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  • Prendre le maquis avec Ernst Jünger...

    Les éditions de la Nouvelle Librairie viennent de publier un essai d'Eric Werner intitulé Prendre le maquis avec Ernst Jünger - La liberté à l'ère de l’État total. Philosophe politique suisse, alliant clarté et rigueur, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais essentiels comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) De l'extermination (Thaël, 1993 puis Xénia, 2013) ou dernièrement Légitimité de l'autodéfense (Xénia, 2019). Contributeur régulier d'Antipresse, il publie également de courtes chroniques sur l'Avant-blog.

     

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    " Avec le tout-numérique, de nouvelles formes de domination ont vu le jour. Nous sommes à l’ère de l’État total. Les lois antiterroristes et anti-covid ont accéléré encore cette évolution. En parallèle, la société se fragilise, sous l’effet d’une crise de légitimité n’épargnant aucune institution. À partir de là, comment penser la liberté ? Et d’abord, est-elle encore pensable ? L’auteur répond à ces questions, au travers d’une relecture actualisée du Traité du rebelle d’Ernst Jünger. Dans ce livre, paru en 1951, Jünger ressuscite la figure du Waldgänger : celui qui marche en forêt. Avoir recours aux forêts, ce n’est pas l’insurrection, ni le repli sur soi, encore moins la connivence, c’est le non-accommodement. La perspective est celle de l’individu ne pouvant plus compter que sur lui-même, sans autre point d’appui que sa propre détermination à ne pas se soumettre. "

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  • Ernst, Jünger, le visage de la technique...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie en coopération avec l'Institut Iliade viennent de publier un essai de Michele Iozzino intitulé Ernst Jünger, le visage de la technique. Né à Senigallia en Italie, en 1994, titulaire d’une licence en philosophie de l’université de Macerata, Michele Iozzino écrit pour le quotidien Il Primato Nazionale et collabore avec divers autres journaux.

     

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    " La tâche de l’homme moderne est de conquérir un espace de liberté contre la propagation du néant et de dominer spirituellement le monde des machines, de donner en somme un visage à la technique. Un défi que n’a pas manqué de relever Ernst Jünger, âme audacieuse du xxe siècle, qui, à travers sa vie, son expérience de guerre ainsi que sa vaste production littéraire, a tenté de donner une réponse à cette question abyssale. L’étude proposée par Michele Iozzino offre une réflexion complète sur cette question et fait dialoguer en profondeur le « premier » Jünger, celui des écrits de guerre et du Travailleur, et le « second», de la maturité, que l’on a trop souvent tendance à opposer. L’auteur montre en effet que les différentes Figures jüngeriennes que sont le Travailleur, le Rebelle et l’Anarque, correspondent moins à des stades évolutifs d’une même pensée qu’à d’authentiques espaces de liberté compossibles à l’intérieur de la technique. Ces Figures offrent des réponses à la remise en cause de l’homme par la technique, afin de retrouver une dimension proprement humaine, ou plutôt surhumaine, par rapport à cette dernière. "

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  • De la sécession intérieure à la reconquête...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la contribution du pôle étude de l'Institut Iliade au colloque d'Academia Christiana consacré à la question de la sécession qui s'est déroulé le 5 novembre  2022 à Paris.

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    Rester ce que nous sommes. De la sécession intérieure à la reconquête

    Sécession ou reconquête ? Pour bien comprendre le sens de la question que posent aujourd’hui nos partenaires d’Academia Christiana, il faut revenir a minima sur la signification de ces deux mots. « Reconquérir » signifie récupérer par la lutte ce que l’on nous a pris. « Faire sécession » signifie au contraire s’exclure volontairement de quelque chose qui nous appartenait, mais dans lequel nous ne nous reconnaissons plus, quelque chose qui nous est devenu insupportable, peut-être justement parce qu’il nous a été pris d’une manière ou d’une autre. Faire sécession, c’est donc affirmer vouloir se séparer d’une partie de nous-même pour masquer discrètement le fait que nous ne sommes plus capables de la maintenir en l’état hic et nunc. Par comparaison, choisir la sécession plutôt que la reconquête, c’est donc préférer une forme de fuite discrète à une « extension du domaine de la lutte », notamment quand une voie plus facile suggère qu’elle pourrait être perdue d’avance. Cette façon d’envisager l’action est évidemment totalement incompatible avec les positions de l’Institut Iliade, qui affirme au contraire son objectif de reconquête intégrale. Mais elle est également contre-productive, pour ne pas dire incohérente.

