Thibaut Isabel, contributeur régulier de la revue Krisis , qui a déjà publié un ouvrage consacré au cinéma, La fin de siècle du cinéma américain, et un recueil d'articles de philosophie politique, Le champ des possibles, sort aux éditions de La Méduse un nouvel ouvrage, Le paradoxe de la civilisation. Le livre peut être commandé sur le site personnel de l'auteur.
Par quels moyens un peuple parvient-il à se civiliser ? Comment survient l’inévitable déclin qui guette toutes les sociétés ? Qu’est-ce que la barbarie ? Toutes ces questions sont en fait indissociables du thème de la violence, car c’est en parvenant à réguler sereinement les tensions interindividuelles et intercommunautaires que les Etats peuvent instaurer une civilisation harmonieuse et épanouie.
Il existe pourtant différentes manières de réguler ces tensions, comme il existe différentes manières de concevoir l’homme ou de concevoir la civilisation. Dans l’Antiquité, l’homme était perçu comme partie prenante d’une nature au sein de laquelle il s’inscrivait organiquement : chacun d’entre nous avait pour tâche de raffiner son tempérament, au cours du processus civilisateur, mais nul ne devait pour autant chercher à refouler l’expression de ses penchants instinctuels, ni à nier la diversité des expressions de la nature dans son environnement. L’Un devait en dernière instance s’articuler avec le Multiple.
A l’époque moderne, en revanche, sous l’effet d’abord de l’universalisme paulinien, puis de l’idéalisme des Lumières, l’homme est apparu comme la négation même de la nature : pour nous civiliser, nous avons dès lors été sommés de nous arracher à nos racines et à nos instincts, de nous conformer à un modèle céleste ou idéal, et d’étendre aussi largement que possible cette logique expansionniste de l’unité.
A l’heure où les débats font rage sur l’identité culturelle des nations, sur la place respective des sphères publique et privée dans la société, voire sur la nécessité ou non d’une répression accrue des « déviances » et des « mauvaises mœurs », il est utile de revenir sur la genèse multimillénaire d’une idéologie qui, en opérant une césure entre le divin et le monde, ainsi qu’entre l’homme et la nature, aboutit désormais plus que jamais à survaloriser l’uniformisation des êtres et des choses, leur homogénéisation, leur arraisonnement à un principe exclusif d’assimilation.
Du point de vue des conceptions anciennes de la civilisation, les barbares et les primitifs ne sont peut-être pas ceux que l’on croit aujourd’hui. Et il se peut fort bien que les peuples apparemment les plus développés ne soient en définitive que les plus avancés sur le déclin. Se souvient-on qu’à Rome les dieux étrangers étaient intégrés au panthéon fédéral commun, en dépit il est vrai des querelles qui pouvaient parfois opposer les nombreuses composantes ethniques et religieuses de l’empire ? Au final, une bonne régulation des rivalités entre groupes communautaires parvient sans doute à s’opérer lorsque, au lieu de retourner la violence originelle contre la Différence et l’Altérité, les populations acceptent qu’une part de conflit amical les agite sans les diviser. Concilier l’Un et le Multiple, s’exposer à la Différence sans l’ostraciser ni dénier sa réalité – tel était bien encore une fois l’esprit fécond des auteurs traditionnels les plus authentiquement civilisés, qu’il s’agisse, en Orient, de Confucius et de Xunzi, ou, en Occident, d’Héraclite et d’Empédocle…
Principaux thèmes abordés dans l’ouvrage :
- La fondation de l’Etat et les débuts du processus de civilisation- La gestion de la violence individuelle, de la criminalité et de la délinquance par les gouvernements, des origines à nos jours
- L’évolution du rapport à la sexualité et aux clivages de genre à travers les âges
- Le problème de la propriété foncière dans ses liens avec l’essor ou le déclin de la citoyenneté
- Les grandes orientations respectives des religions anciennes et des religions modernes
- Etc.