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philippe grasset

  • Tour d'horizon... (186)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur L'Inactuelle, un article de Jacques Amar et Arnaud Raynouard, professeurs de droit, consacré à la signification de la présence envahissante de la figure du zombie dans la sphère culturelle contemporaine...

    Un monde peuplé de zombies

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    - sur De Defensa, une analyse de Philippe Grasset sur les accusations portées par Trump contre la Chine à propos de l'émergence du Coronavirus...

    Notes sur un profil mussolinien

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  • La Grâce de l'Histoire - le Deuxième Cercle...

    Les éditons Mols poursuivent la publication de l'essai de Philippe GrassetLa Grâce de l'Histoire, avec  Le Deuxième Cercle, qui fait suite au Troisième Cercle. Animateur du remarquable site d'analyse De Defensa, véritable observatoire de la crise du bloc occidental centré sur les États-Unis, Philippe Grasset est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment Le Monde malade de l'Amérique (Chronique sociale - EVO, 1999) et Chroniques de l'ébranlement (Mols, 2003), préfacé par Régis Debray. Comme il y a eu des "kremlinologues", Philippe Grasset est un "américanologue" dont les analyses profondes et visionnaires méritent d'être lues avec attention.

     

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    " La crise qui gronde aujourd’hui et embrase le monde a son origine dans la nuit des temps de notre civilisation. Dans le premier volume de La Grâce de l’Histoire, Philippe Grasset s’est intéressé à ses causes immédiates en en traçant le cercle le plus visible. Ici, il propose d'élargir le cercle de la réflexion sur l’Histoire et son sens pour explorer effectivement les sources les plus puissantes de la catastrophe.

    Ainsi Philippe Grasset voit-il le point central du tournant de la modernité qu’est la Renaissance ; la grande diagonale de notre civilisation qu’est le Christianisme, de son origine à son tournant du XVIIe siècle, lorsqu’il se convertit à la modernité qu’il a inspirée et aidé à enfanter ; le XVIIIe siècle, qui est à ses yeux le siècle de l’épuisement de la psychologie humaine conduisant aux catastrophes de la fin de ce siècle, marquant la chute décisive dans la modernité ; la situation actuelle, où notre histoire se débat dans le vain espoir de se reconstituer une métaphysique. Enfin, sa dernière démarche embrassera cette profonde déchirure métahistorique qu’est notre civilisation : la malédiction du feu et de la technologie confrontée au monde des Anciens.
    En conclusion, l’auteur ouvre une nouvelle perspective en posant les questions essentielles qui ont déserté notre pensée soumise désormais à la modernité, et que notre crise ressuscite : nous nous retrouvons placés devant la transmutation de notre crise en une interrogation sur l’éternité. "

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  • Sous le regard des barbares...

     Nous reproduisons ci-dessous un texte remarquable de Philippe Grasset, cueilli sur son site De Defensa et consacré à la barbarie post-moderne, promue par le système...

    Philippe Grasset a récemment publié La Grâce de l'Histoire (Mols, 2014).

     

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    Sous le regard des barbares

    J’avoue que les scènes diverses dont nous ont accablé les vidéos tournés par les islamistes, ou pseudo-islamistes, du groupe ISIS ou pseudo-ISIS (ou EIIL) lancé à l’assaut de l’antique Bagdad passé à la tronçonneuse du très clean Petraeus, scènes en Irak ou bien en Syrie qui le sait, ces scènes d’exécutions sommaires de pauvres hères ligotés, aveuglés par un bandeau, à genoux et psalmodiant une phrase ou l’autre de contrition forcée, tout cela fait passer le frisson de la barbarie. C’est la barbarie même qui s’exprime, primaire, sauvage, furieuse quoiqu’habitée étrangement et terriblement d’une détermination sans faille. C’est l’évidence même et on ne peut se le dissimuler une seconde ; c’est-à-dire qu’aucun parti-pris, aucun engagement ne devraient le dissimuler, et, de même, aucun parti-pris ni aucun engagement ne devraient bénéficier de la condamnation et du dégoût qui viennent à l’esprit et soulèvent le cœur. Pourtant il y a à voir à cet égard... Nous débusquons le monstre-Système, assez aisément si l’on veut bien, par ce simple détail de sémantique : dans la description de la chose affreuse, le qualificatif de “médiéval” vient souvent sous la plume de tel ou tel commentateur devenu par contraste immensément vertueux, le plus souvent anglo-saxon et immensément civilisé, nous signifiant qu’il s’agit de pratiques d’un passé sombre et obscur. Aussitôt un voile se déchire car ce qualificatif-là, n’est-ce pas, c’est déjà prendre parti en nous disant qu’une telle barbarie est “médiévale”, qu’elle nous vient d’une autre époque, et que notre aujourd’hui, notre modernité dissolue dans notre postmodernité, ont repoussé ce spectre à jamais. Passons outre mais voyons voir, tout de même...

