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Entretiens - Page 40

  • Thierry Maulnier : de l’Action française au Figaro...

    Le 29 janvier 2023, Rémi Soulié recevait, sur TV libertés, Olivier Dard pour évoquer la figure de Thierry Maulnier (1909-1988), essayiste, dramaturge, et journaliste, qui fut au cœur de l’aventure intellectuelle du XXème siècle.

    Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paul Verlaine de Metz, Olivier Dard est, notamment, l'auteur d'une étude sur l'OAS, Voyage au cœur de l'OAS (Perrin, 2005) et a également publié Charles Maurras - Le maître et l'action (Armand Colin, 2013). Il a dirigé la publication, avec Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, du Dictionnaire du conservatisme (Cerf, 2017), du Dictionnaire des populismes (Cerf, 2019) et du Dictionnaire du progressisme (Cerf, 2022).

     

                                             

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  • Le progressisme et l'ère des lendemains qui chantent sont révolus !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Michel Maffesoli au Figaro Vox dans lequel il évoque la fin du progressisme.

    Penseur de la post-modernité, ancien élève de Julien Freund et de Gilbert Durand, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019), La faillite des élites (Lexio, 2019),  L'ère des soulèvements (Cerf, 2021) ou encore, ces derniers jours, aux éditions du Cerf, Le Temps des peurs et Logique de l'assentiment.

     

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    Michel Maffesoli: «Le progressisme et l'ère des lendemains qui chantent sont révolus»

    LE FIGARO. - La modernité, du XVIIIe au XXe siècle, a été l'âge de l'individualisme et de la critique systématique. Selon vous, nous abordons une nouvelle époque, fondée sur l'assentiment, où l'on s'ajuste tant bien que mal au monde tel qu'il est, sans prétendre le modeler. C'est-à-dire ? Quelles sont les valeurs du nouveau monde qui vient ?

    Michel MAFFESOLI. - On a souvent craint, en France, la fin de ce que l'on appelle couramment «la modernité», c'est-à-dire ce mouvement qui a débuté au XVIIe siècle avec le cartésianisme, et qui décline depuis la moitié du XXe siècle. Aujourd'hui, nous entrons dans une nouvelle époque, que certains nomment la «postmodernité». Contrairement à la conception linéariste de l'histoire, qui imagine l'humanité dans un progrès constant, de la barbarie au triomphe absolu de la science, je considère personnellement qu'il y a des époques. La période moderne a reposé sur un trépied, le premier pied est l'individualisme, avec le «cogito ergo sum» de Descartes, le deuxième est le rationalisme, qui va prédominer avec la philosophie des lumières, et enfin il y a le progressisme, la grande idée marxiste des «lendemains qui chantent». De mon point de vue, ce tripode est en train de s'achever, de vaciller, d'une manière assez difficile. Nous sommes dans une période crépusculaire. Chacun pressent ce qu'on est en train de quitter, mais ne voit pas encore nettement ce qui émerge. Je soutiens l'hypothèse selon laquelle le «je» va être remplacé par le «nous», le rationalisme par le sentimentalisme, et le progressisme, les lendemains qui chantent, par le «il faut vivre l'instant présent».

    Durant mes années de professeur à la Sorbonne j'ai eu l'occasion d'étudier les jeunes générations, qui représentent l'avenir de la société. En regardant attentivement les pratiques juvéniles, on voit bien que c'est la communauté qui prévaut, le «nous». Ce n'est plus une conception purement rationaliste du monde, mais un partage des émotions, des affects, des passions. Il n'y a plus d'engagement politique, une vision de l'avenir, mais le besoin de se raccorder à cet instant éternel qu'est le présent.

    Qu'est ce qui a précipité la chute du modernisme ?

