Les éditions de L'AEncre viennent de rééditer L'Archéofuturisme, un essai de Guillaume Faye paru initialement en 1998. Figure de la Nouvelle Droite dans les années 70-80, auteur d'essais importants, servis par un style étincellant, comme Le système à tuer les peuples (Copernic, 1981) ou L'Occident comme déclin (Le Labyrinthe, 1984), Guillaume Faye revenait avec cet essai au combat idéologique après dix années d'errance dans les milieux de la radio et du show-businness. Premier d'une nouvelle série d'écrits de combat, il est d'évidence le plus intéressant, le plus travaillé et le le plus percutant avec ses idées-force d'archéofuturisme, de constructivisme vitaliste et de convergence des catastrophes. Par la suite, l'auteur s'est enfermé dans un anti-islamisme rabique qui semble lui avoir fait perdre de vue l'ennemi principal et l'avoir amené à opérer des rapprochements surprenants.
Nous reproduisons ci-dessous la critique de L'Archéofuturisme qu'avait publiée la revue Eléments dans son numéro de juin 1999, sous la plume de Charles Champetier.
Sur l'archéofuturisme
Après treize années passées dans le milieu du show business et de la presse populaire, Guillaume Faye, ancien animateur de la Nouvelle Droite, revient au combat des idées en publiant un essai, L'archéofuturisme. A tout seigneur tout honneur: le livre s'ouvre sur une critique de la Nouvelle Droite, critique qui a pour principal mérite d'être formulée sur un ton amical et constructif. Que reproche sur le fond Guillaume Faye à la ND?
a) De s'être coupée du politique, alors qu'un gramscisme bien compris l'invitait à se faire l'école de pensée d'un parti (en l'occurrence, le FN);
b) de s'être soumise à la censure en renonçant à développer des thèses « provocatrices» et « radicales»;
c) de se réclamer de l'ethnopluralisme, du différentialisme et du communautarisme à l'heure où le clivage principal opposerait non plus l'Est et l'Ouest, mais le Nord et le Sud.
Nous sommes en désaccord sur ces trois points. La métapolitique, travail de défrichage du champ intellectuel et de cristallisation de clivages idéologiques dans la société, n'a jamais été un autre moyen de faire de la politique, mais autre chose que la politique: 1'« intellectuel de parti » produit des slogans vides et des idées creuses. Quant aux mouvements politiciens (la bande des six, sept, huit ou neuf), ils n'ont aujourd'hui d'autres perspectives que la vaine conquête d'un État réduit à la gestion (sociale-libérale, libérale-conservatrice voire nationale-conservatrice) de la mondialisation médiatique, technologique et financière. Le forme-parti est épuisée et la dissémination du politique appelle d'autres modes d'action - ce qu'une certaine gauche impliquée dans les « nouveaux mouvements sociaux» a compris depuis longtemps.
La « provocation» et la « radicalité », loin d'être les adversaires de la censure (dont Faye sous-estime par ailleurs la puissance) et plus généralement du système, en sont les meilleurs alliés: le raciste, l'eugéniste, l'antisémite, l'intégriste, le nazi ou le stalinien servent tour à tour de repoussoirs imaginaires à une modernité intellectuellement essoufflée, réduite à fantasmer sur ses errements et ses refoulements, prête à récupérer médiatiquement toutes les contestations dans la case « déviance» ou « folklore » de son spectacle permanent. Accessoirement, un discours est d'autant plus « radical» qu'il ne s'affiche pas comme tel, et vice-versa: une partie de l'extrême gauche antifasciste, par exemple, utilise aujourd'hui ce thème de la « radicalité » pour sublimer son ralliement à un système dont elle se veut le plus fidèle chien de garde.
