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Politiques d'intégration : 30 ans d'erreur de diagnostic ?...

Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Malika Sorel, cueilli sur Atlantico et consacré à la publication d'un rapport sur l'intégration qui propose des mesures particulièrement nocives, destinées à adapter notre pays aux populations immigrès...

Malika Sorel est l'auteur d'un essai intitulé Immigration, intégration : le langage de vérité (Mille et une nuits, 2011).

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Un peuple ne doit pas accommoder ses principes et ses valeurs au profit des immigrés

Atlantico : Dans un état des lieux commandé par Matignon, le conseiller d'Etat Thierry Tuot dénonce les politiques d’intégration menées par l’Etat depuis 30 ans. Quelles sont les raisons pour lesquelles l’intégration fonctionne mal aujourd’hui ?

Malika Sorel : Le rapport accuse en réalité l’État de n’avoir en quelque sorte rien fait pour l’intégration et d’avoir coupé les moyens à l’intégration. L’accusation est à mes yeux infondée car, bien au contraire, l’État n’a eu de cesse de consacrer des montants considérables à ce sujet qui est même devenu l’une des obsessions de la classe politique.

Peut-on ainsi dire que les 43 milliards injectés en dix ans dans la rénovation urbaine, ce n’est rien ? Peut-on considérer comme négligeables les près d’un milliard d’euros qui sont investis chaque année dans l’éducation prioritaire, chiffre qui avait été rendu public dans un rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale ? Peut-on balayer d’un revers de main tout ce qui a été injecté dans tous les programmes ZFU, ZUS, Halde, plan égalité des chances, ACSÉE, préfets à l’égalité des chances, cordées de la réussite, internats d’excellence, commissariat à la diversité, Plan espoir banlieues, Contrats d’Accueil et d’Intégration, et à présent les emplois dits « d’avenir » ? Sans compter le financement d’associations avec l’argent public, et le manque à gagner lorsque des acteurs publics cèdent des terrains pour 1 euro symbolique par le biais de baux emphytéotiques. Si l’on faisait la somme de tout l’argent public consacré à ce sujet, on en conclurait, au vu du faible retour sur investissement, qu’on le verse dans un puits sans fond. Dans mon dernier livre, j’avais évoqué l’image du châtiment du tonneau des Danaïdes.

Autant on aurait pu dire que l’État n’avait pas fait grand-chose pour venir en aide aux immigrés des précédents flux migratoires – d’origine intra-européenne –, autant on ne peut pas le dire pour les flux migratoires extra-européens. Mais il est un fait que l’État s’est complètement trompé dans son approche de l’immigration extra-européenne, car il a sans cesse sous-estimé le rôle considérable joué par la dimension culturelle dans la question de l’intégration. Il s’est fourvoyé en croyant que c’était la dimension socio-économique qui était importante, alors qu’elle est négligeable. Le rapport Tuot n’échappe pas à cet écueil. 

On ne peut pas dire que ce rapport propose une refondation des politiques d’intégration. Il ne fait que pousser à son paroxysme la logique qui est suivie depuis les années 80 et qui nous a conduits au bord du gouffre, comme le confirment les résultats de la récente enquête Ipsos pour le Cévipof « France 2013, les nouvelles fractures ».

Ce qui ressort du rapport, c’est que le concept même d’intégration est vidé de son sens. On finit par réduire l’intégration à une simple insertion dans la société. Et lorsqu’on évoque l’intégration, on renverse alors les rôles, à savoir qu’il revient au peuple d’accueil de s’intégrer aux derniers arrivés, cela en accommodant le contenu des principes et valeurs qui sont pourtant au cœur de son identité.

L’intégration fonctionne mal pour de multiples raisons : la nature des flux a changé ; les flux migratoires de ces trente dernières années sont en outre bien plus conséquents que ce que n’importe quelle société eût été capable d’ingérer ; l’école n’est plus guère en capacité de faire son travail de préparation des futurs citoyens – là aussi pour d’innombrables raisons - ; nous assistons à un repli identitaire qui s’accompagne d’un violent retour aux sources culturelles dans la plupart des sociétés sources de l’immigration, et ce repli trouve sa traduction jusque sur le sol des terres d’accueil. Il y a aussi le fait que l’on pense que tout le monde a vocation à s’intégrer, ce qui est impossible. Rappelons pour mémoire que sur la vague migratoire italienne de 1870 à 1940, seul un Italien sur trois s’est intégré.

AtlanticoQuels sont les tabous qui pèsent sur le débat ? On parle beaucoup de problèmes d’intégration, mais que doit-on vraiment mettre derrière ce terme ? Est-ce que cela a toujours un sens de parler d’intégration au bout de la deuxième et de la troisième génération ?

Il y a trop de tabous pour tous les citer ici. Ces tabous entravent toute réflexion politique sérieuse sur le sujet. Cela commence dès l’emploi du mot d’intégration lui-même. On réduit l’intégration dans la communauté nationale à une simple insertion au sein de la société. Or pour les Français, une personne est reconnue comme intégrée une fois qu’elle est identifiée comme partageant la même conception de principes tels que la liberté individuelle, l’égalité homme/femme, la fraternité, la laïcité. 