    Pour décrire ce déclin j'emprunte généralement l'idée de «saturation» au sociologue américain Pitrim Sorokin, qui s'est demandé comment une culture déterminée peut perdre son caractère «évident» et se dégrader petit à petit. En chimie, on parle de saturation lorsque les molécules qui composent un corps, pour diverses raisons, ne peuvent plus rester ensemble. Ce phénomène conduit à la déstructuration du corps, et à l'émergence d'une nouvelle structure. Ce n'est donc un pas une rupture mais une lente dégradation, et à un moment donné, tout ce qui fonctionnait ne marche plus, tout ce qui semblait évident paraît absurde. On voit aujourd'hui une multitude de phénomènes, qui montrent que l'on ne se reconnaît plus dans des valeurs communes. L'élite, qu'elle soit politique, économique, ou médiatique, est restée sur les schémas de l'époque moderne, mais le peuple ne se reconnaît plus dedans. Sorokin donne l'image d'un verre d'eau, qu'on peut saler sans que cela ne soit visible, jusqu'à un moment précis où la saturation devient évidente. Nous sommes actuellement au dernier grain de sel.

    Vous voyez dans cette logique de l'assentiment une forme de sagesse de la vie présente, de la vie de tous les jours, avec ses malheurs et ses joies...

    C'est toute la différence entre le dramatique et le tragique. La modernité était dramatique dans le sens où il y avait une solution. Toute l'analyse de Marx était de montrer qu'il y avait certes des problèmes, mais aussi des solutions, et que l'on allait vers une résolution générale de l'histoire. L'époque actuelle est davantage tragique, il s'agit de faire avec, d'accepter les problèmes. Le drame revient à dire «non» aux problèmes, la tragédie contient une forme d'acceptation. Cette résilience, qui consiste à s'accorder aux petites choses de l'existence, est une sagesse ancestrale qui fait son retour aujourd'hui.

    L'omniprésence des réseaux sociaux et la multiplication de l'offre de loisirs à domicile (Netflix…) ont-ils fabriqué ou amplifié ce phénomène ?

    Effectivement, les réseaux sociaux et autres plateformes confortent cette saturation. Il est intéressant de se pencher sur la période de la décadence romaine au IIIe et IVe siècle de notre ère. Pendant ces deux siècles, le christianisme n'était pas la religion des puissants, mais des soldats et des pauvres. Ce n'est pas ce culte qui était appelé à triompher, mais plutôt Mithra ou Orphée. Cependant, à un moment donné, la petite église de Milan a décrèté le dogme de la Communion des saints. C'est-à-dire que cette église de Milan était spirituellement liée à celle de Lutèce, de Rome, de Narbonne… C'est cette liaison qui va amener au succès incroyable du christianisme. Et aujourd'hui, me semble-t-il, internet est la Communion des saints post-moderne. Les communautés sont en liaison sur ces plateformes, et créent une véritable alternative, une nouvelle société. Le lien social repose aujourd'hui sur internet.

    Le mouvement des «gilets jaunes» ou les manifestations contre la réforme des retraites ne viennent-elles pas contrebalancer cette idée ? Une frange de la population semble continuer à vouloir changer le cours des choses ?

    J'ai écrit, il y a deux ans, le livre L'ère des soulèvements, dans lequel je prenais le contre-pied de l'historien britannique Hobsbawm, auteur de L'ère des révolutions, qui a été abondamment lu dans les années 70. Cet historien montrait que dans la tradition marxiste et avant-gardiste, il y avait l'idée selon laquelle le peuple allait fonder une société parfaite grâce à la révolution. Je pense que ce n'est aujourd'hui plus le cas, il n'y a plus cette tension révolutionnaire du peuple vers une société parfaite. Nous ne faisons plus face à des révolutions, mais à des soulèvements. C'est-à-dire que le peuple ne se lève plus pour établir une société idéale, mais parce qu'il en a marre. Les manifestations contre la réforme des retraites dépassent le simple cadre de la question des retraites, et renvoient à un mouvement social plus large que l'on a aperçu avec les «gilets jaunes». Ce mouvement est né de l'augmentation du prix de l'essence. Mais ce n'était qu'un prétexte qui traduisait, selon moi, le désir d'être à nouveau ensemble, de se retrouver, sortir de l'isolement. Ce mouvement est de plus en plus fort dans nos sociétés.

