y. Stefanovitch multiplie les exemples à foison. La matière, en effet, ne manque pas. Sénateur-Maire de Lyon, Gérard Collomb préside aussi la communauté urbaine du Grand Lyon, c’est-à-dire la plus importante communauté de communes française, forte d’un budget de 1,6 milliard d’euros et gouvernant 1,3 millions d’habitants. D’après Y. Stefanovitch, "Gérard Collomb personnifie parfaitement la Caste avec son image de bon gestionnaire d’une collectivité locale". Certes travaille-t-il énormément localement, Lyon et le Grand Lyon étant ses priorités, mais le parlementaire "bat des records d’absentéisme au Palais du Luxembourg". "Sur les trois dernières années, continue le journaliste, on ne relève que trois interventions publiques de sa part au Sénat, cruellement consignées dans les comptes rendus des débats. La plus courte : le 4 juillet 2007, Gérard Collomb se contente de lâcher un « Hé oui ! », au cours du débat sur la réforme des traités européens. C’est tout."

    Le cumul des mandats parlementaires et locaux conduit, de surcroît, nos princes à considérer que le rôle d’un parlementaire se limite "à défendre son petit coin d’Hexagone à Paris et à profiter des subventions de Bruxelles. Chacune de ses rares interventions montre cette conception très locale et féodale de l’action politique." Ce qui est dommageable car les parlementaires sont investis d’un mandat national. Bien qu’ils soient élus dans une circonscription, ils sont les élus de la Nation. Gérard Collomb n’est, loin s’en faut ! point un cas isolé puisque la "Caste" comprend 500 membres. Il ne s’agit pas de s’en prendre à lui personnellement, mais plutôt à cette dérive inquiétante qui met non seulement à mal les fondements de la République française, mais également l’embryonnaire démocratie européenne.
    "La Caste a de beaux jours devant elle"

    La conclusion de Y. Stefanovitch n’incite pas à l’optimisme : cette discrète "Caste" d’intouchables a en effet de beaux jours devant elle. Malgré sa médiatisation, voire sa "pipolisation", la "Caste" se serait repliée tant sur son népotisme que sur ses privilèges. Le journaliste avance qu’un regain de confiance des Français en leurs décideurs politiques passe, entre autre, par "la suppression du cumul des mandats et la disparition du système de la Caste" . Cela suppose d’achever enfin la décentralisation : si nos collectivités locales disposaient de "réels pouvoirs politico-économiques, l’intérêt du double mandat tomberait de lui-même et la Caste imploserait". Hélas, la réforme territoriale qui se profile contribuerait à "institutionnaliser" le cumul des mandats en réduisant les recettes fiscales des collectivités locales par le biais de la suppression de la taxe professionnelle. Par ailleurs, on imagine mal une seconde "nuit du 4 août", au cours de laquelle la "Caste" se saborderait en vue de moraliser ses mœurs et de rationnaliser son fonctionnement.

    Si l’enquête d’Yvan Stefanovitch est très recommandable, c’est parce qu’elle est somme toute sérieuse, même si des coquilles semblent s’être glissées dans les dernières pages. Cet ouvrage se fonde, en effet, sur nombre d’entretiens avec les principaux intéressés ainsi que sur les statistiques parlementaires, que l’on peut retrouver sans mal sur les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le fait que l'auteur ne verse en aucune façon dans les affres de l’antiparlementarisme ou d’une illusoire théorie du complot, puisqu’il appelle de ses vœux un véritable renouveau de la démocratie, est appréciable.

    Il est, en revanche, regrettable que rien ne soit écrit sur le profil sociologique des membres de la "Caste" très homogène et peu représentatif des réalités de la société française. La thématique du difficile accès aux postes les plus en vue de notre système est sous-tendue par la question du renouvellement du personnel politique ainsi que par celle tout aussi cruciale de l’égalité des chances. La source du problème réside, en effet, dans la mortifère endogamie entre mandat politique et appartenance aux catégories socioprofessionnelles privilégiées. Espérons que ne demeure pas lettre morte l’atavique rêve républicain, et que s’établisse, enfin en France, comme le disait Robespierre, un "ordre de choses (…) où l'ambition soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie; où les distinctions ne naissent que de l'égalité même; où le citoyen soit soumis au magistrat, le magistrat au peuple, et le peuple à la justice; où la patrie assure le bien-être de chaque individu et où chaque individu jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de la patrie; où toutes les âmes s'agrandissent de la communication continuelle des sentiments républicains, et par le besoin de mériter l'estime d'un grand peuple."
    Alexis F. (Nonfiction.fr, 2 mars 2010)
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