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Une introduction à l'oeuvre d'Oswald Spengler...

Nous reproduisons ci-dessous un texte d'Alain de Benoist, cueilli sur le site de l'Institut Iliade et initialement publié dans la revue Nouvelle Ecole, consacré à Oswald Spengler et à son oeuvre dans le domaine de la philosophie de l'histoire.

Ceux qui veulent aller plus loin, avant d'aborder le livre essentiel de cet auteur, Le déclin de l'Occident, pourront se plonger avec intérêt dans le dossier de Nouvelle Ecole (n°59, décembre 2010) mais également dans l'essai d'Alain de Benoist, Quatre figures de la Révolution Conservatrice allemande (Les amis d'Alain de Benoist, 2014) et dans celui de Gilbert Merlio, Le début de la fin ? (PUF, 2019).

 

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Oswald Spengler : une introduction
 
En 1925, André Fauconnet pouvait écrire : « Depuis la fin de la guerre mondiale, aucune oeuvre philosophique n’a eu, dans l’Europe centrale, un retentissement comparable à celle de Spengler »1. Le propos est à peine exagéré. La parution du premier volume du Déclin de l’Occident, en avril 1918, quelques mois avant la fin la Première Guerre mondiale, fit l’effet d’un coup de tonnerre2. L’écho rencontré en Allemagne, en particulier, fut phénoménal, ainsi qu’en témoigne le nombre de livres et de brochures publiés à leur tour pour lui répondre, le commenter, l’encenser ou le critiquer. L’une des raisons de ce succès, comme le remarqua Ernst Cassirer, fut incontestablement le titre du livre, qui avait été inspiré à Spengler par un ouvrage d’Otto Seeck paru à la fin du XIXe siècle3.
 
Violemment critiqué par Heinrich Rickert et Otto Neurath4, traité de « trivial cochon » (triviale Sauhund) par Walter Benjamin et de « Karl May de la philosophie » par Kurt Tucholsky, Spengler fut au contraire salué par Georg Simmel, à qui il avait envoyé un exemplaire de son livre, comme l’auteur de la « philosophie de l’histoire la plus importante depuis Hegel », ce qui n’était pas un mince compliment5. L’ouvrage fit aussi grande impression sur Ludwig Wittgenstein, qui approuvait le pessimisme de Spengler, ainsi que les grandes lignes de sa méthode, sur l’économiste Werner Sombart, ainsi que sur l’historien Eduard Meyer qui, après une discussion de cinq heures avec l’auteur du Déclin de l’Occident, devint son admirateur et son ami6. Max Weber fut moins impressionné, mais n’en invita pas moins Spengler à prendre la parole dans le cadre de son séminaire de sociologie à l’Université de Munich en décembre 1919. Quant à Heidegger, qui cite souvent Spengler, mais ne lui a jamais consacré d’étude exhaustive, il prononça en avril 1920, à Wiesbaden, une conférence sur Le déclin de l’Occident7.

L’idée centrale de l’ouvrage, qui s’inscrit à la fois dans la tradition de la Kulturkritik allemande et dans celle du « pessimisme culturel », est que l’humanité n’a pas plus d’objectif pré-établi, d’idée directrice, de plan organisateur que « n’en a l’orchidée ou le papillon ». L’humanité est « un concept zoologique, ou bien alors un mot vide de sens » (« Die Menschheit hat kein Ziel, keine Idee, kein Plan, so wenig wie die Gattung der Schmetterlinge oder der Orchideen en Ziel hat. “Die Menschheit” ist ein zoologischer Begriff oder ein leeres Wort »)8. C’est la raison pour laquelle Spengler parle presque toujours de Weltgeschichte (« histoire mondiale »), et non d’Universalgeschichte (« histoire universelle »). Il n’y a donc pas d’« histoire de l’humanité » au sens d’un processus homogène. Il n’y a que des histoires séparées correspondant aux diverses cultures, dont le développement et le déclin obéissent aux mêmes lois. « Pour lui, comme l’écrit Lucian Blaga, une culture est un organisme réel, doué d’une “âme” spécifique, laquelle se distingue radicalement de l’âme individuelle de chacun des hommes constituant la collectivité »9.

Dans une page célèbre du Déclin de l’Occident, Spengler se compare lui-même à Copernic. De même que ce dernier avait fait abandonner la position géocentrique au profit de l’héliocentrisme, il se propose d’abandonner l’européocentrisme qui a prédominé jusque là. Il distingue donc huit grandes cultures humaines, parmi lesquelles la culture arabe (ou « magique »), dont il revendique la découverte. L’âme de l’Antiquité grecque est définie comme « apollinienne », celle de la culture occidentale comme « faustienne ». L’âme faustienne a comme symbole l’espace tridimensionnel infini ; l’âme apollinienne, le corps isolé (l’espace limité) ; la culture russe, la plaine sans bornes ; la culture chinoise, le chemin dans la nature, et la culture arabe, l’espace-voûte10.

Paul Valéry déclarait en 1919 : « Nous autres civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles »11. C’est aussi ce que Spengler affirme avec force. Rejetant la division conventionnelle Antiquité-Moyen Age-modernité, il distingue trois grandes périodes de la vie des cultures, correspondant à la naissance, au développement historique et à la vieillesse suivie de la mort. Comme les plantes ou les espèces animales, les grandes cultures disposent donc d’une morphologie qui va de pair avec un développement intérieur parcourant toujours les mêmes étapes : naissance, maturité, vieillesse et mort. La répétition de ces styles n’a rien à voir avec l’Eternel Retour dont parle Nietzsche ; c’est plutôt un memento finis allant dans le sens d’une inéluctable immanence de la fin : « Il y a une croissance et une vieillesse des cultures, des peuples, des langues, des vérités, des dieux, des paysages, comme il y a des chênes, des pins, des fleurs, des branches, des feuilles, jeunes et vieux […] Chaque culture a ses possibilités d’expressions nouvelles qui germent, mûrissent, se fanent et disparaissent sans retour »12. Les cultures existent à leur plus haut stade lorsque l’âme qui les porte leur donne (et devient elle-même) une forme. Une nation se définit elle-même comme un peuple porté par le style d’une culture : « Völker im Stil einer Kultur nenne ich Nationen ».