    Faire sécession, nous venons de le dire, implique une séparation vers quelque chose d’autre qui, par définition, sera nécessairement différent. Or, l’objectif n’est pas de devenir différent, mais de le rester : être ce que nous sommes où nous sommes, en revendiquant ce que d’autres appelleraient un « droit à la continuité historique », au sein des territoires qui ont justement été construits à travers cette continuité historique en la véhiculant concrètement. Qui sommes-nous sans les paysages, les villes où les quartiers qui nous ont vu naître ? Des déracinés ? Des migrants ? L’allusion paraît facile, mais il est également très facile de la solidifier par l’exemple. Historiquement, il existe en effet deux façons d’envisager concrètement la sécession.

    La première est aujourd’hui assez éloignée de nos préoccupations contemporaines, mais elle reste essentielle pour la démonstration. Elle fait référence aux communautés confessionnelles qui, à l’époque moderne, ont pris le chemin d’une expatriation lointaine et durable. Historiquement, on ne peut nier que pour les quakers anglais ou les anabaptistes de l’espace germanique, le départ outre-Atlantique a été l’occasion de créer ailleurs un Nouveau monde, susceptible de transcrire leurs idéaux dans une réalité vierge. Deux questions émergent de ce constat : 1. Avaient-ils le choix ? ; 2. Qu’ont-ils fait là-bas ? Nous n’avons pas le temps ici de répondre précisément à ces questions, mais il est aujourd’hui clair qu’ils y ont fondé quelque chose qui, étant essentiellement le produit du messianisme vétéro-testamentaire, s’est largement éloigné de la tradition européenne. Par ailleurs, leur utopie de société nouvelle n’a su partiellement se conserver que dans le cadre de communautés fermées, condamné à la mise à distance d’un monde sur lequel ils n’ont pas prise. Il suffit pour cela de penser aux communautés Amish aux États-Unis, ou aux Huttites du Canada.

    Secondement, en France, un autre exemple nous vient des « communautés » artificielles, plus ou moins sectaires, fondées dans les années 1960 et 1970 par une approche dite hippie. Elle souhaitait bâtir une société nouvelle, réunie par une idéologie commune, extrêmement sensible à certaines valeurs, mais à certaines valeurs seulement. Ce faisant, en partant « élever des chèvres dans le Larzac », pour ne prendre que ce cas particulièrement caricatural, elles ont en réalité construit un monde « hors-sol » idéalisé, en opposition au monde « réel » qui a continué à avancer sans elles. Un alter-monde, en somme, soumis à l’adoption de règles logiques perçues comme « supérieures », mais qui se situent en réalité à l’antipode de la complexité qui nous a été transmise depuis l’antiquité grecque, à une époque où la culture européenne n’envisageait pas l’opposition autrement que comme une forme constructive de « complémentarité des contraires ».

    On comprend donc que cette forme de sécession traduit politiquement un des « instincts » de conservation les plus élémentaires : la mise à l’abri, la retraite, la rétraction sur une base vitale. Il s’agit de quitter physiquement une situation devenue intolérable pour un mode de vie plus sécurisant, plus familier, plus apte à s’inscrire avec cohérence dans une certaine vision du monde. Dans le règne animal, cet instinct de préservation, qui consiste à fuir le danger, relève de la capacité de survie. Chez l’être humain en revanche, il ne constitue pas véritablement un instinct de survie, mais plutôt un confort lié à un besoin de stabilité intérieure. D’un point de vue psycho-social, le sécessionnisme apparaît donc comme un escape game collectif visant à recréer ailleurs et à une autre échelle une réalité collective identifiée comme « plus digne ». L’ensemble tient à un seul et même facteur : le sentiment d’impuissance, l’impossibilité de l’action et l’espoir de les recouvrer dans une réalité alternative.

