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  • Le bel avenir de la géopolitique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Zajec au site Comprendre Les Enjeux Stratégiques et consacré à la géopolitique. Saint-Cyrien, agrégé et docteur en Histoire des relations internationales, Olivier Zajec est maître de conférence à l'université Lyon III, où il dirige l’Institut d’études de stratégie et de défense, et enseigne également la géopolitique à l’École de Guerre. Il a notamment publié  Nicholas John Spykman - L'invention de la géopolitique américaine (Presses universitaires de la Sorbonne, 2016) et  Introduction à l'analyse géopolitique (Rocher, 2016).

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    Le bel avenir de la géopolitique

    Comment en êtes-vous venu à la géopolitique, puis avez-vous choisi d’orienter votre enseignement vers cette discipline ?

    Je suis venu à la géopolitique par l’histoire (maîtrise puis agrégation), avant de choisir la science politique comme enseignant-chercheur, à l’issue de ma thèse.

    Plus j’enseigne la géopolitique et les Relations internationales, que ce soit à mes étudiants de master à Lyon 3, ou aux officiers dans les écoles de guerre, en France comme à l’étranger, et plus le socle historique m’apparaît comme indispensable.

    En règle générale, les géopoliticiens qui ne se préoccupent que d’économie ou de science politique – pour ne rien dire de ceux qui ont un agenda purement idéologique – ont tendance à privilégier les dynamiques par rapport aux inerties, même inconsciemment.

    La géopolitique est l’art de pondérer ces deux forces, en tenant compte des conditionnements culturels et spatiaux.

    L’histoire, qui donne l’intuition de la longue durée, de ce qui est « lent à couler, à se transformer », comme l’écrivait Braudel, est donc l’une des ancres référentielles majeures de la géopolitique.

    Il n’y a pas d’analyse socio-spatiale utile sans prise en compte de la longue durée.

    Pour comprendre notre monde, où s’entremêlent sans cesse passé et présent, mémoires et espoirs, coopération et compétition, peut-être vaut-il mieux lire René Grousset que Robert Kaplan.

    Vous avez consacré votre thèse à Nicholas Spykman. Sa pensée ou à tout le moins sa méthode d’analyse sont-elles toujours utiles aujourd’hui ?

    Spykman est un personnage assez fascinant. De nombreux auteurs de géographie politique le classent parmi les géopoliticiens « matérialistes », uniquement préoccupés de quantification des facteurs de force, en particulier militaires, et obnubilés par les déterminismes liés à la localisation des acteurs étatiques.

    Tous les manuels répètent ce topos. C’est malheureusement une perspective complètement faussée, qui montre à quel point l’historiographie des concepts et théories géopolitiques est parfois mal connue en France, malgré les travaux récents de Martin Motte, de Pascal Vénier, de Florian Louis, de Philippe Boulanger et d’autres auteurs.

    L’originalité de Spykman réside en premier lieu dans sa formation sociologique, laquelle prend racine dans la thèse de doctorat qu’il consacre à la sociologie de Georg Simmel en 1923, et qui fut lue avec profit dans l’entre-deux guerres par de nombreux sociologues, philosophes et spécialistes de relations internationales, parmi lesquels le jeune Aron, comme je l’ai montré dans une biographie publiée en 2016.

    Cette culture sociologique, fondée sur une intégration fonctionnelle des interactions, des distances et du conflit, contribue à faire de Spykman un cas singulier chez les politistes et les « géopoliticiens » de l’entre-deux guerres : « Je suis, répétera-t-il souvent, un théoricien social, l’un de ceux qui adaptent un peu de leur théorie sociale dans le domaine des relations internationales… »

    Spykman, en raison de son éducation au regard sociologique, sera de fait l’un des rares pionniers des Relations internationales à penser le mot relations au même titre que le mot international.

    C’est extrêmement moderne, presque constructiviste, et cela se passe à la fin des années 1920 !

    La géopolitique de ce globe-trotter polyglotte est en réalité une géo-sociologie, une modélisation socio-spatiale qui fait la différence entre l’aspect quantitatif de la force, et l’aspect qualitatif de la puissance.