    Cet arrangement continuel, qui consiste à se «dépatouiller avec ce qui présente» n'est-il pas un retour en arrière ? Un peuple qui a renoncé à agir est-il voué à sa perte ?

    Je ne crois pas. J'y vois une forme de sagesse populaire. Nous sommes dans un pays où, souvent, les élites méprisent le peuple et cultivent une défiance à son égard. La philosophie de l'Histoire au XIXe siècle, ce qui s'est constitué ensuite dans le communisme soviétique, c'était cette conception d'une histoire assurée d'elle-même, la flèche du temps.

    Le retour du sacré, l'importance accordée au local et au retour des traditions, traduisent une forme d'enracinement dynamique, qui est à l'opposé d'un retour en arrière. Seules les racines et le retour aux racines permettent une forme de croissance.

    Michel Maffesoli (Figaro Vox, 30 janvier 2023)

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  • La naissance du patriotisme...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'émission Passé présent de TV Libertés, diffusée le 24 janvier 2023 dans laquelle Philippe Conrad reçoit Michel De Jaeghere pour son ouvrage La mélancolie d'Athéna (Les Belles Lettres, 2022). Journaliste, rédacteur en chef du Figaro Histoire, Michel De Jaeghere a notamment publié Les derniers jours - La fin de l'empire romain d'Occident (Les Belles Lettres, 2014) et Le Cabinet des antiques - Les origines de la démocratie contemporaine (Les Belles Lettres, 2021).

     

                                              

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  • Sommes-nous entrés dans une société post-littéraire ?...

    Dans ce nouveau numéro d’Orages de papier, réalisé par TV Libertés en partenariat avec la Nouvelle Librairie , François Bousquet rencontre Richard Millet pour évoquer son œuvre trop souvent masquée par les polémiques.

    Romancier, essayiste et polémiste, Richard Millet est l'auteur, notamment, de La confession négative (Gallimard, 2009), d'Arguments d'un désespoir contemporain (Hermann, 2011), de Fatigue du sens (Pierre-Guillaume de Roux, 2011), de Langue fantôme (Pierre-Guillaume de Roux, 2012), de Tuer (Léo Scheer, 2015), de Français langue morte (Les Provinciales, 2020), et Paris bas-ventre - Le RER comme principe évacuateur du peuple français (La Nouvelle Librairie, 2021). Un recueil de ses écrits de combat a également été réédité sous le titre de Chronique de la guerre civile en France (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

                                                

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  • Russie, OTAN, Ukraine : La guerre à perpétuité ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Le samedi politique de TV Libertés, diffusé le 21 janvier 2023 et présenté par Élise Blaise, qui recevait Bernard Wicht pour évoquer le conflit en Ukraine et ses risques de propagation...

    Universitaire, historien des idées et spécialiste en stratégie, Bernard Wicht a récemment publié Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011), Europe Mad Max demain ? (Favre, 2013), L'avenir du citoyen-soldat (Le Polémarque, 2015), Citoyen-soldat 2.0 (Astrée, 2017), Les loups et l'agneau-citoyen - Gangs militarisés, État policier et citoyens désarmés (Astrée, 2019) et Vers l'autodéfense - Le défi des guerres internes (Jean-Cyrille Godefroy, 2021).

     

                                              

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  • Démographie, immigration, totalitarisme... : un tour d’horizon avec Alain de Benoist

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Paul-Marie Coûteaux, pour la revue Le nouveau Conservateur, cueilli sur le site de la revue Éléments.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021) et, dernièrement, L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    « Tout projet qui vise à imposer une pensée unique est totalitaire »

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Alain de Benoist, n’êtes-vous pas alarmé par ce chiffre que donne le démographe Illyès Zouari : le nombre des décès, au sein de l’UE, a dépassé celui des naissances de 1,231 million en 2021 ? Reprendriez l’expression qu’il emploie d’« autogénocide » de l’Europe ?

