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voyeurisme

  • L’homme contemporain en valet de chambre sycophante...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Robert Redeker, cueilli sur son journal en ligne, La Vanvole, et consacré à la médiocrité de notre époque, qui conjugue voyeurisme et délation... Philosophe, Robert Redeker est notamment l'auteur de Egobody (Fayard, 2010), Le soldat impossible (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Le progrès ? Point final. (Ovadia, 2015), L'école fantôme (Desclée de Brouwer, 2016) ou dernièrement L'éclipse de la mort (Desclée de Brouwer, 2017).

     

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    L’homme contemporain en valet de chambre sycophante

    Nous n’avons peut-être pas assez médité une phrase, pourtant célèbre, de La Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, ce grand livre publié en 1807.  Hegel, on s’en souvient, admirait Napoléon, dont il dit, lorsqu’il le vit traverser Iéna où il enseignait la philosophie, qu’il avait vu passer l’âme du monde sur son cheval.

    « Il n’y a pas de héros pour son valet de chambre ; mais non pas parce que le héros n’est pas un héros, mais parce que le valet de chambre est un valet de chambre, avec lequel le héros n’a pas affaire en tant que héros, mais en tant que mangeant, buvant, s’habillant, en général en tant qu’homme privé dans la singularité du besoin et de la représentation. » Bien entendu Hegel ne vise pas des métiers, mais des états d’esprit. Par « héros », il entend le grand homme. Par « valet de chambre », il entend l’immense majorité des hommes lorsqu’ils n’élèvent pas leur niveau de compréhension du monde, aussi bien sous l’aspect de la nature que sous celui de l’histoire. « Esprit » avons-nous dit ? Non, c’est « âme » qu’il faut dire, « esprit » renvoyant seulement à la simple psychologie. Grand homme et valet de chambre sont finalement des états et des étages de l’âme humaine. De toute âme humaine.

    Les êtres humains sont des valets de chambre lorsqu’ils ne voient dans les grands hommes et les grandes œuvres que la copie de ce qu’ils croient savoir d’eux-mêmes, ou de ce qu’ils croient être lorsqu’ils n’ont jamais entrepris de s’élever.  Surtout : lorsqu’ils sont tentés de trivialiser tout ce qui paraît les dépasser. Le valet de chambre, finalement, c’est l’homme qui regarde ce qui est au-dessus de lui par le trou de la serrure, et qui imagine que la réalité s’arrête à ce qu’il voit à la dérobée par ce truchement. Il constate avec plaisir que le grand homme est tout petit, qu’il a une existence biologique semblable à celle de tous les autres. Que la grande œuvre qui suscite l’admiration paraît naître de racines peu glorieuses. Le grand homme ne le dépasse pas. Cela le rassure. Ce matérialisme vulgaire est une des formes du nihilisme ; il se révèle mortel pour l’espèce humaine dans la mesure même où il est à la fois une exaltation de la médiocrité et une animalisation, une réduction de l’homme à l’animal. Il est également l’un des effets pervers de la passion de l’égalité, apparue à l’époque moderne, utilisée en cette occurrence comme une égalisation par le bas. Le valet de chambre en arrive involontairement à dévaloriser la vie humaine en rabattant ce qui la magnifie sur ses aspects les plus triviaux.

    Etage le plus bas de l’âme humaine, ce valet de chambre est l’homme contemporain quand il regarde une émission de téléréalité taillée sur le modèle de Loft story ou La Ferme Célébrités. Ces programmes sont fabriqués pour transformer chacun de nous en valets de chambre. Autrement dit : pour empêcher l’âme de déployer ses ailes. Pour l’empêcher d’avoir conscience d’elle-même. Mais il y a plus : les réseaux sociaux, tout particulièrement Facebook et Twitter, n’ont de cesse de se déchaîner contre toutes les personnes qui dépassent par leurs talents ou leurs opinions la moyenne. Trop souvent, ils ne cherchent qu’à rabaisser et à discréditer. On y rencontre une rage et une joie malsaines d’avilir. Roman Polanski, ce grand artiste, en fait les frais depuis des années. Par rapport à sa vie privée, les utilisateurs des réseaux sociaux se conduisent en voyeurs. Et voilà Polanski jugé et condamné par la foule innombrable et perverse des voyeurs digitaux ! La particularité des procès conduits par les valets de chambre sur Internet tient dans la permanence de l’accusation, un peu comme dans Le Procès de Kafka. On n’est pas jugé et condamné une fois, pour un forfait ponctuel, qui tourne la page, on l’est tout le temps, le forfait étant tenu pour continu. Avec la posture du valet de chambre, revanche de la médiocrité qui ne supporte pas ce qui la dépasse, ce n’est pas seulement le discrédit de telle ou telle personne, c’est le discrédit de la vie, de l’humain, qui se généralise. Remarquons que c’est aussi le discrédit de l’art : on condamne l’œuvre par ce qu’on a vu de l’artiste à travers le trou de la serrure. Les réseaux sociaux amplifient le voyeurisme de la téléréalité, ils le généralisent à toute la planète.