    Ainsi, quand on entend aujourd’hui le gouvernement se poser à lui-même la question de la localisation des migrants, « fraîchement arrivés » (selon l’expression médiatique) dans les campagnes de France, on peut évidemment se demander où s’arrêtera la fuite en avant pour ceux qui sont entrés dans l’engrenage sécessionniste. Nous avons à notre disposition toute la France, puis l’Europe, puis les cinq continents, puis la Terre entière, puis le cosmos et l’espace intersidéral. Autant dire qu’il existe une marge pour organiser de nouveaux flux migratoires à l’ombre du drapeau « No Border ». Face à cette absence théorique de limite, il est donc fondamental de raisonner à la bonne échelle. C’est un souhait légitime que nous devons nous approprier en mobilisant toutes les armes idéologiques, culturelles, économiques, artistiques et politiques qui sont à notre disposition, en sachant pertinemment que certaines ne peuvent être inventées que par nous-même, à travers la pluralité des points de vue que constitue notre héritage européen. Le monde à reconquérir n’est pas ailleurs, il est ici, déjà ébréché par la profondeur des changements que nous lui imposons collectivement et individuellement avec la tenue, le style et le panache qui sont les nôtres.

    Ce que l’on doit regretter in fine, c’est que l’Europe des élites ait déjà elle-même fait sécession face aux valeurs qui sont historiquement les siennes. Comment l’aider dans cet exercice de reconquête tous azimuts ? Pour commencer, on peut évoquer la figure du Rebelle d’Ernst Jünger. S’il lutte contre Léviathan, c’est avant tout dans sa « sécession intérieure » que le Rebelle, par le « recours aux forêts », retrouve sa souveraineté en tant qu’« individu ». Dans toute la profondeur et la subtilité du développement jüngerien, il reste partagé entre une forme de liberté (assimilable ici à la sécession) et une forme de nécessité (ici à la reconquête). La sécession y apparaît avant tout comme une lutte intérieure, une lutte de l’être, une réflexion sur soi-même qui constitue le travail de toute une vie.

    Une sécession « extérieure », sous ses différentes formes, serait une action bien consciente, un choix de vie ou un projet à réaliser. La sécession intérieure, quant à elle, s’apparente davantage à un phénomène inconscient, dont nous sommes moins le sujet que l’objet. De ce fait, nous ne sommes pas en sécession parce que, au terme d’une réflexion ou d’une expérience, nous décidons de rompre avec le monde tel qu’il est. Nous sommes en sécession précisément parce que nous n’adhérons pas à la réalité actuel du monde. En ce sens, notre sécession est un état, et non un acte. On ne fait pas sécession, on est en sécession. Tout l’enjeu consiste donc, et c’est ce qu’il convient de souligner, à ne pas céder à une mise à l’écart superficielle pour fuir ce sentiment de rupture. Il faut au contraire en sonder toute la profondeur, ressentir le vertige de l’abîme tout en continuant à se confronter à la réalité telle qu’elle est. Pour cela, il est nécessaire de donner une orientation à notre sécession, c’est-à-dire un horizon poétique et spirituel capable d’ouvrir la voie à un cheminement intérieur qui réponde aux exigences du combat.

    Pour autant, si l’on envisage l’engagement politique comme la confrontation active au monde réel tel qu’il est, dans toute son hostilité, le recours à un monde préservé par ses grandes permanences (réelles ou abstraites) s’impose comme une nécessité. Et c’est bien là le sens qu’il faut donner à la métaphore du Recours aux forêts. Car une reconquête qui constituerait une lutte factice, sans réel fondement, est vaine. Elle doit au contraire s’inscrire dans la continuité d’un combat intérieur, nourri et orienté par notre longue mémoire.