    Son concept de « rimland », par exemple, privilégie l’équilibre à l’opposition. Contrairement à ce que répètent les manuels à ce propos, c’est Mackinder, beaucoup plus que Spykman, qui inspire le containment de la Guerre froide.

    Spykman est mort prématurément en 1943. En quoi est-il utile dans le monde multipolaire qui est déjà le nôtre ?

    D’abord, par sa méthode. Pour lui, la géostructure demeure bien la plus permanente des réalités de la politique internationale.

    Mais il est également le premier, des décennies avant la Critical Geopolitics, à faire reposer sa théorie des Relations internationales sur un socle « social ». C’est d’une géopolitique interstitielle et contextualisée de ce type dont nous avons aujourd’hui besoin, me semble-t-il. La géopolitique n’est pas une « science » déterministe.

    C’est une méthode d’approche des conditionnements de la scène internationale.

    Elle nous suggère des modèles, plutôt que de nous imposer des lois. C’est cette approche dont Spykman a été le pionnier négligé.

    Redécouvrir la géopolitique à travers son regard est extrêmement enrichissant.

    Par quels autres auteurs, anciens ou actuels, avez-vous été marqué ?

    Bien entendu, en matière de géopolitique, il faut connaître et redécouvrir les « classiques » : Ratzel, Mackinder, Mahan, Haushofer, pour s’apercevoir tout à la fois de la richesse de leur pensée (les Allemands, Ratzel surtout, ont été caricaturés) mais également… de leurs limites. Mahan n’est pas très profond, il a beaucoup emprunté.

    Mackinder a un regard qui embrasse les continents et brasse les époques, mais son anglo-centrisme outré lui fait exagérer la dichotomie terre-mer d’une manière excessive.

    Les auteurs les plus intéressants, anciens ou nouveaux, sont pour moi ceux qui se situent généralement aux marges de la géopolitique.

    Par exemple le sociologue Robert Park et son concept de Human Ecology, l’approche d’économie géographique de l’économiste Paul Krugman, ou le travail pionnier et extrêmement pénétrant réalisé sur les frontières par le géographe Michel Foucher.

    Pour la synthèse entre géopolitique et stratégie, Coutau-Bégarie doit être lu et relu, car nul n’est plus clair et synthétique.

    Le terme « géopolitique » est aujourd’hui très utilisé, souvent de manière extensive, et parfois abusive. Tout ne se résume pas à la géopolitique. A contrario, certains auteurs considèrent aujourd’hui que la mondialisation, parce qu’elle ôte de l’influence aux Etats, donc relativise l’importance politique du territoire, rend la géopolitique, sinon obsolète, en tout cas moins légitime. Comment vous situez-vous dans ce débat ? Et d’une manière générale, dans quelle(s) direction(s) la géopolitique évolue-t-elle aujourd’hui ?

    L’interdépendance économique est certes une réalité. Elle l’était aussi à la veille de 1914.

    Son extension ne vaut nullement garantie d’un futur pacifique. Ainsi que le rappelait Hassner dans une optique tout aronienne, « l’universalité ne saurait faire fi de la pluralité, le cosmopolitique de l’interétatique, donc de la rivalité et du conflit ».

    La géopolitique a un bel avenir devant elle, contrairement à certaines théories performatives à obsolescence programmée qui promettent, semble-t-il, de disparaître avec les cohortes les plus idéologisées de la génération du baby-boom.

    Les années 1990-2000 ont été marquées par une illusion intellectuelle, parfois fortement polarisée idéologiquement.

    Après avoir diagnostiqué la fin de la géographie (O’Brien), de l’histoire (Fukuyama), ou des frontières (Ohmae), les analystes transnationalistes ou libéraux-institutionnalistes semblent aujourd’hui sur la défensive.

    Sans sous-estimer la force des phénomènes globaux de convergence normative, il nous faut effectivement constater que, dans la société internationale contemporaine, les dynamiques de différenciation politiques semblent bien progresser au rythme même des dynamiques d’uniformisation technologiques.