    ALAIN DE BENOIST. Non, je ne reprendrais pas ce terme, parce que je le trouve à la fois excessif et inutilement polémique. Le mot « suicide » aurait sans été plus raisonnable, même si je crois qu’il ne correspond pas non plus exactement à la réalité. D’une façon plus générale, je ne pense pas qu’il faille raisonner sous l’horizon de l’apocalyptisme, que ce soit en matière écologique ou démographique. La démographie est une discipline dans laquelle il est notoirement impossible de faire des prédictions à long terme : dire qu’au rythme actuel nous allons bientôt disparaître n’a guère de sens puisque nous ignorons si ce rythme va se maintenir (et jusqu’à quand).

    Je suis par ailleurs, comme Renaud Camus, de ceux qui estiment qu’un espace fini comme notre planète ne peut pas accueillir une masse infinie de population. Olivier Rey a bien montré dans ses ouvrages, d’inspiration profondément conservatrice, que toute augmentation de quantité entraîne, une fois passé un certain seuil, un sauf qualitatif qui transforme la nature des phénomènes. C’est la raison pour laquelle la surpopulation a pour effet d’aggraver tous les problèmes que nous connaissons. Il nous a fallu 200 000 ans pour arriver à 1 milliard de bipèdes sur la planète, puis 200 ans seulement pour arriver à 7 milliards. Nous venons maintenant de passer le cap des huit milliards, et nous pourrions être à 11 milliards à la fin de ce siècle, ce qui veut dire que la population mondiale augmente en moyenne d’un milliard de personnes tous les 12 ans Je n’ai personnellement pas envie de vivre dans des villes de 50 ou 60 millions d’habitants…

    Quand une population moins nombreuse succède à une population plus nombreuse, il est inévitable que le nombre des décès l’emporte à un moment ou à un autre sur le nombre des naissances. Cette détérioration de la pyramide des âges est par définition transitoire. La France de 1780, avec ses 27 millions d’habitants (dont la majorité ne parlaient pas le français) se portait beaucoup mieux que la France actuelle avec ses 65 millions d’habitants. J’ajoute que, contrairement à une idée reçue, la baisse de la fécondité ne s’explique pas fondamentalement par la contraception ni même par l’avortement, mais par deux phénomènes essentiels dont on parle trop peu, à savoir la fin du monde paysan (dans lequel une forte descendance était indispensable au maintien des lignées sur leurs terres) et l’entrée massive des femmes sur le marché du travail (qui a considérablement retardé l’âge de la femme à la naissance du premier enfant). S’y ajoutent d’autres facteurs : les effets d’une mentalité hédoniste portée à juger que les enfants coûtent trop cher, les problèmes de logement en milieu urbain (plus de la moitié de la population mondiale vit désormais dans les grandes métropoles, et d’ici 2050 ce sera le cas des deux tiers).

    Il reste, cela dit, deux sujets réels de préoccupation : d’abord le fait que la part des naissances extra-européennes en Europe augmente régulièrement au détriment des naissances « de souche », ce qui induit une transformation du stock génétique de la population, ensuite le différentiel de croissance démographique entre les différences parties du monde : la population de l’Afrique subsaharienne devrait bondir à elle seule de 100 millions d’habitants à 1900 à 3 ou 4 milliards à la fin du siècle, ce qui ne manquera évidemment pas d’avoir des conséquences auxquelles nous sommes très mal armés pour faire face.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Voici un siècle paraissait le livre d’Oswald Spengler « Le déclin de l’Occident ». Dans « Mémoire vive », série d’entretiens avec François Bousquet où vous retracez votre itinéraire intellectuel, on comprend que Spengler a exercé sur vous une grande influence. Qu’en diriez-vous aujourd’hui ? Et pour commencer, avalisez-vous le terme d’« Occident » ? Ne pensez-vous pas que parler du déclin de l’Europe serait plus approprié ?

