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Quand la science se fait propagande...

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Gérard Lapacherie, cueilli sur le site du Cercle Aristote et consacré au discours de propagande diffusé par le nouveau Musée de l'Homme dans sa galerie consacrée à l'évolution humaine...

 

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Quand la science se fait propagande

« Les races n’existent pas ». C’est ce que, selon un journaliste du Point, démontrerait la Galerie de l’Homme, inaugurée en octobre 2015. Certes, mais les races ont existé, sinon dans la réalité, du moins dans la science, et la Galerie ne dit pas qui les a inventées ou dans quel but cela a été fait. Quoi qu’il en soit, si les races n’existent pas, la propagande en faveur de la non-existence des races, elle, existe, plus vivace que jamais, au point que l’on peut se demander si ce qui est montré est la non-existence des races ou leur banale existence, car la propagande a pour seule règle la dénégation, laquelle consiste à nier ce qui est avéré.

Il est révélateur que ce lieu ait été nommé galerie. Une galerie, dans un palais ou un édifice d’importance, est un « lieu de promenade à couvert » et un lieu d’apparat, de montre, d‘ostension et d’ostentation, comme la Galerie des Glaces à Versailles ou d’autres galeries à Florence ou à Fontainebleau ou, dans un ordre scientifique, la Galerie de l’Evolution du Muséum d’Histoire Naturelle, le Musée de l’Homme étant justement un musée de ce Muséum prestigieux. De fait, les visiteurs sont invités à déambuler devant des vitrines ou des panneaux placés sur toute la longueur de l’aile ouest du Palais de Chaillot et sur trois niveaux, chaque niveau correspondant à une des trois questions qui organisent l’exposition : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Une admirable scénographie transforme l’exposition de fossiles, de moulages, d’artefacts anciens, de documents ethnographiques en spectacle pour le plaisir des yeux et de l’intelligence. Certaines vitrines sont exceptionnelles : ainsi la faune du paléolithique avec des animaux empaillés grandeur nature (rennes, cheval de Prjevalski, loup, crâne et défense de mammouth laineux) ; les outils ; les armes de chasse, l’utilisation qui en était faite et les techniques de fabrication ; les rites funéraires ; les moulages en cire de centaines de têtes humaines montrant la diversité des traits du visage, de la couleur des cheveux, du teint de la peau ; l’art pariétal. Si l’exposition s’en était tenue là, elle aurait été parfaite. Mais ses concepteurs ont cru bon d’y ajouter des discours, visant à distinguer le bien du mal. La déambulation à laquelle les visiteurs sont conviés se transforme en audition d’un grand sermon ou en lecture d’une épopée de l’Homme (avec un H majuscule, évidemment) des origines à nos jours. Tout est bavard, prolixe, hâbleur : la Galerie ne se contente pas de montrer ou de mettre en scène, elle patauge dans le verbiage. On se croirait sur les trottoirs des grands boulevards les jours de soldes.

C’est que cette Galerie repose tout entière sur un impensé, qui est au cœur de la Science de l’Homme et de l’histoire des disciplines qui sont à l’origine du Musée de l’Homme : anthropologie et ethnographie. Dans le cadre de ces disciplines a été inventé le concept de race, signifiant « lignée » en français et n’ayant jamais eu de sens dangereux, et cela afin de rendre compte de l’infinie diversité des hommes. Les savants du XIXe siècle ont ouvert la boîte de Pandore du racisme, en classant les hommes, c’est-à-dire en les répartissant dans des « classes », en fonction de la forme de leur crâne, de la couleur de leurs cheveux, du teint de leur peau, de l’angle de leur sphénoïde. Tout classement est ambivalent. Il est typologie ou taxinomie, ce en quoi il est bénin, mais aussi mise en ordre dans une hiérarchie, des meilleurs ou moins bons. Classer n’est pas nécessairement criminel, mais a pu le devenir quand des peuples, armés ou non, se sont déplacés vers des territoires où, depuis la nuit des temps, s’étaient établis d’autres peuples (Australie, Nouvelle-Zélande, Arménie, Amérique, Yiddishland d‘Europe de l‘Est) qui ont été exterminés lentement ou brutalement, par exemple avec des moyens industriels. On comprend que les anthropologues, préhistoriens, ethnologues aient rompu avec les errements de leurs prédécesseurs. Ils auraient pu, pour montrer l’abîme qui les sépare des fondateurs de leurs disciplines, consacrer une ou deux vitrines à l’invention des races. Les discours qui scandent la déambulation couvrent ce passé sulfureux : surtout que personne ne le voie. Un même message est sans cesse répété : il y a une seule espèce ou « une seule humanité, une et indivisible », comme l’est la république ou, sous d’autres cieux, Allah. Le nom humanité, qui désigne une propriété, est employé dans un sens collectif. Par définition, l’humanité est une et indivisible. Ce n’est plus le vocabulaire de la science auquel recourent les concepteurs de la Galerie, mais celui de la politique ou de la religion : « Il y a deux millions d’années, les hommes sortent d’Afrique » (laquelle n’avait pas d’existence pour ces nomades). La métaphore de la sortie est tirée de l’Histoire Sainte : les hommes sortent d’Afrique, comme les Hébreux sont sortis d’Egypte.