    Ainsi procède-t-on, par amalgame de l’image, du cliché, du lieu absolument commun. Ce qui ne cesse de me stupéfier, c’est à quel point les régiments de la postmodernité, les défenseurs du Système, sont quitte de toute réelle humanité dans la façon dont il profite de chaque ignominie atroce de leur temps (on verra quelques lignes plus loin), pour faire la promotion de leur temps. Ces gens, pauvres hères de l’esprit, sont totalement, c’est-à-dire d’une façon totalitaire en eux-mêmes, les serviteurs-esclaves du Système.

    Cela me conduit à ce jugement après avoir vu telle ou telle vidéo de tel ou tel islamiste vidant son chargeur de Kalachnikov dans le dos de ses prisonniers ligotés, bâillonnés, aveuglés et mis à genou : non seulement cet acte n’a aucune signification directe d’un point de vue général et symbolique, – c’est-à-dire qu’il ne condamne pas rétrospectivement le temps “médiéval”, – mais au contraire sa signification indirecte nous conduit à condamner leur temps, c’est-à-dire notre temps présent. La cause est simple, et vite entendue. On sait bien que cette barbarie soi-disant “médiévale” a été réveillée, ranimée, relancée, rééquipée, remise à neuf pour les besoins de la cause, je veux dire de leur cause dont on voudrait nous faire croire que c’est notre cause, – et plus encore, que c’est une cause, quelque chose qui mérite le nom de “cause” ... On sait bien par quels chemins tortueux et vicieux ont été rallumés les incendies artificiels des extrémismes religieux. (On se reportera à l’inoxydable Brzezinski, circa 1979, préparant le soulèvement afghan à grands coups de manœuvres de la CIA – voir le 31 juillet 2005.) Je conclus à ce point avant d’en venir à l’essentiel : cette barbarie primaire sur vidéo, passé le frisson qu’on a dit, n’amène en moi aucune considération générale directe, notamment concernant la soi-disant sauvagerie “médiévale” de retour parmi nous. Cette barbarie primaire, qui est un montage-Système de notre modernité-postmodernité, voulu par le Système, ne nous ramène pas au temps “médiéval” ; elle nous conduit au contraire directement dans notre temps de la modernité-postmodernité. L’exécuteur à la Kalachnikov, souscripteur d’un ISIS/EIIL couvert de dollars fraîchement imprimés par la Fed, doit tout à leur temps ; il est notre rejeton, notre héritage, notre monstre accouché de nous. Il nous désigne, il nous dénonce, immanquablement. Ainsi passons-nous, comme subrepticement, de leur barbarie primaire à notre barbarie intérieure.

    Effectivement, l’image ne ment pas, comme la plume qui en fait le commentaire ; elle est la marque indubitable de l’acte monstrueux, et ainsi la barbarie primaire des bourreaux allumés de ISIS/EIIL est absolument et indirectement enfantée par notre “barbarie intérieure”... L’expression utilisée vient du titre de l’essai de Jean-François Mattei, La barbarie intérieure, qui porte comme précieux sous-titre : Essai sur l’immonde moderne  (1), – et cela nous permet de passer à l’essentiel. Mattei définit ici et là, dans son essai, ce qu’il entend par “barbarie intérieure :

    « L’histoire de l’Europe, et plus tard du monde, montrera dès lors l’étrange cadeau d’une barbarie qui, vaincue par la civilisation qu’elle avait terrassée, s’est retrouvée transposée au cœur de la civilisation elle-même... [...] Tout s’est passé comme si la barbarie, sous l’influence du monde intérieur du christianisme, s’était progressivement défaite de sa violence extérieure pour se convertir en une cruauté, ou une insensibilité, intérieure. Après l’avènement du christianisme, le barbare, ce ne sera plus l’Autre, à l’extérieur du “limes” impérial, mais le civilisé Meme, à l’intérieur de la conscience...»