    ALAIN DE BENOIST. Dans son livre, qui lui a valu une renommée mondiale, Spengler proposait une conception de l’histoire allant exactement à rebours d’une idéologie du progrès pour laquelle l’avenir ne peut être que meilleur que le présent et le passé (ce dont il se déduit que le passé n’a rien à nous dire). Pour Spengler, les cultures sont des organismes collectifs qui, comme tous les organismes, naissent, se développent, atteignent leur apogée, vieillissent et disparaissent. Après quoi Spengler établissait un parallèle morphologique entre les dix ou douze grandes cultures de l’humanité, pour démontrer qu’elles ont toutes illustré ce schéma. Ce travail a évidemment été très mal accueilli dans les milieux progressistes, mais aussi dans les milieux libéraux qui, ignorant la mise en garde de Paul Valéry, s’imaginent que certaines civilisations peuvent être éternelles.

    Le terme d’« Occident » était en effet équivoque. Vous le savez, le mot a une longue histoire. Aujourd’hui, il tend à désigner un bloc qui, pour l’essentiel, associerait les États-Unis d’Amérique et les Européens. Cette façon de voir me paraît un non-sens géopolitique. L’Amérique, comme l’Angleterre avant elle, est une puissance de la Mer, tandis que l’Europe, avec ses prolongements eurasiatiques, représente la puissance de la Terre. Carl Schmitt résumait l’histoire à une lutte séculaire entre les puissances maritimes et les puissances telluriques et continentales. Que les intérêts américains et les intérêts européens (et, au-delà, leurs idéologies fondatrices respectives) soient fondamentalement les mêmes est une absurdité dont le spectacle des dernières décennies devrait nous convaincre. On en a encore eu un bon exemple avec la façon dont, dans l’affaire ukrainienne, l’Union européenne a adopté sur pression des États-Unis des sanctions contre la Russie dont les Européens seront les premières victimes.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : En Allemagne, la vie intellectuelle, voici un siècle, a été marquée par ce qu’on a appelé la « Révolution Conservatrice ». Pensez-vous qu’elle pourrait inspirer aujourd’hui une nouvelle conception du réflexe conservateur qui est avant tout une protestation du monde ancien, de nature humaniste, comme vous l’avez dit sur Radio Courtoisie, face au totalitarisme ?

    ALAIN DE BENOIST. Pourquoi pas, mais à condition d’en faire un examen attentif. Ce qu’on a appelé « Révolution Conservatrice » (l’expression est d’Armin Mohler et date du tout début des années 1950) désigne une vaste mouvance comprenant plusieurs centaines d’auteurs, de groupements politiques et de revues théoriques, qui ont joué en Allemagne un rôle très important entre 1918 et 1932. Cette tendance comprenait des tendances différentes, les quatre principales étant les jeunes-conservateurs, les nationaux-révolutionnaires, les Völkische et les Bündische. Tous ne présentent évidemment pas le même intérêt. En outre, dans le syntagme « Révolution Conservatrice », il ne faut pas oublier que le mot « Révolution » et tout aussi important que l’adjectif « Conservatrice ». Les révolutionnaires conservateurs sont des penseurs ou des acteurs politiques (Spengler, Carl Schmitt, Arthur Moeller van den Bruck, Othmar Spann, Albrecht Erich Günther, Ernst Jünger, Arthur Mahraun, etc.) qui considèrent, à l’encontre du conservatisme du XIXe siècle, que dans les conditions présentes, seule une révolution peut permettre de conserver ce qui mérite de l’être. Leur idée fondamentale est que le conservatisme ne doit pas chercher à préserver le passé, mais à maintenir ce qui est éternel. On pourrait dire aussi : entretenir la flamme et non conserver les cendres.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Dans « Communisme et nazisme », ouvrage que vous avez publié en 1998 et qui était sous-titré « 25 réflexions sur le totalitarisme au XXe siècle, de 1917 à 1989 », vous dressiez une liste impressionnante de similitudes entre les deux totalitarismes qui ont pour ainsi dire cohabité au XXe siècle, en comparant notamment ce qu’était la classe pour le communisme à ce que fut la race pour le nazisme : deux catégories à éliminer physiquement (Staline : « Les koulaks ne sont pas des êtres humains, la haine de classe doit être cultivée par les répulsions organiques à l’égard des êtres inférieurs. ») Dans les deux cas, ces totalitarismes du siècle dernier n’ont-ils pas cédé à l’illusion progressiste selon laquelle il était possible, en éliminant les êtres inférieurs, de créer un homme nouveau ? N’est-ce pas aujourd’hui encore le même délire visant à créer par la technique une nouvelle race d’hommes ?