« Une culture meurt quand l’âme a réalisé la somme entière de ses possibilités », écrit Spengler13, proposant ainsi une vision entéléchique de l’histoire. Toute vraie tradition porte en elle-même sa propre fin : l’immanence de la fin est la condition sine qua non de l’histoire. C’est aussi le fondement de la conception tragique de la vie. Lorsque la tradition et l’« âme » perdent leur puissance, sonne l’heure de la civilisation, qui est aussi celle du déclin. Dans la civilisation, la vie sociale se concentre dans les grandes villes, au sein desquelles les foules anonymes n’ont plus aucune possibilité d’« être-en-forme » (In-Form sein)14. Le citadin déraciné de l’époque des villes mondiales (« Weltgeschichte ist Stadtgeschichte ») se définit comme un nouveau nomade. Comme chez Klages, l’intellect abstrait s’avère essentiellement destructeur de vie15. Un autre trait des civilisations mourantes est qu’elles ont, précisément, avant tout peur de la mort : « La mort est meilleure que l’esclavage, disent les vieux paysans frisons. Renversez cet aphorisme et vous aurez la formule de toutes les civilisations tardives »16. Le passage du stade de la culture à celui de la civilisation a eu lieu au IVe siècle pour le monde gréco-latin, au XIXe siècle pour la culture occidentale. L’Europe entame en effet son déclin au moment même où l’idéologie du progrès et les philosophies optimistes (Comte, Spencer, Marx) battent leur plein. En Occident, la civilisation s’identifie sociologiquement à la domination de la bourgeoisie, politiquement à la victoire du parlementarisme et des partis, économiquement à la prédominance de l’argent. Le « déclin de l’Occident » coïncide avec ce que Walter Rathenau appelait la « mécanisation du monde » et Kurt Breyzig, la « mécanisation de l’âme ». Vient alors l’époque du « césarisme » – qu’illustreront aussi bien Lénine que Mussolini –, qui est aussi celle de l’impérialisme, du matérialisme, de la suprématie de la technique, de la technocratie, des manipulations par la presse. L’Occident étend sa domination dans le monde entier, mais ce n’est plus sa culture qu’il exporte. C’est sa civilisation.

Oswald Spengler a de toute évidence subi l’influence d’auteurs tels que Herder, Bachofen, Burkhardt, Schopenhauer, Haeckel, Vaihinger, Bergson, Dilthey et Karl Lamprecht. Il faut sans doute y ajouter Vico, bien qu’il ne le cite jamais, et surtout Leo Frobenius, dont la théorie des « cercles culturels » a visiblement nourri ses idées sur l’« âme » des cultures. Mais les deux influences les plus déterminantes qui se sont exercées sur lui sont celles de Goethe et de Nietzsche. Dans sa préface au second volume du Déclin de l’Occident, Spengler précise qu’il emprunte au premier sa méthode, et au second son questionnement.

C’est dans ce second volume que l’influence de Nietzsche apparaît le plus manifestement, notamment lorsque Spengler distingue entre les « faits » et les « vérités », ces dernières n’étant selon lui que des constructions théoriques sans rapport avec la vie. Spengler reprend également à son compte l’opposition dressée par Nietzsche, dans Par-delà bien et mal (1886), entre la « morale des maîtres » et la « morale des esclaves », cette dernière étant assimilée à une « morale de l’utilité » fondée sur l’esprit de vengeance et le ressentiment. Il approuve ce propos de Nietzsche : « Bon et mauvais sont des distinctions de noble, bien et mal des distinctions de prêtre », qu’il commente en ces termes : « Le plus mauvais est sans honneur, là où le souverain bien est sans péché »17. Il partage encore avec Nietzsche l’idée que la vie est toujours supérieure à l’intellect, qu’elle ne connaît ni système, ni programme, ni raison – et aussi l’idée qu’il n’y a pas de vérité absolue. Par la suite, il empruntera souvent à la critique nietzschéenne de la morale pour stigmatiser la République de Weimar ou pour dénoncer le nihilisme, mais il prendra aussi parfois ses distances (il n’est guère convaincu, par exemple, par la figure de Zarathoustra)18.

Par la perspective organiciste et morphologique qu’il ouvre sur l’histoire, Spengler poursuit en outre une direction de pensée inaugurée par Goethe. L’étude de l’histoire est, à ses yeux, aux antipodes de l’étude de la nature. Elle ne relève pas de la même méthode. L’histoire, dominée par une fatalité irréversible, doit être appréhendée de manière « physiognomique », qui est la seule façon permettant de constater que l’histoire d’une culture est semblable au déroulement spatio-temporel d’un organisme. Spengler oppose donc la « physiognomie » à la causalité, car la civilisation, soumise au règne de la causalité, n’a plus d’histoire ; à la logique de la causalité, il oppose la logique du destin. « La considération de l’histoire – ce que j’appelle tact physiognomique –, c’est la décision du sang, la connaissance des hommes étendue au passé et à l’avenir, le sens inné des personnes et des situations, de ce qui était événement, nécessaire, ce qui devait exister, et non seulement une critique scientifique et une connaissance de dates ». Le caractère d’une culture, en d’autres termes, ne peut s’appréhender comme une construction statique, mais comme un processus d’interaction dynamique avec des facteurs à la fois intérieurs et extérieurs. Pour reprendre la célèbre distinction de Dilthey, Spengler ne cherche pas à expliquer, mais à comprendre l’histoire. C’est pourquoi il redonne ses lettres de noblesse à l’analogie – dont l’Antiquité faisait grand usage –, et plus spécialement à l’analogie organique19. Comme Hegel avant lui, opposant l’« expérience vécue » (erleben) à la connaissance abstraite (erkennen), il met en garde contre l’application aux choses vivantes des méthodes quantitativistes, que ce soit celles de la « théorie raciale » ou de l’épistémologie scientifique. Et c’est bien entendu l’étude « physiognomique » des autres cultures, qui ont déjà achevé leur cycle, qui lui permet de prophétiser sur l’avenir de l’Occident.