    Comme complément de cette citation pour définir la barbarie intérieure, qui est évidemment celle de l’indifférence du monde, la barbarie posée comme par défaut au-dedans de soi et qu’on cherche à écarter, comme on chasse une mouche agaçante dans le chef des terribles cruautés du monde, qui deviennent la transmutation et l’expression opérationnelle de notre propre cruauté intérieure, sans que nous nous en avisions, par indifférence tout cela, – on ajoutera cette observation de Robert Redeker (2) : «La domination de l’indifférence est l’une des grandes singularités de notre modernité tardive. Tout dans notre société concourt à fabriquer à échelle industrielle cet être sans souci que j’appelle l’indifférent. L’histoire – comme d’ailleurs les paysages, œuvre de dizaines de générations de paysans – n’est plus pour lui qu’un spectacle. Il n’est plus lié à l’histoire nationale et aux paysages par aucun lien charnel...»

    Cette barbarie intérieure de l’être indifférent, le “dernier homme” qu’annonçait Nietzsche, n’a pas de meilleur champ d’expérimentation aujourd’hui que l’Ukraine... (La piètre basse-cour de l’“histoire-tout-court” de notre temps métahistorique où se sont réfugiés la plupart ces sapiens n’est pas une simple image. Elle existe, en pleine agitation, aisément identifiable, sur une carte, selon des références bien déterminées, en latitude et longitude. Elle est bien un “champ d’expérimentation” actif, où le Système s’essaie à créer des nouveaux modes d’humanité, où leur bassesse peut s’étaler dans son “bourbier” selon le terme employé par Platon autant que par Plotin, pour rester dans cette veine sublime... Mattei encore : «L’image traditionnelle du “bourbier” [...] est récurrente chez Platon, du Phédon à La République, avant de devenir dans le néoplatonisme, en premier lieu chez Plotin. Mais Platon lui associe, dans un des textes fondateurs de sa philosophie, au septième livre de La République, le terme de “barbare”, indiquant par là que le fond de l’âme humaine, aussi opaque qu’un bourbier, est impropre à la lumière. La barbarie, – “la matière, le bloc, la fange, la géhenne”, murmure la Bouche d’Ombre chez Hugo, – se trouve ainsi dès l’origine liée au destin de l’âme dans la philosophie...»)

    Ce “champ d’expérimentation actif” de la barbarie, initié et opérationnalisé par le Système, se trouve bien en Ukraine aujourd’hui, parallèlement à l’Irak, mais d’une façon particulière et si spécifique que la chose mérite un développement spécifique et particulier. Le concept de “barbarie intérieure” y trouvera tous ses composants et toute son universalité, sa globalisation d’époque, de l’époque de la globalisation. On connaît, – je parle de ceux qui veulent connaître, question d’en faire l’effort, – la situation en Ukraine... L’armée ukrainienne et ses multiples appendices tordus, vicieux, mafieux et mercenaires, continue à pilonner les villes et les villages du Donbass, au nom d’un pouvoir qui est un rassemblement d’êtres dissolus et déstructurés, dont l’âme est “aussi opaque qu’un bourbier”, sans honneur ni parole, faisant assaut de mensonges inconscients et de vitupérations haineuses, tremblants de n’être pas assez du parti de la fange et de l’ombre pour satisfaire leurs maîtres dont ils ignorent qu’il n’y en a qu’un, – et qu’il se nomme le Système, la Bête tentaculaire.