    Je fais souvent la comparaison avec le processus de mise à feu thermonucléaire, fondé sur la fission-fusion : nous voyons en effet à l’œuvre dans la géopolitique mondiale une concomitance de la fusion globale (économique, financière et technologique) et des fissions locales (culturelles et identitaires).

    La première s’accélère, les autres se multiplient. Mal régulé, ce mélange peut libérer des forces explosives d’une intensité accrue.

    Le plus urgent, pour préserver la paix, est sans doute de considérer avec attention les mutations dynamiques de la structure internationale actuelle, en estimant à leur juste poids les agendas politiques et culturels des acteurs qui la polarisent.

    Certains auteurs voudraient que le monde à venir ne soient fait que de lieux et d’espaces interconnectés d’où les appartenances auraient quasi-disparu.

    C’est une dangereuse illusion, qui sous-estime la centralité renouvelée du politique dans notre monde réticulé où la connexion, je le répète souvent aux étudiants, n’est pas forcément le lien.

    Entre le local et le global, il y aura toujours des territoires politiquement appropriés, représentés et défendus par des États.

    Ces derniers utiliseront le droit et la technologie comme des instruments et non des fins en soi, de manière à augmenter leur influence et densifier leur puissance, au nom de leur autonomie stratégique et de leur liberté d’action.

    C’est la raison pour laquelle la géopolitique est aussi intéressante : interprétative et non explicative, elle permet de tempérer nos projections, en modélisant les conditionnements qui agiront sur les matrices de coopération, de compétition et d’opposition de cette nouvelle scène internationale.

    En ce sens, les analyses que l’on pourrait appeler « statophobes » voilent la réalité des relations internationales.

    Il y a, me semble-t-il, un immense désir d’État dans le monde. Mais des États réformés. Représentatifs. Respectueux de leurs peuples. Que veulent d’ailleurs ces derniers ?

    Une connexion au niveau global qui ne détériore pas le respect de leur identité au niveau local.

    L’État, à la charnière du global et du local, est donc consubstantiel à la mondialisation, parce que dans un monde accéléré, on attend de lui qu’il assure la paix et la sécurité sur un territoire, en produisant du commun plutôt que de se soumettre aux seules lois du marché.

    Sur ce point de la place des États dans la mondialisation, vous avez parfaitement raison de dire que tout ne se résume pas à la géopolitique. Il faut aussi, entre autres, se tourner vers la théorie des relations internationales.

    Comme le rappelle ainsi avec raison Michael Williams, reprenant en cela des avertissements similaires du constructiviste Alexander Wendt, « Il est important de noter que l’État demeure une limite – non la limite de la communauté politique. Reconnaître la centralité continue des acteurs étatiques n’empêche en aucune manière le développement – et l’étude analytique – d’autres formes d’ordres, d’institutions, de solidarités transversales et de transformations par-delà les frontières ».

    Dans son récent essai, L’affolement du monde, Thomas Gomart dit que nous vivons un moment « machiavélien », au sens où l’analyse des rapports de force, qui était passée au second plan à l’ère des grandes conférences sur le désarmement, reprend une importance fondamentale dès lors que les trois principales puissances, Etats-Unis, Russie et Chine, réarment comme jamais. Après avoir contribué à stabiliser le monde, ce que le général Gallois appelait « le pouvoir égalisateur de l’atome » est-il en train de devenir obsolète ?

    L’analyse de Thomas Gomart est fondamentalement juste. Il faut également lire les développements qu’il a récemment consacrés à la notion d’intérêt national.

    En étant sur une ligne pour l’essentiel complémentaire, j’aurais simplement tendance à dire que le moment que nous vivons est sans doute autant « clausewitzien » que « machiavélien ».

    Machiavel raisonne en termes de rapports de force transactionnels. Il faut le compléter avec les aspects interactionnels de la théorie réaliste de la guerre clausewitzienne. Celle-ci ne peut pas être restreinte à la stratégie dite « classique ».

    Relire Clausewitz, c’est comprendre l’importance de distinguer, pour reprendre son expression, les genres de guerres dans lesquels s’engagent ou auxquelles se préparent les États, et les relations stratégiques qui en découlent au niveau international.