De l’Occident, et non de l’Europe. Oswald Spengler rejette en effet ce dernier terme : « Orient et Occident sont des notions qui possèdent une véritable substance historique. Europe n’est qu’un mot vide », explique-t-il au début du premier volume du Déclin de l’Occident. Il écrit d’ailleurs le plus souvent « Europe » avec des guillemets, estimant au surplus que l’Europe a cessé d’être un concept géographique après les transformations que Pierre le Grand a fait subir au XVIIIe siècle à la Russie. Ce choix peut surprendre, dans la mesure où l’« Occident » paraît associer l’Europe et les Etats-Unis sous un même intitulé (qui a lui aussi perdu sa signification géographique). Mais il faut se souvenir qu’à l’époque, le mot Abendland, « Occident », est d’usage courant dans les milieux catholiques et conservateurs, tandis qu’Europa est surtout utilisé par les socialistes et les libéraux.

Quant au mot « déclin », il doit être apprécié à sa juste mesure. En allemand, Untergang a le sens de « crépuscule », mais aussi de « maturation » ou d’« accomplissement » (Vollendung). Spengler dira lui-même que l’Untergang n’évoque pas pour lui l’image d’un transatlantique qui fait naufrage, mais plutôt celle d’un vaste et grandiose soleil couchant, comparaison bien venue puisqu’étymologiquement, l’Occident est la terre du Couchant20.

Il reste que l’image du « déclin de l’Occident » n’a cessé d’être utilisée pour entretenir le reproche fait à Spengler de soutenir une doctrine empreinte de « fatalisme » et, surtout, de « pessimisme »21. Ce reproche est-il fondé ? Spengler se veut en fait avant tout un « réaliste », et le pessimisme dont il se réclame est tout autre chose que le « lâche pessimisme des petites âmes fatiguées qui craignent la vie et ne supportent pas la vue de la réalité »22. Il s’en est longuement expliqué dans un texte paru en 1921, peu avant la sortie – le 20 mai 1922 – du second volume du Déclin de l’Occident23.

D’emblée, Spengler rejette l’accusation de pessimisme, « injure dont les éternels vieillards poursuivent toute pensée qui ne se destine qu’aux pionniers de demain ». Il dira certes que l’optimisme n’est qu’une lâcheté (« Optimismus ist Feigheit »), qu’il n’y a pas de rédemption à attendre, pas d’espérance à cultiver : seuls les rêveurs croient qu’il existe une issue24. Mais un vrai pessimisme impliquerait qu’il n’y ait plus de buts à atteindre. Spengler pense au contraire que l’homme occidental en a tellement encore que c’est bien plutôt le temps qui risque de lui faire défaut. Même si elle correspond au stade final de notre culture, la phase que nous vivons aujourd’hui reste grandiose : c’est « celle que le monde antique a connue dans l’intervalle entre Cannes et Actium ». Il n’y a donc pas lieu de désespérer. Il faut seulement qu’il y ait concordance entre les efforts que l’on déploie, les buts que l’on se fixe et les possibilités que recèle le moment historique que nous vivons. Sans doute les possibilités architectoniques de l’Europe sont-elles épuisées. Il n’y aura plus de Goethe, plus de Shakespeare, plus de Botticelli, plus de Wagner. Mais il y aura de nouveaux Césars, ainsi que l’avait prédit un auteur français méconnu du XIXe siècle25. Quel sera leur rôle ? Ce sera d’abord de mettre un terme à la politique partisane, et d’en finir du même coup avec la « dictature de l’argent » : « L’épée vaincra l’argent, la volonté du seigneur s’assujettira à nouveau la volonté du pirate ». Ce qui implique de refaire de la politique un rapport de forces : « Une puissance ne peut être détruite que par une autre, non par un principe, et il n’y en a point d’autre contre l’argent ».

Spengler ne prône donc nullement le renoncement, l’ascèse négative devant l’inéluctable kali-yuga. Il ne se contente pas non plus, comme Evola, de vouloir « chevaucher le tigre ». Il ne professe pas le désespoir romantique d’un Gobineau. Etre « pessimiste » sous le prétexte que notre culture approche de sa fin revient à ne plus vouloir vivre sous le prétexte qu’un jour nous mourrons. Spengler souligne en outre que s’il y a un déterminisme global qui pèse sur la culture, il n’y a pas de déterminisme individuel. L’homme a toujours la possibilité de rester fidèle à l’idée qu’il se fait de lui-même. Un « parti pris vital » est toujours possible. C’est ce que Spengler appellera le « choix d’Achille » : « Mieux vaut une vie brève, pleine d’action et d’éclat, plutôt qu’une existence prolongée, mais vide » (« Lieber ein kurzes Leben voll Tat und Ruhm als ein langes ohne Inhalt »)26. Pourquoi dans ces conditions faudrait-il espérer avant d’entreprendre ? L’homme de qualité n’entreprend pas parce qu’il peut réussir. Il entreprend parce qu’il doit entreprendre. On connaît la maxime du Taciturne, et aussi la belle devise hanséatique : Navigare necesse est, vivere non est necesse. Ici, il faut évidemment citer les pages finales de L’homme et la technique : « Nous devons poursuivre avec vaillance, jusqu’au terme fatal, le chemin qui nous est tracé. Il n’y a pas d’alternative. Notre devoir est de nous incruster dans cette position intenable, sans espoir, sans possibilité de renfort. Tenir, tenir à l’exemple de ce soldat romain dont le squelette a été retrouvé devant une porte de Pompéi et qui, durant l’éruption du Vésuve, mourut à son poste parce qu’on avait omis de venir le relever. Voilà qui est noble. Voilà qui est grand. Une fin honorable est la seule chose dont on ne puisse pas frustrer un homme ». En fin de compte, l’éthique aura le dernier mot : « Celui qui est digne de quelque chose finira par triompher ». Jusque dans son apparente rigidité, le système spenglérien est donc, du moins pour les âmes fortes, un remède au pessimisme. C’est ce que constate Keyserling, qui pourtant ne l’apprécie pas, en disant de cette rigidité que, « satisfaisant pleinement la partie de l’être qui réclame la prédestination et l’irrationalité, elle ne fait que stimuler d’autant plus son désir de liberté à se déployer dans l’action »27. Le memento finis qui est à la base de la philosophie de l’histoire de Spengler constitue aussi bien le socle d’une éthique héroïque – dans la mesure même où aucun projet ne peut outrepasser les limites assignées par l’histoire.