    La vérité de la situation en Ukraine est suffisamment manifestée, attestée, ouverte à notre intelligence et à notre intuition par les moyens clandestins du système de la communication lorsqu’il est de bon usage par une résistance antiSystème. Nous avons tous les témoignages qu’il faut, par les outils triomphants de la communication de la modernité, ses vidéos, ses photos, ses témoignages, ses interviews, etc. Par conséquent, nous disposons de l’évidence d’une campagne dite “de terreur”, où la force qui en a la charge pilonne sans trop de risque les bâtiments civils, les institutions publiques, les appartements anonymes comme les hôpitaux, sans discrimination, presque avec une sorte de souci d’égalité. Je ne dis pas que c’est un carnage monstrueux, que c’est un génocide sans égal, parce qu’en vérité je n’en sais rien ; mais l’on peut aisément savoir, par un simple effort civique de recherche facile de la connaissance, qu’il s’agit de ce que je décris, d’une campagne de terreur contre des populations civiles.

    On comprendra, je l’espère avec ferveur, que ce n’est, de ma part, prendre parti en aucune façon. Je suis en-dehors de ce débat et je dirais même au-dessus, parce que j’estime que ce débat n’est pas le vrai, que la seule chose qui importe pour garder une certaine hauteur est d’identifier ce qui est antiSystème dans telle ou telle occurrence, dans autant de crises, d’incidents, d’affrontements, pour soutenir le phénomène le temps qui importe, dans ce qui devient pour un instant ou pour un moment sa lutte à mort contre le Système. Il n’y a donc rien de politique (encore moins d’idéologique) dans ce cas comme dans mon propos, d’aucun parti, d’aucune chapelle, rien du tout. Ce qui m’importe, dans l’occurrence décrite, c’est bien de débusquer le barbare fondamental, le barbare de notre barbarie intérieure... Et il se trouve justement, dans ce cas, que ce n’est pas le bidasse ukrainien, le tordu de Pravy Sektor ni le psychopathe d’Akademi (ex-Blackstone) ou l’agent un peu exalté d’un service polonais quelconque, tous ceux qu’on retrouve dans la campagne “anti-terroriste” de terreur. Le barbare intérieur, c’est nous, ici, dans nos pays.

    L’Ukraine est champ d’expérimentation à plus d’un titre, et il l’est précisément et particulièrement dans le champ du déni de la vérité d’une situation, par automatisme, par fermeture, par enfermement dans “la matière, le bloc, la fange, la géhenne”, – ce champ bienheureux de l’indifférence où l’on ne voit rien. Il s’agit donc bien de notre barbarie intérieure. Jusqu’à l’Ukraine-2014, il n’existait aucune occurrence où les communautés dites-civilisées, chez nous, dans cet Occident du monde abîmé dans son hybris, aient si manifestement, si extraordinairement et consciencieusement, mais aussi en toute inconscience je crois, si complètement ignoré ce qui se passe sous leur regard vide.

    On sait comment fonctionne notre système de la communication. Des événements font l’objet de toute son attention, pour telle ou telle raison qu’importe, d’autres sont complètement ignorés. L’Ukraine (ce qu’on désigne comme la “crise ukrainienne”, à partir de son premier paroxysme de février 2014) fait partie de la première catégorie. L’événement a donc été suivi, commenté, chargé d’intenses significations antagonistes, disséqué, disputé, etc. On connaît la musique, avec les affrontements de communication qui vont avec, les polémiques, les narrative, les montages, etc., d’une façon désormais connue entre les tenants du Système (la presse-Système et le reste) et la résistance antiSystème, tout cela à la lumière encore éclatante des précédents libyens et syriens. Mais avec l’Ukraine, il s’est passé quelque chose de singulier. A partir d’un certain moment, disons vers quelque part début-avril ou courant-avril, lorsque la crise s’est concentrée sur la campagne “anti-terroriste” lancée par Kiev contrer le Sud-Est du pays, tout a semblé se contracter, se replier, se refermer et se fermer ; les lumières se sont éteintes, du côté du Système, la salle s’est vidée, les portes se sont fermées, les cadenas ont claqué. A part quelques éclats ici ou là qu’il était difficile d’ignorer, quelque événement politique ou “militaire” plus imposant que les autres, tout s’est passé dans le paysage de la communication comme s’il n’y avait plus rien à voir, comme si l’animation furieuse de la crise et des affrontements s’était dissipée en un lendemain silencieux de fin de saison, puis transformée en une immobilité sans accident ni relief particulier. Soudain, en Ukraine, il n’y eut plus rien, ou tout comme.