    Ceux qui ont négligé Clausewitz pendant la parenthèse idéaliste des années 1990-2000 ont eu tendance à oublier que De la Guerre était un ouvrage de théorie sociale, fondée non pas sur les seuls rapports de force, mais sur la dialectique des intérêts et des volontés.

    Et précisément, la dissuasion nucléaire est une dialectique, avant d’être un rapport de force. Les Français l’ont parfaitement compris avec leur concept de stricte suffisance.

    La dissuasion reste plus que jamais pertinente et stabilisatrice dans le monde qui vient. Simplement, elle ne peut pas résoudre tous les problèmes.

    Sous la voûte nucléaire qui nous garantit des guerres absolues, un considérable espace de conflits potentiels – y compris de guerres majeures – demeure, qu’il faut anticiper et auxquels il faut se préparer en renforçant l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe.

    Que peut apporter une culture géopolitique aux futurs managers qui auront à évoluer dans une économie mondialisée ?

    Le sens des permanences, qui seul donne l’intelligence des transformations. Et je ne vois pas d’aptitude professionnelle qui soit plus précieuse aujourd’hui.

    Que faudrait-il enseigner concrètement aux étudiants en matière de géopolitique ?

    Je constate depuis une dizaine d’années, à l’occasion des cours et des conférences que je donne en stratégie, géopolitique ou relations internationales, que le niveau de culture historique, artistique, religieuse et surtout littéraire décroît de manière dramatique. Ce n’est pas un lamento régressif.

    C’est un fait brut, massif, inquiétant. Or, il ne peut y avoir de compréhension, d’interprétation, de saisie de ce qui porte l’autre, de ses traumatismes historiques, de ce qui l’attache à un territoire, sans prise en compte de sa matrice spirituelle, de ses modes de représentation du bien et du mal, du beau et du laid, du juste et de l’injuste.

    On ne saisit pas la spécificité iranienne sans connaître sa poésie millénaire. Balzac permet toujours de comprendre ce pays déconcertant qu’est la France. Kennan – l’un de mes auteurs préférés – conseillait au Département d’Etat de lire Tchekhov plutôt que les briefs de la CIA pour mieux comprendre les Russes.

    Sans les humanités, nous analysons à vide.

    Du point de vue des apprentissages, la « géopolitique » n’y fera rien, ni l’économie, ni la « communication ».

    Le rejet de la culture générale dans les écoles qui forment les élites françaises est une stupidité sans nom. L’économie, le marketing, sont importants. Mais c’est la culture, pas l’économie, qui nous empêche de nous jeter les uns sur les autres.

    La culture n’est pas un produit de nos déterminismes sociaux, elle n’est pas un outil de reproduction de ces derniers, c’est au contraire ce qui permet de leur échapper. Elle est tout ce qui peut parfois paraître inutile de prime abord.

    Mais c’est cette culture générale qui donne son prix à une analyse géopolitique, à une dissertation d’économie, à un policy paper de think-tank, parce qu’elle permet de lever le nez des chiffres ou des oracles liés aux taux de croissance, au débit internet, ou au nombre de porte-avions.

    Je conseillerais aux étudiants en géopolitique de ne pas utiliser exclusivement les méthodologies instrumentales et quantifiées qu’on leur présente parfois comme plus efficaces, et d’investir aussi dans les outils d’analyse qui permettent d’approfondir l’inquantifiable des vies humaines.

    Simone Weil avait saisi cette dimension lorsqu’elle écrivait que « La perte du passé, collective ou individuelle, est la grande tragédie humaine, et nous avons jeté le nôtre comme un enfant déchire une rose. C’est avant tout pour éviter cette perte, concluait-elle, que les peuples résistent désespérément à la conquête. »

    Lire cette phrase, la retenir, la méditer, permet de mieux comprendre la raison pour laquelle un petit pays peut résister à un grand pendant si longtemps.

    La géopolitique, méthode d’approche multidisciplinaire des Relations internationales, permet de mieux saisir l’altérité.