De même, lorsqu’il prône le « prussianisme »28, c’est d’abord à un style que Spengler se réfère – l’éthique du devoir, à base d’impersonnalité active et de sens de l’honneur – , et non à une appartenance historique ou à un lieu de naissance. C’est en ce sens également qu’il oppose le « socialisme éthique », de caractère « romain-prussien » (römisch-preußisch), au « socialisme économique », c’est-à-dire au marxisme, qui n’est qu’un « capitalisme d’en bas » (Kapitalismus von unten). Le « socialisme prussien » dont il se réclame est un socialisme des devoirs, non des revendications. Ce n’est pas tant une doctrine économique qu’un style de vie, fondé avant tout sur le service et la tenue, le style impersonnel et l’esprit de communauté. Pour les individus comme pour les peuples, il s’agit de se mettre « en forme » par le biais d’un principe. Or, la liberté intérieure ne s’atteint que dans la discipline et le service : « Telle est notre liberté : c’est elle qui nous affranchit du joug de l’individualisme et de son économie arbitraire »29. Le socialisme prussien doit être porté par la volonté de puissance de l’âme faustienne, qui cherche à mettre en forme la masse pour lui donner un style. La Prusse est donc pour Spengler un « mythe » idéologique plus encore qu’une réalité historique : il y a des « Prussiens » partout. C’est sur cette base que Spengler dénonce le libéralisme (« l’Angleterre intérieure ») et le capitalisme (« la domination de l’argent ») : « Chacun pour soi, voilà qui est anglais ; chacun pour tous, voilà qui est prussien » (« Jeder für sich : das ist english ; alle für alle : das ist preußisch »)30. Mais c’est aussi la raison pour laquelle certains auteurs de gauche ont constamment représenté le « socialisme prussien » comme une simple forme d’impérialisme qui ne s’attaque au capitalisme financier que pour mieux préserver les privilèges du capitalisme industriel, sans voir que ce dernier n’est pas moins exploiteur et prédateur que l’autre31. Ce à quoi Spengler rétorque que c’est bien plutôt le marxisme qui n’a pas su s’éloigner suffisamment des fondements économistes du capitalisme libéral, la preuve en étant que « le grand mouvement qui se sert de la phraséologie de Marx a fait dépendre, non les entrepreneurs de leurs ouvriers, mais les deux de la Bourse »32.

*

Une histoire complète de la réception de l’œuvre de Spengler reste encore à écrire. On est bien renseigné pour l’Allemagne, l’Italie, la France, l’Espagne, la Roumanie. Quelques essais ont aussi été publiés sur la Suède et l’Amérique latine33. Dans le domaine anglo-saxon, c’est plutôt jusqu’à présent la non-réception qui a prévalu34, mais on sait néanmoins que Spengler a exercé une influence considérable sur des historiens comme Arnold J. Toynbee – surnommé lui-même parfois le Spengler de la seconde Guerre mondiale – ou des sociologues comme Pitirim Sorokin35. Henry Kissinger, quant à lui, s’est maintes fois déclaré fasciné par les thèses de Spengler, qui furent aussi le sujet de sa thèse de doctorat36.

Outre-Atlantique, l’intérêt pour Spengler a été relancé à date plus récente par le débat sur le « choc des civilisations » ouvert par Samuel Huntington dans son célèbre article paru en 1993 dans la revue Foreign Affairs, auquel a fait suite trois ans plus tard un livre à succès. Les deux auteurs ont alors été fréquement comparés37. Cette comparaison a toutefois très vite atteint ses limites. S’il est exact que Huntington cherche, sous le triple patronage d’Arnold Toynbee, d’Oswald Spengler et de Fernand Braudel, à opposer l’idée de pluralité du monde à celle de civilisation universelle, ce qui l’amène à distinguer neuf grands foyers de « civilisation », l’auteur américain n’assimile nullement pas les cultures à des organismes et ne croit pas un instant qu’elles soient nécessairement vouées au déclin et à la mort. En outre, comme la plupart des Anglo-Saxons, il ignore largement l’opposition que fait Spengler entre culture et civilisation, même s’il utilise l’expression de « cercles culturels »38.

En France, Oswald Spengler est loin d’être un inconnu. Parue originellement en 1931–33, la traduction française du Déclin de l’Occident, due à Mohand Tazerout39, a été rééditée régulièrement chez Gallimard, d’abord en 1943, puis à partir de 1948. Marcel Brion, entre autres, en a fait dans Le Monde (11 octobre 1949) un élogieux compte rendu. Lui ont fait suite, au fil des décennies, des traductions des Années décisives (1934), L’homme et la technique (1958), Ecrits historiques et philosophiques – Pensées (1979), Prussianité et socialisme (1986). La plupart des textes politiques (Politische Pflichten der deutschen Jugend, 1924, Neubau des Deutschen Reiches, 1924, Die Wirtschaft, 1924, Der Staat, 1924, Politische Schriften, 1932, etc.) restent en revanche toujours inaccessibles au public français non germanophone, de même que les écrits posthumes (Urfragen, 1965, Frühzeit der Weltgeschichte, 1966), la correspondance (Briefe, 1913–1936) et, bien entendu, les inédits. Quant aux rares livres consacrés en langue française à Spengler, publiés par des éditeurs marginaux ou peu connus, ils n’ont pratiquement jamais touché le grand public40.

Les historiens français se sont montrés en général très réservés vis-à-vis de Spengler, même s’il leur est arrivé de le lire attentivement et de le commenter41. L’une des raisons de cette hostilité larvée est sans doute le caractère profondément germanique des catégories spenglériennes, qui heurtent de plein fouet quelques unes des certitudes de la tradition « libérale » française. Il y a pourtant eu quelques exceptions. La fécondité de la pensée de Spengler pour l’analyse des cultures arabes a été reconnue par Hichem Djaït42. Des auteurs comme Julien Freund ou Gilbert Durand ont repris à leur compte certains éléments de sa politologie. Et dans son Plaidoyer pour une Europe décadente, Raymond Aron n’a pas manqué d’évoquer, à propos de Spengler et de Pareto, la persistance de cette pensée à laquelle lui-même ne souscrivait pas : « En marge de l’idéologie dominante, celle du progrès, une autre philosophie de l’histoire survit dans l’ombre, chargée d’opprobre, parfois maudite, celle qui dénonce les idoles modernes, annonciatrices de la décadence… »43.