    Je crois bien que c’est la première fois qu’un tel phénomène se produit, que le Système, sans doute lassé d’avoir à argumenter pour imposer sa narrative, peut-être craignant finalement de n’y pas parvenir, rompt brusquement en disant en toute simplicité : “voilà, c’est fini”. Je ne parle pas ici d’efficacité, d’une opération d’étouffement de la communication réussie, etc., car l’on sait bien que ce n’est pas le cas, que, dans tous les réseaux antiSystème, sous la plume des commentateurs du domaine, chez les résistants, leurs relais divers, au contraire la description et la dénonciation de la vérité de la situation se sont poursuivies et se poursuivent toujours. Je parle du Système et de ses gros moyens en général, et, par conséquent, de tous ceux qui le suivent et qui obtempèrent, en le sachant un peu ou en l’ignorant souvent, qu’importe. Tous ceux-là se sont brusquement fermés à la vérité du monde qu’ils discutaient et contestaient l’instant d’avant, ils l’ont écartée, ils lui ont tourné le dos avec une telle effronterie et une telle impudence, et une telle inconscience d’ailleurs, que l’on en reste coi. Certes, et encore une fois, ils n’ont pas réussi à anéantir cette vérité du monde, mais ce n’est nullement ce qu’il m’importe de montrer et je crois même que ce n’était pas leur but ... Ce qui m’importe ici, c’est bien la soudaine et éclatante démonstration de la barbarie intérieure qui les habite, qui est bien le caractère de notre temps, car cette ignorance soudaine, ce basculement dans l’indifférence, et cela quel que soit votre parti et le parti-pris, – voilà bien la parfaite illustration de ce que l’on nomme “barbarie intérieure”. Elle n’a pas les mains tachées de sang, cette barbarie, elle n’a pas le regard furieux du bourreau ni la Kalachnikov au canon fumant, mais à tout prendre on comprend que je dise qu’elle est beaucoup plus effrayante, qu’elle est d’une terrible horreur d’un degré au-delà et en-dessous. Cette barbarie intérieure est celle du regard vide et tourné vers soi, et encore plus vide de ce fait, celle des âmes désagrégées dans l’entropie du nihilisme.

    ... Par conséquent, ils ignorent, ces barbares intérieurs à eux-mêmes, que les événements se sont poursuivis et se poursuivent. D’ailleurs, est-il bien nécessaire de les en instruire ? Poser la question, n’est-ce pas, on croirait que c’est déjà y répondre. (Mon Dieu, combien est lourde cette sorte de quasi-certitude, combien nous attriste cette désagrégation, cet éparpillement d’eux-mêmes de nos contemporains, de nos compagnons égarés et leurrés.) ... Mais qu’y puis-je enfin, – toute cette aventure, toute cette quête épuisante et sublime, toutes ces vérités que nous devons affronter, toute ces angoisses que nous devons supporter et dont je connais la cause, tout cela est hors des standards de leur “histoire-tout-court”, de leur petite histoire ripolinée et blanchie par les maîtres-mandarins de nos établissements-Système qui réécrivent la vérité du monde. Tout cela est de l’ordre de la métahistoire, et il faut leur annoncer avec la précaution nécessaire qu’on prend pour les âmes fragiles et fangeuses, et déjà dissoutes, qu’ils ont déjà perdu et qu’ils doivent songer à changer de parti, comme ils font en général dans cette sorte de situation... (Car au fond ils ne sont pas mauvais, comme on le sait bien depuis Plotin, mais simplement trop faible pour échapper à l’attraction du Système, aux tentacules de la Matière déchaînée.)

    On leur dira également, et avec autant de précaution, que si l’on s’élève un peu l’air devient assez éclatant de lumière pour constater que les événements sont si rapides, si emportés et si fous, dans le tourbillon de l’histoire transformée en métahistoire, qu’à cet instant vous pouvez croire que tout est possible, jusqu’à l’effondrement du monde-Système, jusqu’à la Chute... Nous y sommes. Il faudra bien qu’ils nous y rejoignent.