    En lieu et place d’une sécession trop facile, l’Institut Iliade privilégie donc le ressourcement comme une base arrière privilégiée et mobilisable pour un combat authentique. Le renouement avec les grands espaces, la soustraction aux mécanismes des technostructures, l’immersion dans une convivialité élégante et pacifiée, s’ils présentent toujours un risque de désertion face au combat, doivent justement nous donner le courage et la force de l’emporter. Les grands monastères de l’Occident chrétien n’ont pas été construits pour offrir à quelques-uns la possibilité de cultiver une vie intérieure loin du tumulte du monde. Les moines, depuis leurs monastères, ont donné forme au monde, et toute leur vie spirituelle a été mise au service de ce qu’ils concevaient comme une lutte eschatologique. Aujourd’hui, c’est dans nos villes ou derrière les murs de nos maisons de campagne, dans nos cercles d’amis, à l’ombre des grandes œuvres de la tradition européenne, que se tiennent partout, en secret, les conseils de guerre de la grande reconquête politique et spirituelle.

    Pôle Étude de l’Institut Iliade (Institut Iliade, octobre 2022)

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  • Les faux rebelles de la culture...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Sébastien Bressy, cueilli sur le site de L'Inactuelle, revue d'un monde qui vient, animée par Thibault Isabel.

    Pour aller plus loin sur le sujet, on pourra lire l'essai de Joseph Heath et Andrew Potter, Révolte consommée : Le mythe de la contre-culture (Naïve, 2005).

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    Un "rebelle institutionnel" en une de M, le magazine du Monde (6 juillet 2018)

     

    Les faux rebelles de la culture

    La création et l’originalité vont de pair ; la plupart des artistes brillent donc évidemment par leur forte personnalité, voire leur anticonformisme. Mais, d’une époque à l’autre, cette singularité s’exprime selon des modalités très différentes.

    Autrefois, disons jusqu’à la Révolution industrielle et l’avènement historique de la bourgeoisie, l’artiste tentait d’affirmer librement sa personnalité dans la société qui était la sienne, et, s’il en assumait les risques – puisque la justice des puissants lui en faisait parfois payer le prix –, il ne remettait pas en cause les principes de cette société. Il en acceptait les codes, et l’idée de les contester ne lui traversait pas l’esprit. Il pouvait passer pour une forte tête, un excentrique ou un original, mais il inscrivait sa différence dans un « monde commun » (pour employer l’expression de Hannah Arendt), un monde parfaitement cadré et normé qui semblait inébranlable. Cela valait par exemple pour Villon, Le Caravage, Mozart…

    Au XIXe siècle, surgissent les artistes « révolutionnaires » : l’art devient politique, la société n’est plus acceptée telle qu’elle est, elle peut être repensée et reconstruite selon l’idée que les uns ou les autres s’en font. L’artiste se dresse « contre » l’ordre social, il est prêt à l’affronter, à le défier pour établir un ordre plus juste (Beethoven, Vallès, Courbet, ou plus récemment Aragon, Picasso, Neruda sont des artistes « politiques » ou révolutionnaires).

    L’irruption du “rebelle”

    Mais l’époque post-moderne marque un tournant majeur dans cette évolution, avec le développement de la figure du « rebelle » : l’artiste ne s’affirme plus au cœur de la société comme « l’original », il ne veut plus la changer comme le « révolutionnaire » ; il s’en fout ! Il la rejette par principe et entend s’y soustraire. Le « rebelle » agit avant tout pour son propre compte.

    L’émergence de ce personnage est patente depuis des décennies : les romans de Céline mettaient déjà en scène des héros centrés sur eux-mêmes, désocialisés, et la littérature américaine (Burroughs, Kerouac ou Salinger) a très largement accompagné cette tendance de fond, sans parler de films tels que Les Valseuses, Orange mécanique ou Into The Wild. Si l’on se penche sur la culture populaire, de Renaud à Michel Polnareff, on constate que la société est souvent considérée de façon explicite comme le mal absolu dont il convient à tout prix de se défaire (« Société, tu m’auras pas », chantait Renaud).