Mais l’influence de Spengler s’est aussi exercé de façon indirecte et plus subtile. On en perçoit l’écho, semble-t-il, dans la théorie des « champs épistémiques » d’un Michel Foucault, voire dans le structuralisme d’un Lévi-Strauss, ou encore dans la théorie des « sphères » d’un Peter Sloterdijk. Dans un article paru en 1983, Jacques Bouveresse évoquait cette influence à propos de l’idéologie structuraliste et post-structuraliste (Michel Foucault, Paul Veyne, Gilles Deleuze) et en retirait la conclusion – très déplaisante à ses yeux – d’une forte actualité de la pensée de l’auteur du Déclin de l’Occident44.

Parmi tous les reproches que l’on a adressés à Spengler, ceux qui visent son « pessimisme » sont probablement les moins bien fondés : l’important n’est pas en effet de savoir si sa philosophie de l’histoire est « désespérante », ce qui ne peut relever que d’un jugement subjectif, mais si elle est correspond à la réalité. D’autres reproches, comme ceux qui concernent son étatisme rigide, l’importance excessive qu’il attribue aux grands hommes, son usage abusif de l’analogie, le façon dont il sous-estime la plasticité de la nature humaine, ou dont il légitime l’« arraisonnement » du monde (« der Mensch ist ein Raubtier », écrit-il dans les Années décisives, ce qui n’est pas sans évoquer la « blonde Bestie » dont parlait Nietzsche), méritent sans doute un examen plus approfondi

A côté de cela, les apports de Spengler sont considérables. Son intuition fondamentale de la discontinuité du temps historique et de l’irréductibilité des cultures humaines, s’est révélée d’une grande fécondité, qui semble justifier l’opinion de Tazerout, selon laquelle ce « postulat de non-continuité » constitue la « seule hypothèse viable pour une connaissance scientifique des phénomènes de l’histoire ». Le grand mérite de Spengler est en effet d’avoir radicalement contesté le mythe d’une histoire linéaire unique, le mythe d’une « histoire au singulier » qui se déroulerait, selon un processus gouverné par l’idée de « progrès », vers une fin nécessaire, en fonction d’un sens (dans la double acception de ce terme) globalement irréversible. Spengler montre le caractère objectivement absurde des notions de « progrès de l’humanité », de passé radicalement « périmé » et définitivement coupé du présent, de futur nécessairement « radieux ». Il remet en cause, du même coup, la conception biblique du temps historique. Par suite, dans la mesure où il récuse l’historiographie classique qui réduit l’histoire occidentale au schéma Antiquité-Moyen Age-temps modernes, il pose les bases d’une analyse historique ouverte, impliquant, avec la fin de l’universalisme historique, la fin de l’ethnocentrisme. Il n’est plus question désormais de juger toutes les cultures selon les critères de l’Occident. Rompant avec la pensée « ptolémaïque », Spengler réhabilite les cultures asiatiques et orientales. Il célèbre la civilisation arabe, constamment calomniée par une Eglise en mal de reconquista. Il souligne l’importance et la grandeur des cultures de l’Amérique précolombienne éradiquées par le catholicisme hispanique. Mettant par ailleurs avec bonheur l’accent sur l’« âme des peuples », sur la permanence des tempéraments nationaux, mais aussi sur leurs pseudomorphoses, insistant sur le style qui « met en forme les peuples, les nations et les cultures », sur l’aspect synchronique de l’histoire plus encore que sur son apsect diachronique, il apparaît comme un précurseur de l’étude moderne des structures et des mentalités.

Théoricien du mouvement national allemand et représentant exemplaire de la Révolution Conservatrice, Spengler, ainsi que l’avait remarqué Adorno, a aussi été l’un des premiers à formuler des inquiétudes qui resurgissent aujourd’hui de toutes parts. Sa critique de la « civilisation » comme phase terminale de la culture, qui rejoint l’opposition faite par Ferdinand Tönnies entre société et communauté, son analyse de la « ville mondiale », ses diatribes contre l’« esprit mercantile » (Krämergeist) et le capitalisme, sa dénonciation du « feuilletonisme » – la sous-culture journalistique – et de la dictature des médias, témoignent de son opposition résolue à une société caractérisée par la consommation et le spectacle, l’hypertrophie urbaine, le quantitativisme, la croissance sauvage, la prédominance des valeurs marchandes, et par une rationalité sans âme qui, devenant à elle-même sa propre fin, s’institue progressivement en raison universelle. L’avenir de l’Occident, dit Spengler, c’est la pensée organisatrice dévorant la réalité organique, l’obsession du rendement épuisant le monde, la dégradation de la volonté de dépassement de soi en productivisme effréné, l’extension du nivellement égalitaire et de la dictature de l’argent, le triomphe de l’utilitarisme et de l’égoïsme individuel, enfin l’asservissement de l’opinion et l’aliénation des consciences par la diffusion de standards de référence tirant toujours plus les esprits vers le plus spectaculaire, le plus superficiel et le plus bas. Le déclin de l’Occident, de ce point de vue, n’est qu’un autre nom de la décadence – c’est-à-dire de ce moment où, comme il est dit dans L’homme et la technique, « toutes les choses vivantes agonisent dans l’étau de l’organisation », tandis qu’« un monde artificiel pénètre le monde naturel et l’empoisonne », et que la civilisation elle-même devient une « machine faisant ou essayant de tout faire mécaniquement ».

Au cours de son existence, Spengler a été le témoin de trois révolutions : la révolution bolchevique russe de 1917, la révolution socialiste allemande de 1918–20 et la révolution nationale-socialiste de 1933. L’analyse qu’il fait en 1933 dans les Années décisives se ressent de cette expérience. Dans ce livre, Spengler s’efforce d’élucider le sens et la portée de deux nouvelles révolutions dont il pressent les développements futurs : la « révolution mondiale blanche » (weiße Weltrevolution) et la « révolution mondiale des peuples de couleur » (farbige Weltrevolution). La première consiste dans le soulèvement des masses urbanisées contre les élites dirigeantes. Elle aboutit, selon lui, à l’effondrement de toutes les structures organiques, de toutes les formes anciennes d’autorité, au profit, non de formes nouvelles, mais d’une désagrégation généralisée du corps social. La seconde, évoquée dès 1924 dans le discours prononcé devant les étudiants de Würzburg, consiste dans la remise en cause par les peuples de couleur de l’hégémonie occidentale. Ces deux révolutions sont destinées dans l’avenir à n’en faire qu’une, car, affirme Spengler, le prolétariat déraciné des pays occidentaux pourrait bien faire alliance avec les masses politiques du Tiers-monde.