    Philippe Grasset (De Defensa, 19 juin 2014)

    Notes

    1). La barbarie intérieure –Essai sur l’immonde moderne, de Jean-François Mattéi, Quadrige/PUF, Paris, 3ème édition 2006. (Première édition publiée en 1999. La troisième édition comporte notamment une “préface à la 3ème édition” inédite.)

    2). Déjà citées dans nos colonnes (le 14 juin 2014), ces déclarations de Robert Redeker sont extraites d’Eléments, avril-juin 2014.

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  • L'idéal de puissance...

    Vus pouvez découvrir ci-dessous une analyse passionnante de Philippe Grasset, infatigable animateur du site De Defensa, consacré à l'idéal de puissance comme forme de l'hybris du système...

    Philippe Grasset est l'auteur des essais intitulés Le Monde malade de l'Amérique (Chronique sociale - EVO, 1999), Chroniques de l'ébranlement (Mols, 2003), et de La grâce de l'Histoire (Mols, 2014).

     

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  • La grâce de l'Histoire...

    Les éditons Mols viennent de publier un essai de Philippe Grasset intitulé La grâce de l'Histoire. Animateur du remarquable site d'analyse De Defensa, consacré aux questions politico-stratégiques, Philippe Grasset est l'auteur de Le Monde malade de l'Amérique (Chronique sociale - EVO, 1999) et  des Chroniques de l'ébranlement (Mols, 2003), préfacé par Régis Debray.

     

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    " Ce livre tente d'aller aux racines de la grande crise que notre civilisation connaît actuellement. Il analyse la séquence historique conduisant à cette crise, à partir de la rupture de la fin du XVIIIe siècle, marquée par trois événements fondamentaux : la Révolution américaniste ou guerre d'Indépendance, la Révolution française et la révolution du choix de la thermodynamique engendrant le développement industriel et technologique. Dans la dynamique de cette séquence historique, identifiée ici comme le moteur fondamental conduisant à la crise actuelle, la Grande Guerre de 1914-1918 occupe une place centrale, à la fois comme un pivot de la dynamique en question et comme une "réplique sismique en amont" de notre crise, annonciatrice de cette crise. Il s'agit d'une approche entièrement nouvelle de la Grande Guerre, qui vaut essentiellement par l'identification des causes souterraines cachées, d'une très grande puissance, courant depuis le début du XIXe siècle et se poursuivant après elle. Dans cette conception qui ne fait qu'une part très réduite à la politique, la Grande Guerre est un événement majeur de civilisation caractérisée pas une catastrophe technologique engendrant des destructions et des pertes épouvantables. Il ne s'agit en aucun cas d'un accident, ni d'une aberration, mais bien d'une poussée paroxystique d'une civilisation en crise, que nous retrouvons dans notre époque présente, sous d'autres formes. Autour de ce pivot de la réflexion qu'est la Grande Guerre, l'auteur étudie notamment le développement de la puissance allemande, le développement de la puissance des Etats-Unis, le rôle de la France et les deux grands courants de la modernité que sont le système du technologisme et le système de la communication. "

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  • Regard las sur la République Française...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Grasset, cueilli sur son site De Defensa et consacré au lent déclin de notre pays...

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    Regard las sur la République Française

    Ils pourraient parodier leur mot fameux du temps du sang contaminé et nous dire, comme on présente son coupe-file : “Irresponsables, pas coupables”. Cela sonnerait juste, parce que la France du temps présent, dans le chef de ses élites et de sa direction politique, n’en finit pas de s’effondrer avec une certaine lenteur épuisée, avec contrition proclamée, dénégations, impuissance, soupirs réformistes et discours chantonnant le rythme “sociétal”, les jambes trop courtes pour se retenir de toucher le fond, le souffle si court qu’elle se noierait avant de se noyer.