    ALAIN DE BENOIST. La thématique rupturaliste de l’« homme nouveau » remonte à saint Paul, mais celui-ci ne lui donnait évidemment pas le même sens que les grands totalitarismes modernes, ni non plus celui des tenants du « transhumanisme » contemporain. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dans tous les cas cette thématique tend à justifier des mesures d’élimination de ceux que l’on regarde, soit comme inférieurs, soit tout simplement comme « des hommes en trop » (Claude Lefort), à l’exception de ceux qui acceptent de se convertir à la nouvelle doxa dominante. Aujourd’hui, l’homme nouveau dont on nous annonce l’avènement est avant tout un homme « augmenté » par le moyen des technologies nouvelles – mais dont on a toute raison de penser (je renvoie à nouveau aux écrits d’Olivier Rey) qu’il s’agira en réalité d’un homme diminué. La cancel culture, le « wokisme », la théorie du genre contribuent à cette poussée qui semble annoncer une véritable mutation anthropologique, face à laquelle l’action politique sera, je le crains, parfaitement impuissante.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Vous introduisiez le même ouvrage (« Communisme et nazisme ») par une citation d’Alain Finkielkraut : « Naguère aveugle au totalitarisme, la pensée est maintenant aveuglée par lui. » Ne sommes-nous pas entrés, sans toujours nous en apercevoir, dans une nouvelle ère totalitaire ?

    ALAIN DE BENOIST. Sans doute, mais encore faut-il ne pas céder à une certaine tendance actuelle, que l’on rencontre surtout à droite, qui consiste à voir de façon polémique du « totalitarisme » partout. Il faut de la rigueur pour manier les mots qui ont trop servi. Je m’en tiendrai pour ma part à une observation simple. On a trop fait l’erreur de définir le totalitarisme par les moyens auxquels ont eu recours les grands totalitarismes historiques (censure, parti unique, arrestations arbitraires, déportations, Goulag, camps de concentration, etc.), sans s’interroger outre-mesure sur les fins. Or les moyens totalitaires n’usaient de ces moyens qu’en vue d’une fin bien précise : l’alignement (la Gleichschaltung), la suppression des façons de penser dissidentes, l’éradication de toute pensée qui s’écartait de l’idéologie dominante. Le totalitarisme, en d’autres termes, était dans la fin beaucoup plus encore que dans les moyens Une fois qu’on a compris cela, on ne peut que constater que les sociétés libérales contemporaines visent exactement le même but, mais avec des moyens différents – des moyens moins brutaux, voire de nature à plaire et à séduire, qui vont de pair avec la mise en place d’une surveillance de contrôle et de surveillance d’une ampleur (et d’une efficacité) jamais vue. Cela s’appelle la pensée unique, et tout projet qui vise à imposer une pensée unique est totalitaire. D’où ma méfiance vis-à-vis de l’Unique, auquel j’ai coutume d’opposer ce que Max Weber appelait le « polythéisme des valeurs ».

    Alain de Benoist, propos recueillis par Paul-Marie Coûteaux (Site de la revue Éléments, 17 janvier 2023)

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