L’unité affirmée dans les discours est sans cesse démentie par ce qui est montré et par ce qui est dit. L’humanité est composée d’êtres humains divers. Comment nommer cette diversité ? Tantôt, c’est « cultures », tantôt « langues », tantôt « sociétés », tantôt « groupes humains ». Dans un discours, il est dit « notre lignée » pour désigner l’espèce humaine. Or, « lignée » est le sens premier du nom race. Le discours associe des contraires. Les hommes sont, est-il écrit sur un panneau, « si différents et si semblables », à la fois dans le temps et dans l’espace. Comment concilier différence et ressemblance ? Il suffit de placer la conjonction de coordination et entre les deux termes antithétiques et le tour est joué, d’autant plus qu’un sujet tragique est soigneusement évité, même s’il est nommé : la disparition des hommes de Neandertal sur le territoire de l’actuelle Europe. Une espèce qui était parfaitement adaptée à son environnement a disparu en quelques dizaines de milliers d’années. Disparition ou extermination ? Le fait est que la disparition est concomitante de l’arrivée sur ce territoire d’une nouvelle espèce, celle des Sapiens Sapiens. Mais la question est éludée. Les concepteurs de la Galerie qui ont réponse à tout sur des hommes ayant vécu il y deux millions d’années sont étrangement silencieux sur des faits qui, à l’échelle des temps de la préhistoire, sont nos contemporains : qu’est-ce que 40.000 ans pour une espèce qui est vieille de 4 ou 5 ou 7 millions d’années ?

La propagande atteint son acmé dans la signification qui est donnée à la galerie et que résument les trois questions « Qui sommes-nous ? », « D’où venons-nous ? », « Où allons-nous ? », que l’on croyait réservées aux potaches s’initiant à la philosophie ou aux élucubrations d’un peintre tenté par une vague mystique occulte, d’autant plus que la réponse à la dernière des trois questions tient de la bouffonnerie. Si l’on en croit ce qui nous est montré, nous allons tous vers la COP21 en taxi brousse bariolé, un lourd véhicule qui doit consommer plus de 20 livres de carburant à l’heure. Que vient faire The 21st Conference of the Parties au Musée de l’Homme ? Ce n’est pas la science qui parle, c’est la propagande : elle ne parle pas, elle s’égosille, quitte à transformer un « musée laboratoire » en caisse de résonance d’un gouvernement aux abois. Cette comédie est d’autant plus sinistre que la réalité est édulcorée. Soit la mondialisation. Elle a commencé, est-il expliqué sur des panneaux, au XVIe siècle et elle s’accélère depuis un demi-siècle. Cette affirmation relève de la profession de foi. La mondialisation suppose une diversité de mondes, de cultures, de civilisations, de sociétés, d’êtres humains. La « mondialisation » actuelle est une globalisation. Le monde n’est plus qu’un bloc homogène en passe de s’uniformiser. Avec la « globalisation », il n’y a plus qu’un seul marché, un et indivisible : tout se vend et tout s’achète au millionième de seconde et où que l’on soit. La globalisation, et les règles financières, commerciales, économiques élaborées grâce au « consensus de Paris » (Delors, Trichet, Camdessus, Lamy, Hollande, Chavransky, etc.) abolissent l’espace et le temps et, en fin de compte, rendent caduc ce qui est montré dans la Galerie de l’Homme. De même, il est à peine fait allusion à la « démographie galopante », qui, elle aussi, menace de rendre caduque la notion même d’Homme. Le nom homme au singulier n’a plus guère de sens quand les hommes se multiplient à l’infini, partout dans le monde, détruisant le cadre de vie dans lequel ils ont évolué pendant quatre ou cinq millions d’années. La population de la France a doublé en deux siècles, celle du monde a été multipliée par plus de 7. Si elle n’avait que doublé, la planète compterait deux milliards d’êtres humains. Le gaspillage des ressources, les déchets, la pollution des océans, les animaux transformés en réserves de protéines, tout cela n’existerait pas, du moins pas à un tel degré de virulence. Où allons-nous, sinon vers l’extinction des espèces animales, la raréfaction des ressources, la destruction de l’environnement ? Le destin de Neandertal menace Sapiens. Or tout cela est caché par des mises en garde dérisoires contre les douches et les bains qui consomment trop d’eau.

Ce qui, plus encore que les discours, relève de l’idéologie, ce sont les formes. L’expression verbale se ramène à un enchaînement d’éléments de langage obligés, de formes sclérosées, des mêmes mots que l’on retrouve dans les devoirs d’élèves de classe de 3e ou les papiers bâclés de journalistes, de fautes de français (à propos de l’art pariétal, il est écrit en lettres lumineuses que des styles différents « se sont succédés » [au lieu de succédé] en 25000 ans). Ces indices sont éloquents. C’est l’idéologie (ou la propagande) qui parle. Le Musée de l’Homme est l’un des quatre ou cinq musées réunis dans l’immense Palais de Chaillot. Ce bâtiment, construit dans les années 1930, est classé. On en comprend les raisons : la rigueur des lignes, l’ampleur des masses et surtout la singularité de l’architecture. Il n’y a pas beaucoup d’édifices en France qui relèvent de ce style « moderne », et cela sur une colline qui domine Paris, ville qui, en 1937, était la capitale d’un empire colonial sur lequel le soleil ne se couchait jamais et d’une République qui se croyait universelle. En Italie ou en Russie, on qualifierait cette architecture de « mussolinienne », de « fasciste » ou de « communiste », La Galerie de l’Homme est à l’image de cette architecture : elle célèbre la parousie de l’Homme, son arrogance, sa supériorité sur le monde naturel qu’il a totalement « arraisonné », sa démesure. La Science de l’Homme n’est pas modeste ; le doute ne l’habite pas ; elle fait la propagande d’une idéologie, exactement comme à la fin du XIXe siècle cette même science a célébré la diversité des êtres humains en les répartissant en races.

Jean-Gérard Lapacherie (Cercle Aristote, 14 novembre 2015)

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