L’intégration se traduit par une myriade de signes dont, entre autres, le respect de l’individu dans sa liberté de pensée, de jugement et d’opinion ; un certain sens de l’humour et de l’autodérision. Dans son rapport, le conseiller d’État Thierry Tuot déplore que les Français puissent continuer de considérer comme étrangères des personnes d’ascendance étrangère auxquelles la nationalité française a été accordée. C’est un fait, en matière d’intégration, c’est le corps social, et non le politique au travers de l’administration, qui décide au final qui est intégré et qui ne l’est pas. Le peuple est souverain, il faudra s’y faire. 

Contrairement à ce qui avait cours pour l’immigration intra-européenne, il y a aujourd’hui un sens à parler d’intégration au bout de plusieurs générations, car la dégradation de l’intégration dans le temps est une réalité qui se mesure chaque jour. Elle se mesure au travers du refus d’utiliser la langue française au quotidien, y compris dans les cours de récréation. Elle se mesure au travers de la remise en cause de la neutralité religieuse dans les universités, dans les entreprises, dans les hôpitaux. Cette dégradation a d’ailleurs été consignée par un certain nombre de chercheurs, dont récemment Hugues Lagrange dans son ouvrage Le déni des cultures, où il écrit que nous assistons à « un réenracinement des troisièmes et quatrièmes générations de l’immigration dans la culture de leurs parents et de leurs pays d’origine. »

Il faut évoquer le tabou du taux de natalité qui conduit à feindre de croire qu’un enfant éduqué au sein d’une fratrie nombreuse, avec des parents qui ne détiennent ni le niveau d’instruction, ni la maîtrise des codes de la société française, pourra réussir à terme aussi bien qu’un enfant éduqué dans une fratrie de taille raisonnable et dont les parents détiennent suffisamment de clés, l’une des plus importantes étant au demeurant le souci de l’enfant et l’écoute de ses besoins pour un développent harmonieux au sein de notre société.

On évoque peu la question des personnes d’origine asiatique. Certes, elles réussissent vite et bien leur insertion au sein de notre société. Mais peut-on pour autant en déduire qu’elles s’intègrent en majorité dans la communauté nationale française ? Je pense que pour l’heure, nous ne pouvons pas le conclure. Il faudrait analyser les mariages qu’ils contractent, car comme l’a très justement écrit l’anthropologue Emmanuel Todd dans Le Destin des immigrés : « Le taux d’exogamie, proportion de mariages réalisés par les immigrés, leurs enfants ou leurs petits-enfants avec des membres de la société d’accueil, est l’indicateur anthropologique ultime d’assimilation ou de ségrégation, qui peut opposer sa vérité à celle des indicateurs politiques et idéologiques. »

AtlanticoLe rapport Tuot place d’abord le débat sur l’intégration sur le terrain social. A l’inverse, un récent rapport du Haut conseil à l'intégration – "Une culture ouverte dans une République indivisible", enterré par le Premier ministre – faisait état d'un séparatisme culturel et géographique croissant dans la société française. Au-delà de la question sociale, existe-t-il aussi des problèmes culturels ? A refuser de voir certaines réalités ne se condamnent-on pas à l'échec ?

J’ai en partie répondu à cette question dans la précédente. Comme je l’avais d’ailleurs écrit dès mon premier livre, la question sociale est la plus petite pièce du puzzle de l’intégration. Et tant qu’on persistera à ne considérer que la plus petite pièce, on se condamnera à l’échec. Nous le constatons dès à présent, les conséquences de ces erreurs d’analyse sont catastrophiques et dramatiques pour l’ensemble de la société.

Je ne sais pas si le Premier ministre a « enterré », pour reprendre votre expression, le rapport Une culture ouverte dans une République indivisible. Il se trouve que ce rapport date de novembre 2012 et que le décret de nomination du collège du HCI était lui daté du 4 septembre 2009 et que le collège était nommé pour trois ans. Je continue pour ma part à faire partie de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration. 

En ce qui concerne le séparatisme culturel et géographique, il se mesure désormais. Là où des populations immigrées, ou issues de l’immigration mais perçues comme non intégrées, s’installent ou sont déjà présentes en nombre, on observe des mouvements d’autres populations, dans lesquels on compte d’ailleurs également des familles d’origine étrangère qui souhaitent que leurs enfants puissent vivre dans un environnement culturel français. L’assouplissement de la carte scolaire qui avait été mise en place par le précédent gouvernement a d’ailleurs aidé à la fuite d’élèves d’un certain nombre d’établissements scolaires quand leurs parents en avaient les moyens.

Sur cette question du séparatisme, il serait d’ailleurs très intéressant de se pencher sur l’envers des chiffres publiés au sujet de Paris intra-muros. D’un côté, les études montrent que les couples qui souhaitent agrandir leur famille finissent par quitter la capitale pour cause de cherté des loyers et de la vie ; et de l’autre, le taux de natalité recommence à y croître. Peut-être faudrait-il, pour décrypter ces résultats, les analyser à l’aune du séparatisme culturel et géographique. Plusieurs arrondissements de Paris sont au demeurant déjà, pour certaines parties, assimilables à des formes de ghettos.

 

Malika Sorel, propos recueillis par Alexandre Devecchio, (Atlantico, 11 février 2013)


 

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