    À condition de l’ouvrir à l’histoire et à la littérature : celles-ci nous fournissent les clés d’un passé qui, en transmettant ce qui fut, nous murmure parfois ce qui sera.

    Comment a été reçu votre dernier livre ?

    Frontières, paru en 2017, a été bien reçu. Je suis très fier que l’Armée de terre l’ait distingué par le prix « L’Épée ».

    Mieux nous comprendrons la nécessité fonctionnelle et indépassable des frontières, moins il y aura de murs dans le monde.

    Faire de la géopolitique, c’est également, me semble-t-il, comprendre ce type de paradoxes.

     

    Olivier Zajec, propos recueillis par Jean-François Fiorina (Comprendre Les Enjeux Stratégiques, 28 novembre 2019)

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  • Les grands théoriciens de la géopolitique...

    Les éditions des Presses universitaires de France publient cette semaine un essai de Louis Florian intitulé Les grands théoriciens de la géopolitique. Agrégé d’histoire, Florian Louis enseigne l’histoire, la géographie et la géopolitique en classes préparatoires aux grandes écoles et est déjà l’auteur avec Tancrède Josseran et Frédéric Pichon de Géopolitique du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Puf, 2012).

     

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    "La géopolitique a une histoire. Faite d’audaces théoriques et de vives controverses, celle-ci n’avait jamais été retracée dans son intégralité. C’est désormais chose faite grâce à cet ouvrage qui en dresse la généalogie intellectuelle en s’attachant à l’œuvre de ceux qui, depuis les fondateurs (Ratzel, Mahan, Mackinder, Spykman) jusqu’aux auteurs les plus contemporains (Huntington, Nye, Lacoste, Luttwak), ont contribué à en infléchir le cours. C’est également l’occasion de mettre en lumière l’apport déterminant quoique largement ignoré d’auteurs comme Jean Gottmann ou Carl Schmitt, et d’introduire le lecteur francophone aux dernières tendances de la discipline (critical geopolitics anglo-saxonne).
    Plus qu’une simple galerie de portraits, c’est donc un véritable panorama critique de l’histoire des idées géopolitiques qui est ici proposé. Grâce à de nombreux extraits traduits pour la première fois en français, ce sont tous les concepts cruciaux de la discipline qui se trouvent explicités et mis en perspective : Heartland, Rimland, Lebensraum, Grossraum, etc. Il en ressort le visage inédit d’une discipline dont le foisonnement n’a d’égal que la diversité."

    Au sommaire :

    Introduction : Pour une histoire critique des idées géopolitiques

    I – Le précurseur – Friedrich Ratzel

    II – Le sea power – Alfred Mahan

    III – Le Heartland – Halford Mackinder

    IV – Le Rimland – Nicholas Spykman

    V – Le monde post-étatique – Carl Schmitt

    VI – Une école française de géopolitique ? – Reclus, Vidal, Ancel…

    VII – Le grand échiquier – Zbigniew Brzezinski

    VIII – Le choc des civilisations – Samuel Huntington

    IX – De la géopolitique à la géo-économie – Edward Luttwak

    X – Le soft power – Joseph Nye

    XI – Penser les guerres du XXIe siècle – Keegan, Walzer, Petraeus…

    XII – La géopolitique critique – Gearóid Ó Tuathail
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  • Approches de la géopolitique...

    Les éditions Economica viennent de publier Approches de la géopolitique, de l'Antiquité au XXIème siècle, un ouvrage collectif dirigé par Hervé Coutau-Bégarie et Martin Motte. Spécialiste de la stratégie, Hervé Coutau-Bégarie, décédé en 2012, laisse derrière lui une œuvre monumentale ; quant à Martin Motte, maître de conférence en histoire à la Sorbonne et professeur de stratégie à l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, il a dirigé plusieurs ouvrages collectifs, comme De la guerre ? Clausewitz et la pensée stratégique contemporaine (Economica, 2008) et Entre la vieille Europe et la seule France : Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale (Economica, 2009).