    Or, « la société, ça n’existe pas » (« there is no such thing as society »)… N’est-ce pas en tout cas ce qu’affirmait Margaret Thatcher ? N’est-ce pas le cœur du projet politique et économique qui prévaut depuis la fin du XXe siècle ? Les artistes « contestataires » ont fait le lit du capitalisme qu’ils prétendaient combattre ; et ils continuent de l’entretenir en affichant une rébellion qui n’en est plus une. Quand la rébellion est encouragée par les discours publicitaires, politiques, médiatiques, elle n’a plus de sens. Dès lors que Renaud décrit son pays peuplé de cinquante millions de cons (« Hexagone »), il n’est déjà plus très loin de considérer que ces cons n’ont pas droit à la parole, que le pouvoir doit s’exercer sans eux et que tout individu a intérêt à se renfermer dans sa petite bulle ou sa petite communauté. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, quarante ans après avoir écrit sa chanson, Renaud soutienne la candidature de Fillon, puis celle de Macron. A certains égards, il reste cohérent avec ce qu’il a toujours été… Simplement, il ne le savait pas. Il n’avait pas les idées qu’il croyait avoir, pour reprendre la formule de Brassens. Johnny Hallyday, sans doute par instinct naturel, adoptait quant à lui un comportement plus logique, puisqu’il affichait à la fois une forme de rébellion bon teint contre la société et un soutien indéfectible aux pouvoirs dominants.

    C’est la négation de la société qui caractérise l’artiste rebelle, quand tous les autres jusqu’à lui, qu’ils soient « originaux » ou « révolutionnaires », prenaient cette société en considération, que ce soit pour y adhérer ou pour la rejeter. On voit bien aussi à travers ce constat que la société ne saurait se confondre avec la masse, qui définit au contraire l’état du monde présent et de ce qui lui tient lieu d’« art » : selon Hannah Arendt, la masse est faite « d’individus atomisés et isolés », elle se développe précisément lorsque la société se dissout. Dissolution sociale, massification : nous en sommes bel et bien arrivés là !

    Les élites contre le peuple

    Pourtant, la culture de masse n’est pas seule en cause. La fausse rébellion s’applique à nombre d’artistes contemporains dits « élitistes », pour lesquels la négation de la société définit apparemment le sens même de leur travail et du message qu’ils entendent délivrer : « Rien n’existe hors de moi, de ce que je ressens, de ce que j’exprime… » Leur démarche esthétique aboutit volontiers à la vacuité la plus abyssale, au non-sens ou à l’escroquerie clairement assumée. En niant la société, le rebelle se place sur orbite, se détache du « sens commun » ; il est exclusivement centré sur lui… c’est à dire qu’il n’est centré sur rien. Tel l’astronaute dans l’espace gesticulant en tous sens, il se croit libre, mais il ne peut aller nulle part, faute de prendre appui sur un point fixe et extérieur à lui-même.

    Certes, une autre culture subsiste toujours dans la quasi-clandestinité. Mais la culture « officielle » d’aujourd’hui, qu’elle s’adresse à la masse ou à une soi-disant élite, reste semblable à l’économie ou à la politique du temps ; elle se situe délibérément à l’écart d’un monde commun ou d’une société qu’elle ne cesse de désagréger, de « fluidifier », afin de lui enlever toute capacité de résistance, toute valeur esthétique ou morale susceptible d’être érigée contre le système dominant. Si tout se vaut, tout peut se vendre – à n’importe quel prix ! Nous voilà plongés dans l’univers cynique qu’Oscar Wilde définissait avec aplomb : « Le cynisme ? C’est connaître le prix de tout et la valeur de rien. » Dans ce projet, et souvent à son corps défendant, l’artiste rebelle joue son rôle, du côté du pouvoir, contre la société. C’est ainsi que la reine d’Angleterre anoblit désormais les rockers… Le silence assourdissant des artistes français du « show-business » concernant le mouvement des gilets jaunes ne laisse aucune ambiguïté sur la nature de leur rébellion. Elle s’inscrit dans le cadre de la « révolte des élites » que Christopher Lasch analysait déjà il y a cinquante ans.

    Pour voir au-delà des figures de « l’original », du « révolutionnaire » ou du « rebelle », trop réductrices, c’est peut-être vers Albert Camus qu’il faut se tourner, avec son évocation de l’artiste révolté. Le vrai révolté souhaite changer le monde, contrairement à « l’original » ; mais, s’il veut que la société évolue, il ne la condamne pas en tant que telle, et il ne s’affirme pas contre elle, à l’inverse du « révolutionnaire », ni hors d’elle, à l’inverse du « rebelle ». Il porte sa révolte à l’intérieur de la société.

