Afghanistan : l’Union européenne, l’OTAN et nous
Les images de l’évacuation du personnel de l’ambassade américaine à Kaboul tournent en boucle sur les écrans. Antony Blinken peut affirmer que les troupes américaines s’en vont mission accomplie, le Président Biden assure qu’il confirme son choix du retrait, les correspondants locaux signalent que bien des Américains resteront présents en Afghanistan, comme « contractors » et agents divers, il est difficile d’échapper à un triple constat, et d’ en éviter les conséquences.
Un nouvel échec de la politique US
D’abord, et selon une leçon maintes fois répétée, le passé ne compte pas pour des Etats-Unis qui se refont en permanence une nouvelle virginité géopolitique. Le Président Obama lui-même avait affirmé qu’il n était pas question que les Etats-Unis s’excusent pour avoir abattu un avion civil iranien avec 250 passagers à bord, pas plus qu’ils n’ont beaucoup interrogé les bombardements sur Hambourg ou Dresde et l’emploi de l’arme atomique sur Hiroshima et Nagasaki, alors même que seules des cibles civiles étaient visées – la victoire sans doute était à ce prix. L’esprit humain dispose de la capacité merveilleuse de l’oubli. Les Nations aussi. Mais ce qui leur assure bonne conscience et assurance collective peut aussi se révéler source d’ignorance et cause d’échec. « Le tombeau des Empires » qu’est l’Afghanistan aura une fois de plus bien mérité son nom.
Ensuite, et nous en voyons un nouvel exemple, les alliances ne comptent pour les Etats-Unis que pour autant qu’elles servent leurs intérêts. Le mélange du brutalisme réaliste de Théodore Roosevelt et de l’idéalisme moraliste de Wilson est à cet égard redoutable ; les Etats-Unis auront toujours la morale de leurs intérêts. C’est la morale du plus fort ; en est-il une autre ? Et tant pis pour leurs collaborateurs afghans abandonnés aux talibans ! Il ne sert à rien de parler d’ingratitude, mais de rappeler cette leçon sans exception ; les traîtres à leur religion et leur peuple finissent toujours mal. Ceux qui sont tentés de collaborer avec l’occupant américain, en Europe comme ailleurs, contre les intérêts des leurs, doivent s’en souvenir.
Enfin, la faillite du droit sans la force et même, avec elle, devrait interpeller une Union européenne qui poursuit une hallucinante fuite en avant normative et juridique. Les services de renseignement américains, aveuglés par une idéologie qui interdit de considérer les ethnies, la religion, le genre, la tradition, comme des données fondamentales de l’ordre politique et de l’expérience humaine, ont fait croire à la fiction d’une armée nationale afghane – comment pourrait-il y avoir une armée afghane quand il n’y a pas de Nation afghane ? Pléthores de conseillers, de juristes, de « écontractors » en tout genre, ont vendu pour des milliards de dollars la politique de leurs intérêts ; peu importent les résultats sur le terrain, l’essentiel était que Washington signe les commandes. Docile en façade, Kaboul a vécu sa « gay pride » comme les autres !
La puissance américaine a choisi de ne pas voir l’indignation populaire qui sautait aux yeux, de ne pas entendre les signes multiples qui disaient que l’armée afghane n’était que château de sable, traversée par les rivalités ethniques séculaires ; a-t-elle été plus lucide en Syrie, en Irak, en Libye, le sera-t-elle en Ukraine et face à l’Iran ?
L’Europe doit urgemment réfléchir à son indépendance
Pour l’Union européenne, le devoir d’examen est urgent, il est sans appel. La question n’est plus de constater la mort clinique de l’OTAN, la question est de savoir si les fausses assurances que continue de dispenser l’OTAN ne sont pas en elles-mêmes un risque plus grand que ne le serait l’isolement. Car l’Union européenne continue de dispenser sans compter les dividendes de la paix à l’abri d’un imaginaire parapluie américain. Car l’Union européenne continue de faire l’économie de sa sécurité, en croyant au conte de fées du sauveteur extérieur et du payeur en dernier ressort. Car l’Union européenne se soumet à un ordre financier qui tôt ou tard aboutira au désastre enclenché par la décision de Richard Nixon de rendre le dollar non convertible en or – c’était le 15 août 1971, qui a rappelé cette date dans la presse française ?
Après d’autres, avant d’autres, la fuite américaine hors d’Afghanistan doit réveiller la conscience européenne. Nul n’attend de l’Union européenne qu’elle vienne se mêler de ses affaires ; l’insolence des jugements moraux du Parlement est étouffante, insultante, et se paiera. Nul ne fera pour l’Europe ce qu’elle ne fera pas pour elle-même. Nul ne fera pour les Nations européennes ce qu’elles ne feront pas pour elles-mêmes en matière de frontières, de défense et de sécurité.
L’Union a manqué le grand rendez-vous avec l’histoire qu’aurait été le rapprochement avec la Russie d’après Eltsine et la constitution du bloc ouest-eurasiatique, autonome en énergie, en agro-alimentaire, assurant lui-même sa défense, un bloc allié des Etats-Unis, équilibrant la montée de la Chine, succédant légitimement à une OTAN à laquelle la chute de l’Empire soviétique enlevait sa raison d’être. Le rendez-vous a été manqué et ne sera pas reporté. Tout indique que les partenaires contraints que sont la Chine et la Russie resserrent sans cesse leur alliance, sous l’emprise d’une agressivité américaine qui manque son objet – la concurrence entre des systèmes qui chacun prétendent assurer le progrès humain. Tout indique aussi que le fantasme occidental d’une Russie étouffée par la Chine et contrainte de se plier aux exigences de l’Ouest est bien loin de la réalité. A moins que l’Union européenne fasse à la Russie une offre que celle-ci ne pourrait pas refuser – mais laquelle, venant de qui, et portant sur quoi ?
L’exemple afghan vaut leçon. Il n’y aura pas plus d’armée européenne qu’il n’y a eu d’armée afghane, parce qu’il n’y a pas de Nation européenne ; ce qui ne signifie pas qu’il ne puisse y avoir d’actions de Défense européenne, sur des sujets communs de sécurité et de protection.
La fausse sécurité de l’OTAN est le premier obstacle que les Nations européennes rencontrent sur la voie de la sécurité commune, avec le détournement de fonds que la commande obligée à l’industrie américaine signifie pour les Etats et les industriels européens de la Défense ; la Pologne laissée à l’écart de l’accord sur Nordstream2 donne à cet égard le lamentable exemple de la sujétion sans contrepartie. Il n’y aura pas plus d’Etat européen qu’il n’y a d’Etat afghan, parce que l’écart des expériences historiques, des appartenances et des intérêts renvoie la rhétorique sur la communauté de destin au vide qu’elle ne dissimule plus; la démission de l’Allemagne face à la Turquie comme la soumission de l’Union aux injonctions américaines d’embargo et de sanctions vaut preuve.
Et il y aura d’autant moins de Nation européenne que l’inflation du droit et de la norme étouffe le politique, cette conscience politique ; celle identité collective et cette volonté politique qui seules pourraient fonder une Nation. Que l’exemple afghan le rappelle aux peuples oublieux de leur histoire ; il n’est pas donné à tous d’avoir une Nation, et ce trésor qu’est un Etat Nation en pleine possession de son territoire se protège, se défend, et se mérite.
Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 18 aout 2021)