     

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    " Sur l’océan des savoirs contemporains, la géopolitique est un continent fréquemment invoqué, mais bien peu exploré. Trop souvent la réduit-on à quelques auteurs, Ratzel, Mahan, Kjellén, Mackinder, Haushofer et Spykman, dont on ne retient qu’une formule absconse, Sea Power, Heartland, Rimland etc. On oublie au passage quantité de précurseurs, compagnons de route et successeurs plus ou moins avoués : Hérodote, Thucydide, Aristote, Strabon, Vauban, Montesquieu, Mably, les saint-simoniens, List, Durando, Orsini d’Agostino, les penseurs eurasistes, Renner, Brunhes, Vallaux, Gottmann, Lohausen, Gallois ou Brzezinski…

    Le présent ouvrage ne se contente pas d’exposer les idées des uns et des autres, il les situe dans leur contexte et en évalue la pertinence. Il précise ainsi les contours d’une discipline aussi fascinante qu’incertaine. Mêlant aperçus géniaux et pur charlatanisme, nationalismes exacerbés et espoirs de coexistence pacifique, emprunts à la science contemporaine et réminiscences magiques ou alchimiques via le romantisme, tentations technicistes et nostalgies écologistes, la géopolitique apparaît à la fois comme l’aboutissement d’une intuition plurimillénaire et comme un phénomène culturel emblématique de la modernité. "

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  • La bataille pour l'Eurasie va-t-elle s'accélérer ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexandre Latsa, cueilli sur le site de l'agence de presse Ria Novosti et consacré à la lutte souterraine mais bien réelle que les Etats-Unis et la Russie se livrent en Eurasie.

     

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     La bataille pour l'Eurasie va-t-elle s'accélérer ?


    "Les Etats-Unis s’opposeront à des processus d'intégration dans l'espace postsoviétique". Hillary Clinton - 2012

    Les récentes déclarations de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton sur l'intention de Washington de s'opposer aux processus d'intégration dans l'espace postsoviétique lors d’une conférence tenue à Dublin le 6 décembre 2012 ont au moins un mérite, celui de démontrer que l’Union Douanière, et donc la future Union Eurasiatique sont considérés par l’administration américaine comme le mal absolu. Hillary Clinton n’a pas pris de gants, pour elle, l’union eurasiatique n’est ni plus ni moins que la réincarnation de l’Union Soviétique, et traduit donc la volonté de la Russie de vouloir reprendre le contrôle du cœur de l’Eurasie, que Russie et Occident, via l’Angleterre puis l’Amérique, se disputent depuis prés de 150 ans.

    Un retour en arrière s’impose pour comprendre ce que signifie la bataille pour le contrôle de l’Eurasie, qui est tout sauf un fantasme ou une légende. Il s’agit au contraire d’une réalité géopolitique qui constitue un volet important de la politique étrangère américaine et occidentale depuis la chute du mur de Berlin.
     
    Durant la guerre froide, la puissance américaine ne luttait pas seulement pour la victoire contre son adversaire Soviétique, elle luttait aussi pour le contrôle du monde. Ce faisant, les stratèges américains restaient fidèles à la ligne tracée par les maitres de la géopolitique anglo-saxonne, particulièrement Halford Mackinder et Nicholas Spykman. Pour ces derniers, la maitrise du monde ne pouvait passer que par le contrôle de la zone ou devait se concentrer dans l’avenir tant le gros des habitants, que le gros des ressources énergétiques de la planète: l’Eurasie, encore appelée l'Ile Monde ou Heartland.
     
    " Qui contrôle le Heartland, contrôle le monde ".  Halford John Mackinder – 1919
     
    En ce sens, la mise sous tutelle après 1945 de l’Europe de l’ouest par l’Otan n’a été rien de plus qu’une mise en application des principes de Nicholas Spykman qui jugeait lui essentiel de maitriser l’anneau périphérique (Rimland) de cette Ile monde, de ce Heartland continental. L’Europe de l’ouest représente la partie occidentale sous contrôle de cet anneau. Comme on peut le voir ici, la zone qui s’étend du pourtour de la caspienne jusqu'à l’Asie centrale constitue sa partie orientale et c’est précisément cette zone qui est visée par les propos d’Hillary Clinton.
     