    L’œuvre d’art ne doit pas être une pure construction de l’esprit. Elle doit entretenir un rapport charnel avec les hommes, en lien avec le monde dont elle est issue. Elle doit s’appuyer sur un inconscient collectif qui l’a précédée, et qu’elle contribuera en retour à enrichir. Quelle que soit l’époque à laquelle ils appartiennent, les artistes les plus estimables se conforment toujours à ce modèle : ils n’opposent pas la révolte individuelle à la société, mais tentent de les réconcilier. En nos périodes troubles où les pouvoirs vacillent, il est fort à parier que c’est dans cette voix intemporelle, loin de la « rebellitude » contemporaine, que les artistes révoltés écriront l’histoire de demain.

    Jean-Sébastien Bressy (L'Inactuelle, 28 décembre 2018)

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  • Nietzsche, le rebelle aristocratique...

    Les éditions Delga viennent de publier Nietzsche, le rebelle aristocratique, une copieuse biographie intellectuelle et critique de l'auteur d'Ainsi parlait Zarathoustra, signée par le philosophe communiste italien Domenico Losurdo. Plusieurs essais de cet auteur ont été traduits en français dont Heidegger et l'idéologie de la guerre ( PUF, 1998), Le langage de l'empire (Delga, 2013), Contre-histoire du libéralisme (La Découverte, 2014) ou encore un controversé Staline - Histoire et critique d'une légende noire (Aden, 2011)...

     

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    " Chez Nietzsche, les analyses philosophiques et littéraires fascinantes se mêlent à des thèmes répugnants comme « le nouvel esclavage », « l’anéantissement des races décadentes », « l’anéantissement de millions de ratés ». Nous sommes en présence d’un philosophe qui, en remettant en question deux millénaires d’histoire, repense et critique les plates-formes théoriques qu’il élabore lui-même au fur et à mesure. La contextualisation historique et la reconstruction de la biographie intellectuelle de Nietzsche sont donc la condition pour saisir la cohérence tourmentée ainsi que la grandeur d’un penseur qui, à partir de son « radicalisme aristocratique » et tout en caressant des projets d’une indicible violence, entonne un contre-chant sacrilège de l’histoire et des mythologies de l’Occident. "

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  • Stendhal, rebelle et fidèle...

    Nous reproduisons ci-dessous un bel article de Dominique Venner, cueilli sur son site et consacré à Stendhal...

     

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    Stendhal, rebelle et fidèle

    J’ai laissé passer l’anniversaire de la naissance de Stendhal (Henri Beyle), voici 230 ans, le 23 janvier 1783 à Grenoble. Mais je vais me rattraper, ayant éprouvé depuis très longtemps une vive dilection pour l’auteur du Rouge et le noir, et pour des raisons qui sont métapolitiques autant que littéraires.

    J’ai mis longtemps à comprendre pourquoi j’avais toujours tant aimé Lucien Leuwen, Julien Sorel et Fabrice Del Dongo. Pourquoi, parmi tous les romans de Faulkner, j’avais élu L’Invaincu, au point d’y revenir au moins une fois l’an. Et pourquoi j’avais lu et relu avec le même enthousiasme Les récits de la demi-brigade de Giono. Oui, pourquoi ces lectures si différentes éveillaient-elles la même jubilation euphorique ? Qu’avaient donc en commun leurs héros ? La révélation me fut apportée un jour que je lisais un peu plus attentivement et sans doute avec l’œil de l’historien les premières pages de La Chartreuse de Parme, l’entrée de Bonaparte à Milan.On ne pouvait s’y tromper. Derrière ce roman d’amour, de cape et d’épée, Stendhal avait laissé parler un cœur très engagé. A leur façon et au nom de causes très différentes, chacun des personnages des romans que je viens d’évoquer montre autant d’attrait pour les causes perdues que de mépris pour des vainqueurs installés et satisfaits.