Face à ce double mouvement qui s’annonce à l’échelle mondiale, l’opinion de Spengler est que le national-socialisme est incapable d’y faire face, et qu’il est, de surcroît, inconscient de son enjeu. Cette inconscience vient du fait qu’il n’a pas, vis-à-vis du devenir historique, ce « tact physiognomique » qui permet de savoir à quel stade se trouve la culture occidentale, et du fait, également, que face à une révolution mondiale, il continue de raisonner de façon insulaire. En fait, pour la culture occidentale, le temps des renaissances est terminé. Le temps n’est pas non plus aux « améliorateurs du monde » (Weltbesserer), aux démagogues plébéiens, mais aux Césars froids, impersonnels, « prussiens ». Le temps est au « réalisme héroïque », à la défense désespérée des postes conquis.

Cette analyse est évidemment assez ambiguë. Spengler a certes le mérite de prévoir une évolution des rapports mondiaux qui, de son temps, étaient loin d’être évidents. Il constate que les puissances montantes – Etats-Unis, Japon, Russie, Tiers-monde – ne sont pas des puissances européennes, et il est conscient des conséquences qui vont en résulter. Les peuples blancs, dit-il, « négocient aujourd’hui alors qu’ils commandaient hier, et [ils] devront flatter demain pour pouvoir négocier ». Dans les Etats-Unis, il voit un dinosaure politique – corps énorme, cerveau minuscule –, à la classe dirigeante « spirituellement primitive » (geistig primitive) et dont l’histoire représente une tragique déviation de l’esprit faustien vers les valeurs quantitatives, utilitaristes et marchandes : « La volonté de puissance faustienne est là, mais un mouvement mécanique et sans âme s’est substitué au développement organique et vivant ». Convaincu, comme Danilevski, de l’antinomie radicale existant entre l’âme occidentale et l’âme slave, il prédit par ailleurs à la Russie un grand avenir « religieux » : l’empire russe, s’il parvient à surmonter la « pseudomorphose pétrinienne », peut à ses yeux être l’amorce d’un cycle culturel à venir. A partir des affinités profondes qui peuvent, par-delà de ce qui les sépare, réunir la Russie et les Etats-Unis, il voit aussi se dessiner des coalitions – ce qu’on appellerait aujourd’hui la politique des blocs – qui constituent le pire danger qui puisse guetter l’Allemagne et l’Europe. Il prévoit enfin le vieillissement des populations européennes et rappelle volontiers que la natalité est aussi un facteur politique.

D’un autre côté, ses vues concernant la « révolution mondiale des peuples de couleur », sans tomber au niveau d’un Madison Grant ou d’un Lothrop Stoddard, restent quand même assez sommaires. Spengler prévoit déjà la décolonisation, mais il n’y a pas pas chez lui la sympathie politique pour les mouvements anticolonialistes que l’on trouve chez un Ernst Niekisch, un Gregor Strasser ou un Ernst Reventlow, mais aussi, parmi les Jungkonservative, chez un Karl Hoffmann, directeur des archives du Politische Kolleg45. On peut aussi lui reprocher de voir dans le Tiers-monde une entité homogène, qui s’opposerait globalement à un « Occident » tout aussi unitaire. Cette erreur, il est vrai, n’a cessé d’être commise jusqu’à nos jours par des auteurs de toutes opinions. L’alliance que décrit Spengler comme probable, sinon comme inéluctable, entre le prolétariat occidental et le Tiers-monde ne laisse pas moins songeur – même si, à l’époque des luttes anticoloniales, une telle perspective a pu se cristalliser ici ou là. On constate également que Spengler laisse entièrement de côté la problématique des rapports entre la Chine et la Russie. Concernant l’évolution des sociétés occidentales, il n’a pas prévu la montée du réformisme ni l’affaiblissement « consensuel » de la lutte des classes. Il se trompe aussi lorsqu’il annonce la prochaine désintégration du système parlementaire et partitocratique partout dans le monde : l’époque qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale n’a pas été caractérisée par le déclin des partis et la montée des « Césars », bien au contraire. Il y a encore une certaine contradiction entre sa critique très vive de la « dictature » des médias et le fait qu’il semble tenir pour possible l’existence d’un pouvoir qui n’aurait pas besoin d’y recourir.

Constamment décrit comme un « prophète du déclin », Oswald Spengler mérite en réalité d’être lu aujourd’hui avant tout comme l’auteur d’une philosophie de l’histoire profondément originale, qui ne permet peut-être pas de prévoir automatiquement l’avenir (comment cela serait-il possible ?) mais qui, en aidant à mieux comprendre le passé, éclaire aussi notre présent.

Alain de Benoist (Nouvelle École n°59, mars 2011)

 