    On dit bien “la France”, et pas Cahuzac, Ayraud, Hollande & Tartempion, ou bien Libé, Le Grand Journal & Le Figaro, ou bien Copé, Sarko & Compagnie… Il n’y en a pas un pour accrocher le regard et faire naître le goût de la malédiction, pour susciter des réflexions hautes, pour vous plonger dans un abîme de méditation grave et insondable sur la décadence des grandes choses, sur la façon dont les civilisations abandonnent leur histoire, sur le sens de cette civilisation-là devenue contre-civilisation. Il n’y en a pas un qui soit à la hauteur de leur chute et de la Chute.

    On aurait pu écrire ces mots sans nécessité de l’incident du jour, sans l’entraînement du brouhaha absolument indigné de la panique pressante et présente, de toutes ces vertus outragées et soudain érigées en guillotines postmodernes, le verbe moralisant au bout du poing, mais il se trouve que le larron fait l’occasion. Le Cahuzac arrogant et portant beau, brillant et insupportable, et magouilleur en son temps comme il faut, et soudain plongé dans un abîme de désespoir effondré, devenu malheureux homme jusqu’à l’abandon de soi, et pour la vie duquel les rares amis qui lui restent expriment toutes les craintes possibles, c’est bien la triste occasion. Qu’on ne compte pas sur le chroniqueur qui sait ce que mission veut dire pour pilonner le coupable, car ce n’était qu’un irresponsable comme eux tous, qui est aujourd’hui un homme traqué par lui-même, et soumis à sa torture intime. L’indignation qui s’élève, à la hauteur d’une Bastille encore debout et sur les mannes d’une Révolution dont ils ne finissent pas de se parer de la vertu supposée, c’est celle de la panique générale qui s’empare d’eux ; ce que Cahuzac a fait, affichant le soi-disant “mensonge d’État” comme manière d’être, – ce qui supposerait que l’État existe encore, – c’est témoigner symboliquement que le roi devenu République est nu, en symbolisant pour eux tous ce qu’est devenu leur monde.

    Ils ne sont pas “tous pourris”, ce serait leur faire bien de l’honneur et bien mal les considérer, et faussement sans nul doute. Ils sont absolument de leur temps présent, de la même matière folle et médiocre, sans rien qui dépasse, bien en rang, “bien pliés” comme ils disent. Je me demande même s’ils sont aussi vils qu’ils le paraissent, et bien entendu je ne le crois pas une seule seconde. Ils sont aussi bien affreusement prisonniers que médiocres profiteurs, autant absolument angoissés de leur sort qu’avec l’illusion futile de l’impunité du pouvoir. Simplement, ils ont perdu leur colonne vertébrale et ils ont fourré le fameux éclair au chocolat de Teddy Roosevelt à la place.

    Ils n’osent dire tout haut ce qu’ils n’osent même pas savoir avant que le monde le leur fasse connaître. “Je ne savais pas que la crise allait durer si longtemps”, disait ce Président après tout plein de bonnes et vaines intentions, quelques jours avant la crise du jour. Son étonnement discrètement interloqué nous cloue sur notre chaise et suspend un instant notre plume : lui et moi, parlons-nous du même monde ? Il lui a fallu une élection et quelques mois d’exercice de ce pouvoir qu’ils nomment “suprême” pour saisir au vol cette évidence qui écrase notre temps ?

    Le jeune Emile Michel Cioran écrivait en 1941, et peut-être pour la dernière fois en roumain avant de passer au français, un texte court et fulgurant (*) qui est un paradoxe même pour le jugement courant, mais qui est si évident pour qui mêle l’intuition à l’intelligence ; un texte débordant d’amour et d’estime haute pour la France, et d’un accablement désolé et irrépressible de devoir éprouver un tel mépris désespéré pour la France, – en un seul souffle, en une seule émotion, ceci et cela… Le jeune Cioran mesure avec minutie et sans ciller bien que les larmes ne soient pas loin, ce qui fut et ce qui est. Auparavant dans son texte, avant la citation qui nous importe, il avait observé que l’un des deux Moments de la France, où la Gloire de la grande Nation fut la plus haute, se trouvait dans cette «époque de la construction des cathédrales», ce que Georges Duby nomma le “Temps des cathédrales” ; il y revient indirectement plus loin, au constat de la désolation de la France, et du monde avec elle. (…Puisque la France reste exemplaire dans la décadence et l’effondrement, même inspiratrice de cela pour les autres, et Cioran en lui lançant cette terrible accusation du déclin ultime scellait en même temps son amour nouveau et désormais irréfragable pour elle, – vous voyez bien qu’il ne faut jamais désespérer d’elle, même dans le paradoxe de la gloire et de la chute mêlées. Disant “pays avancé” dans l’extrait ci-dessous, Cioran disait “avancé dans la civilisation”, très développé et longtemps considéré comme la référence de cette civilisation, “avancé” jusqu’au-delà de la civilisation, jusqu’à représenter la décadence terrible de cette civilisation, quand toutes les amarres sont rompues...) :