    Un esprit français est sensible plus qu’aucun autre sans doute à de telles connivences. Nous avons cumulé tant de guerres civiles et de proscriptions, avant et après 1789, que nous sommes quelque peu vaccinés contre le respect sans discussion des institutionnels. Le mépris qu’inspirent des vainqueurs peu estimables, éveille par contraste de l’attrait pour les vaincus et le courage malheureux. Il en fut ainsi pour les Sudistes après la guerre de Sécession et pas seulement sous la plume de Margaret Mitchell. Sur la scène russe d’après 1917, les Blancs ont plus de charme que leurs adversaires victorieux de la guerre civile. Certains vaincus de la Libération ont joui de cette faveur dans l’imaginaire des “Hussards”, peloton caracolant d’étincelants et jeunes écrivains de la génération suivante. Ceux-là ne se sont jamais vraiment expliqués sur leur penchant pour Stendhal. Pourtant, chez celui-ci, on trouve le même mélange excitant d’insolence, d’incivisme et de bonheur.

    Malgré une carrière militaire qui excéda peu une grosse année, l’ancien sous-lieutenant de dragons de l’armée d’Italie resta jusqu’à sa mort habité par une invincible nostalgie de l’aventure napoléonienne. Un athéisme précoce contribua à son aversion pour le conformisme et la bigoterie de la Restauration.

    « Il se piquait de libéralisme, disait son ami Mérimée, et était au fond un aristocrate achevé. » Lui-même n’en disconvenait pas : « Je me soumets à mon penchant aristocratique après avoir déclamé dix ans de bonne foi contre toute aristocratie. » Stendhal jouait sur les mots. Son « penchant aristocratique » n’est pas un effet de l’âge. C’est une disposition native qui lui a toujours fait chérir les comportements chevaleresques et les mœurs raffinées, plus que cette caricature d’aristocratie qu’était la bonne société de 1820 ou de 1830, mélange de nouveaux riches prétentieux, de ci-devant campés sur leur vindicte, et de dévots enrôlés dans cette police de la pensée qu’était la « Congrégation ».

    Le climat moral de l’époque stendhalienne est peu différent du nôtre. Seulement, le glissement sémantique, dû à l’écoulement du temps, brouille les perspectives. Il suffit de les éclairer pour que tout se mette en place. Comme jadis dans le monde soviétique finissant, les ancienne idées révolutionnaires se sont muées en opinions conservatrices. Le qualificatif “républicain” qui définissait un dangereux conspirateur vers 1830, désigne cent cinquante ans après un bourgeois rangé. Mais sous les étiquettes changeantes, les hommes, eux, ne changent pas. Comme l’expliquait le banquier Leuwen à son fils, pour réussir en politique et dans le monde, il faut être “un coquin”. Toutes les époques ont eu leurs bien pensants et leurs conformistes prêts à expédier au bûcher les insolents et les réfractaires un peu trop remuants et nuisibles aux coquins. Pour décrypter ce qu’il y a de permanent dans les romans de Stendhal, il suffit de remplacer le qualificatif “libéral” par l’un des sobriquets réservés plus tard aux indociles, et alors tout s’éclaire. En leur temps, puisqu’ils étaient des insoumis, Julien Sorel, Lucien Leuwen et Fabrice del Dongo étaient nécessairement des “jacobins”. Aujourd’hui, on les désignerait sous je ne sais quelle appellation malséante dont les gazettes abondent.

    En maints passages de La Chartreuse de Parme, est le plus politique des trois grands romans de Stendhal, l’histoire aventureuse ne dissimule qu’à grand peine le brûlot révolutionnaire. Mais le lecteur d’aujourd’hui n’y prête plus attention, puisque l’ancien contenu a perdu son pouvoir subversif. Dès les premières lignes, le ton est pourtant donné. Elles décrivent sans précaution et avec un enthousiasme batailleur l’entrée des troupes de Bonaparte à Milan, le 15 mai 1796. L’imaginaire duché de Parme, qui sert de cadre au roman, est un condensé de corruption et de bigoterie, dans lequel un lecteur français averti d’aujourd’hui peut reconnaître l’anticipation de ce qu’il a sous les yeux.