    Dans l’antiquité grecque, à Athènes, comme nous le rapporte Plutarque, sycophante était une fonction dans le système juridique. Son métier : délateur professionnel. La suite logique du voyeurisme est la dénonciation. La délation. Le lynchage numérique. Tout cela bien entendu, sans laisser aucun droit à la défense, de façon tout à fait partiale et arbitraire. Le jury est la foule anonyme des internautes, que l’on peut comparer au « gros animal » qui chez Platon désigne le peuple. Le gros animal est à la société ce que le ventre est à chaque homme. Les réseaux sociaux, qui, à la façon d’un « gros animal », sont un gigantesque dispositif d’espionnage et de dénonciation réciproques des êtres humains, transforment ainsi la société : société des valets de chambre, côté pile, société des sycophantes, côté face.

    En relisant cette phrase de Hegel sur le héros et le valet de chambre, l’on se rend compte qu’elle colle à notre époque : celle des réseaux sociaux.

    Robert Redeker (La Vanvole, 20 décembre 2019)

     

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  • Les touristes au service du mondialisme ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Michel Geoffroy, cueilli sur le site de Polémia et consacré aux touristes, agents actifs du mondialisme.

     

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    Les touristes, symboles du mondialisme

    C’est en général à l’été qu’ils arrivent. En avion, en train, en bateau, en auto ou encore à pied, chargés comme des baudets. Mais le printemps est aussi propice à leurs déplacements. Ils se répandent partout dans le monde comme des sauterelles. Il y en a des millions chaque année qui franchissent les frontières. On reconnaît facilement ces personnes déplacées à leurs tenues exotiques et bariolées et à leur idiome et leur comportement bizarres. Car partout où ils arrivent, les touristes se font remarquer.

    Les ploucs sont là

    Dans les temps anciens, quand on se rendait en voyage à l’étranger, on s’habillait bien pour honorer ses hôtes et pour donner une bonne image de son pays. On faisait aussi des efforts pour respecter la langue et les usages des pays où l’on se rendait.

    Les modernes touristes, eux, ont pris le parti inverse, à l’exception encore des Japonais. Au prétexte qu’ils sont en vacances à l’étranger, ils adoptent des tenues qu’ils n’oseraient pas porter chez eux. « Slips trop courts et shorts trop longs », comme chantait jadis Gilbert Bécaud, déplorant déjà l’invasion des vacanciers dans sa Provence natale. Depuis, les touristes ont imposé au monde la vêture « décontractée » des Américains. Et, au surplus, ils trouvent souvent que les indigènes « sont bien habillés » : ils ne voient pas que ce sont eux, en réalité, qui sont vêtus comme des ploucs, en arborant des tee-shirts publicitaires comme les hommes-sandwichs de l’ancien temps : sauf que ce sont eux qui payent pour faire la publicité des marques… Nuance.

    Ils visitent le Parthénon ou le Louvre en bermuda, ils exhibent des casquettes de base-ball sur la Grande Muraille de Chine, ils vont en tee-shirt au Kremlin. Et tous portent des sacs à dos comme s’ils allaient faire une course en montagne. Car ils sont « sportifs », n’est-ce pas ?

    Et, bien sûr, pas question de faire l’effort d’apprendre quelques mots de la langue du pays. Le « basic English » suffira. Pas gênés les touristes : n’ont-ils pas tous les droits puisqu’ils ont payé ? All included !

    Une espèce humaine particulière

    Autre signe distinctif : les touristes ont toujours une bouteille d’eau en plastique à portée de main. N’importe où. A croire que les touristes occidentaux sont une espèce humaine à part, toujours à la limite de mourir de soif. Lawrence, quand il était jeune, s’entraînait pourtant à ne pas boire pendant plusieurs jours, expérience qui lui fut précieuse plus tard dans la lointaine Arabie. Mais nos contemporains ne peuvent plus se passer d’avaler un liquide toutes les demi-heures. Il suffit de voir les packs d’eau minérale et de Coca-Cola jonchant les engins blindés de la coalition durant les guerres du Golfe ou de l’Irak, pour se rendre à l’évidence : l’Occidental, militaire ou touriste, est une espèce perpétuellement assoiffée. Evidemment pour le plus grand bonheur des marchands locaux de boissons et de la société Coca-Cola.