    « Un pays avancé ne souffre d’aucune complicité avec un quelconque idéal. Il rassemble en lui tout ce qui pourrait constituer une négation du gothique, c’est-à-dire de l’élan, de la transcendance, de la hauteur. Son énergie ne tend pas vers le haut, elle penche. La France est Notre-Dame reflétée dans la Seine – une cathédrale refusant le ciel. »

    L’argument péremptoire et terrible de ce pamphlet d’amour désespéré de Cioran, c’était “la France abaissée, humiliée” de la défaite et de la capitulation. Sa réelle portée transcendante fait que c’est aussi, et même bien plus encore, la France de notre temps. Un autre poète embastillé avant d’être fusillé pour avoir été du parti de cette “France abaissée, humiliée” et s’en être trouvé satisfait jusqu’à l’outrecuidance et l’inhumanité, disait du fond de sa cellule de Fresnes, et montrant en cela qu’il restait d’une humaine nature, revenu de sa faiblesse coupable pour affronter le martyre : «Mon pays m’a fait mal.» C’est qu’il faut savoir souffrir pour lui, selon ce que l’on fut et selon ce que l’on fit. On ne parle pas ici de la justice des hommes, on parle de la tragédie de l’Histoire et de la transcendance du monde.

    La question qui nous dévore devant cette France du temps présent, cette France des restes de ce qu’elle fut, est bien celle-ci : tous, ceux-là qui manigancent, qui discourent, qui paniquent, qui moralisent, qui s’égaient, qui s’affolent, qui se tordent les mains d’une angoisse soudaine, soudain horrifiés et dérangés dans leurs discours quotidiens, tous ceux-là savent-ils encore souffrir avec et pour leur pays et savent-ils encore ce qu’est la souffrance du monde ? … Cioran écrit “une cathédrale refusant le ciel” ; pour épouser notre temps courant et parce que 2013 n’est pas 1941, l’on dirait plutôt mais bien plus lourdement, mais logiquement cette lourdeur certes, – Notre-Dame “embrassant le ciel faussaire reflété dans la Seine par l’illusion de l’inversion”. Sauront-ils, en même temps que découvrir la souffrance du monde, en même temps que leur propre souffrance, sauront-ils déchirer le voile qui les bâillonne, qui les aveugle, qui les subvertit et les invertit, et qui les emprisonne ? Questions sans réponse, tout cela, ce qui n’est même pas façon de répondre, ce qui est suspendre le temps et son vol, – et attendre le verdict…

    Que dire encore ? Le Sénat continue à travailler sur le mariage pour tous. La République fonctionne, que diable ; la dérision lui répond en écho : au travail la belle, et plus soft sera la chute vertigineuse… Pas si sûr d’ailleurs, car l’on annonce que le vote sera si serré qu’on n’est plus sûr du tout qu’il soit acquis ; et certains de dire, dans ces temps du soupçon, que cela répercute à la façon démocratique et postmoderne ce qui semblerait finalement bien être une crise ; parce qu’un échec même temporaire du vote sur le mariage pour tous, voyez-vous, ce serait pour tous ces gens un symbole terrible et le signe ultime dans le ciel vertueux de la République laïque. Pas si soft, finalement, la chute ? Ces temps-là sont sans pitié...

     

    Philippe Grasset (De Defensa, 5 avril 2013)

     

    Note

    (*) De la France, republié à L’Herne en 2009.

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