La thèse du méga-affrontement Nord-Sud et l'analyse de l'immigration (en fait des immigrés) comme ennemi principal de l'Europe, thèse qui parcoure l'ensemble de l'essai, relèvent à mon sens de l'erreur de jugement (sur le plan analytique) et de la fausse conscience (sur le plan psychologique). Erreur de jugement car l'immigration actuelle n'est pas tant une colonisation que le dernier revers de la colonisation, c'est-à-dire l'ultime conséquence de l'occidentalisation du monde, de la réduction de l'homme à l'état de producteur-consommateur anonyme et de l'imposition d'un mode unique de développement fondé sur le mythe de la croissance perpétuelle. On ne résoudra certes pas les problèmes du tiers-monde en le faisant venir en Europe; mais on n'évitera pas qu'il y vienne en surfant sur le fantasme de la forteresse assiégée et en s'épargnant ainsi une critique des sources mêmes des déséquilibres planétaires. Fausse conscience car la focalisation des esprits sur 1'« immigration-invasion» évite de désigner le libéralisme comme ennemi principal de tous les enracinements (autochtones et immigrés), alimente l'imaginaire réactif et conspirationniste (« l'islamiste au sabre entre les dents» et la « cinquième colonne» comme béquilles de la pensée), décerne trop souvent un faux « brevet d'enracinement» à ceux qui tirent alibi du refus de la différence ethnique pour entériner l'indifférenciation de leur monde vécu. Définir l'immigré comme la « victime innocente de la société» (à gauche) ou comme le « virus pervers de la décadence » (à droite) sont deux lignes de fuite devant la réalité.
La solution communautarienne a bien sûr ses limites: mais parce qu'elle part du principe de défense de toutes les identités face à l'uniformisation marchande, parce qu'elle refuse la reproduction du Même indifférencié, elle me paraît toujours plus porteuse de rupture cr de sens que le double mirage de l'assimilation et de l'exclusion. Au-delà de cette critique de la ND, la thèse centrale de l'ouvrage concerne l'implosion de la modernité et les contours du monde qui lui succédera. Pour Faye, la modernité se voit menacée pour la première fois par des lignes convergentes de catastrophes: financière (éclatement de la bulle spéculative mondiale), économique (impossibilité de généraliser le niveau de vie occidental à la planète), écologique (confrontation de l'exploitation marchande aux limites de la biosphère), démographique (chute de la natalité, allongement de la durée de vie) ou encore ethnique (Nord vieillissant et opulent face à un Sud prolifique et pauvre). Ainsi appelée à s'écraser sur le mur du réel, la modernité sera supplantée par un système « archéofuturiste », où se conjugueront les réflexes archaïques et les fulgurances futuristes, les technologies libérées des préventions humanistes cr les systèmes sociaux traditionnels. Pour faire bref, et en s'inspirant de la nouvelle de science fiction qui clôt l'essai, une société à deux vitesses où se superposent une élite confisquant les avancées de la technoscience et des peuples revenus à un mode de vie néolithique - des hoplites transgéniques partant à la conquête de Mars et des paysans revenus au rythme des saisons et des jours.
La modernité est effectivement arrivée à saturation, et l'essai de Guillaume Faye a le mérite de rompre avec l'optimisme niais des mondialisateurs béats pour pointer quelques-unes des crises majeures qui la menacent. Son propos est surtout convaincant dans les domaines économiques et écologiques. Mais l'hypothèse archéofuturiste appelle quelques critiques. On peut douter du caractère convergent de ces catastrophes : Faye, qui vitupère fort justement la « croyance au miracle», verse à son tour dans la « croyance en l'apocalypse» et indexe l'avenir des peuples européens à un « grand soir » que l'histoire pourrait fort bien différer de quelques décennies, voire de quelques siècles. La convergence des catastrophes est un « mythe négatif» séduisant, mais dont il ne faut pas sous-estimer la portée incapacitante pour ses adeptes : si la fin du monde moderne est pour 2010-2020, pourquoi ne pas l'attendre en se crosant les bras et en se persuadant que l'on comptera parmi les élus ?
Si l'on ne partage donc pas la structure de la prophétie fayenne, soulignons pour conclure que nombre de ses micro-analyses, servies par un sens remarquable des formules-choc et animées d'une saine volonté polémique, stimulent souvent l'esprit et enflamment parfois l'imagination. En ce sens, l'essai parvient à son but : ouvrir des débats dans l'esprit du « et si? » plutôt que de les clore dans la logique du « il faut! ».
Charles Champetier (Eléments n°95, juin 1999)