Notes et références

  1. André Fauconnet, Un philosophe allemand contemporain : Oswald Spengler, le prophète du « Déclin de l’Occident », Félix Alcan, 1925, p. V.
  2. Spengler avait commencé à travailler sur son livre dès 1911. Au moment de rédiger la préface du premier volume, en 1917, il se refusait encore à croire à la défaite de l’Allemagne.
  3. Otto Seeck, Geschichte der Untergang der antiken Welt, Siemenroth u. Worms, Berlin 1895.
  4. Cf. Heinrich Rickert, Das Philosophie des Lebens. Darstellung und Kritik der philosophischen Modeströmungen unserer Zeit, Mohr, Tübingen 1920 ; Otto Neurath, Anti-Spengler, Callway, München 1921.
  5. Cf. Oswald Spengler, Briefe 1913–1936, C.H. Beck, München 1963, pp. 109 et 114. Le déclin de l’Occident est probablement le dernier livre que Simmel ait eu le temps de lire avant de mourir. Spengler semble avoir lui-même subi l’influence, peu remarquée, de Simmel. Cf. Galin Tihanov, « Europäische Identität – Simmel, Spengler, Freyer », in Sezession, Albersroda, octobre 2004, pp. 42–45 ; « Ideas of Europe in Twentieth-Century Germany : from Simmel to Spengler and Hans Freyer », in Jerónimo Molina (éd.), « Liber Amicorum » ofrecido a Günter Maschke, n° spécial de la revue Empresas políticas, Murcia, 10–11, 2008, pp. 135–151. Cette influence a cependant parfois été niée (cf. Manfred Schröter, Metaphysik des Untergangs, Leibniz, München 1949, p. 87).
  6. Cf. Anton Mirko Kotanek, Oswald Spengler in seiner Zeit, C.H. Beck, München 1968, pp. 72 et 349 ; Eduard Meyer, « Spenglers Untergang des Abendlandes », in Deutsche Literaturzeitung, 1924, pp. 1759–1780 (texte d’une conférence prononcée au congrès des historiens allemands de 1924). Spengler fit la connaissance d’Eduard Meyer en 1923. Lors de sa mort, en 1930, il dira qu’il fut peut-être le seul au monde à l’avoir vraiment compris.
  7. La notion heideggerienne de Ge-Stell semble avoir subi l’empreinte des catégories de pensée spenglériennes. Cf. Ad Verbugge, « Heimkehr des Abendlandes. Nietzsche und die Geschichte des Nihilimus im Denken von Spengler und Heidegger », in Alfred Denker, Marion Heinz, John Sallis et al. (Hg.), Heidegger und Nietzsche, Karl Alber, Freiburg/M. 2005, pp. 222–238. Sur la question de la technique, en revanche, les deux auteurs divergent complètement. Pour Heidegger, la technique n’est que de la métaphysique réalisée (la domination et l’arraisonnement de la totalité des étants par la subjectivité humaine), tandis que Spengler, dans L’homme et la technique (1931), en fait un outil qui, mis au service de l’âme faustienne, permettrait de renouer avec un certain optimisme de la puissance.
  8. Le déclin de l’Occident, vol. 1, Gallimard, Paris 1948, p. 33.
  9. Lucian Blaga, « Oswald Spengler et la philosophie de l’histoire », in L’être historique, Librairie du Savoir, Paris 1991, p. 183.
  10. Pour Blaga, qui développe lui aussi une théorie des champs stylistiques, le symbole de la culture roumaine est l’« espace spirituel ondulé ».
  11. Paul Valéry, Œuvres, vol. 1, Gallimard-Pléiade, Paris 1957, p. 988.
  12. Le déclin de l’Occident, op. cit., vol. 1, p. 33.
  13. Ibid., vol. 1, p. 114.
  14. Cf. Carl E. Schorske, « La ville dans la pensée européenne : de Voltaire à Spengler », in Politiques, 3, été 1992, pp. 157–186.
  15. Ludwig Klages, cependant, récuse aussi la politique et l’histoire en tant que produits de l’esprit, alors que Spengler les réhabilite hautement en les associant à la volonté de puissance.
  16. Le déclin de l’Occident, op. cit., vol. 2, p. 171.
  17. Ibid., vol. 2, p. 314.
  18. Cf. John Farrenkopf, « Nietzsche, Spengler, and the Politics of Cultural Despair », in Interpretation, 1992, 2, pp. 165–174 ; Frits Boterman, « Zur Frage der deutschen Kultur. Oswald Spengler und Friedrich Nietzsche », in Hans Ester et Meindert Evers (Hg.), Zur Wirkung Nietzsches, Königshausen u. Neumann, Würzburg 2001, pp. 125–137.
  19. C’est sur ce goût de l’analogie qu’ironisera Robert Musil en disant que sa façon de faire « évoque le zoologiste qui classerait parmi les quadrupède les chiens, les tables, les chaises et les équations du 4e degré » (« Esprit et expérience. Remarques pour des lecteurs réchappés du déclin de l’Occident », in Essais, Seuil, Paris 1984, p. 100). Cf. aussi Hans Meyer, Die Funktion der Analogie im Werk Oswald Spenglers, l’auteur, Freiburg 1976.
  20. Cf. Peter Logghe, « Ondergang van het Avondland. Het decadentiebegrip bij Spengler en Evola », in TeKos, Wijnegem, 2e trim. 2004, pp. 3–12.
  21. Sur le pessimisme spenglérien, cf. Michael Pauen, Pessimismus. Geschichtsphilosophie, Metaphysik und Moderne von Nietzsche bis Spengler, Akademie, Berlin 1997, pp. 181–210.
  22. Oswald Spengler, Années décisives, Copernic, Paris 1980, p. 50.
  23. Intitulé « Pessimismus ? », ce texte a d’abord paru dans les Preußischer Jahrbücher (1921, pp. 73–84) dirigés par le jeune-conservateur Walter Schotte. Il a ensuite fait l’objet d’une édition séparée sous la forme d’une brochure (Pessimismus ?, Georg Stilke, Berlin, 1921), avant d’être repris dans les Reden und Aufsätze (C.H. Beck, München 1937, pp. 63–79).
  24. Années décisives, op. cit., p. 179.
  25. M.A. Romieu, L’ère des Césars, 2e éd., Ledoyen, Paris 1850.
  26. L’homme et la technique, Gallimard, Paris 1958.
  27. Hermann von Keyserling, Figures symboliques, Stock Delamain et Boutelleau, Paris 1928.
  28. Oswald Spengler, Preußentum und Sozialismus, C.H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung Oskar Beck, München 1920.
  29. Prussianité et socialisme, Actes Sud, Arles 1986, p. 52.
  30. Le thème de l’Angleterre conçue comme l’« autre de l’Allemagne » est alors développé par bien d’autres auteurs, à commencer par Werner Sombart (Händler und Helden, Duncker u. Humblot, München-Leipzig 1915) et Max Scheler.