    Publié en 1839, alors que le courant bonapartiste et libéral avait conquis droit de cité, ce roman passa inaperçu. Quelques années plus tôt, Stendhal s’était inquiété des risques éventuels. Ainsi, avait-il jugé prudent de différer la publication de Lucien Leuwen, roman resté inachevé, dont le héros, un jeune officier bonapartiste, ressemble comme un frère à un jeune spectateur idéaliste du film Der Untergang (La Chute, 2004). Sous-lieutenant de lanciers, réduit à ne sabrer que des bouteilles dans une petite ville de province mal pavée, Lucien Leuwen crie son amertume : “Quelle gloire! Mon âme sera bien attrapée lorsque je serai présenté à Napoléon dans l’autre monde. Sans doute me dira-t-il, vous mouriez de faim pour faire ce métier-là? – Non, général, je croyais vous imiter“…

    Même tonalité dans Le Rouge et le Noir publié en 1830. Né dans un milieu pauvre, engagé vers 1820 comme précepteur des enfants du riche et peu sympathique M. de Rênal, Julien Sorel est contraint de dissimuler son admiration pour l’Empereur déchu s’il veut conserver sa place. Venu trop tard pour “être tué ou général à trente ans“, ne pouvant construire son existence par le rouge de la gloire militaire, il ne lui reste d’autre voie que le noir de la carrière ecclésiastique; la prudence cauteleuse au lieu de la fougue guerrière. A l’horizon, une mitre d’évêque s’il a su plaire et se courber, ou la morne perspective d’une cure de campagne… Stendhal a résumé le sentiment de cette déchéance dans sa correspondance privée : « Comment voulez-vous que deux cent mille Julien Sorel qui peuplent la France et qui ont l’exemple de l’avancement du tambour duc de Bellune, du sous-officier Augereau, de tous les clercs de procureur devenus sénateurs et comtes de l’Empire », ne nourrissent pas des rêves de révolte?

    La nostalgie de l’épopée est soulignée par la présence de quelques demi-solde qui entrent en scène à l’occasion d’affaires d’honneur, par exemple comme témoins dans les duels. De même, l’avocat de Julien Sorel est-il un ancien capitaine de l’armée d’Italie.

    Dans le frémissement des romans de Stendhal, le lecteur attentif découvre sans peine la philosophie morale de l’écrivain sous l’enveloppe de ses héros. Primitivement, chacun d’eux recherche l’aventure, le succès, la gloire et un amour romanesque, mais certainement pas le bonheur. Au final, il choisissent le parti de la hauteur quel que soit le prix. Pendant un temps, ils se laissent convaincre de pactiser avec l’époque par d’habiles mentors, cyniques et parfois même sympathiques (M. de La Mole, le comte Mosca, la Sanseverina, le banquier Leuwen), qui s’efforcent de leur apprendre les règles du jeu social. « Crois ou ne crois pas ce qu’on t’enseignera, explique à Fabrice la Sanseverina, qui s’est mise en tête d’en faire un évêque, mais ne fais jamais aucune objection. Figure-toi qu’on t’enseigne les règles du jeu du whist; est-ce que tu ferais des objections aux règles du jeu du whist ? » Que leur demande-t-on? Seulement d’oublier de penser afin de respecter les tabous de l’époque. La réussite, la fortune, les honneurs sont à ce prix. Ils semblent s’y résoudre. Puis vient un sursaut inattendu de fierté, manifestation de leur goût du geste inutile et de la position sacrifiée. Stendhal fait dire à la jeune et amoureuse Mathilde de La Mole, modèle de dignité et d’énergie : « Je ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme. C’est la seule chose qui ne s’achète pas ». Dans le défi, le héros stendhalien retrouve sa véritable nature.

    A l’issue d’un procès où ses éclats l’ont voué à l’échafaud, Julien Sorel refuse de faire appel de sa condamnation. Mieux vaut mourir que déchoir. De façon imprévisible, Lucien Leuwen assume la faillite de son père et vend tous ses biens pour rembourser les créanciers de sa famille. Fabrice, lui, choisit de revenir volontairement en prison. Chacun à sa façon refuse de transiger alors que tous les autres le font autour d’eux. Ce sont des purs dans une époque de canailles.

    Dominique Venner (Le blog de Domminique Venner, 26 février et 5 mars 2013)

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