    Un monde de voyeurs

    Les touristes ont aussi ceci de particulier qu’ils « prennent » tout en photo, en particulier les indigènes, comme dans un zoo. Avant, la photographie ou le film était un art difficile : il fallait trouver la bonne pose, le bon éclairage et s’encombrer d’un matériel cher et pesant. Mais à l’âge du numérique et du portable tout est devenu plus simple. Alors on mitraille tout, au hasard et à tout instant, comme des pilotes de l’US Air Force. Le touriste occidental ne voit plus le monde qu’au travers de son viseur numérique. J’ai même croisé à Paris des touristes qui photographiaient avec leur portable tout en marchant, sans s’arrêter. Les touristes sont devenus des voyeurs, accros ridicules de l’audiovisuel. Et que font-ils de ces millions de photos banales qu’ils ont « prises » comme autant de trophées dérisoires ? Les regardent-ils le soir en famille à la veillée sur leur micro-ordinateur ? Vous rêvez ! Une fois, peut-être, puis tout disparaît dans le grand néant numérique. Ils ont l’habitude.

    Les glorieuses campagnes

    Et puis, écoutons ces touristes énumérer leurs voyages : ils ne disent pas qu’ils ont visité, ce qui serait encore une marque d’humilité de leur part. Non. Ils disent qu’ils ont « fait » tel ou tel pays, comme autant de glorieuses campagnes à mettre à leur actif. Mais que reste–t-il de ces incessantes pérégrinations ? De vagues souvenirs, où tout finit par se ressembler et se mélanger. Et quelques trucs « exotiques » achetés dans un magasin, rangés maintenant dans un tiroir ou mis à la cave. Il suffit d’ailleurs de regarder ce que l’on vend à Paris dans les magasins pour touristes pour s’imaginer la haute idée que ceux-ci se feront de notre pays, avec ces « souvenirs »-là. Mais c’est partout comme cela maintenant.

    En fait, les touristes modernes parcourent le monde en tout sens et en troupeaux, mais ils ne voient rien et n’apprennent rien.

    Le symbole du bougisme

    Le touriste est un symbole de la mondialisation, l’archétype de l’homme aux semelles de vent vanté par l’oligarchie occidentale. Le symbole d’un homme qui ne fait partout que passer, dans un monde devenu petit et réduit à l’état de spectacle (« folklorique », évidemment), le MP3 dans les oreilles et le Coca-Cola à la main.

    Car, bien sûr, un bon touriste doit consommer. C’est d’ailleurs à cette seule condition qu’on lui adressera des sourires dans les pays qu’il parcourt. Ici comme ailleurs, pas de place ni pour les pauvres ni pour le don. Car le tourisme n’est qu’une marchandise, qui doit procurer des bénéfices dans les pays de départ et les pays d’arrivée. Sans oublier les compagnies aériennes.

    On en vient même à considérer que le tourisme serait un signe de bonne santé économique. Les médias ne présentent-ils pas comme un symptôme de crise qu’un plus grand nombre de Français « vont devoir passer leurs vacances dans l’Hexagone » ? Quelle punition, en effet, de passer ses vacances dans son pays ! Car il faut bouger, n’est-ce pas, surtout vous, les jeunes ? Il vous faut « voir le monde », à défaut, bien sûr, d’avoir le droit de le changer…

    Car le tourisme repose sur un monde de liberté et de facilité factices ; il suffit de regarder la publicité des agences de voyage et des « tour operators » : de grandes plages noyées de soleil, des filles souriantes en maillot de bain, des autochtones gentils et des palaces avec piscine. Bienvenue au pays de Cocagne ! Mais avec votre carte de crédit.

    Une économie parasite

    Mais le tourisme véhicule en réalité une économie parasite : les rivages bétonnés pour construire des hôtels ou des « villages » de luxe, les cultures réduites au rang de folklore ou de produits à vendre, la multiplication des petits jobs saisonniers, les écarts de niveau de vie explosant à la figure des autochtones.

    Il ne faut donc pas s’étonner que le tourisme mondial, même s’il se prétend « vert » ou « équitable » dans les agences de voyage, ne contribue pas à renforcer l’amitié entre les peuples. Il contribue plutôt à susciter l’envie et l’hostilité, ce que ne comprennent pas les croyants dans la religion du « doux commerce ».

    Alors, par pitié, si vous allez à l’étranger, ne vous comportez pas en touristes !

    Michel Geoffroy (Polémia, 7 juillet 2011) 

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