  31. Cf. par exemple Theodor Schwarz, Irrationalisme et humanisme. Critique d’une idéologie impérialiste, L’Age d’Homme, Lausanne 1993, pp. 30–33.
  32. Le déclin de l’Occident, op. cit., vol. 2, p. 371. Pour Spengler, qui reproche à Marx de s’être borné à remplacer la guerre des races par la lutte des classes, le marxisme est « eine Abart des Manchestertums, Kapitalismus der Unterklasse, staatsfeindlich und englisch-materialistisch durch und durch » (Politische Schriften, C.H. Beck, München 1932, p. VII).
  33. Cf. Horacio Cagni et Vicente Gonzalo Massot, Spengler, pensador de la decadencia, Temas contemporaneos, Buenos Aires 1978 ; James Cavallie, Spengler i Sverige. Den svenska receptionen av Oswald Spenglers teser om världhistorien och västerlandets undergång, Hjalmarson & Högberg, Stockholm 2008.
  34. Cf. Thomas Kretzschmer, « Der blinde Spiegel – Spenglers unrezipierte Rezeption außerhalb Europas », in Sezession, Albersroda, mai 2005, pp. 40–45.
  35. D’Arnold Toynbee, cf. notamment « Wie ich zu Oswald Spengler kam », suivi de « Worin ich mich von Spengler unterscheide », in Hamburger akademische Rundschau, 1949, pp. 309–313 ; Le monde et l’Occident, Desclée de Brouwer, Paris 1953, préface de Jacques Madaule ; ainsi que sa préface au livre de Feliks Koneczny, On the Plurality of Civilizations [1935], London 1962. Cf. aussi Owen Lattimore, « Spengler and Toynbee », in The Atlantic Monthly, 1948, 4, pp. 104–105 ; Erich Rothacker, « Toynbee und Spengler », in Deutsche Vierteljahrsschrift für Literaturwissenschaft, 1950, 3, pp. 389–402 ; Helmut Werner, « Spengler und Toynbee », in Deutsche Vierteljahrsschrift für Literaturwissenschaft, 1955, 4, pp. 528–554 ; Georg Henrik von Wright, « Spengler och Toynbee » [1951], in Att förstå sin framtid, Bonniers, Stockholm 1994 ; Ulrich March, « Spengler und Toynbee », in Sezession, Albersroda, mai 2005, pp. 34–38. Sur Spengler et Sorokin, cf. Gert Müller, « Sorokin und Spengler. Die Kritik Pitirim Sorokins am Werke Oswald Spengler », in Zeitschrift für philosophische Forschung, XIX, I, 110–134.
  36. Henry A. Kissinger, The Meaning of History. Reflections on Spengler, Toynbee and Kant, thèse de doctorat, Harvard University, Cambridge 1951. Dans le monde anglo-saxon, Spengler a aussi suscité les commentaires des « déclinistes » (Paul M. Kennedy, The Rise and Fall of the Great Powers, Random House, New York 1987), aussi bien que ceux de Hans Morgenthau (« The Decline of the West », in Partisan Review, 1975) ou de Lord Harlech (David Ormsby-Gore, Must the West Decline ?, Columbia University Press, New York 1966). Cf. aussi Wyndham Lewis, « The “Chronological” Philosophy of Spengler », in Time and Western Man, éd. par Paul Edwards, Black Sparrow Press, Santa Rosa 1993, pp. 252–288 ; Neil Mcinnes, « The Great Doomsayer. Oswald Spengler Reconsidered », in The National Interest, été 1997, pp. 65–76.
  37. Cf. notamment Henning Ritter, « Amerikas Spengler ? », in Frankfurter Allgemeine Zeitung, Frankfurt/M., 18 avril 1997, p. 41 ; Michael Thöndl, « “Der Untergang des Abendlandes” als “Kampf der Kulturen”? Spengler und Huntington im Vergleich », in Politische Vierteljahresschrift, 1997, pp. 824–830.
  38. Il est à cet égard significatif que son livre, intitulé The Clash of Civilizations, ait été traduit en allemand, en 1996, sous le titre Der Kampf der Kulturen (Europaverlag, München).
  39. Traduction non exempte de quelque contre-sens, dont certains quasi surréalistes, comme celui qui conduit Tazerout à traduire par « acte » le mot allemand Akt, signifiant ici « nu », sur toute la longueur d’un chapitre.
  40. Paru en 1925, le livre d’André Fauconnet, op. cit., est depuis longtemps épuisé. Depuis cette date, il n’y a guère à citer que les travaux de Marie-Elisabeth Parent (Recherches sur les éléments d’une conception esthétique dans l’œuvre d’Oswald Spengler, Peter Lang, Frankfurt/M. 1981) et de Gilbert Merlio (Oswald Spengler, témoin de son temps, 2 vol., Hans-Dieter Heinz, Stuttgart 1982).
  41. Henri-Irénée Marrou, qui voit en Spengler un « maître d’erreurs sombres », qualifie ses idées d’« élucubrations délirantes » (De la connaissance historique, Seuil, Paris 1954, pp. 65 et 166). Lucien Febvre, lui, parle d’une pensée « opportuniste » (« De Spengler à Toynbee. Quelques philosophies opportunistes de l’histoire », in Revue de métaphysique et de morale, octobre 1936, pp. 573–602, texte repris in Combats pour l’histoire, Armand Colin, Paris 1953, pp. 119–143). Cf. aussi Fernand Braudel, « L’histoire des civilisations : le passé explique le présent », chap. 5 de l’Encyclopédie française, vol. 20, Larousse, Paris 1959 (repris in Ecrits sur l’histoire, Flammarion, Paris 1969, pp. 255–314).
  42. Hichem Djaït, L’Europe et l’Islam, Seuil, Paris 1978 (« Oswald Spengler », pp. 92–108).
  43. Raymond Aron, Plaidoyer pour une Europe décadente, Robert Laffont, Paris 1977.
  44. Jacques Bouveresse, « La vengeance de Spengler », in Le temps de la réflexion, Gallimard, Paris 1983, pp. 371–401. Cf. aussi Michel Amiot, « Le relativisme culturaliste de Michel Foucault », in Les Temps modernes, Paris, janvier 1967.
  45. Cf. son livre programmatique, Das Ende des kolonialpolitischen Zeitalters, Grunow, Leipzig 1917. Sur ce sujet, cf. aussi Martin Pabst, « Oswald Spengler und die “farbige Weltrevolution”. Abendländische Reaktionen auf die Emanzipation der Kolonialvölker », in Theo Homann et Gerhard Quast (Hg.), Jahrbuch zur Konservativen Revolution 1994, Anneliese Thomas, Köln 1994, pp. 273–300. On notera que, dans les Années décisives, Spengler classe les Russes parmi les « peuples de couleur », au même titre que les Arabes, les Indiens ou les Japonais. Enfin, c’est encore à Spengler que se réfère Arturo Labriola lorsqu’il écrit son livre, Le crépuscule de la civilisation : l’Occident et les peuples de couleur, G. Mignolet et Storz, Paris 1936.
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