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Alain Destexhe : «Voici comment on manipule les chiffres de l'immigration en Belgique»
Dans cet article, je montrerai comment les statistiques de l'immigration sont manipulées et instrumentalisées en Belgique par les tenants de l'idéologie multiculturaliste, qui exerce une domination quasi totale dans les universités, les ONG, les institutions publiques et les médias.
Ce texte a cependant une portée plus générale car les mécanismes décrits sont aussi appliqués ailleurs en Europe. Ainsi, dès les premières lignes de son dernier rapport sur la migration, Eurostat mélange allègrement chiffres et idéologie: «la migration à elle seule ne pourra certainement pas inverser l'actuelle tendance au vieillissement de la population observée dans de nombreuses régions de l'Union».
En 30 ans, comme la France, la Belgique s'est transformée en profondeur. Sans débat public, elle est devenue un pays d'immigration massive accueillant plus d'un million de personnes en dix ans dans un pays de 10 millions d'habitants. De 2000 à 2010, le solde migratoire y a été neuf fois plus important que celui des Pays Bas, quatre fois plus important que celui de la France ou de l'Allemagne et même plus important que celui des États-Unis, un pays historiquement plus ouvert à l'immigration.
Pourtant, cette réalité statistique a été cachée à la population. Les élites qui décident de ce dont on peut parler se sont bien gardées de mettre en évidence des chiffres qui n'auraient pu qu'alarmer une population dont on exige maintenant qu'elle s'adapte hic et nunc à cette nouvelle donne. Il ne faut y voir ni grand complot, ni l'œuvre d'un Big Brother, mais, au mieux, une adhésion enthousiaste de ceux qui prétendent forger l'opinion au grand rêve multiculturaliste ou, au pire, à la mise en œuvre de puissants mécanismes de défense relevant de la psychologie, comme la sublimation (de la diversité), le déni (de la réalité) ou le refoulement (de ce qui dérange).
Présenter l'immigration sous forme de flux et non de stock
Les statistiques migratoires sont en général présentées sous forme de flux annuels: tant de personnes sont entrées ou sorties telle année ; tant de réfugiés ont été accueillis. Si le nombre diminue par rapport à l'année précédente, on insistera lourdement sur ce point, beaucoup moins s'il augmente. En revanche, une statistique sur 10 ou 20 ans ne sera guère reprise, en supposant qu'on puisse la trouver sans faire les calculs soi-même. À l'échelle d'un pays, les chiffres d'un flux annuel sont rarement inquiétants ; sur une décennie, ils deviennent alarmants. On parlera par exemple de 40 000 naturalisations en une année (le flux) mais on ne rappellera pas qu'il y en eut 200 000 en trois ans et un demi-million en 10 ans (le stock): 5% de la population! De même, on n'écrira pas que plus d'un million d'immigrés sont arrivés en quelques années.
Les Européens repartent, les autres restent
En Belgique, petit pays très ouvert sur ses voisins et hébergeant la capitale de l'Europe avec son cortège de fonctionnaires et de lobbyistes, les immigrations d'Européens sont, en termes de flux, toujours supérieures à celles émanant des autres continents. Français et Néerlandais arrivent assez logiquement en tête. Ce fait rassurant sera toujours très lourdement souligné. Jamais cependant l'analyse ne sera faite sur 10 ou 20 ans. On constaterait alors qu'un grand nombre d'Européens retournent dans leur pays, que les Belges eux-mêmes quittent davantage leur royaume plutôt qu'ils n'y reviennent (leur solde migratoire est toujours négatif) mais que les Marocains, Algériens, Turcs, et presque toutes les autres nationalités, sauf les Américains, ont une incontestable tendance à s'établir définitivement en Belgique.