    " Qui contrôle le Rimland contrôle l’Eurasie. Qui dirige l’Eurasie contrôle la destinée du monde". Nicholas J. Spykman - 1942
     
    Les tentatives avortées du GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) puis la tentative de prise de contrôle de ces mêmes états (membres de cet anneau périphérique) par les révolutions de couleurs planifiées aux USA doivent être comprises et vues dans ce sens: comme une étape nouvelle du containment russe, préalable essentiel au bouclage du Rimland. D’ailleurs, dans sa déclaration Hillary Clinton a insisté sur la déception profonde que représentait l’Ukraine pour le département d’état Américain, tout un symbole lorsqu’on sait l’énergie et les moyens mis en œuvre par l’administration américaine pour faire de l’Ukraine un pion essentiel de l’Otan. Un projet ancien qui prévoyait la constitution d’un axe Allemagne-Pologne-Ukraine dont Zbigniew Brezinski rêvait déjà en 1997 et qui selon lui devait servir à repousser l’influence russe le plus à l’est possible, et renforcer l’Otan au cœur de l’Europe de l’est.

    "Il est impératif qu'aucune puissance eurasienne concurrente capable de dominer l'Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l'Amérique". Zbigniew Brezinski - 1997
     
    Bien sur les déclarations d’Hillary Clinton ont provoqué les regrets de Leonid Sloutski, chef de la commission de la Douma pour les Affaires de la CEI. Celui-ci constatait que le potentiel croissant de regroupement géopolitique en Eurasie pourrait faire de cette région l'un des acteurs majeurs du monde. Une situation bien différente de celle qu’impliquait le monde unipolaire de 1991, qui ne laissait aucune place à la Russie.

    Beaucoup de pays occidentaux appréciaient Eltsine surtout parce qu'il était le symbole d’une Russie faible, et le symbole de leur victoire sur l’URSS. 20 ans plus tard, alors que le centre de  gravité du monde se déplace vers l’Asie et la Chine, l’Occident américano-centré traverse une crise économique qui l’a considérablement affaibli sur la scène internationale. Pendant ce temps, à mi chemin entre l’Occident et l’Asie, la Russie s’est redressée pour redevenir aujourd’hui la puissance principale d’Eurasie.
     
    Le monde multipolaire qui prend forme devrait vraisemblablement prendre l'aspect d'un monde d’alliances. Les grands états de ce monde sont tous dans des logiques de regroupements économiques, politiques et militaires, que ce soit au cœur de l’Europe, par dessus l’Atlantique, en Amérique du sud  ou encore en Asie. Ces alliances pourraient rapidement voir l’émergence de blocs souverains tant sur le plan militaire, qu’économique ou politique, et la fragmentation du monde en zones d’influences souveraines.
     
    Pourquoi les nations d’Eurasie n’auraient elle dès lors pas le droit de procéder à une intégration régionale approfondie?  Les menaces américaines contre une alliance volontaire de pays souverains semblent éloigner considérablement les possibilités d’un réel reset russo-américain. Le désaccord sur l’Affaire Syrienne, pays que l’Union Douanière envisageait du reste d’intégrer à une zone de libre échange il y a encore quelques mois, accentue encore le malaise.

    Voila donc des propos belliqueux en provenance d'Amérique et prononcés à Dublin, alors même que le chef de l’état russe a pourtant récemment rappelé que la Russie devait trouver sa place géopolitique dans le monde de façon pacifique et que l’intégration eurasiatique devait elle se faire dans le respect de la souveraineté des états. Un principe de souveraineté nationale bien mis à mal durant l’époque unipolaire mais qui constitue tant le point névralgique du développement des BRICs (lire cette analyse a ce sujet) que le cœur de la politique internationale russe, notamment en Syrie.

    Souveraineté VS interventionnisme, Unilatéralisme VS Multilatéralisme. Ces deux conceptions du monde diamétralement opposées vont-elles relancer la bataille pour l’Eurasie?

    Alexandre Latsa (Ria Novosti, 12 décembre 2012)
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