Les projections démographiques ne sont pas reliées à l'immigration
Régulièrement, reprenant des projections officielles, les médias constatent que la population du royaume augmente et que cette tendance va continuer, mais cette augmentation n'est jamais liée à l'immigration alors que, depuis les années 2000 au moins, elle est entièrement explicable par l'immigration. En quinze ans à peine, la Belgique gagne un million d'habitants, passant de 10,2 millions en 2000 à 11,3 millions en 2015, une hausse de 10 % sur une très courte période. Et au cours des prochaines décennies, le pays devrait encore gagner un ou deux millions d'habitants alors qu'il est déjà un des plus denses au monde, confronté à de nombreux problèmes liés à cette densité (habitat, transport, environnement, …)
Jamais cette augmentation ne sera mise en relation avec le nombre de musulmans qui va doubler (1 250 000, soit 11,1 % de la population) ou tripler (2 580 000, soit 18,2 %!) en 2050 selon les flux migratoires et d'après les projections du très sérieux Pew Research Center. Le titre honnête d'un article sur les projections démographiques devrait être «Nous serons bientôt un million de plus, en majorité des musulmans», ce qui ne pourrait manquer de créer un débat utile sur la démographie, la densité de population ou l'intégration de ces musulmans. Dans Le Soir, l'universitaire de service Corinne Torrekens balaye cependant la sérieuse enquête du Pew: «Il y a un côté boule de cristal (…). On se demande d'ailleurs d'où vient cette nécessité de compter» (sic). «Sinon pour alimenter le fantasme que l'islamisation se dresse tel un rempart alors que nous sommes dans une dynamique de pluralisation de l'appartenance». La novlangue a de beaux jours devant elle!
Le choix des mots favorise l'occultation des problèmes
L'augmentation continue de la population de Bruxelles (1 % par an en moyenne, taux exceptionnel pour une ville européenne) est qualifiée de choc démographique voire de bombe démographique mais jamais de choc ou bombe migratoire. L'immigration et la fécondité plus grande des femmes d'origine immigrée expliquent pourtant entièrement cette augmentation, malgré le départ continu de «Belges de souche» ou d'immigrés plus anciens vers la Flandre et la Wallonie. Les problèmes sociaux (90 % des allocataires sociaux à Bruxelles sont d'origine immigrée), la tension sur les services publics (administration, hôpitaux, transports publics avec le doublement du nombre de voyages en 15 ans), le besoin de nouvelles places dans les écoles - 40 000 en dix ans - son coût évidemment considérable ne seront, soit pas abordés du tout (et donc jamais débattus), soit présentés comme s'ils étaient totalement étrangers à la problématique migratoire.
Le mépris envers les inquiétudes de la population
Un des moyens les plus sûrs pour disqualifier l'inquiétude légitime de la population consiste à la faire passer pour ignorante. Ainsi, on fera un sondage pour demander quel est le pourcentage d'immigrés ou de musulmans dans le pays et, à chaque fois, on se gaussera de constater que la perception est toujours supérieure à la réalité. Autrement dit si les Belges (ou les Européens) étaient mieux informés ou moins stupides, leurs angoisses s'évanouiraient et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce genre d'enquêtes ou de sondages n'est cependant pratiqué que pour les chiffres migratoires, jamais pour le taux de chômage, le taux d'analphabétisme ou la croissance du PIB. Dans ce domaine, l'immigration bénéficie de l'exclusivité. On pourrait évidemment retourner l'argument. Si la perception est telle, c'est précisément parce que la situation est déjà très alarmante. À lieu de la tourner en dérision, l'inquiétude devrait être prise en considération.
L'effet boule de neige du regroupement familial
En Belgique, environ 50 % de l'immigration est liée au regroupement familial. C'est beaucoup plus que chez nos voisins et dans la plupart des pays européens, mais tous sont touchés par ses conséquences. Ce type d'immigration est, par définition, exponentiel et, littéralement, sans fin, à travers la reconnaissance des réfugiés, les mariages blancs ou gris, le caractère endogame de la majorité des mariages des Turcs et de Marocains, les fraudes massives, etc. Les conséquences quasi mécaniques du regroupement familial sur la démographie ne sont jamais expliquées.
Sauf s'il y a une prise de conscience, par la magie du regroupement familial et les arrivées à travers la Méditerranée, l'immigration de masse va continuer. Ces mécanismes d'occultation de l'importance de l'immigration sont partout à l'œuvre en Europe. Si on veut la contrôler et la freiner, selon le souhait de la grande majorité des Européens, encore faut-il que ces derniers puissent d'abord prendre connaissance de la gravité de la situation à travers une présentation honnête des statistiques et de leurs conséquences!
Alain Destexhe (Figaro Vox, 29 janvier 2018)